Billets qui ont '2017-06-08' comme date.

Jeudi : dans la cuisine

Au soleil qui n'a pas atteint l'angle du muret, je sais qu'il n'est pas encore sept heures. Il fait très frais et je ne tente pas de sortir, je n'ai pas emmené de pantalon.
Cette fois-ci FB est coupé. Hier matin j'ai perdu les précieuses minutes dont je disposais à tourner sur FB ce qui fait que je n'ai rien écrit ici — et rien ou presque depuis le début du voyage, puisque je n'écris pas non plus dans la voiture (elle est trop petite — et à quoi bon venir en Toscane si ce n'est pas pour regarder le paysage?) et que le soir FB me distrait de nouveau: prendre ou donner des nouvelles, dilemme (enfin, donner… plutôt conserver la trace des jours).

Je viens malgré tout de perdre du temps à lire l'article trouvé hier par H. comparant Fiat 124 et Mazda Mx5. Dans les défauts sont notés, le coffre minuscule, «un habitacle étroit avec pas assez de rangements sous la main et des remous d’air prononcés dès 100 km/h […] mais les râleurs n’ont qu’à aller rouler en Mégane CC d’occasion», ce qui est tout à fait ce que je pense (enfin, pas concernant la Mégane que je ne connais pas). Je ne roule pas en spider pour la performance sportive mais quasi pour l'inverse: pour prendre les routes les plus petites possible, prendre mon temps (le vrai luxe) et faire du 60 kmh de moyenne, ce qui est de toute façon le cas dès qu'on quitte les autoroutes: «on recherche ici un plaisir de conduite oublié par la modernité : faire corps avec la voiture, vivre avec le bruit et les vibrations, goûter à la joie d’une prise directe avec la route et les éléments.» Voilà, voilà: personne ne comprend moins que moi l'intérêt de rouler en 4x4 ou en Espace et la taille et la hauteur des voitures qui augmentent constamment ces dernières années me désarçonnent. (Mais pourquoi? (cette augmentation?) Quelqu'un m'a un jour répondu que cela permettait de ranger les poussettes, elles aussi de plus en plus massives, sans les plier. Euh… Porsche a inventé la Cayenne pour ranger une poussette?)

Tout ça pour dire qu'une fois rentrés nous irons essayer la dernière Mazda (et non la première génération, celle pour laquelle j'ai craqué quand elle est sortie en 1990, mais dans laquelle O. ou H. ne tiennent pas, en hauteur ou en largeur).

Revenons à nos moutons. J'ai une heure et quart environ pour compléter les jours précédents. C'est peu.

Mercredi : Sienne

Après une chasse au moustique tard dans la nuit, H. a dormi longtemps (j'ai zoné sur FB) et nous sommes partis bien trop tard ce matin. Il y a du vent et il fait frais (relativement: sans doute vingt degrés). Nous retournons à Sienne pour visiter la cathédrale et les salles de Santa Maria. J'aimerais également voir la forteresse des Médicis, un peu excentrée, ce qui est surtout un prétexte pour traverser la ville et me promener dans les quartiers où vivent les Siennois. (Qu'est-ce que vivre à Sienne? C'est plus difficile à cerner que vivre à Venise où l'on ressort fortement la contrainte de l'eau, des ponts, des rues étroites, de l'absence de voitures c'est-à-dire l'obligation de transborder à bras les charges lourdes à partir des bateaux).

Billets pour la cathédrale (Duomo). Instruite par ma visite de Coutances, j'insiste pour que nous prenions un billet pour "la porte du ciel" (Il porto del cielo), une visite qui fait monter au niveau de la coupole. Sans doute pour des raisons de sécurité (évacuation en cas d'incendie, c'est ce que j'ai appris à Coutances), le nombre de visiteurs par visite est limité et nous avons rendez-vous à 13h30. En attendant nous commençons à visiter la cathédrale elle-même.

C'est une claque. Je ne sais pas ce qu'il en est lorsqu'on est prévenu, mais lorsqu'on ne l'est pas, c'est une véritable claque. Je récapitule ce que je connais de l'Italie, Venise, Saint Pierre de Rome, Florence, Pise: jamais rien vu de pareil, à la fois aussi intensément chargé et aussi beau, entre pavement au sol, peintures aux murs, décoration du plafond.

Nous avons une demi-heure devant nous, nous commençons par les pavements. Je suis très impressionnée d'y découvrir tant de sibylles et Socrate et Hermès, autant de motifs de la Grèce antique que je n'attends jamais dans une église. J'apprendrais en lisant plus tard qu'on appelle graffiti la technique qui consiste à creuser des sillons dans le marbre pour les remplir de bitume ou de stuc. Une partie des pavements, vers le chœur, est protégée par de la moquette: ils sont découverts en septembre ou octobre (admirable gestion de l'espace et des richesses, recherche de l'équilibre entre partage et protection).

Nous montons au niveau de la coupole. Vue, vues, intérieur, extérieur. Nous passons au ras de la rosace et des arcs. «Les mots me faillent», mais je souhaite également ne pas trop en dire (même si une simple recherche internet déflore le sujet: c'est dommage, ne le faites pas).
Visite de la cathédrale elle-même. Les yeux ne savent plus où se poser. La chaire est en travaux. Les stalles sont trop loin pour qu'on puisse en détailler la marqueterie (je détaille le négatif, c'est plus simple).
Magnifique bibliothèque Piccolomini. Soudain il me paraît possible, entre les panneaux de Bartolo à Santa Maria della Scala et cette bibliothèque, d'atteindre ou de dépasser les chambres de Raphaël au Vatican. Nous sommes nombreux mais de façon tout à fait supportable. Ne pas se laisser impressionner par les peintures, penser à regarder les manuscrits: avec quelle fréquence les pages sont-elles tournées?
Choix de cartes postales. Je résiste au livre intégralement consacré au pavement: non, je ne deviendrai pas une spécialiste des pavements de la cathédrale de Sienne, inutile de prendre ce livre, puis d'autres, puis d'apprendre l'italien, puis…

Repas dans une gargote (il murello, 48 via San Pietro: dessins d'enfants (de passage) au mur, très beau Pokémon américain, un paysage toscan avec deux collines, un soleil, une tour, un cerisier) avec un très bon chianti (trop de chianti: le verre servi doit faire 250ml) qui malheureusement n'est pas vendu en bouteille (tonneau: vin de la propriété); je prends des tripes, à la fin la serveuse propose "dulce?" et affiche un large sourire quand nous répondons "cheese" (pas le réflexe de "fromaggi", je ne suis pas sûre de la prononciation des deux gg). Il est trois heures, nous sommes seuls dans le minuscule restaurant, H. qui a conduit la Fiat ce matin fait des recherches sur internet (garder ou pas la coccinelle: nous arrivons au bout des trois ans prévus par le leasing, il faut prendre une décision pour septembre). Devant le bistrot se trouve un distributeur de billet, un homme vêtu d'un gilet pare-balles entre avec deux caisses rectangulaires de 20x10x40 cm; il papote. Il a un collègue, ils viennent recharger le distributeur, peinards; H. commence à imaginer un plan, prendre les deux caisses et partir en courant. Nous tentons d'évaluer la quantité de billets. Coupures de vingt euros, c'est écrit dessus.
— Ils ont un revolver.
— Mais tireraient-ils?
— Hmm, ça dépend s'il y a des touristes. S'il y en a, non.
— Je ne pense pas qu'ils aient le droit de tirer.
Je sors nonchalament mon verre de chianti à la main, reviens.
— Je n'ai pas vu de camion. Il y a de quoi garer une voiture. Tu sautes dans la Fiat et tu démarres… Voiture de location.
— Le problème, c'est d'ouvrir les caisses.
— Acide? Eau de mer?
— Hum. Je crois qu'il y a un délai. Et ça explose. Ça tache les billets avec de l'encre.
Je me garde de lui dire qu'il regarde trop de films américains. Après tout, il a peut-être raison.

Nous prenons une glace à deux pas. «La meilleure gelateria de Sienne» (la vecchia latteria, 10 rue San Pietro). Avec H., c'est toujours le meilleur pour tout. Il cherche sur yelp ou tripadvisor. Là encore, je ne lui fais pas part de mes doutes: la meilleure de celles répertoriées, sur le chemin des touristes, par les touristes. En tout cas, ma miel-noix est excellente.

Crypte. Couleurs impressionnantes de fresques découvertes en 1999, en déblayant des gravas. Encore des trésors de Norcia (le tremblement de terre). La "vraie" crypte est sans doute sous le chœur, mais il est impossible de creuser sans déséquilibrer l'édifice. Ici, dans la crypte, les piliers ont été remplacés par de l'acier qui soutiennent un plancher composé de carrés de quarante centimètre de côté montés sur vérins qui doivent s'ajuster centimètre carré par centimètre carré au poids de la cathédrale. (Hypothèse: les piliers d'acier compensent les gravats déblayés.)

Baptistère. Encore une fois sans voix. Il fallait une salle pour soutenir la cathédrale au-dessus, un peu sur le principe du Mont St-Michel. Un ange manquant est à Berlin. A la place de Sienne je le réclamerais. (Note par association d'idée mais sans rapport: beaucoup d'Allemands parmi les visiteurs et des guides parlant un très bon allemand même si la plupart se contente de l'italien et de l'anglais).

Il faudrait prévoir une semaine de visite au rythme d'une à deux heures par jour (pas plus, pour garder sa fraîcheur de regard et d'analyse): une journée pour les pavements, une pour les tableaux, une pour la bibliothèque Piccolomini, une pour le baptistère et la crypte.

Nous ressortons pour "finir" le musée Santa Maria della Scala. Nous n'aurons pas le temps de visiter le musée de la cathédrale, il aurait fallu se lever plus tôt. Tant pis, de toute façon nous ne retenons pas les noms des peintres et finissons par confondre tous les retables et prédelles.
Musée Santa Maria, retour à Domenico de Bartolo, mon coup de cœur, puis sous-sol.
— Premier ou second?
— Commençons par le premier, le plus profond.

Je ne sais plus exactement ce qui s'est passé, nous avons perdu la notion du temps, dans tous les sens du terme. Reliquaires et statues, inutile de chercher le Saint Graal le sang du Christ est ici, arcs en plein cintre en briques, rue principale qui monte loin dans les profondeurs qui à l'origine était à découvert (les bâtiments se sont construits autour et au-dessus), système de canalisation, ossements de la fosse commune médiévale, il fait froid, il fait sombre, il n'y a personne, parfois nous débouchons à la lumière du jour puisque nous sommes au creux d'une colline. Musée archéologique, VIIIe siècle avant JC (Homère, donc), jusqu'au IIe siècle avant JC, le sol monte, tourne, le chemin revient sur ses pas, il fait très froid, labyrinthe, outils, urnes funéraires, tombeaux (explosion de la place prise par les morts avec le christianisme), amphores ventrues hautes comme des hommes (c'est dans une de ces amphores que vivait Diogène), nous sortons sonnés, étourdis de froid et de surprise: vraiment, il y avait tout cela sous nos pieds?

Nous remontons, encore la chapelle de Catherine "de la nuit", puis les salles consacrées à la fontaine de la place (fontaine Jacopo della Quercia), avec l'exposition très intéressante de la reconstitution des statues à partir de celles qui étaient en place jusqu'en 1869, parfois littéralement fondues sous l'effet du temps. La reconstitution tient parfois de l'imagination, mais c'est un beau travail.

Il est 18h30, le musée est en train de fermer. Beaucoup de magasins ferment aussi. Nous faisons quelques courses dont une sorte de taboulé au pain, la panzanella.
Puis un capuccino sur la place dans le soleil qui tombe en illuminant le palazzo pubblico. Nous n'irons pas à la forteresse Médicis.

Achats du jour: un paires de bretelles, une cravate, deux ceintures, (la vendeuse a reconnu le foulard rose vendu trois jours plutôt: je me demande combien de ventes elle réalise auprès des gens de passage) deux pulls fins col en V, trois polos. («Il faut qu'on arrête d'acheter, nous n'aurons plus de place dans la valise»). Un livre L'art à Sienne («Tu sais bien que tu ne le liras jamais»), un "guidorama" Cathédrale de Sienne (C'est un dépliant sur huit pages plastifiés très pratique. Je recommande fortement).
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