Billets qui ont 'couple' comme mot-clé.

Faux départ

Le projet initial, c'était de dîner ce soir à Châlons-en-Champagne avec les parents de H puis de partir demain matin pour être à la frontière polonaise le soir, la frontière lituanienne le surlendemain soir et Tallin le troisième soir. Pourquoi cette hâte? C'est que nous sommes si nuls en voyage, si incapables de nous dépêcher et de nous tenir à un plan qu'il nous a semblé que c'était la seule façon d'être sûrs (sûrs, aux aléas politiques et militaires près; sûrs, à la carte d'identité d'H. près) d'atteindre Tallin: si nous prenions notre temps nous n'y arriverions jamais.

Matin studieux pour H. qui débuggue pendant que je repasse (Down by law, Permanent vacation (le long traveling arrière parfaitement stable sur Manhattan qui s'éloigne, présence des deux tours. Mais comment a-il annulé les mouvements du bateau?); Jarmusch me rappelle l'une des rares règles de cinéma que j'ai fini par dégager: pas de grand film sans une bande-son impeccable), puis ma valise, puis déjeuner. H. remonte travailler, je range le rez-de-chaussée, lave les vitres de la voiture, fait la vaisselle. H. survient, découragé: «je n'aurai pas fini ce soir, je vais emmener mon ordinateur, je travaillerai ce soir…».
Pour une fois je refuse: «pas question. Il te faut combien de temps? Appelle ton père, décale le repas à demain, retourne travailler. Je ne veux pas de vacances où tu passes toutes tes soirées sur l'ordi, autant rester ici.»
Il va vraiment falloir qu'il change de boulot. Il a tant de mal à se motiver que cela devient infernal.

Je me mets à la partie théorique du brevet SPL (Sail Plane Licence) en attendant. Cours sur l'oreille interne, la cochlée, les otolytes.

Cinq heures et demie: «c'est bon, il me reste deux petits bugs, on peut y aller, je terminerai ce soir à l'hôtel, je laisserai mon ordinateur demain chez mes parents.»
Ce n'est pas tout à fait satisfaisant — j'aurais préféré que tout soit fini avant de partir et qu'il n'emmène pas son ordinateur, mais c'est mieux que rien. Cela fait descendre la tension d'un cran, je parle d'expérience.

Nous chargeons la voiture, bagages ajustés au coffre. Habituel problème des médicaments, glaçons, glacière; chaque fois je pense au journal de Viktor Klemperer, lorsqu'il voit un de ses voisins déporté partir sans son traitement contre le diabète et l'inquiétude de ses proches. Evidemment je ne peux pas le dire, c'est trop bizarre; mais cette histoire de médicament (et des risques de l'oublier) me mine.

Départ finalement; nous ne nous sommes pas si mal débrouillés. J'aime prendre la route, trois kilomètres au compteur et un objectif quelque part tout droit trois mille kilomètres plus loin (peut-être qu'en plissant les yeux vraiment fort on pourrait l'apercevoir?); cette fois je me souviens du début du Seigneur des Anneaux, ou plutôt de Bilbo le hobbit: «tous les chemins commencent devant ta porte».

Campagne décapottée, restaurant le Mange-disque à Villenauxe-la-Grande, arrivée à l'hôtel à presque onze heures… et maintenant H. débuggue et je blogue. Je tombe de sommeil. Au lit !

Les détestations alimentaires (végétariens s'abstenir)

Repas marrant offert par un fournisseur. Bonne adresse: les Zygomates rue de Capri dans le 12e.

La commerciale en face de moi a mangé du cochon d'Inde en Amérique du sud «avec la tête dans l'assiette». Mouvement d'horreur du commercial.
— Les autres ont goûté du ver blanc. Il paraît que c'est bon, sucré. Moi je n'ai pas pu.

D'où cela est-il parti? Des écrevisses américaines dans le marais poitevin? (la commerciale est niortaise).
— Ils font du pâté de ragondin, aussi.
— Vous vous rendez compte de ce que vous dites? Vous mangez du rat?
— Mais ce n'est pas du rat d'égoût, ce n'est pas pareil.
— Vous connaissez Demolition man, le rat-burger?

— Et vous, qu'est-ce que vous ne mangez pas?
Je réfléchis.
— Déjà, si vous êtes obligée de réfléchir…
— La cervelle. Avant, j'aurais dit les choux de Bruxelles, mais depuis que j'en ai mangé avec du gibier à Strasbourg…
— Ah oui, moi c'est pareil, je n'aimais pas […], mais depuis […]

— Pas les insectes.
— Ma petite-fille elle adore ça.
— Mais qui donne des insectes à son enfant?

— J'adore les oreilles de porc.
— Mais c'est plein de cartilages! Pourquoi manger ça?!
— Et les groins? On nous a apporté une soupe de groins, les groins fottaient à la surface, j'adore ça.

Etc, etc. Si bruyants que nous avons gêné la table derrière nous, j'en ai peur.

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Oulipo le soir. Plus nombreux que souvent. Il fait chaud. Nous montons à l'étage du French Eyes.

Deux points marquants:
Information par Nicolas : l'écart social accepté socialement en France entre les membres d'un couple est son âge divisé par deux plus 7 (exemple: si vous avez 60 ans, vous pouvez prendre un conjoint de 37 ans). L'intéressant de cette règle est qu'elle n'est pas purement proportionnelle.

Information de GEF : X est de venu millionnaire grâce aux bitcoins. C'est un musicien doué, maladivement jaloux. A la suite d'une rupture amoureuse, il s'est réfugié dans une ferme (près de Saint-Etienne?) en mangeant peu et ne se chauffant pas. Soudain il s'est mis à rechercher dans ses disques durs des traces des bitcoins qu'il avait acheté des années auparavant. Bref, il se retrouve millionnaire, sans rien changer à sa vie, mais en aidant des amis.

Cohérence

Il y a deux ou trois semaines :
moi : — Finalement je crois que je vais retourner ramer le week-end ; je ne fais rien de plus quand je reste à la maison.
H : — Je n'ai jamais compris pourquoi tu avais arrêté.

Ce matin :
H : — Tu te lèves ? Mais pourquoi ?
moi : — Je vais ramer.
H : — Mais non…

Déplacement pour travaux

Demain des ouvriers installent les fenêtres commandées en juin. Nous devons dégager un mètre d'espace autour des ouvertures.
Branle-bas de combat en fin d'après-midi, déplacement des meubles, en particulier pour rouler les tapis (et l'aspirateur de sonner cloc cloc cloc au gré des crottes de lapin avalées). Nous décidons de ne pas toucher aux bibliothèques.

Pour mémoire, violente engueulade au marché — pour rien, pour une remarque à propos du ramonage. C'est fou ce que nous sommes inflammables. Comment avons-nous fait pour tenir si longtemps ensemble en étant de telles soupes au lait ?

Enseignements

J'ai compris trois choses: qu'il ne faut pas prendre de vacances avec H. en France (soit il a déjà visité avec ses parents, soit c'est une ville cliente et cela lui rappelle le travail, soit les deux); que ce qui l'intéresse, c'est la tournée des restaurants et éventuellement les musées (peintures entre 1850 et 1950); que ce qu'il aime, c'est se baigner dans une mer chaude (au moins relativement).

En faisant le point, nous sommes également convenus que le moment où nous pouvons prendre nos vacances ensemble est juin: l'époque la plus creuse avec le mois d'août — mais il y a trop de monde au mois d'août pour notre misanthropie commune.

Trouver une voiture

Depuis le légendaire permis de Claude (légendaire: legenda est, qui doit être raconté), nous avions pour mission de lui trouver une voiture.
Personnellement, j'étais plutôt pressée, car elle prend son vélo pour aller à son club d'équitation en empruntant une route départementale non éclairée sur laquelle les gens roulent vite: depuis que j'avais compris cela, je n'étais pas très rassurée.

J'ai fait plusieurs erreurs. La première a été de conseiller à ma fille de chercher une voiture à Lisieux et aux alentours: en réalité, même si elle a la langue bien pendue, elle est timide (elle n'ose même pas aller chez un coiffeur qu'elle ne connaît pas, il faut que je l'accompagne la première fois). Donc elle n'a rien fait, cela a traîné durant novembre et décembre avant que je ne comprenne ce qui était en train de se passer.
Ensuite, quand j'eus compris le problème et m'apprêtais à faire les recherches moi-même, j'ai fait l'erreur de dire à Hervé que j'avais profité de janvier pour envoyer mes vœux par sms à notre ancien garagiste afin de le prévenir que nous n'avions plus de Mazda (nous continuions à lui emmener "la blanche" de temps en temps). Hervé avait trouvé cela bizarre, mais quand je lui ai montré la réponse amicale et personnelle reçue en retour (bien davantage qu'une réponse stéréotypée), il s'est exclamé: «Je sais, nous allons lui demander de chercher une voiture pour nous».

Sauf que cet homme a sa propre vie et sans doute aussi peu de temps que nous; bien qu'il eût accepté très aimablement la mission, il ne trouvait pas, cela traînait — quand j'ai constaté que c'était une fausse bonne idée il était trop tard: je ne pouvais plus par politesse chercher de mon côté. (Et je n'avais qu'une crainte, c'est que Claude ne se fît renverser par une voiture alors qu'elle aurait dû ne plus être à vélo depuis décembre. Je ne me le serais jamais pardonné.)

Le garagiste a fini par déclarer forfait et avouer à Hervé qu'il ne trouvait pas (je ne sais pas quels critères haut de gamme il avait retenus). Entretemps — jeudi dernier — Claude avait pour la première fois montré un signe d'intérêt pour une voiture en m'envoyant un message FB: «Si vous trouvez une voiture, dites-le moi, je vais être en vacances, donc je peux venir.»

Vendredi, je suis donc passée sur leboncoin.fr, j'ai choisi trois critères (moins de 3000 euros, essence, Ile de France) et sélectionné trois voitures. J'ai envoyé des sms pour prendre rendez-vous et envoyé les liens à Hervé pour lui demander son avis.
Bien entendu, aucune des voitures que j'avais sélectionnées ne lui convenait et il m'a dit qu'il s'en occupait. (J'ai l'habitude, chaque fois que je commence à avancer sur un sujet sur lequel il traîne depuis des semaines, il n'est pas d'accord avec ce que j'ai fait et s'y met enfin (c'est désagréable, mais ça fait rire les enfants tant c'est caricatural et c'est une façon comme une autre d'aboutir)). J'ai envoyé des sms pour me décommander et le soir quand je suis rentrée il avait six rendez-vous pour le week-end.
Quelqu'un a téléphoné dans la soirée, sa voiture était déposée le lendemain dans un garage, il fallait venir la voir tout de suite — à un kilomètre de chez nous à vol d'oiseau. Nous y sommes allés, peugeot 306 vert foncé, 1997, 80000 km entretenue de façon familiale par le père bougon (c'est la fille qui vendait). Nous l'avons essayée et nous l'avons achetée.

Dans la salle à manger brûlait un feu, le canapé était en velours avec de grosses fleurs, au mur un Angelus de Millet en canevas et dans la bibliothèque que j'ai explorée du coin de l'œil tandis que se remplissaient les papiers, j'ai repéré la trilogie des Flicka, une vingtaine de livres de la collection blanche "Des Femmes" (dont Crime et Châtiment en deux tomes), une Bible, un livre sur les régimes, des livres sur De Gaulle.
Cette France que je connais si bien et que j'aime d'une profonde tendresse, que je voudrais ne pas voir disparaître trop vite — et surtout sans témoin.

Trop loin, trop proche

J'écoutais ce matin La Prisonnière en allant à Melun, le passage où le narrateur explique que se séparer quelques jours d'une femme permet certes de raviver l'attente et l'amour, mais aussi de s'habituer à son absence.

Des deux couples d'amis nous ayant servi de témoins, l'un est aujourd'hui marié depuis vingt-trois ans, l'autre s'est séparé peu de temps après notre mariage. C'étaient des étudiants habituellement séparés, l'un vivant au Havre, l'autre à Bordeaux. Ils ne se voyaient que pendant les vacances. Le jour où ils ont eu un appartement ensemble, leur couple n'a tenu que quelques mois, avec des flambées de violence qui nous laissaient interdits (pack de lait transpercé d'un coup de couteau, vaisselle jetée par la fenêtre, …).
Je connais le cas inverse (et plus calme!): une amie s'est séparée de son compagnon avec qui elle vivait depuis six ans quand il est parti au service militaire:
— Je me suis rendue compte que j'étais très bien seule; mieux, en fait.

Qu'en déduire? Absolument rien. Ces observations n'ont aucune application prédictive. Elles permettent seulement d'ébaucher un arbre des possibles.

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Ramé plus de treize kilomètres à la nage. Pris des couleurs.
Coupé l'herbe de la pampa (comme chaque année. Mais c'est si difficile de trouver le courage de sortir au jardin après l'aviron, entre la sieste et le grec, que je le note quand même : aujourd'hui j'ai coupé l'herbe de la pampa.)
(La semaine prochaine, les hortensias, si tout va bien).


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Bois-le-Roi avant le pont de Chartrettes, en regardant vers l'amont

Mercredi morose

Comme prévu hélas, la proposition d'aller voir une exposition sur les cathédrales à Rouen se heurte à un refus catégorique: les cathédrales non merci, Rouen trop loin, préavis trop court (cette histoire de préavis me paraît particulièrement absurde: une journée est une journée, que ce soit maintenant ou dans deux semaines. C'est ainsi qu'il est compliqué d'aller au concert: «Je ne peux pas m'engager à l'avance». Oui, mais au dernier moment il n'y a plus de place, et si j'y vais seule, il est malheureux. La vie de couple est vraiment compliquée. J'ai appris ces dernières années à passer outre la mauvaise humeur que provoque l'annonce de mes absences: cette mauvaise humeur est passagère, alors que le regret de n'être pas allée ici ou là-bas est durable. Cela demande cependant du courage car il n'est jamais si simple de faire de la peine — même si cette peine nous paraît illogique puisqu'elle serait simple à éviter en venant avec nous. C'est ici que l'affirmation «je veux être avec toi» montre sa duplicité: non, pas "être avec toi", mais "que tu restes avec moi", ce qui n'est pas tout à fait la même chose, et consiste peu ou prou à enfermer l'autre au prétexte d'attachement — qui n'a jamais si bien porté son nom. Je ne peux m'empêcher d'y voir une forme de caprice — puisque la peine serait évitable en m'accompagnant — si vraiment l'important était d'être avec moi.)

Je pars au marché un peu démoralisée. Je passe à la librairie, erre longuement, des titres m'intéressent mais chaque fois que j'ouvre un livre l'écriture me paraît pitoyable, sans force. A l'étage m'attend une mauvaise surprise: le rayon de poches a été réduit au quart pour laisser la place à des mangas et un présentoir de CD Hamonia Mundi. Ce rayon de poches était le seul intérêt de cette librairie. D'un autre côté, je n'ai aucune raison de me plaindre puisque je n'achète pratiquement rien ici. Je pars avec La fin de l'homme rouge et un Pouy, Samedi 14, en présentoir à la caisse, achat d'impulsion pour vérifier ce que je pense de Pouy.

Je le lis dans la journée. Décidément ce n'est pas mon genre. Seule idée intéressante, les scandales politiques à répétition actuels comme nouveau mode d'action anarchiste.

Le soir Les canons de Navarone pour revoir la Grèce. C'est exactement cela, paysages et visages. «Pourquoi moi? — Parce que vous avez de la chance.»
C'est effectivement important.

Coïncidence des vécus

Je vois Hélène à midi, que j'ai rencontrée en Grèce l'été dernier. Je suis souvent surprise du miroir que me tendent les gens: elle se souvient que la première fois que je lui ai parlé, j'ai employé le mot "substrat". Mais dans quel contexte ai-je dit ça, et pourquoi s'en souvient-elle?

— Et ton mari, il est content d'aller en Grèce cet été?
Elle me prend par surprise:
— Euh… je ne sais pas… (J'essaie de dire quelque chose de juste, qui corresponde à ce que je ressens.) Non, je ne sais pas vraiment… Au bout de vingt-six ans, j'ai l'impression de savoir de moins en moins comment il va réagir…
Elle se met à rire de bon cœur.
— Mais pourquoi tu ris?
— C'est tellement rare ta réponse. Les gens veulent toujours avoir une réponse catégorique… Et puis (elle rit de plus belle), rajoute vingt ans, et je ne suis pas plus avancée avec le mien…

Nous nous regardons, et nous rions de bon cœur, stupéfaites par la complexité de vivre ensemble, et que ce soit possible malgré tout, et d'avoir trouvé une occasion de le dire à quelqu'un qui sache de quoi nous parlons.

Samedi

Un peu sonnée après l'examen de grec, beaucoup plus difficile que celui de janvier (j'ai oublié de dire que nous ne faisons que de la version, ce qui permet aussi de comprendre comment nous parvenons à faire en un an ce qui en prend plusieurs à la fac).

Je rejoins H. devant La Procure. Malgré mes réticences (car je sais comment cela va se terminer), il insiste pour que nous traversions le marché de la Poésie.
J'ai la surprise et le plaisir de découvrir un stand entier (ou presque) consacré à Maurice Carême.
Nous croisons Bernardo. Nous passons de stand en stand. Je ne veux m'arrêter nulle part parce que je sais que la vie est si dure pour ces éditeurs que je me sens une obligation d'acheter quelque chose.
Il est tard, je n'ai pas le temps de m'arrêter au stand de Fata Morgana, ni à celui des Editions de la salle de bain voir s'il y a des Pranchères ou des Régniez pour compléter mes collections. Je repasserai demain.

Et donc (quand je disais que je savais comment tout cela se terminerait):
- Maurice Carême, La bille de verre;
- Maurice Carême, Le jongleur;
- Marie Borel, Le léopard est mort avec ses tâches;
- Michel Clavel, De ma main gauche (je n'avais pas compris que c'était à prendre littéralement!);
- Jacques Roubaud, Ma vie avec Lacan (un récit si minimaliste qu'il illustre qu'avoir un nom permet d'être publié!);
- David, Psaumes pénitentiels (Orphée : bilingue hébreu);
- William Carlos Williams, Asphodèle (Orphée, bilingue anglais);
- Jean Richepin, La Chanson de gueux (Orphée);
- Lewis Carroll, Jabberwocky et ses huit traductions de la première stophe publié au Castor astral (j'en prends deux, un pour offrir).

Sieste (deux heures contre cinq la semaine dernière: en progrès).

Orages. Durant le dîner je regarde par la fenêtre et remarque une poutre en travers du portique. J'essaie de comprendre et découvre avec horreur que notre petit chêne s'est déraciné. Il s'était planté seul et avait poussé à un endroit imprévu, nous n'avions pas eu le cœur de l'arracher quand il avait un an. Il devait en avoir sept ou huit, je craignais que notre voisin nous le fasse arracher quand il menacerait de son ombre son potager.
Problem solved. Mais que s'est-il passé? Trop de pluie? Des racines peu profondes? Du vent?
Nous avons le cœur gros. J'étais heureuse d'avoir un chêne qui s'était planté de lui-même chez nous. Une impression enfantine d'élection.


Violence conjugale

J'ai rendez-vous avec "lecteur". Quand j'arrive (en retard (mais pas beaucoup)), je vois un petit papier griffonné sous le cendrier.
Plus tard, au cours de la conversation, il me le tend et m'explique:

— Le couple qui est parti… tu l'as vu (oui, la soixantaine, peut-être… je n'ai pas fait très attention… J'ai juste pensé en voyant lecteur en conversation avec l'homme que c'était une nouvelle version de Tlön, un "liant" (ce qui m'étonnait un peu de la part de lecteur, solitaire. Mais liant et solitaire, non, définitivement, ce n'est pas incompatible, ce n'est qu'une façon d'être tranquille, de se tenir en repos, quelque chose de pascalien)), eh bien, l'homme parlait beaucoup, il racontait un film, et elle, elle ne l'écoutait absolument pas et ne faisait même pas semblant, elle regardait ailleurs, elle se désintéressait. A un moment l'homme a insisté sur quelque chose qui lui avait paru remarquable dans le film, et elle a été obligée de répondre. Tiens (il me tend le papier), j'ai noté l'échange, imagine cela dit très tranquillement:

Elle : — Bof, rien de nouveau sous le soleil.
Lui : — Mais il n'y a jamais rien de nouveau sous le soleil, ma chérie. Toi par exemple, tu es ma troisième femme, pas très nouvelle sous le soleil, hein?

Typographie

Le début de cette vidéo m'a fait rire. Je me souviens très bien d'une période où nous ne pouvions attendre le bus sans qu'une affichette n'attire le regard de H. : « Oh, regarde cette police… » Moi j'aimais bien. (Ce n'était pas la typographie que j'aimais, mais la folie douce, l'obsession. Aujourd'hui encore, j'ai droit parfois à : « Ah non, pas ce film, il est nul, c'est sûr: tu as vu la typo de l'affiche ?)

Pour info: vers la fin, cette vidéo raconte les origines de la police Comic sans.


Peut-être est-ce la raison pour laquelle un soir de novembre, station Franklin Roosevelt, bloquée par la neige/les accidents de circulation, je ne trouvai rien d'autre à faire pour tromper mon ennui que de photographier ces quelques renseignements :

2010_1201_station_franklin.jpg


Cela m'avait fait rire un peu jaune. Sur une ligne capable de nous transporter: si seulement…

Un projet commun

La première fois que nous étions allés chez les L., les parents de François, j'avais été frappée par l'aspect de leur maison: non crépie, grise, ciment à nu. Au cours de la conversation, comme je demandais innocemment à Madame L. s'ils menaient des travaux de rénovation, elle m'avait répondu gentiment : «Quand nous avons fait construire nous n'avions pas d'argent; plus tard nous n'avions plus de projet commun.» Trente ans après, la maison était donc toujours dans le même état que lorsque le manque d'argent avait interrompu les travaux, le placoplâtre à nu dans certaines pièces.

François était le benjamin, après trois filles. Quand il parlait de son enfance, il nous laissait toujours stupéfaits. Par exemple, à une époque son père avait installé sa jeune maîtresse dans une caravane dans le jardin. Mon féminisme jugeait cette idée révoltante:
— Mais enfin, pourquoi tes parents ne se sont-ils pas séparés?
— Et qu'aurait fait maman? Elle n'a jamais travaillé, elle s'est toujours occupé de nous. Un divorce l'aurait réduit à la misère. Papa l'a protégée.

C'était une façon de voir, et après tout il n'y avait pas à juger. Mais c'était si étrange.

Difficultés

Grande tension. Ce n'est plus vivable, il faut trouver une solution, un moyen d'évacuer cette paranoïa (quand chaque mot est interprété comme une accusation ou un reproche) qui prend des proportions destructrices.

De l'amour (I)

Le divorce des parents de Rémi me rappelle celui de mon oncle.

Mon oncle se plaignait à sa mère, ma grand-mère:
— Mais maman, je l'aime encore!
— Pas elle, il faut t'y faire.

Cela m'avait frappé, ce bon sens de ma grand-mère. D'où nous vient cette conviction que l'amour est forcément partagé? De Platon, de l'amour courtois? Du romantisme? Et pourquoi lorsque nous aimons sommes-nous convaincus que c'est réciproque, que si l'autre ne s'en rend pas compte, c'est qu'il se trompe, ignorant de ses propres sentiments; plutôt que nous dire que puisque ce n'est pas partagé, ce doit être nous qui nous trompons, ce ne doit pas être de l'amour?







Tour supplémentaire récent :
. Ma tante demanda le divorce (et l'obtint) en 1997.
. Ma grand-mère poussa son fils à "se trouver quelqu'un", ce qu'il fit (ces deux fils ne lui ont jamais désobéi).
. Mon (ex-)tante se remaria sans même prévenir ses quatre enfants, mes quatre cousins. Elle ne les invita jamais chez elle, son second mari ayant décrété: «Je t'épouse toi, pas ta famille».
. Mon cousin le plus jeune en fut très malheureux (il avait lors un peu plus de vingt ans), nous déclarant, songeur: «J'aimerais comprendre pourquoi ma mère a épousé un con» (sachant que mon oncle a ses défauts, mais est le plus doux des hommes (dans le genre bourru et taciturne)).
. En 2006, mon oncle finit par épouser la personne avec qui il vivait depuis huit ans.
. A Noël dernier, ma mère buvant du petit lait m'apprit que le second mari de "ma" tante (celle que j'ai connu toute mon enfance, la mère de mes cousins) était plus ou moins un escroc, qu'il lui avait piqué beaucoup d'argent (elle possédait de nombreux appartements lui venant de ses parents) et qu'elle était en train de revenir chez mon oncle sous prétexte de voir ses enfants en famille... Je me demande comment la seconde épouse le prend.
Elles sont à peu près aussi bavardes et aussi grippe-sous l'une que l'autre (mais la première beaucoup plus intelligente et marrante).

Défaut rédhibitoire

En 1992 ma sœur a vécu trois mois chez nous pendant qu'elle cherchait un appartement. Ce fut le moment où nous fûmes le plus proches, où elle parla le plus — de façon incompréhensible pour moi cela n'eut pas de lendemain.
Un jour elle estomaqua mon beau-père en lui faisant le portrait de l'homme idéal — principalement en listant ses "défauts rédhibitoires". Je n'ai pas assisté à la conversation donc à mon grand regret je ne connais pas cette liste. A l'époque elle sortait d'une longue relation amoureuse (cinq ans, six ans ? On avait même parlé mariage) suivie d'une plus courte (dix-huit mois?).
Peut-être aurait-elle dû se préoccupper davantage de l'impression d'ensemble plutôt que d'additionner les défauts et les qualités (essentiellement physiques) de ses partenaires: il faut croire qu'une personne est un tout non décomposable, car elle a décidément peu de chance dans sa vie amoureuse.

Hier, j'ai profité qu'une vieille amie dont la nouvelle demeure m'avait désemparée il y a quelques semaines m'affirme alors que je n'avais rien demandé: « Je lis beaucoup » pour poser la question qui me brûlait les lèvres: «Mais tu as des livres? Où sont-ils, je n'en ai vu aucun…? »
Réponse: « Oh, je les emprunte; les miens je les ai tous donnés quand nous avons déménagé. C.1 ne voulait pas de bibliothèque. »

Après toutes ces années, j'ai enfin trouvé mon défaut rédhibitoire : un homme qui ne voudrait pas de bibliothèque. (Le plus drôle, c'est que C. est très fier de son Audi, achetée il y a deux ou trois ans 2. Lol. Finalement finalement…)


Note
1 : note de la rédaction: C. travaille en aménagement d'intérieur et ameublement.
2 : allusion destinée uniquement aux lecteurs du dernier journal camusien.

Les mots de la famille

Evêque, évêché, épiscopal.
Chanoine, chapitre, canonial.

C'est presque aussi fascinant que les noms d'animaux, ou les mots désignant les animaux :
- cerf, biche, faon ;
- lièvre, hase, levraut ;
- sanglier, laie, marcassin ;
- verrat, truie, porcelet ;
- coq, poule, poussin ;
- cheval, jument, poulain ;
- bouc, chèvre, chevreau ;
- bélier, brebis, agneau ;
- etc.

Femme de paille

Premier contrat décroché pour la boîte de geeks dont je suis actionnaire à 49 %.






Explication sommaire en avril 2015:
Boîte montée avec Bruno ?? (de Lyon) et qui n'aura jamais aucune concrétisation. Marque matérielle de la déprime de H. Début de la glissade aboutissant à l'huissier en avril 2010.

La nausée

Résumé de l'éditorial de Renée Carton dans le Quotidien du médecin du 12 janvier 2009:

Un chirurgien new-yorkais, Richard Batista, rencontre une infirmière; ils se marient en 1990, ont trois enfants. L'épouse souffre d'une grave insuffisance rénale. Après l'échec de deux greffes, le mari apprend qu'il est donneur compatible (une chance sur 700 000). En 2001 la greffe est effectuée avec succès.

Aujourd'hui le couple est en instance de divorce. Le mari, qui se plaint de ne plus voir ses filles, rend la chose publique en réclamant la restitution de son rein qu'il estime à 1,5 million de dollars.
Les juristes et les bioéthiciens se contentent de rappeler que le rein n'a aucune valeur puisque le commerce des organes est interdit aux Etats-Unis.

Symétrie

Il était une fois deux frères, H. et F., qui épousèrent chacun une femme (sans lien de parenté) ayant chacune une sœur qui eurent chacune deux filles.
Les belles-mères de H. et de F. avaient de nombreux traits de caractères en commun, dont une tendance à prédire le pire et à s'épanouir dans le malheur: leur annonciez-vous que vous étiez heureux, elles se renfrognaient, on les voyait penser «tout cela ne présage rien de bon», tandis que leur annoncer une contrariété ou un drame provoquait leur compassion et leur aide — d'une remarquable efficacité d'ailleurs, soulignons-le.

Les belles-sœurs de H. et F. (les sœurs de leurs femmes) épousèrent l'homme de leur rêve: l'une un sportif blond aux yeux bleus, l'autre (pharmacienne) un médecin qui reprenait le cabinet familial.
Le sportif, terriblement égoïste et parfaitement infantile, délaissa sa femme et ses filles pour aller courir un peu plus d'Ironman qu'il n'était raisonnable (auparavant, il avait tout de même réussi à user les cartilages de son jeune berger allemand à force de le faire courir). Plus grave, le médecin roue sa femme de coups, et comme celle-ci a demandé le divorce, il tente de la faire interner en asile psychiatrique.

Quelles règles déduire de ce shéma? Des règles sociologiques ou psychologiques? Les femmes morbides ayant deux filles en auront une heureuse en amour, l'autre malheureuse? L'atmosphère chaleureuse dans laquelle H. et F. ont baigné les a-t-elle poussé "naturellement" à s'amouracher de femmes potentiellement peu équilibrées (et à les tirer de l'ambiance morbide dans laquelle elles avaient grandi)? Que vont devenir les quatre nièces? Répèteront-elles l'étrange schéma (une heureuse, une malheureuse, deux à deux?), observera-t-on encore des effets de symétrie à la génération suivante?

Quand vous vous taisez, votre mari lève le nez

Puisque cette note a été diversement interprétée, je vais donner l'arrière-plan personnel dans lequel s'inscrit ce minuscule incident.

Je me souviens très précisément d'un collègue avec lequel j'étais en train de plaisanter qui me dit : «En somme, quand vous arrêtez de parler, votre mari sort la tête de son journal pour voir ce qui se passe».
J'avais ri de bon cœur.

Rentrée à la maison, je racontai l'anecdote à H. qui à ma grande surprise se fâcha: ces clichés étaient insupportables, c'était inadmissible d'être aussi conventionnel, etc.
Je restai stupéfaite, à me demander si finalement mon collègue n'aurait pas eu au moins un peu raison (puisqu'il provoquait une telle colère), alors que j'avais pris ses mots comme une taquinerie destinée à se moquer de mon infatiguable bavardage.


PS : en recherchant le mot steampunk chez Caféine (l'endroit où je lai rencontré pour la première fois) pour savoir si je pouvais l'appliquer à Indiana Jones (non), j'avais trouvé ça, qui ne devrait pas plaire à Holly.

Attentif

La dame à côté de nous, qui attend son café depuis un moment, fait un signe impatient au garçon pour se rappeler à son souvenir:
— Mais je vous écoute, Madame, je ne suis pas votre mari, moi !




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Juin 2015 : je précise le contexte : déjeuner au café avec Tlön durant le colloque de patristique au Centre Sèvres.

Jalousie

Mardi soir en sortant du cinéma, je reçois un texto:
10/06/08 21:05 - C francis rapel moi stp

Comme il est toujours possible que cela soit important, je réponds:
— Fx numéro.

Le lendemain dans l'après-midi, je m'aperçois que le message est resté coincé dans ma boîte d'envoi. Au lieu de le détruire, je le renvoie. S'en suit l'échange de textos suivants:
11/06/08 15:51 - Tu parle 2 koi?
— Un sms reçu hier soir par erreur: c'est francis, rappelle-moi.
11/06/08 15:57 - Nn pa par erreur c francis ki voulai ke tu rapel c la femme de francis
— Je ne connais pas de francis.
11/06/08 16:02 - Bin ci gabon!
11/06/08 16:06 - Et toi alor tu es ki?
— Une erreur de numéro. Effacez-moi de votre répertoire. Merci.
11/06/08 16:09 - Bin di moi ki tu es stp
11/06/08 16:13 - Alor t ki?

Désormais je ne réponds plus, je sais qu'il n'y a rien a répondre. Elle m'appelle une fois, deux fois. Je coupe la communication. La troisième fois, par erreur, je décroche. J'entends sa voix, jeune, inquiète: «Allô? Allô? Pourquoi vous parlez pas? Parlez-moi» Mais je ne veux pas parler, je sais que ça ne servira à rien. Il faudra attendre que j'ai un homme près de moi à qui passer le téléphone afin de calmer sa jalousie.
Elle rappelle encore, je décroche encore, méchamment. Même jeu. Elle raccroche, j'éteins mon téléphone.
Vers huit heures je le rallume. Je trouve ce message:

11/06/08 16:50 - Dsl c t vraiment une erreur pardon!

Les faiblesses de la chair

Supplément de L'Express du 29 mai 2008 consacré à la mobilité (en entreprise). Ces quelques phrases concernent les postes à l'international :
Mais attention à la vie de famille, poursuit-elle ! Surtout si l'expatriation a lieu dans certaines régions du monde où, nécessité fait loi, des opportunistes qui y habitent apprécient beaucoup les «Occidentaux», en vue d'une idylle «incidemment» lucratives… «Les divorces vont alors bon train, la vie privée qui existait avant le départ est brisée et souvent la carrière avec», avertit Hélène Lacroix-Sableyrolles. Une grande enseigne de distribution, expatriant ses cadres vers l'Est, aurait d'ailleurs pris la mesure du problème, désastreux d'un point de vue humain, et réviserait avec attention sa stratégie RH promouvant les départs…
Cela me rappelle un récent dîner, aux côtés d'un avocat spécialiste du droit pétrolier. Nous parlions des pays pétroliers, de la richesse et de la pauvreté qui s'y côtoient, j'évoquais le cas Vénézuela que je connais indirectement. La conversation dériva sur les expatriés, mon voisin me confia:
— Les entreprises ont dû mal à garder leurs cadres [occidentaux] dans ces pays-là; les filles sont très belles…

(Oui, oui, c'était la même soirée tact (il vaut mieux toutes les cumuler le même soir) (C'est drôle, il ne me viendrait jamais à l'idée devant un homme d'évoquer un autre homme que je trouverais beau, ou plus beau, simplement par peur de blesser, par gentillesse ou par politesse. Ce n'est même pas réfléchi, c'est instinctif. Parfois j'ai l'impression de ne pas avoir été élevée sur la même planète que mes contemporains. Est-ce une question d'âge, de milieu social, de sexe, de caractère?))

Café du matin, chagrin

La semaine dernière, j'ai mis de l'eau dans le réservoir de la machine à café, j'ai appuyé sur le bouton.
J'avais oublié de mettre un filtre et du café.

Ce matin, je me suis appliquée: j'ai fait pivoter sur le côté le compartiment de la cafetière destiné au café, j'ai mis un filtre dans le compartiment, du café dans le filtre, puis je suis allée chercher de l'eau en laissant le compartiment ouvert, désaxé par rapport au corps de la cafetière.
En revenant, absorbée dans mes pensées, j'ai versé directement l'eau froide sur le café. Le ploc des gouttes tombant sur les prises électriques le long du meuble m'a brusquement réveillée.


PS1 : Sur la folie des femmes.
Dans L'aliéniste, celui-ci juge sa femme folle quand elle se relève la nuit pour comparer l'éclat de deux colliers de couleurs différentes et tenter de choisir celui qui lui va le mieux. Pas un instant l'aliéniste n'entrevoit que s'il avait répondu à la question de sa femme («Lequel dois-je mettre?»), celle-ci ne serait pas devenue folle d'indécision.
Faut-il en conclure qu'observer sa folie était plus intéressant que la regarder et répondre à sa question?

PS2 : Je deviens totalement paranoïaque. Cela m'inquiète.

Semaine 17

Samedi 19 avril

Levée état caoutchouteux. Tellement à la bourre qu'on a fini au chinois. Après-midi dans un gymnase de Ste-Geneviève-des-Bois. Dans les tribunes, un canapé et un fauteuil en velours râpé. Je m'endors dans le fauteuil. Il n'y a pas de micro, l'atmosphère est étrangement calme malgré le poc obsédant des balles, je dors. Plus tard, un père et son fils de huit ans jouent à la DS sur le canapé. Le père refuse de jouer en réseau, il ne veut pas se prendre une tôle, avoue-t-il en riant.
Il fait beau, la municipalité de Sainte-Geneviève a dû recevoir une dotation en tulipes. Elles sont magnifiques.

Dimanche 20 avril

On m'a laissé dormir. Je ne me souviens de rien.

Lundi 21 avril

Bêche et pioche. Ampoules. Chaque fois je pense à Martine, qui m'avait dit que l'un des passages qui l'avait le plus impressionnée dans Autant en emporte le vent (le film) était celui où Rhett saisit les mains de Scarlett venue lui rendre visite en prison et s'aperçoit aussitôt qu'elle a travaillé la terre et comprend qu'elle est dans la misère: les mains d'une vraie dame sont blanches et douces.

Mardi 22 avril

Je range l'étage en laissant tourner Out of Africa. Je connais si bien ce film que les dialogues me suffisent à voir les images. J'aime profondément la voix de Meryl Streep qui intervient en off dans la bande-son.
Mail de Thessalonique: c'est oui !
Corvée de pluches. Gratin dauphinois (du lait des pommes de terre de la crème, jamais de fromage). Beaux-parents.
Lorsque je fais remarquer à H. que nous avons dix-huit ans de mariage depuis la veille, il s'exclame avec conviction: «Putain!!!». Parfois j'aimerais avoir droit à des réponses de roman-photos (mais résisterais-je alors à la tentation de me moquer?)

Mercredi 23 avril

Dans le RER, malendus agaçants avec notre voisine de banquette qui veut à toute force faire la conversation. Elle suppose: «? Journée à Paris pour une sortie culturelle?» Euh non, pas exactement: j'abandonne les monstres qui vont voir Bienvenue chez les Ch'tis pour ensuite manger au MacDo puis lire des mangas à la Fnac jusqu'à six heures du soir. Je me tais, je ne veux pas l'horrifier. Me font rire et m'agacent, ces gens qui veulent construire des enfances parfaites à leur progéniture. Je veux lui donner du n'importe quoi et de la liberté, afin qu'elle se fabrique des souvenirs.
Le coiffeur me trouve une ressemblance avec Adeline, je ris, et encore plus en tapant ces lignes après avoir cherché une photo. Je regarde des photos de Gilardi dans Gala, et d'autres de J-Lo et de ses jumeaux (Rien de plus faux que ces photos, une mère de jumeaux ne ressemble pas à ça, et si elle y ressemble, c'est dommage). Je viens dans ce salon parce que les coiffeurs sont adorables. La shampouineuse est une jeune grosse blonde à la poitrine abondante, pas du tout 8e arrondissement, du genre à mettre en toute inconscience un soutien-gorge noir sous un haut rose trop transparent qui la boudine. Elle aussi est très gentille. J'aime les gens gentils, ils me rassurent, je peux traverser tout Paris uniquement pour retrouver des commerçants gentils (et puis il faut boycotter les cons).
Je passe à la librairie, mes livres sont arrivés, je commence dans Vie politiques le chapitre sur Isak Dinesen, l'écriture d'Hannah Arendt est toujours aussi concise. (Et ce soir, en vérifiant l'orthographe de "Meryl Streep", je tombe sur cette phrase extraordinaire de Wikipédia à propos de Karen Blixen: «Sa syphilis semble avoir été guérie de son vivant mais pourrait avoir été une cause de sa mort.»)
Vélib. Il fait beau. Arrêtée au feu devant l'Assemblée nationale, je contemple la Seine et les toits gris du Louvre qui flottent au-dessus des frondaisons des arbres le long des quais. Paris.
Trois livres dans les bacs de Gibert, je confonds Le Ranch de Flicka et L'herbe verte du Wyoming (zut) et je trouve Le Jeu de la dame en grand format. T. le connaît, ça me fait plaisir.
Cantine, rires, peine d'amour, vélos, côte, librairies, il faudrait sans doute que je recharge mon compte Vélib, ma carte ne me permet plus de retirer de vélo. J'arrive en retard chez Mariage.
Ma mère arrive ce soir, stress. Ne pas y penser.

Jeudi 24 avril

Journée dans le jardin. Epuisée à midi par une matinée de piochage, j'ai honte. Jardiner une journée n'est pas qu'une utopie d'emploi du temps, c'est également une utopie physique: je n'en suis pas capable.
Sieste. Je commence L'Aliéniste.
Je tonds malgré tout la pelouse l'après-midi. Peu de temps après, il pleut. Je coupe mes ongles très courts pour me débarrasser de la terre et des traces d'herbe (je découvre sur wikipedia des précisions kâmasûtriennes sur l'usage des ongles... (mdr)).

Vendredi 25 avril

Nous ne sommes pas retournées travailler au jardin. Perdu la matinée je ne sais comment, en parlant avec ma mère, je suppose (ou en l'écoutant). Nous ne nous sommes pas disputées, nous ne nous sommes pas disputées, elle n'a pas pleuré, tralala...
L'après-midi, maman veut rendre visite à une amie opérée à l'hôpital Pitié-Salpêtrière, elle craint de se perdre dans le RER, je l'accompagne. L'opération est impressionnante, ouverture de la boîte cranienne pour atteindre l'arrière de l'?il, un énorme bandage entoure la tête de l'opérée, on se croirait dans un film. Délicatement, la panseuse a laissé une oreille accessible. L'amie de maman n'a pas perdu son humour (assez remarquable vu les tribulations de sa vie par ailleurs). J'apprends que c'est elle qui m'a portée sur les fonts baptismaux en l'absence de ma marraine.
Nous rentrons de la gare à pied. Soleil. Maman part. Deux jours sans se disputer. Elle a même paru apprécier les périodes de délire que sont (souvent) les repas. A retenir des conversations du déjeuner: dans l'hémisphère sud, le soleil se trouve de l'autre côté de l'écliptique, il convient d'en tenir compte lorsque qu'on essaie de planter sa tente au mieux pour la sieste (souvenir d'un voyage de ma mère au Bostwana).
H. est rentré furieux d'un passage chez les revendeurs Apple rue du Renard: son écran 30 pouces vire au vert depuis deux ou trois semaines, en anglais le bug s'appelle "dancing pixels". Verdict: le défaut est connu, cet écran n'est pas réparé, les revendeurs en font l'échange standard, s'il n'est plus sous garantie, cela revient à en acheter un neuf... Une petite fortune. Quelques recherches sur Internet plus tard, nous trouvons la cause du problème et sa solution (c'est si bizarre que je l'écris ici, dans l'espoir de rendre service à quelques geeks égarés): l'écran chauffe trop, il convient donc d'en régler la luminosité et la bande passante (voir la réponse de Richard Jacobson ici (le 27 octobre 2005)), le logiciel de contrôle de l'écran se télécharge ici.
Je ramasse Le Jeu de la dame qui traîne sur la table du salon, H. l'a relu hier, je l'ouvre, je m'y plonge, je prépare du thé.
Je me demande si je vais bloguer ce soir, moins on blogue, moins on blogue, je ne sais plus si j'ai envie/le courage d'être sérieuse ou pas, par instants je voudrais ne connaître aucun de mes lecteurs pour me sentir libre de pondre soit des posts à mourir d'ennui, soit des posts total délire, mais je sais bien que les quelques personnes avec qui j'ai "naturellement" envie de discuter désormais sont toutes des blogueurs ? ce qui n'est pas sans poser quelques problèmes avec toutes les autres (je m'ennuuuiiiie. Rien à leur dire).
Je décide de me plonger dans cette recension lacunaire, temps qui passe. Il s'agit d'écrire ou de cesser d'écrire. Il n'y aura pas, as usual, de juste milieu ("le sens de la mesure", dirait le psychiatre dans Mrs Dalloway).
Pendant que je tape ces lignes, H. et C. hurlent de rire en lisant les commentaires de ce post (si vous m'offrez le T-shirt trollesque des commentaires, je jure de le porter). C'est très geek, ce soir.

La vie est compliquée

— Désormais je vise une place au Vatican. Je me sens bien au Vatican.
— Comme Christine Boutin, alors.
— ?!?
— Tu ne savais pas? Elle occupe une fonction officielle au Vatican.
— Ah? Bon. Alors oui, comme Christine Boutin.
— Si tu deviens Christine Boutin, c'est une cause de divorce.
— C'est embêtant, si je suis divorcée, je ne pourrai pas avoir de poste au Vatican.

Matin

7h07, RER plutôt plein, je m'assois à côté d'un jeune homme au look années 70 version propre, cascade de cheveux bouclés, coll roulé, et l'air très, très jeune. Il lit une partition, un second coup d'œil m'apprend qu'il s'agit de Chabrier.
J'ouvre mon livre, mon voisin murmure je ne sais quoi, ni le nom des notes, ni l'air, on dirait qu'il lit des phrases, mais lesquelles?

Plus tard il prend son téléphone. Il est tôt, le wagon est silencieux, engourdi, il fait plutôt chaud, on ne serait pas si mal si on ne regrettait son lit. Mon voisin parle à voix basse, mais c'est mon voisin, je l'entends, il est gentil, il me fait de la peine :

— Allo, tu es réveillée ?
— ...
— Tu as bien dormi?
— ...
— Ah d'accord, tu n'as pas vu que je t'avais envoyé un texto.
— ...
— Mais pour rien...
— ...
— Mais parce que je t'ai envoyé un texto et que tu n'as pas répondu...
— ...
— Châtelet, Gare du Nord...
— ...
— Mais il n'y a rien à gare du Nord, c'est là que je descends...
— ...
— Bon, je sens que ça ne va pas...
— ...
— Non, non, c'est pas grave, je raccroche. Je t'embrasse, à tout à l'heure.

Pauvre voisin.
Je ne réponds rien aux gens qui me reprochent de "ne jamais appeler". Généralement j'ai déjà senti une ou deux fois que je les avais dérangés alors que je téléphonais pour rien, juste parce que j'avais envie de leur parler. Cela suffit.
Je hais le téléphone.



Au café, donc. MTVidol, je découvre les clips de trente ans de chansons. C'est bien, je n'en connais aucun.
La Isla Bonita de Madonna: elle imagine vraiment que les danseuse de flamenco dansent comme cela? J'aurais imaginé Madonna plus professionnelle, mais elle était encore jolie, à l'époque.
Let's Dance d'un Bowie outrageusement blond, Boney M et son chanteur en pantalon comique à force d'être indécent, Jean-Jacques Goldman et Pas toi. Dommage que les dates des chansons ou des enregistrements ne soient pas indiquées.

Toto et Africa. Un podium en forme de livre. Un globe. Une carte. Des livres reliés dans des bibliothèques. La jungle, un peu, pas beaucoup, en arrière-fond.
Et une secrétaire, toujours, en médaillon, entre le chanteur et je ne sais quoi, sa guitare, un meuble? Ce clip fait surgir mes souvenirs d'Au cœur des ténèbres, car ce qui m'a marquée dans ce livre, c'est moins le voyage en bateau, le fleuve, la fièvre, Kurtz, que l'étrange Parque du bureau de Londres, la tricoteuse de laine noire.

Un blog vous manque, et tout est dépeuplé

Par curiosité, je lance une recherche sur "G vgvsse" dans Google, et je tombe sur cet aphorisme : «Le bonheur est le premier ennemi du blog.»

Je crois que c'est très vrai, à condition de remplacer "bonheur" par "équilibre": il faut pencher un peu pour tenir un blog, que l'on considère qu'il faut manquer d'équilibre pour tenir un blog ou que le blog permette de trouver un équilibre (voilà qui me rappelle l'opium du peuple... je viens de passer une semaine trop catholique).

L'aphorisme est plus loin corrigé, ou amendé: le couple est un autre ennemi du blog (je ne sais déjà plus si c'est le deuxième ou un ennemi inclassé).
Sur ce point, je crois la relation beaucoup plus perverse. J'ai cru constater que lorsque qu'un blogueur était en couple, l'autre, non blogueur, ne lisait pas. Sauf de temps en temps, par accident, bien sûr. Et bien sûr, il tombait toujours sur les billets qu'il n'était pas censé lire.

Roissy, 21 heures

L'aéroport est presque désert. Nous franchissons une dernière fois la douane, machinalement, bonsoir, carte d'identité, merci, au revoir.
Je quitte le guichet par la droite ; devant moi, de l'autre côté de la ligne que je m'apprête à franchir et donc en France, une femme d'une cinquantaine d'années s'agite, très visiblement ashkénaze avec ses vêtements marrons, beiges et violets, ses bas épais et son béret enfoncé jusqu'aux sourcils, elle parle à quelqu'un derrière moi :
— Regarde encore ! Mais qu'est-ce que tu en as fais ? Tu l'as laissé dans l'avion ?
Je me retourne, un petit homme barbu, poils gris, aux yeux tendres et perdus, fouille désespérément dans sa sacoche, désespérément et sans méthode me semble-t-il; il a sans doute glissé le précieux passeport à un endroit inhabituel "pour ne pas le perdre", ou peut-être même que c'est sa femme qui l'a, "pour ne pas que tu le perdes", il semble tellement sans défense. Ils paraissent sortis tout droit d'une nouvelle de Singer. Je franchis la frontière.
Nous attendons les bagages, la technique du cougar pour ne pas avoir froid, la technique du tigre pour ne pas avoir chaud, les chaussettes gore-tex, l'homme est toujours de l'autre côté de la frontière que très respectueusement sa femme ne franchit pas, murmurant ses conseils et ses imprécations par-dessus la ligne, la douanière est une jolie jeune fille, la banque Palatine finance vos projets, je regarde le guichet; la douanière est sortie du poste, son arme de service pend sur sa hanche, elle fait la bise à ses collègues et se prépare à partir. Le petit vieux cherche toujours, mais en France; visiblement, de guerre lasse, la jeune fille l'a laissé passer. Sa femme continue à le morigéner, il a les yeux perdus dans le vide, toujours pratique elle part à la recherche des bagages.

Anniversaire

Cela fait cinq ans que j'ai découvert RC, cinq ans le premier juin exactement, en écoutant Répliques sur France Culture.

— Tu as changé. Tu es sans doute davantage toi-même parce que tu as trouvé quelque chose qui te ressemble et que tu es plus heureuse, mais je préférais avant.





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Huit ans après (2015), avouons que ces paroles m'ont percé le cœur (ce n'est pas pour rien que je les ai copiées ici, pour les conserver). Qu'est-ce qu'un amour qui ne souhaite pas le bonheur de l'autre, mais la conformité de l'autre à l'idée qu'on se fait de lui?
C'est peut-être à ce moment-là que j'ai commencé à douter de cet amour si souvent proclamé: proclamé, certes, mais qu'en était-il réellement?
Et aujourd'hui, avec la théologie, l'ensemble des questions posées par ce billet se pose de façon encore plus aigüe.
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