Hier, le propriétaire du loft nous avait proposé une visite à dix heures et demie ce matin. Nous avions donc l'adresse et nous y étions passés: points positifs, nettement hors de la zone inondable et une immense glycine au-dessus du portail; points négatifs (observés à travers la fente de la boîte aux lettres car les murs et le portail forment une barrière infranchissable) des coulures sur le crépis, des rideaux comme des haillons pour protéger les immenses vitres du soleil et un jardin minuscule.

C'est donc sans un espoir démesuré et avec un certain fatalisme que nous allions visiter.
Masques, gel, j'ai oublié de préciser hier que tout cela est de mise.
Le propriétaire a le look hipster du Marais, des tatouages tahitiens sur les mollets (le hipster porte-t-il un pantacourt? je m'y perds) et une voix douce très agréable genre Matoo (pour ceux qui connaissent). Il est aussi aimable et positif qu'au téléphone.

Le jardin est effectivement très petit. Il m'avait prévenu qu'il y avait installé une terrasse en bois et un salon de jardin qui mangeaient la moitié de la surface. En fait c'est parfait: le plaisir d'être dehors protégé par de hauts murs, une glycine, une vigne vierge sur le pignon mitoyen qui monte très haut sans l'obligation d'entretenir une pelouse (ouf!).

La déco du rez-de-chaussée est à couper le souffle dans son homogénéité, sur le thème de New York et Philadelphie, des meubles en métal foncé qui répondent aux poutres en acier (c'est un ancien magasin de meubles). Billard à la feutrine bleue, carrelage sombre, éclairage type industriel. Beaucoup de disques, rock grande époque. Toute la difficulté est de vider mentalement la pièce pour y visualiser notre bazar, ce qui en changera(it) fatalement le style et le charme1. Les murs sont-ils suffisamment longs pour accueillir les bibliothèques? (de façon générale, au-delà des grandes du salon, y aura-t-il assez de murs dans l'ensemble du bâtiment pour mettre les bibliothèques variées?).
Le propriétaire explique qu'il n'utilise pas les radiateurs (ce qui permet de mettre des meubles devant) mais qu'il se chauffe avec le poêle (une stère de bois par an).
Pourrions-nous réellement vivre ici, cela paraît petit (d'ailleurs H. remet en cause la surface, ce qui conduit à des mesures); pourrions-nous réellement vivre ici, ne risquons-nous pas d'en dénaturer l'esprit? C'est si beau qu'on voudrait tout conserver en l'état.

Premier étage. Escalier sans rambarde, simples planches le long d'une poutrelle inclinée. Grand dressing, immense salle de bain (l'équivalent d'un studio à Paris, quinze à ving mètres carré) dans les vert émeraude, le reste en chambre bureau salon. Vus de l'intérieur, les rideaux que j'ai qualifiés de haillons sont ordinaires, normaux.
Plancher. Plancher épais, d'origine, des planches, chaud, brillant.
Je sens le bois sous mes pieds (pieds nus pour ne pas salir). Je regarde les poutres.
Le plancher emporte ma décision. Je veux vivre ici.
Mais H. a-t-il le même sentiment? Il est ailleurs en train de discuter d'autre chose (vraiment pas la même ambiance que dans "l'imprimerie". Pourtant il y aurait bien plus à voler ici). Je ne peux pas croiser son regard, et si je le croise, comment transmettre mon souhait, mon désir, mon emballement, sans trahir mon engouement devant le propriétaire?
Je n'ose plus rien regarder. Je ne veux pas m'attacher. Au cas où cet endroit m'échappe, où H. soit tiède, je ne veux pas que le regret soit trop profond.
Dernier étage, ce qui sera(it) "mon" étage (l'endroit le plus chaud et le plus bas de plafond (je suis la plus petite), mais aussi le plus lumineux. Le plancher est le même. Je regarde sans regarder. Ce serait ici, ce serait parfait. Pour moi, «une chambre à soi». Regarder vite, comme à travers mes doigts, ne pas trop regarder, ne pas s'attacher.

Rez-de-chaussée, terrasse, café. H. me regarde, murmure «on le prend?». Je secoue la tête affirmativement, imperceptiblement. Soulagement trop fort pour ne pas ne pas avoir peur de l'exprimer.
H. se tourne vers le propriétaire: «c'est bon, on le prend.»
Discussion pratique. Nous voulons laisser un dépôt de garantie; pour moi seul l'argent garantit que le propriétaire ne vende à un plus offrant (Crainte injustifiée: j'apprendrai plus tard que lorsqu'un vendeur annonce un prix, il ne peut pas accepter une offre supérieure à ce prix si une offre faite au prix affiché a déjà été faite.) Le propriétaire nous rassure, nous dit qu'il croit à notre parole. J'aurais tendance à lui faire confiance, mais je fais si facilement confiance que c'est de moi que je me méfie.

Plus tard, nous apprendrons qu'il a eu plus de cinq cents contacts via PAP (de Particulier à Particulier)2. Il a eu des propositions, mais toujours en dessous du prix de mise en vente. Nous sommes les premiers à ne pas avoir marchandé. (Ouf!)


Itteville chez nos amis. Ils sont l'une des raisons pour lesquelles nous avons choisi le sud: H. risque de travailler de plus en plus souvent avec lui.
J'ai bien peur que nous ayons monopolisé la conversation avec notre enthousiasme.
Ils nous ont donné les coordonnées de leur copine agent immobilier à Yerres. Nous comptons sur elle pour l'évaluation et la vente.




Notes
1 : Notre bazar a-t-il du charme? Question que je n'ose poser à voix haute tant je redoute la réponse.
2 : Comment rester aussi aimable après cinq cents contacts?