Pour Elisabeth : nous étions six, Nicolas, GEF, Alain, Dominique, Sophie, moi. Sauras-tu attribuer à chacun ses propos ?

(Vrac et désordre, la conversation par bribes dans mes souvenirs. Je garantis que ce sont mes souvenirs, je ne garantis pas leur exactitude. Ce qui est sût, c'est que les sujets n'ont pas été abordés dans cet ordre).





— Même si je ne lis pas l'anglais, j'ai la version américaine de Laura, il sort en mars. Les cartes sont reproduites en fac-similés et peuvent être découpées à l'attention des lecteurs inventifs qui veulent écrire leur propre roman. — Et qu'est-ce que vous pensez d'Eric Rohmer ?
— Vous saviez que c'était le frère de René Schérer ?
— Ah oui, un autre grand malade… Mais c'était les années 68, et puis il était fouriériste… Lui c'était les petits garçons, il allait se fournir dans les secteurs para-psychiatriques, tandis que Rohmer ?
— Quoi, Rohmer ?
— Il aimait les très jeunes filles, ses actrices passaient toutes à la casserole. Mais elles étaient volontaires, c'est comme Woody Allen : il fait tourner ses actifs au tarif syndical, et ils le savent, mais ils sont tous volontaires…
Perceval m'a beaucoup marqué.
— Mais ce fut un flop. A l'époque, si tu ne faisais pas quatre semaines sur les Champs-Elysées… Maintenant il y a les produits dérivés. Alors il a refait des films caméra sur l'épaule avec du papier Canson pour la lumière ?
— ??
— Tu ne savais pas ? Un jour un journaliste lui a demandé comment il faisait sa lumière, Rohmer a ouvert un tiroir de son bureau, a sorti une feuille de papier et a dit « Voilà, je mets la feuille derrière l'acteur, j'attrape le soleil, et je tourne. »
— Et le dernier ? Daphnis et Chloé ?
— David Hamilton revisité.
X. rit.

— Mais quand on est sur scène on dit souvent n'importe quoi. J'adore Vila-Matas, j'ai tout lu de lui. Dans ses livres il parle d'Achille Campanile ( ?? à confirmer), il dit que c'est un grand méconnu et qu'il l'adore, alors j'ai trouvé et acheté les livre de cet Achille Campanile, il n'y en a pas beaucoup, et quand j'ai rencontré Vila-Matas, je lui ai montré les livres d'Achille Campanile, et il m'a dit qu'il ne savait pas qui c'était ?

— Il y a des coupes dans les traductions. Le premier paragraphe du Crime du golf, d'Agatha Christie, est plein de termes techniques de golf, il n'a pas été traduit.
— Les Proust en ligne au Québec sont ceux de la collection blanche. On peut passer des heures à chercher une tournure qui n'y est pas (puisque tout le monde se sert des Pléiade comme référence).
— Certains se targuent d'être de vrais proustiens parce qu'ils possèdent l'édition Clarac de la Pléiade. Cela veut juste dire qu'ils ont eu vingt ans avant la parution de l'édition Tadié…
— Est-ce que l'édition du Borgès sera identique à la précédente, ou les notes vont-elles être revues ?
— Identique, je crois.
— La veuve s'était plainte parce qu'on avait utilisé des interviews de Borgès alors que celui-ci ne savait pas qu'il était enregistré. Elle criait à la manipulation.
— Mais tout le monde le manipulait, même elle…

— Mais alors, puisqu'on en parle, c'est quoi un mariage gris, ou noir ? Je n'ai pas suivi…
— C'est quand l'un des deux était sincère mais pas l'autre, pour l'un des deux ce n'était pas un mariage d'amour.
— Mais depuis quand faut-il s'aimer pour se marier ?
— Je me souviens d'un témoignage indien qui disait : « Chez vous on s'aime pour se marier, chez nous on se marie pour s'aimer ».
— Ça ne marche pas si mal d'ailleurs…
— Je ne suis pas sûre que l'Inde soit le meilleur endroit pour juger de cela.
— J'avais un ami tibétain qui devait venir se marier en France; sa famille l'a retenu au Tibet pour le marier de force. Il n'était pas heureux (et la jeune fille non plus d'ailleurs).
[reprise]
— Un mariage gris, c'est quand l'un des deux dit: «Je me suis fait baiser».

— Vous n'y croyez pas, vous, à l'inconscient collectif ?
— Moi j'ai écrit : « je t'ai reconnue! »
— Mais ce n'était pas moi !
— Comment, ce n'était pas toi?! [se tournant vers nous]. Il faut que je vous explique. J'ai eu une discussion avec X. sur "en vélo" et " à vélo". Elle me disait que seul "à vélo" était correct.
— Je lui ai donné comme exemple "Julie et Cécile vont à bateau".
— Et cette phrase, exactement celle-là, est sortie dans la liste Oulipo. Alors j'ai écrit: « je t'ai reconnue ! »
— Mais ce n'était pas moi! C'est vraiment incroyable. Il y a des choses comme ça, dans l'air… Vous n'y croyez pas, vous, à l'inconscient collectif?

— Chandler vendait des voitures sur la côte Ouest des Etats-Unis. Il avait tout, il vivait très confortablement; il était fou amoureux de sa femme qui avait trente ans de plus que lui, la femme parfaite, épouse et mère… Et puis elle est morte, il a été inconsolable et s'est mis à boire… il écrivait bourrée. Il y a sa correspondance, c'est surtout ses échanges avec ses éditeurs qu'il engueule, c'est extraordinaire…
— Ah oui, je l'ai vu il y a moins d'une semaine, ça donne des phrases du genre : « Veuillez considérer que j'écris en patois suisse, mais si je décide d'agrémenter mon style velouté d'un néologisme argotique, vos ânes bâtés de correcteurs n'ont pas à y toucher » !!
[Et moi je crois à des conjonctions dans le temps et l'espace, malgré tout : avoir rencontré Chandler par hasard une semaine avant chez des amis.]

Tu sais que je conserve tous les exemplaires du Monde…?
— Mais alors… tu vas pouvoir me servir, je cherche un article de Camus au moment de la mort de Malraux.
— Mais (chœur à la voix indécise) ce n'est pas possible…
Moi, réalisant ? Mais non, pas ton Camus, mon Camus! En 1976.
— 1976… Hum, ce sont les cartons du fond, il va falloir tout déplacer…
— Tu sais que tout est en ligne ?
— Oui mais c'est payant, je me sers du moteur de recherche pour savoir quel journal consulter. Enfin, ce sont les suppléments littéraires que je conserve…1

— Quand j'étais petit je lisais une bande dessinée qui s'appelait Pierrot. Et puis l'air du temps est devenu anti-BD, et du jour au lendemain on a arrêté de me l'acheter. J'ai été très malheureux parce dans le dernier magazine le héros, Pierrot, courait dans des galeries à l'intérieur d'une falaise, et l'épisode se terminait il était arrivé au bout de la galerie et elle débouchait à flanc de falaise, directement sur la mer, et la légende disait « Il regarda l'abîme sans fond ». Et moi j'étais petit, j'avais huit ans, et bien, j'imaginais vraiment un abîme sans fond, c'était vertigineux. Et il il y a deux ou trois ans, en passant devant un bouquiniste, j'ai trouvé la suite de l'histoire…
— Et alors ?
— Eh bien en fait, Pierrot regarde vers le haut, et il s'aperçoit que le sommet de la falais est tout proche, et il grimpe et il s'échappe comme ça.
— Et vous avez acheté la revue ?
— Non, même pas…

— Vous savez mon outil a transformé les sites, le baraguoin2, eh bien, durant les vacances, il a commencé à prendre le contrôle d'internet…
— Hein? Qu'est-ce que tu dis ?
— Eh oui. Je ne sais pas comment ça se fait, Google a commencé à indexer des pages, et de plus en plus, naturellement; j'ai commencé à recevoir des mails d'universités, de municipalités, pour me dire d'arrêter… Je pense que c'est parce que Jean Véronis m'a fait de la pub cet été… Nicolas m'a aidé à arrêter le monstre, j'étais en train de prendre le contrôle de la Toile…
— Terminator 3, quoi!!


Note
1 : Vérification faite, il semble que l'article de Camus n'est pas paru dans un Monde des livres. Tant pis.
2 : free marche si mal que désormais le baragweb es