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Cuisine et dépendances

Gilda a émis la thèse intéressante que quarante jours étaient une durée biologique ou anthropologique. Une chose est sûre, c'est que quelque chose est en train de changer: je fais la cuisine!
Aujourd'hui, pintade au raisin, recette trouvée dans un superbe livre, La cuisine des châteaux.

Cela a donné lieu à un échange avec ma fille:



Sinon, spécialement pour Matoo, ce lien d'où est tirée cette photo (merci à Philippe pour la recommandation de ce cours que j'écoute en faisant la cuisine):

Une exposition et une librairie

Vu les Macchiaioli, très agréables (sans compter le plaisir de revoir les tableaux de l'Orangerie). J'aime particulièrement les petits tableaux très allongés peints sur bois. J'essaie d'imaginer le monde en croisant les photos noir et blanc et les tableaux colorés du XIXe siècle, (un jeu commencé depuis une visite à Auvers/Oise et le film diffusé à côté de la chambre de Van Gogh), mais c'est difficile: pas de doute sur les fleurs, le soleil, le ciel, les arbres, mais les tissus, étaitent-ils si blanc, si bleu, si rouge?

Puis nous allons à la la librairie polonaise, je veux trouver des Szscygieł il n'y en a nulle part, nous remontons la rue Bonaparte, photos de Marie Curie et Einstein à 1800 euros dans une galerie ça me tente, nous trainons à la Hune qui a presque pris la place du Divan (il y a longtemps) (pas de Szscygieł), il ne pleut pas.

Nous arrivons à la librairie polonaise dix minutes avant la fermeture. Nous ne connaissons aucun nom présent sur les étagères, ou presque. C'est impressionnant, un peu vexant. Exaltation d'un monde à découvrir, c'est l'appel du large version librairie. (Comprendrons ceux qui savent). Les deux Szscygieł parus aux éditions Actes Sud sont en pile: «Il était là le premier juin, il est resté toute la journée.» Pincement de regret? Non, pas vraiment, en fait je ne tiens pas à croiser les auteurs, je n'ai rien à leur dire.
Nous achetons quatre Szscygieł, trois Gottland et un Chacun son paradis.

Sud immobile

Dans le bus, Jean-Pierre, breton, me confie ses réflexions sur le sud.

— Je suis restée chez ma belle-mère à Nîmes quinze jours et à la fin, je m'ennuyais. C'était toujours bleu. Le sud ne change jamais, le ciel est toujours bleu, la mer est toujours à la même place, le matin on sait à quoi va ressembler la journée. J'avais envie qu'il se passe quelque chose.


Et cette réflexion fit apparaître devant mes yeux Turner et Gauguin, Monet et Matisse, mouvement et immobilité, «mais c'est bien sûr!», tout s'expliquait.

Peinture




Comme je ne peux pas ramer (à cause de mon doigt), je peins. J'allais écrire «ça me détend», mais j'ai bien peur que rien ne me détende. Disons que ça me change les idées, penchée sur ma baguette à peindre en blanc, à main levée, sans protection; je songe à René, à son métier d'ébéniste, à ses 80 ans, au fait que je me demande si oui ou non nous allons les lui fêter, comme promis, il y a deux ans, mon esprit s'évade, la Seine est en crue, le courant est puissant, je songe à la Loire à l'automne.

"Théâtre des passions" (1697-1759) à Nantes

- Antoine Coypel, Athalie et Esther. Il aurait fallu relire Racine avant de venir. Soudain frappée par le profond anti-antisémitisme de ces tableaux (je songe à Bernanos) et confuse de cette pensée anachronique.

- Une petite fille blonde à l'écharpe Burberrys (huit ans?) contemple Médée montant dans son char tiré par des chiens ailés, les cadavres de ses enfants à ses pieds. Elle est accompagnée d'un frère plus petit et d'un frère de la même taille qu'elle. Ils sont beaux, sérieux et méditatifs.
— Pourquoi elle a tué les enfants ? demande l'un d'eux.
Ils se regardent, regardent le tableau, quelque chose leur échappe.

- En voyant ce tableau, j'ai aussitôt pensé à Salambô. Heureuse de ne pas m'être trompée. Etonnant comme l'image formée par la lecture est restée vivante vingt ans plus tard.

Félix Nussbaum

Un peu ahurie, trop de nostalgie, de culpabilité, de bonnes résolutions — pas assez de sommeil.
Paul est mort, C. est parti, je suis libre (le mot naturel serait "seule", mais il ne convient pas avec son aspect triste. Ce n'est pas triste, c'est dépouillé.) Impression d'espaces et de temps infinis.

Exposition Félix Nussbaum. Sobriété et dénument, et pourtant, une impression de richesse des tons, chaque couleur "pauvre" (beige, marron, brun, avec un petit carré de ciel bleu ou de torchon blanc ou de bandeau vert) travaillée dans son épaisseur. Est-ce par ce qu'il y a de très nombreux autoportraits qui vous regardent dans les yeux que l'on a l'impression que ce peintre vous parle? Il n'interroge pas, la toile est la réponse, il montre, il informe, parfois avec une imperceptible ironie qu'il est difficile d'attribuer à un point particulier du tableau (peut-être le pli de la bouche, l'ombre de barbe?). Ses tableaux sont des reportages intérieurs qui prévoient les massacres extérieurs (prévoient ou voient au loin). C'est sans concession: voilà. Voilà où nous en sommes. Dans la chambre sans meuble je peins des murs et ma tête et la fenêtre parce que je n'ai que ça. Et mes souvenirs du camp de Saint-Cyprien. Mais je peux aussi imaginer comment cela finira. Ou est en train de finir.

Il ne se trompait pas.

Je quitte le musée avec les Récits d'Ellis Island pour les photos. En 1976 ou 79 (je ne sais plus [1]), on pouvait rencontrer des gens qui étaient arrivés en Amérique avant la première guerre mondiale, avant la Révolution d'octobre, qui avaient connu les shelts inexorablement détruits. On pouvait marcher à côté de légendes vivantes, comme ces vieilles personnes aujourd'hui dans le métro de Berlin ou comme Svetlana Geier, des gens qui ne peuvent vous raconter leur histoire sans raconter une partie de l'histoire du XXe siècle.



Notes

[1] l'époque représentée dans Potiche. Je deviens de plus en plus sensible au fait que les époques ne se succèdent pas mais se chevauchent, et qu'il faut beaucoup d'attention pour se comprendre: plusieurs représentations du monde cohabitent sans arrêt autour de nous.

Samedi

Avec Déborah :
- tous les étages du Printemps de la Mode.
- tous les étages mode des Galeries Lafayettes.
- une salade de courgettes chez Ladurée.

Maison, douche, sieste, re-départ.

Très belle exposition de Marcheschi. Acheté des livres. Deux bières. Deux verres de vin. Titubant de fatigue.



(Claude est en liste d'attente pour l'Alsacienne. J'ai très peur, j'entends déjà l'auto-dénigrement.)

Soupçon

Je crois que ce jeune homme-ci



est le même que ce jeune homme-là.



Avec ça, j'ai de quoi commencer un roman. (Et je viens de me rendre compte qu'il tient un œillet sur les deux tableaux.)

Peter Doig

La rubrique "expositions" n'existe pas. Ce n'est sans doute pas un hasard.
Sur les conseils d'un grand manitou (dont je m'amuse désormais à deviner s'il sera plus embêté que je le cite ou que je ne le cite pas (Môôssieur n'étale pas ses sorties, LUI (mais cependant,... enfin bon, j'aime bien l'embêter))), grâce à qui j'avais déjà vu "Figurations narratives" au Grand Palais, je suis allée voir l'exposition Peter Doig. J'avais repéré les affiches dans Paris cet été, mais la figure de l'esquimau m'ayant évoqué Jean-Marie Gleize, j'avais été rebutée.

X. m'ayant donc encouragée (et ayant attiré mon attention sur la date de fin prochaine de l'exposition), je suis allée voir Peter Doig.

Je ne l'ai pas regretté.

Grandes toiles. Tableaux amicaux, bienveillants. Omniprésence de l'eau, les arbres comme des algues. La critique parle de "paysages oniriques", je parlerais de paysages lacustres. L'eau est représentée sur la toile, peu à peu elle prend possession de la toile, sur le dernier tableau présenté, elle fait partie du tableau en tant que matière, la peinture délavée ayant coulé sur la toile comme de la peinture sur de la soie. Trop d'eau, aurait-on pensé si l'on ne venait pas de voir les quinze ans de peinture précédente.
Toujours de l'eau, une flaque, un peu de mer dans un coin. Ou de la neige, collée comme du chewing-gum. Magnifiques sapins oranges peints comme au pochoir (peints au pochoir?), toile lisse, plaisant changement si l'on songe aux tartines habituelles.

Peinture sereine.
Je découvre cet usage qui consiste à offrir un tableau à un musée en hommage à un tiers : «Collection particulière. Don partiel et promis au Museum of Modern Art, New York, en l'honneur de Kynaston McShine».
Voilà qui ne manque pas d'élégance.

C'est étonnant comme certains tableaux peuvent avoir une présence humaine. On dirait des amis.

Conversation à deux blogs (canon)

Grâce à ce blog, j’avais repéré le «festival des jeunes talents» à l’hôtel Soubise. Le cadre semblait beau (j’aime les occasions d’entrer dans des endroits où je n’entrerais pas), le programme prometteur, je choisis naturellement un progamme chanté puisque c’est ce que je préfère et je proposai à Zvezdo de m’accompagner.

L’hôtel est très beau mais un peu vide, je regrette le meuble à consignes en mélaminé installé en bas de l’escalier monumental, il y aurait de quoi tailler plusieurs robes de bal dans les rideaux. Comme je discute avec Z., je ne détaille pas le public. Des couples âgées, des enfants, c’est varié et peu (pas) touristique.
La salle est au premier étage, grande, chaude (les fenêtres ne seront pas ouvertes, même le temps de l'entracte, dommage); au mur derrière l’estrade se trouve un grand tableau que j’essaierai de décrypter durant tout le concert: un navire empli de moines, de religieuses, de saints, est sur le point d’aborder le «port du salut», les occupants du navire remorquent deux barques et tentent d’aider à monter à bord par une échelle les passagers d’une troisième. Deux autres esquifs sont en train de couler, leurs passagers dévorés par des monstres marins, des cartouches indiquent les différentes hérésies auxquelles ils appartiennent. Les diables nautonniers ont de belles ailes vertes bordées de rouge. Le titre semble indiquer une typologie des religions : Tupus religionis.[1]

Henry Bonamy est blond, tout mince dans une veste qui lui arrive aux genoux, compromis étrange entre la queue-de-pie et la veste classique. Les deux musiciens doivent avoir terriblement chaud dans leur costume sombre. Thomas Dolié a les cheveux plus longs que sur la photo dénichée par Zvezdo, son visage m’évoque un peu David Fischer (de Six feet under). (Je fais ma sejan, là).
Bien entendu, je n’ai pas le recul que Zvezdo. Le chanteur me paraît agréable parce qu’il articule bien, et son agitation («il y met trop d’intentions», me dit Zvezdo (révolté par ce zhabité que je n’ai même pas entendu, me concentrant surtout sur les poèmes que je ne connaissais pas)) ne me déplaît pas : voilà un chanteur qui n’est pas loin du théâtre, pourquoi pas. Ce goût du mime semble mieux servir les textes légers, comiques ou satiriques, et Jules Renard lui convient mieux que Goethe.
J’attends avec curiosité une occasion de le voir à l’opéra.


Notes

[1] Une recherche permet d?obtenir une photo et quelques détails : ce tableau saisi dans la chapelle des jésuites de Billon a joué un rôle dans le procès des jésuites devant le Parlement en 1762.

Carpaccio

Dans l'obscurité de la petite salle de la confrérie dalmate (Scuola di San Giorgio degli Schiavoni, confrérie de Saint-Georges-des-esclavons, l'usage veut-il qu'on traduise ou pas ?) je reste suffoquée par la violence de Saint Georges et le dragon (1502) : membres épars, déchiquetés, à moitié dévorés, sorte de buste momifié…
Je suis gênée par mon manque de références : une telle scène, de telles précisions, paraissaient-elles normales, naturelles, à l'époque, où peut-on imaginer que les guerres fournissaient le spectacle quotidien d'éclopés rongés par la gangrène, ou Carpaccio cherchait-il à choquer, ou — j'avoue que cela m'a effleurée: exagérait-il l'horreur de sa peinture, approchant la caricature par la précision trop grande de ses détails?
Lorsque je regarde les toiles de Carpaccio, j'ai l'impression fugace qu'il rit, qu'il se moque de lui-même ou du spectateur ou des sujets qu'il peints, très peu, mais un peu tout de même: pourquoi cette envie de rire à regarder l'envolée des robes des moines fuyant comme des moineaux à l'approche du lion, le moine derrière Saint Jérôme paraissant presque horizontal dans sa précipitation ?

Le lendemain, même incrédulité à contempler longuement le supplice des dix mille martyrs du mont Ararat («c'est gore» me murmure O., huit ans, qui frémit d'effroi) ou le martyre de Sainte-Ursule: cette précision dans l'horreur, crâne fendu entre les deux yeux, femme rattrapée par les cheveux pour être égorgée, cet élan dans le meurtre, étaient-ce des détails qui devaient naturellement servir à l'édification des âmes (mais cela peut-il réellement porter au désir de connaître le même sort?), ou Carpaccio n'avait-il pas une intention doucement ironique, celle d'avouer secrètement qu'il ne croyait pas — et qu'il déconseillait de croire ?

J'aime les cheminées de Carpaccio, le rouge de Carpaccio, l'humour de Carpaccio — même si je ne peux décider si cet humour plus ou moins grinçant "existe", s'il était bien dans les intentions du peintre, ou s'il n'est dû qu'à mon imagination, à mon humeur et aux quelques siècles qui nous séparent: comment savoir?
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