Billets qui ont 'regrets' comme mot-clé.

Pensées éparses

- Pfiuu. Quelques photos et un grand coup de nostalgie.

- J'ai repris le manuel d'allemand de cinquième de mon père, imprimé en 1955. J'aime bien le promener, le "sortir". Je le lis comme un roman, en tournant les pages. Ce n'est pas comme ça que je vais retrouver des réflexes.

- Cet après-midi j'ai cherché sur Googlemaps l'emplacement de l'ancienne ferme de mes grands-parents. Stupéfaction d'apercevoir une piscine derrière la ferme. L'honnête ferme devenue lieu de plaisir... Oh, je n'aurais jamais dû regarder (Loth ou Orphée? Qu'importe, l'enseignement est le même, je le sais, pourtant).

- Je pense à l'église d'Auvers-sur-Oise. Tout à fait mon genre.

Hep, les blogueurs influents, vous ne voudriez pas sauver une librairie ?

Ou au moins faire un peu de bruit pour embêter la BNP ?

Il y a quelques temps nous nous émûmes (sur FB) de la très probable disparition de la librairie de France à New York, institution qui valait Shakespeare and Co en France.

La même chose est en train de se passer inversement en France, fort discrètement :

Mais où sont les funérailles d'antan, chantait Brassens, un thème que ne reprendra sûrement pas la librairie Brentano's, fondée en 1895 par Arthur Brentano, et mise en liquidation judiciaire par son propriétaire, BNP-Paribas depuis le 12 juin dernier.
« Nous sommes désolés de vous informer de la fermeture définitive du magasin », peut-on lire sur des feuilles A4 scotchées sur les vitrines de la boutique.
Située avenue de l'Opéra, cette librairie historique et anglophone a été prise à la gorge par le propriétaire des murs, BNP-Paribas, donc et n'a pas pu payer un loyer réévalué de 7000 € à 20.000 €, selon les informations de MédiaPart.
C'est à la suite d'une décision judiciaire datant de 2006 que la cour d'appel de Paris a accepté l'augmentation de loyer, sur la demande de la banque.
« Merci de votre soutien et de votre fidélité pendant toutes ces années », achève laconiquement l'équipe de la librairie. Nous avons tenté de contacter l'établissement, mais en vain.
Depuis lundi, le magasin a ainsi fermé ses portes.
source : fabula

Bon évidemment, je comprends qu'entre Roland Garros et la librairie Brentano's, la BNP n'hésite pas. Vendre des balles de tennis au profit des jeunes en difficulté est plus médiatique que leur offrir des livres (surtout des livres en anglais (sachant que la partie française de la librairie a été fermée en mars 2007)).

Des souvenirs personnels m'attachent à cette librairie (dans laquelle j'ai essayé de me procurer en vain le Raul Hilberg avant qu'il ne soit traduit), mais également des traces littéraires : une fois encore je mets en ligne ces quelques lignes de la préface à Cartes postales, de Heny Jean-Marie Levet :

Il y avait Maroussia, dont j'ai oublié le nom de famille. Je l'ai emmenée un jour à la librairie Brentano pour lui montrer les portraits de Walt Whitman. En sortant, le vendeur, qui était mon ami, me fit un sourire en hauteur et me lança un clin d'yeux qui me laissa tout déconcerté, et dont je n'ai pas encore compris le sens exact. J'aimais beaucoup la librairie Brentano; même, de mes dix-huit ans à mes vingt-et-un an, elle a été mon principal lieu de plaisir. J'aimais à me sentir dépaysé, à la façon de des Esseintes dans les bars et les brasseries anglaises de la rue d'Amsterdam. Du reste, nous éprouvions tous le besoin de nous dépayser; nous affections de ne considérer Paris que comme une de nos capitales, et secrètement nous nous apppliquions la phrase de Nietzsche: «Nous autres Européens». Ce n'était pas pour rien que notre revue allait s'appeler: «L'Œuvre d'Art International»! Oh, les belles Américaines que je frôlais parfois —Excuse me— entre les corps de bibliothèque de chez Brentano! Je rêvais, non seulement de me faire aimer d'elles, mais aussi de leur faire connaître la littérature française contemporaine, de leur traduire, en quel anglais et avec quel accent effroyable, tu vois ça d'ici, les «Moralités légendaires», ou même «Maldoror». Mais elles étaient peu préparées pour cela, je crois; peut-être même qu'elles ne connaissaient pas Whitman! C'était probable en effet, car en fait de poètes américains, c'était surtout Ella Wheeler Wilcox qu'elles achetaient. J'étais un des rares clients français de Brentano, je veux dire des clients assidus, qui venaient trois ou quatre fois par semaine. Après avoir eu à mon égard une attitude très réservée, on finit par m'admettre, et par me laisser fouiller partout, même au sous-sol. A vrai dire, presque tout l'argent dont je disposais passait là!

Valery Larbaud, conversation avec Léon-Paul Fargue, en préalable à Cartes postales (Gallimard poésie), p.48

Gran Torino

J'ai reçu hier une carte de ma mère: «Pour Renée, c'est toujours pareil, c'est effrayant de voir ce qu'une agonie peut durer.»

Quand mémé resta seule, papa alla la voir une ou deux fois par semaine, faisant les 80 km dans la journée ou passant la nuit à la ferme. La ferme était très isolée; le reste du temps, ma grand-mère faisait appel à des amis ou à des voisins pour ses courses et ses médicaments.

Suite à des complications diabétiques, son neveu obèse d'une soixantaine d'années est aujourd'hui amputé des deux jambes au niveau du genou. La peau cicatrise mal. Lui aussi vit grâce à ses voisins qui s'occupent de ses courses et de ses papiers administratifs (pas une mince affaire).

Et tandis qu'on parlait de ce cousin durant le déjeuner de Noël, je me souviens de mon père disant d'une voix blanche de remords et de regrets : «Je crois que les inconnus sont bien plus généreux que la famille».

Une chaise, un couloir

Pendant les vacances de Noël, en ouvrant le quotidien régional chez mes parents, je tombe sur un article sur l'hôpital : photographie de couloir, gros titre accrocheur, rappel de la mort à Massy de cet homme qui n'a pas trouvé de lit aux urgences.

Mon cœur se serre et j'espère que mon père n'a pas vu l'article (ce qui est impossible).
Ma grand-mère est morte sur une chaise dans le couloir des urgences de l'hôpital de Vierzon un jour de juillet 2001 (tandis que je me souviens des dates de naissances, celles des morts m'échappent). Mon père venait de la quitter pour rentrer à Blois, elle s'est sentie mal, a appelé une ambulance ou un taxi. Elle avait quatre-vingt-sept ans, c'était l'été — avant la canicule de 2003 — on ne s'est pas occupé d'elle.

C'est moins sa mort qui me touche (bien qu'elle me manque terriblement, et de plus en plus) que les circonstances de cette mort, l'humiliation de mourir sur une chaise d'hôpital en attendant que quelqu'un veuille s'occuper de vous.

Ma grand-mère habitait une ferme très isolée. Elle avait des malaises cardiaques sans savoir qu'il s'agissait de cela. Le cardiologue lui avait donné une boîte de pilules ; elle devait en prendre une chaque fois qu'elle avait un étourdissement. Il m'avait expliqué à mi-voix : « Ainsi, en comptant le nombre de pilules manquantes, on saura combien de fois ça lui est arrivé ». J'avais admiré l'astuce.
Ma grand-mère m'avait raconté qu'un jour qu'elle déterrait des pommes de terre, elle s'était sentie terriblement mal : « Je me suis dit: "si je meurs là, on me retrouvera dans trois jours, les corbeaux m'auront mangée. Il faut que je rentre à la maison pour mourir". »
Elle concluait: «Et voilà, je ne suis pas morte».

Tout ça pour mourir sur une chaise dans un couloir.

Du regret comme mesure de l'action

Je lisais mardi dans Biba (si si) "10 conseils avant de se lancer" (ou quelque chose comme ça, à vrai dire, je n'ai pas fait très attention).
J'ai retenu ce témoignage : « Ma mère me disait à chaque rentrée, quand il s'agissait de choisir entre le petit cahier à petits carreaux et le grand cahier à spirales: "Ma fille, ne fais rien que tu risques de regretter". »

Je prends mes décisions sur le mode inverse :«Fais ce que tu vas regretter de ne pas avoir fait» (ce qui me fait penser qu'il faut que je réserve un billet pour Nice).

Une vocation avortée

Quand j'eus fini de lire Le Seigneur des Anneaux, je savais ce que je voulais faire plus tard: la même chose que Tolkien. Je retournai le livre et lus "philologue".
Parfois je regrette de ne pas m'être obstinée.
Evidemment, cela aurait supposé que je fasse quelques efforts en latin. Et il était déjà trop tard pour choisir le grec en option.
Et à vrai dire, je ne savais pas ce que voulait dire philologue.
Spécialiste des langues, disait le petit Larousse.
J'étais (je suis) nulle en langues.
Dommage.

Regrets et projet

A midi, Paul me racontait qu'enfant, il avait gagné un baptême de l'air. Le lot était convertible en argent liquide: un baptême de l'air ou cinquante francs. Comme il n'avait pas un sou vaillant, il avait choisi l'argent et le regrettait amèrement aujourd'hui.
J'ai un souvenir du même genre. Au début des années 70, mes parents faisaient chaque année en juillet le trajet Agadir-Vierzon en voiture avec deux petites filles: pour eux trois jours et trois nuits de conduite en se relayant, pratiquant sans dormir, pour nous un ennui mortel que seules les disputes venaient égayer. C'est ainsi qu'ils décidèrent une année de me renvoyer en France seule, en voyage accompagné. J'avais six ans, l'hôtesse de l'air me proposa d'aller visiter la cabine de pilotage de la Caravelle. J'étais intimidée, j'eus peur de déranger, je refusai. Je le regrette beaucoup.

Après la guerre, Paul passa son brevet de pilote. C'était plus amusant qu'aujourd'hui dans la mesure où il n'y avait pas de contact radio avec le sol: la première fois qu'on s'élançait, on était réellement seul, d'où quelques émotions fortes au moment de l'atterrissage.
Il y a deux ou trois ans, il m'avait proposé de faire un tour en planeur avec lui. J'avais refusé par peur de faire de la peine à H., qui lui aussi aimerait faire du planeur. Aujourd'hui, j'ai changé d'avis. Le temps se fait court, si je dois faire du planeur avec Paul, c'est au plus vite, dès cette année. Lâchement, je l'ai chargé de l'intendance et des détails pratiques.
A suivre.

La comtoise

Une fois à la retraite, mon grand-père répara la comtoise du salon. Il était le seul à avoir droit de la remonter, le seul d'ailleurs à savoir où était la clé.
Quand mon grand-père est mort, il n'y a eu plus personne pour remonter la comtoise. Ma grand-mère était sourde, elle ne s'en rendait pas compte, cela ne lui manquait pas. Quant à moi, le silence du salon me frappait chaque fois au cœur.
Je n'ai jamais osé demander où était la clé pour remonter la pendule. La mort de mon grand-père fut le silence des horloges.
Quand ma grand-mère est morte, mon oncle, de par son droit d'aînesse, emporta la comtoise. Avec la petite somme d'argent tirée de l'héritage que mon père me donna, j'ai acheté une comtoise.
Je ne supporte pas qu'elle s'arrête.
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