Longue journée hier : tout d'abord visite privilégiée avec guide individuel de la cathédrale de Chartres, visite malheureusement écourtée par l'action conjointe d'un suicide le matin et d'une Anglaise qui n'avait pas imaginé que son restaurant pût accueillir tant de clients le midi (la dernière cliente négociant âprement une assiette de soupe); redécouverte des longues robes romanes et des visages si doux, de la rosace et de l'obscurité particulière de cette cathédrale (je n'y étais pas venue depuis vingt ans, je pense). Commentaire suivi des vitraux et des statues, et comme toujours cette conviction qu'il serait bien temps que je relise la Bible.

Dormi profondément dans le train, remis une religieuse dans le droit chemin à la gare Montparnasse, mangé deux gâteaux au gingembre, arrivée vers sept heures à la galerie.

Je n'ai pas l'habitude de ce genre de manifestations, et pour tout dire, je les crains : je redoute le snobisme, le parisianisme (forme particulière de snobisme qui s'exprime surtout par des exclamations bruyantes de femmes, la particularité parisienne étant à mes oreilles le ton, l'accent, un côté poissonnière précieuse), les gens impolis qui se précipitent sur les cacahuètes et le kir, tout ce petit monde venu pour tout sauf pour les tableaux.
Donc j'y allais craintivement.

J'ai été enchantée. L'accrochage est très réussi, il y a une grande harmonie entre les proportions de la salle et celles des tableaux (ce n'est pas si simple, les tableaux étant souvent grands et la salle plutôt moyenne), l'alternance des tableaux sombres et clairs maintient la curiosité en éveil, et la salle (avant d'être pleine de monde) est suffisamment spacieuse pour permettre de prendre du recul devant les œuvres.
Les tableaux sont très bien choisis, très représentatifs. J'ai retrouvé les volcans sur un mur, impression de croiser de vieux amis, un peu triste de me dire que s'ils sont vendus, je ne les verrai plus.
Il n'y avait ni cacahuète ni kir ni grandes exclamations, les gens sont venus nombreux mais calmes, tranquilles, heureux d'être là. C'était bien.

Plus tard, chez Jean-Paul Marcheschi, le besoin de m'assoir m'a rapprochée d'une petite blonde qui s'est avérée être la responsable de la galerie. Nous avons parlé un peu d'art (enfin, surtout elle, il valait mieux!), elle me disait être effrayée par la façon dont la France, les Français, vivaient totalement repliés sur eux-mêmes en matière de peinture et n'avaient aucune idée de ce qui se faisait à l'étranger. Elle me parla avec admiration des Allemands, de leur culture artistique, de leur façon d'aller spontanément vers les tableaux «les plus durs, les plus forts».
Elle connaissait Jean-Paul Marcheschi depuis les années 1990, quand il exposait à la Fiac.
Je lui ai demandé si elle savait qui était la minuscule vieille dame entourée d'attentions assise au milieu de la pièce.
— Eh bien, vous savez peut-être que Jean-Paul a vécu longtemps avec un garçon qui est mort. C'est sa mère…
Je l'interrompis :
— Vous voulez dire que c'est la mère d'Oyosson?
— Euh oui, sans doute… Vous connaissez? La mère d'Oyosson… J'ai senti les larmes qui montaient, assise sur le canapé, à côté de cette inconnue à qui j'aurais bien été en peine d'expliquer mon émotion.
— Excusez-moi, je suis très émue… c'est très étrange, les livres, c'est comme si les personnes sortaient des pages… (Je me suis enfoncée dans une explication compliquée qui avait l'avantage d'éloigner l'émotionnel et nous avons changé de sujet.)