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Circularité

Parce que Venise est une île, nous nous imaginons pouvoir la saisir, la contrôler. Nous sommes convaincus, peut-être inconsciemment, qu'il est possible d'en connaître toutes les rues, tous les passages. Nous ne devrions pas nous perdre sur une île si petite.
Et nous nous perdons.
La clé de Venise, quand on est piéton, ce sont les ponts.
Il faudrait connaître tous les ponts.
Venise est élastique, parfois certains chemins s'ouvrent, on découvre comment descendre de San giovanni e Paolo au quai dei Schiavoni par un chemin comme une coupure dans un flanc, d'autres fois on erre pendant des heures, à la recherche d'un point de repère qui se trouve sans doute dans un autre quartier de la ville.
Toutes les cartes sont fausses car elles sont toutes simplifiées.
Peut-être existe-t-il une carte exacte des canaux?
Le plus utile serait une boussole. Seule certitude: rive droite ou rive gauche du grand canal.
Le plus jeune cherchait les numéros un des sestiere. J'ai oublié de lui demander s'il en avait trouvé.
Je faisais la collection des "Calle della Madonna": j'en ai trouvé trois, ou quatre.
Parfois, étrangement, un quartier, une place, se fait amical. Je crois que nous avons sympathisé avec la place San Zacharia.

De fondamenta nuove à Giovanni e Paolo

Tandis que j'explore un rayonnage, une dame entre un peu affolée dans la librairie française près de San Giovanni e Paolo.
— Ah, j'ai eu du mal à vous trouver! Vous auriez un plan de Venise?
Le libraire lui en tend un :
— Tenez, c'est le meilleur.
— Ah merci, je suis fatiguée de me perdre.
Et j'entends H. intervenir sans réfléchir :
— De toute façon, vous vous perdrez quand même.

A priori, il existe quelques études sur les cartes du Palais des Doges, épuisées, mais les titres étant en italien, il va me falloir un peu de dextérité pour les trouver.


En cherchant à revenir dans l'église jésuite près de Fondamenta nuove, à quelques rues de la maison du Titien, nous sommes passés devant la vitrine d'un imprimeur exposant divers ex-libris, dont un chat au-dessus du nom de Joseph Brodsky. Je n'aurais sans doute pas osé entrer, mais H. a poussé la porte.
Cet imprimeur est francophile, et je pense qu'on doit pouvoir passer une après-midi chez lui à écouter ses histoires (il est très bavard), qui sont un peu plus que des anecdotes: il a pratiqué l'imprimerie auprès des pères arméniens sur leur île (l'imprimerie n'existe plus, je n'ai pas compris si le monastère était fermé ou pas).
Au grand ravissement d'H., il possède des jeux entiers de caractères en plomb et des plaques de marbre (et non en cuivre) pour imprimer de véritables lithographies. Je n'ai pas compris s'il possédait les caractères ayant servi à imprimer l'original de Pinocchio ou si l'original avait été imprimé là-même.
Il reçoit des commandes du monde entier et a l'air connu. Son échoppe est minuscule. Son fils se tait, je me demande s'il poursuivra l'œuvre avec le même enthousiasme que son père.

J'ai posé la question: il a été l'imprimeur de Joseph Brodsky, et il nous a montré une édition en russe de l'un de ses livres. Le chat de l'ex-libris avait été dessiné par Brodsky lui-même.

Gianni Basso, Fondamenta nove. Calle del fumo, 5301.

jeudi

Venise. Brume, pluie, pas désagréable. Je termine Les balades de Corto Maltese, mais j'en ai lu tant de passages dans le désordre que j'ai réussi à me perdre dans le livre avant de me perdre dans la ville. Les lignes de vaporettos (i?) traversant l'arsenal semblent fermées.
Longuement feuilleté Isolate abbandonnate della laguna venizia, illustré de photos noir et blanc de superbes bâtiments en ruine. Pas d'électricité (je suppose), pas d'eau courante, qui aurait le courage de relever ces murs aujourd'hui?

Question: existe-t-il un livre (même en italien) sur les immenses cartes décorant l'une des salles du palais des doges?
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