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Quelques observations sur le temps, l’âge, la durée

Ce qui me frappe en lisant ou écoutant les revendications, c’est cette impression que l’Etat devrait subvenir à tous les besoins indispensables (de l’alimentation aux études des gosses (si tant est qu’on considère que les études soient indispensables)) afin que chacun puisse dépenser son salaire ou ses allocs pour ses loisirs, son téléphone, ses fringues, ses vacances, sa voiture (la voiture est encore personnelle, mais pas le carburant), le coiffeur et le maquillage (je découvre avec stupeur le prix de ces produits).

Concernant l’âge de départ à la retraite:
les gens qui avaient quinze ou vingt ans dans les années 80 ou 90 ont vu leurs parents partir en pré-retraite à 55 ou 58 ans. C’est peut-être ce qui leur rend si difficile de comprendre que ce temps-là est révolu (j’ai appris hier que ces dispositifs de pré-retraite avaient pris fin en 2012).
A l’époque (les années 80 et 90), il y avait des licenciements par trains entiers (les filatures du Nord, les aciéries de l’Est, etc). On se réveillait en apprenant des OPAs hostiles, des batailles à coups de chevaliers noirs et blancs (cf. Pretty Woman, c’est l’arrière-plan du film). Plus tard les sociologues et les RH se sont plaints du « désinvestissement des nouveaux arrivants dans le monde du travail »: mais pourquoi des enfants qui avaient vu pleurer leurs pères mis à la porte après vingt ou trente ans consacrés à une boîte auraient-ils dû croire (en et à) une entreprise et s’investir aveuglément? Le temps de la foi était passé.
Aujourd'hui, ces mêmes enfants trente ou quarante ans plus tard ne comprennent pas que les pré-retraites n’existent plus. En fait ce n’est pas deux ans de plus, mais six ou huit ans de plus que leurs pères qu’ils doivent travailler. Leurs pères auraient aimé avoir ces six ou huit ans. Pas eux.

Je lis et j’entends aussi des pères et des grands-pères «dégoûtés» en train de déplorer que leurs enfants et leurs petits-enfants n’auront pas de retraite et leur conseiller… de s’exiler! (on se demande où, puisque ailleurs l’âge de départ est généralement supérieur à celui en France. Passons.)
C’est possible. C’est trop loin pour qu’on le sache. Mais une chose est sûre: les jeunes ne repoussent plus l’accomplissement de leurs rêves à l’âge de la retraite. Ils font tout ce dont ils ont envie au fur à mesure. Et comme ils ont leurs enfants de plus en plus tard, ils ont le temps de parcourir le monde et de se consacrer à leur hobbies avant d’entamer une vie familiale.

Ce qui m’amène à une dernière remarque: on a ses enfants entre trente et quarante ans et on souhaite travailler jusqu’à la fin de leurs études. On a des prêts immobiliers sur vingt ou vingt-cinq ans et on souhaite travailler jusqu’à leur extinction. Tout naturellement, toutes les échéances reculent.

Est-ce dommage ou souhaitable ?

Parvis de la Défense, des jeunes gens en coupe-vents oranges arrêtent les passants au profit de la lutte contre le cancer:

— Madame, vous auriez quelques minutes ?
— Non, je dois aller travailler.
— Est-ce que le travail est plus important que l'amour?
— Ça rapporte plus.

Monstres Academy

Ce n'était pas le film que j'aurais aimé voir avec O., mais ça lui faisait plaisir, alors pourquoi pas.

Rites et traditions des campus américains, cela m'a fait pensé à Hit Girls (! je suppose qu'il est rare que les mêmes personnes voient ces deux films), dans l'ensemble c'est assez ennuyant (mais O. a aimé).

Cependant, il aborde un sujet que j'ai rarement vu évoqué en littérature ou dans des films: le fait que le travail ne fait pas tout, il faut aussi des aptitudes (généralement, le sujet est traité dans l'autre sens: un personnage avec aptitudes qui ne travaille pas). Il s'agit donc d'un dessin animé où le personnage principal échoue. C'est inhabituel (le spectateur attend jusqu'au bout le coup de théâtre qui permettra le happy end. Il n'y a pas de coup de théâtre. La fin est réaliste, sans coup de théâtre, mettant en avant ce que rend possible le travail).

Curieusement, je venais de finir un livre qui abordait à la marge le même sujet: Paul Fournel racontant son amour pour Anquetil: «J'avais dix ans, j'étais petit, brun et rond, il était grand, blond et mince et je voulais être lui.» (Anquetil tout seul, Points Seuil, p.12) Pour Paul Fournel non plus, il n'y aura pas de coup de théâtre. Il y aura déplacement, il découvrira la littérature.

Politique

Un peu embarrassée jeudi soir : voilà-t-y pas que je me retrouve à (plus ou moins) parler de politique avec Kozlika et Anita (de La pêche à la baleine). Hum, je n'aime pas parler politique (chacun pense ce qu'il veut, je demande juste qu'on s'abstienne de me juger en trois coups de cuillères à pot en me collant une étiquette), et encore moins avec des gens que je ne connais pas (le risque de contresens est trop grand, et de toute façon je suis toujours au mauvais endroit pour mes interlocuteurs (je ne m'en plains pas, au contraire, je trouve ça rassurant)).

— Pfou, moi ça m'est égal, qu'on laisse les gens travailler tranquilles, et ça me va bien.
— Rien que ça, ça sonne déjà très sarkozyste.... [1]

Travailler... Est-ce que j'aurais dû dire "vivre"? Quel est le contraire de travailler, pour moi? Pas se reposer. Se reposer, c'est quand on est épuisé, un état qui pour moi approche la maladie et ne ressortit pas à l'état normal de la vie: il n'y a aucune raison de "se reposer" (dormir quelques heures de plus suite à une semaine fatigante, c'est "récupérer"). S'amuser? Mais s'amuser consiste à exercer avec joie et facilité une activité qu'on maîtrise parfaitement. Et pour maîtriser quoi que ce soit parfaitement, que ce soit pêcher à la ligne ou faire des photocopies, il faut apprendre, faire des expériences, se tromper, recommencer. Il faut travailler.

En fait il n'existe que deux activités, pour moi: travailler (apprendre, découvrir, connaître, savoir, s'améliorer) pour tout ce qui m'intéresse, ou servir (à quelqu'un ou quelque chose) pour tout ce qui ne m'intéresse pas. Le pire qui puisse m'arriver, c'est de perdre mon temps: ne servir à rien dans une activité qui m'ennuie.

Je crois que je vais arrêter de me servir du mot "travailler". Personne ne peut comprendre spontanément ce que je veux dire, et c'est bien normal.

Notes

[1] ce qui intéressera peut-être celui qui a eu l'idée de me traiter d'anti-sarkozyste primaire il y a peu. Quand je disais que...

RER, matin

Train en retard à Yerres, nous poussons jusqu'à Villeneuve-Saint-Georges.
Bonne idée, train plutôt vide. L'homme en face de moi discute avec l'homme à côté de moi:

— Et alors, il paraît que vous n'avez pas de chauffage?
— Ah si, il y a une centrale qui marche. Une sur huit. Le terrible, c'est qu'il y a une porte de cassée, ça fait un sacré courant d'air dans les ateliers.
— Une porte cassée?
— Ben oui, il y en a un qui a ouvert la porte pour passer avec un porteur, et pendant qu'il retournait à la machine, un autre a fermé la porte, il fait tellement froid; et l'autre a pas fait gaffe, il est passé à travers la porte avec le porteur, il a rien senti, c'est puissant ces engins-là, ça sert à déplacer les rames...
— Et alors il fait froid?
— Quinze en haut, huit à dix sur le pont, mais dans l'atelier, six. L'ennui, c'est qu'en dessous de cinq, on peut pas souder.

Ils sont descendus à Villeneuve-triage. C'étaient des cheminots.

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