Billets qui ont 'visite' comme mot-clé.

Correspondants

Réveillés à neuf heures, sans réveil. Oups, en retard, en retard.
Dix heures chez l'opticien, une demi-heure pour choisir une monture et commander des lunettes. Je suis frustrée, voilà trois fois (2018, 2020 et 2022) que je ne peux pas jouer avec les montures et passer un temps infini à toutes les essayer. Mais nous devons prendre le train de onze heures moins dix pour être devant la Sorbonne à midi et quart.

Pour info, je n'ai pas de verres progressifs mais des verres de proximité qui me permettent de travailler facilement sur écran tout en consultant mes notes écrites. Voilà quatre à cinq ans que l'ophtalmo m'a proposé cette solution et elle me convient parfaitement.

Rendez-vous à Paris pour déjeuner avec une cousine d'H. qui vient de Chaumont.
Nous allons servir de correspondants à sa fille admise en prépa-véto à Saint-Louis (cela ne s'appelle plus prépa-véto mais prépa BCPST, biologie, chimie, physique et sciences de la Terre).

Mon dernier souvenir de cette jeune fille remontait à 2019, une ado renfermée toujours auprès de sa mère divorcée et de sa grand-mère veuve. (A sa décharge c'était dans une cousinade d'une cinquantaine de cousins dont elle ne devait pas connaître la moitié.) Aujourd'hui elle ne quittera jamais un sourire épanoui. Elle m'étonne car elle sait parfaitement ce qu'elle voulait: pas Reims, le lycée ne lui plaisait pas, Dijon plaisait à sa mère mais elle était sur liste d'attente pour l'internat, donc Paris.
Elle paraît comme un poisson dans l'eau, ravie d'avoir obtenu ce lycée (elle a raison), à l'aise dans la capitale et dans l'établissement, non désarçonnée par les éventuelles différences de classe sociale (elle vient d'un milieu très modeste) ou de culture générale. Il faut dire que c'est moins handicapant dans les prépas scientifiques.

Parenthèse : les œuvres littéraires au programme sont Les Géorgiques, La condition ouvrière de Weil et Par-dessus bord – Forme hyper-brève de Vinaner. Soudain je comprends cette photo, sans doute un étudiant en prépa pour faire sup-aéro.

La cousine d'H. en revanche n'en revient pas d'être à Paris; tout l'étonne et l'émerveille, avec humilité: «si on nous avait dit ça!»; j'ai une impression de dialogues des années 50.

Nous les emmenons déjeuner au O'Neil (mon idée est de lui fournir une adresse peu chère et pittoresque où emmener ses copines). Puis nous inventons au fur à mesure une déambulation pseudo-touristique (au départ les parents devaient repartir à trois heures. Ils ont changé d'avis au dernier moment, nous prenant de court), par le collège de France, le Panthéon, l'institut Curie, la rue Mouffetard. Citronnade et repos aux arènes de Lutèce, transformées en jardin depuis la dernière fois que j'y suis venue il y a une dizaine d'années avec Déborah. Bancs, vignes, jeux de kermesse pour les enfants, scène pour du théâtre ou un concert ce soir.

J'ai les pieds en compote, je n'ai pas les bonnes chaussures, je n'avais pas prévu de marcher autant.

Retour au lycée. J'exhorte la jeune fille à nous contacter en cas de problème, quel que soit le problème.

Nous les laissons, ils rentrent à Chaumont.
Direction Mariage rue des grands Augustins. Achat de thés. Le salon de thé est toujours fermé, je me demande s'il rouvrira un jour. Nous claudiquons jusqu'à l'île de la cité. Un thé et un coca en terrasse dans le centre de l'île, puis ligne 1, ligne R, à la maison, non sans avoir épluché les films programmés alentours et être parvenus à la conclusion que nous voulions juste rentrer chez nous.
Et enlever mes chaussures.

Les deux champs de bataille

F. Dosse deux heures. J'aime la lumière avant qu'apparaisse le soleil. Il n'y a pas d'oiseau. La même nageuse qu'hier apparaît aussi tôt et aussi longuement (je la reconnais à son bonnet de bain bleu marine).

Départ à 9h30 pour Pharsale (le petit déjeuner est servi à partir de 8h30). Nous quittons assez vite l'autoroute et nous nous retrouvons sur une petite route qui serpente au milieu des champs moissonnés. C'est une plaine haute, à peine vallonnée. Apparaissent des champs de plantes qui ressemblent à des pieds de pomme de terres (quarante centimètres, cinquante, peut-être). C'est du coton. Il y a des boules pelucheuses blanches le long des routes, dans les mailles des grillages des remorques vides tirées par les tracteurs. H. s'arrête pour que j'en ramasse une. Du coton! Comme dans Autant en emporte le vent!

Pharsale est dans la plaine, étendue au pied de collines hautes. J'ai dans l'oreille le leitmotiv de Claude Simon, le grand-père ou le père regardant l'enfant qui sèche sur sa version, et plus tard la recherche du champ de bataille — mais par qui, par RC ou par Simon? Je ne sais plus — la recherche les traces de la bataille, allant jusqu'à interroger les clients d’un café (Cela m'avait paru le comble de l'extravagance: interroger un autochtone à propos d'une bataille ayant eu lieu deux mille ans auparavant…)
— Et qu'est-ce qu'on va voir là-bas?
— A priori rien, à moins que ça n'ait changé depuis les années 70.

Nous arrivons vers onze heures et demie. Il fait déjà très chaud. Nous garons la voiture dès que possible et marchons. Nous sommes dimanche. Les terrasses sont pleines. Avant-hier à Larissa, hier à Katarini, aujourd'hui à Pharsale, la population de tous âges, élégamment vêtue, envahit les terrasses pour boire du café ou de la bière. C'est joyeux et bon enfant.
Sur la place se dresse une statue d'Achille. Elle date d'août 2013. Dimanche prochain aura lieu la sixième édition du semi-marathon de la ville. J'aimerais trouver une carte postale mais je ne me fais guère d'illusion.
Nous nous arrêtons nous aussi prendre un verre en terrasse puis nous rejoignons la voiture par un autre chemin: beaucoup de bâtiments abandonnés de cet abandon particulier des choses écrasées de soleil et des boutiques neuves et pimpantes. Ici, on est meccano ou serveur — ou peut-être cueilleur de coton.

Nous repartons. Les gens conduisent à la grecque, c'est-à-dire en se serrant le long du bas-côté pour vous laisser passer, en s'arrêtant n'importe où sans prévenir, en doublant sur les lignes blanches. Le stop est un céder le passage, les chiens sont suicidaires.
Direction Thermopiles. Nous grimpons, franchissons un col, changeons de plaine. Il y a des camions, des radars, la route est quasi déserte. La montagne est plus haute, nous franchissons un col, dans la plaine le paysage est plus vert, des arbres fruitiers et des oliviers apparaissent.
Nous voyons trop tard le monument à Léonidas, de l'autre côté de la route. Il est deux heures, l'heure de déjeuner. Tant pis, nous continuons jusqu’à la prochaine ville au bord de la mer.

Kamena Vourla. Place à l’ombre au bord de la plage, mer bleu, vent léger, carafe de vin blanc. Paysage de carte postale. Nous sommes merveilleusement bien. J’ai choisi le restaurant sur la chemise blanche d’un client. A ce même client je vais demander quel plat il a choisi car celui-ci me plaît.
Indigestion de friture de poissons variés. Ne plus jamais prendre « mégalé », petit suffira.
Chemise blanche viendra nous dire avant de quitter la gargotte qu’il nous a offert le vin. « Malicieux et fraternels » dit le guide bleu Michelin à propos des Grecs.

Pour (tenter de) digérer, nous longeons la rue qui suit la côte. Soleil, chaleur, et miracle, quelques cartes postales.
Plus tard, vers cinq heures, nous retournons à Thermopiles, descendons, explorons le lieu. La mer a beaucoup reculé en deux mille ans. Devant le monument en haut de la colline nous rencontrons un Québecois. Nous prenons un chemin plus loin, grimpons, trouvons un peu par hasard les ruines d’une fortification.
Malgré les explications je ne comprends pas bien ce qui s’est passé ici, je ne visualise pas les moments de troupe.

Nous rentrons par l’autoroute. Deux cents kilomètres vers Athènes, autant vers Platomonos.
Soleil ou indigestion, je suis épuisée.

Fontainebleau

La tension entre ces deux tours est intense. Je crois que l'on peut parler de haine. Twitter, Facebook, tout est devenu insupportable.

Pour ma part, je crois que ce qui définit le mieux ce que je ressens, c'est le chagrin. J'ai du chagrin, du chagrin de voir où en est la France, du chagrin de ne pas reconnaître mes amis, du chagrin de ne pas comprendre cet emballement, du chagrin à être impuissante à rassurer et à calmer. «Que se passe-t-il?» sera ma question de 2017.

Nous sommes allés visiter le château, un peu tard : il faudra revenir, nous n'avons pas tout vu. Il faisait très beau. J'ai trouvé de la camomille, de la vraie.


Sorties en 2017

1er janvier : William Friedkin, Killer Joe au Grand Action avec H.
4 janvier : William Forsythe, Impressing the czar, Semperoper Ballet Dresden, Aaron S. Watkin à Garnier.
7 janvier : Marivaux, La dispute; la colonie; les acteurs de bonne foi au profit de l'association Retina.
21 janvier : Jim Jarmush, Paterson à Yerres avec H.

5 février : musée des Beaux-Arts à Nancy, musée des ducs de Lorraine
9 février : Tom Ford, Nocturnal Animals, 2016
21 février : Anne Charlotte Leffler, Les vraies femmes, Alfhild Agrell Sauvé, lecture par la compagnie Benoît Lepecq à la librairie Palimpseste

4 mars : château d'Angers (tapisserie de l'Apocalypse), château d'Oiron
5 mars : église de Cunault, abbaye de Fontevraud, cathédrale de Tours
8 mars : Anne Charlotte Leffler, Les vraies femmes, lecture par la compagnie Benoît Lepecq à la bibliothèque nordique
23 mars : Aki Kaurismaki, L'autre côté de l'espoir

20 avril : Les faux-british, texte de Henry Lewis, Henry Shields, Jonathan Sayer, mise en scène Gwen Aduh
23 avril : Theodore Melfi, Les figures de l'ombre. Avec "les voisins", pour ne pas attendre le résultat des élections scotchés à la maison
29 avril : château de Fontainebleau

3 mai : Raúl Arévalo, La colère d'un homme patient, 2016
6 mai : Martin Granger à la Cave à Bananes. Générateur de critique de danse contemporaine
8 mai : James Gunn, Les gardiens de la galaxie, II, 2017
9 mai : Jordan Peele, Get out, 2017
10 mai : Terence Davies, A Quiet Passion, (Emily Dickinson), 2017. Mauvais
19 mai : Kim Seong-hoon, Tunnel, 2016. Pas mal si on ne tient pas compte d'un certain nombre d'invraissemblances
22 mai : lecture mise en scène de Ah l'amour ! d'Anne Charlotte Leffler
29 mai : Guy Ritchie, Le Roi Arthur, 2017. Bof. Histoire minimale, bcp de combats, un peu de magie. A éviter.

4 juin : Palazzo Pubblico de Sienne, basilique St François, Santa Maria della Scala de Sienne (vu que le rez-de-chaussée)
5 juin : musée étrusque Guarnacci, Palais des Prieurs de Volterra
13 juin : jardin Rodin
19 juin : Valérie Lemercier, Marie-Francine. Mignon.

1er août : musée Hergé. Nous y passons trop de temps, trop tard pour Rimbaud.

14 septembre : Charles Laughton, La nuit du chasseur.
15 septembre : Doug Liman, Barry Seal, 2017. Excellent, peut-être pas dans l'art cinématographique (mais je me tape de l'art cinématographique) mais dans le pseudo documentaire historique, à la manière de Vingt ans après et la Fronde : le Cartel de Medellin, l'Irangate, le second choc prétrolier,…
19 septembre : Barry Seal une deuxième fois, la première heure, en attendant d'aller fêter l'anniversaire d'O.
21 septembre : Tommy Wirkola, Seven sisters. Pas mal. Sans doute pas à revoir, mais au moins à voir.

5 octobre : Michel Hazanavicius, Le Redoutable, 2017. Pas vraiment mon genre, le personnage principal est trop insupportable pour que je supporte un tel film. Quelques jours plus tard j'apprendrai la mort d'Anne Wiazemski ce jour-là.
6 octobre : Eric Toledano et Olivier Nakache, Le sens de la fête, 2017. Sans grand intérêt malgré les commentaires plutôt bon sur allô ciné.

3 novembre : Ruben Östlund, The Square, 2017. Intéressant, touchant.
14 novembre : Roman Polanski, D'après une histoire vraie, 2017. Bof.
15 novembre : Andreï Zviaguintsev, Faute d'amour, 2017.
24 novembre : Janaceck, De la maison des morts,

A la recherche du salon de thé introuvable

AC vient de St-Brieux. Comme elle va ensuite au Vésinet, je lui donne rendez-vous chez Ladurée à Madeleine (croisement des lignes 1 et 12).

Elle m'appelle alors que je suis en train de sortir du métro à Concorde: le salon de thé est fermé. Je songe à Angelina, je n'y suis jamais allée, mais AC est désorientée (plus de dix ans qu'elle a quitté Paris) et ne sait plus où sont les arcades de la rue Rivoli. Je vais donc à sa rencontre et lui propose à brûle-pourpoint le Crillon.

Translation jusqu'au Crillon (son sac est lourd): fermé, en travaux.
Je propose alors Angelina ou Hédiard ou Fauchon.
— Je ne peux pas choisir puisque je ne connais pas.
— Qu'est-ce que tu préfèreras raconter? (parce qu'après tout, quand on va dans ce genre d'endroit, ce n'est pas simplement parce que la pâtisserie est bonne, c'est aussi ou surtout pour y être allé.)

Elle choisit Hédiard. Je lui rappelle que c'est là qu'elle m'a appris en 2006 qu'elle était enceinte de son dernier, mais elle ne s'en souvient plus (je m'en étais voulu après coup d'avoir montré plus de surprise que d'enthousiasme).
Nous entrons, tournons parmi les étals, les accès à l'étage sont barrés, nous nous renseignons: le restaurant a fermé définitivement il y a trois mois.

Nous échouons chez Fauchon, orange pressée et nectar de poire, «je trouve ce rose très laid».

Amherst et Arrowhead

Je tape en voiture. C'est très pratique. Je suis installée au milieu à l'arrière et la clim me souffle sur les genoux, la sortie d'air est camouflée autant que possible par une casquette. Je suis en jean, j'ai découvert hier que les peaux collaient trop pour être trois en short côte à côte sur le siège arrière (jusqu'ici j'avais presque toujours conduit, préférant que ce soit H. qui prenne la responsabilité du pilotage: en cas de problème il proclame que la carte est fausse (ce qui peut être vrai), tandis que si je pilote je me plains de ne rien comprendre à la carte (et c'est sans doute que la carte est incompréhensible, mais il me reste toujours un doute).
Le problème de cette place arrière est qu'elle est légèrement surélevée, ce qui fait que j'ai le rétroviseur en face des yeux. Mais à part ça, ce n'est pas mal comme place.

Nous roulons depuis huit heures du matin vers l'ouest. Nous avons traversé (ou contourné, selon les interprétations: suivi la route) Concord, où se trouve le cimetière de Sleepy Hollow (Emerson, Thoreau, Alcott, Hawthorne sont enterrés là (les "transcendantalistes")). Le paysage change lentement, nous montons, nord des Appalaches.

Surprise en sortant de la voiture: nous avons regagné les degrés perdus à Boston et Gloucester, il fait aussi chaud qu'à New York, avec la même impression d'humidité.

Excellente visite de la maison d'Emily Dickinson, avec la même question du guide que celle que nous avons eu hier aux Sept pignons: «Qui connaît Emily Dickinson?» Nous sommes deux à lever la main (quel motif guide la visite des autres? Cela m'intrigue). La visite s'appuie sur des poèmes et des lettres d'Emily Dickinson, présentée comme le poète (en passe d'être reconnu) le plus important des Etats-Unis (pensée pour Whitman), dont la maison attire des visiteurs du monde entier (il est émouvant d'imaginer des gens du monde entier converger vers Amherst au nom d'Emily Dickinson, comme il est émouvant d'avoir vu des Argentins, des Australiens ou des Japonais trouver la route de Cerisy, guidés par un instinct mystérieux et sûr (je songe aux saumons remontant les cours d'eau, aux anguilles traversant l'Atlantique: quel instinct guide les intellectuels amoureux?))

Le père d'E. Dickinson avait promis à sa future épouse "un bonheur rationnel" (a rational happiness).

Et tandis que j'écris cela midi est passé, nous avons déjeuné et repris la voiture. Nous roulons vers Pittsfield. Nous continuons de gagner peu à peu en altitude, le bleu du ciel devient très pâle; parfois la route atteint un plateau — prairies et maisons, toujours en bois —, puis monte encore entre les arbres tandis que des montagnes se dessinent devant nous — des montagnes basses, impression de Vosges.

Emily avait un frère aîné et une sœur puînée. Enfant, elle habita une maison près du cimetière, et la guide de commenter: «Elle voyait au moins un enterrement par jour (death by the window), ce qui a sans doute impressionné sa nature sensible d'enfant».
Personne ne sait exactement pourquoi elle se mit à s'habiller en blanc, mais la guide remarque en riant que c'était une option plus hygiénique que le noir, car les taches se voient aussitôt. Dans le même temps elle ne sortit plus de la maison. Il faut dire que sa robe ressemblait plus ou moins à une chemise de nuit et était loin des jupons et corsets requis par l'habillement féminin en société. Elle intriguait ses voisins qui cancanaient, elles s'en moque dans ses lettres (mais je n'ai pas compris les lettres-poèmes; dès que la syntaxe se désarticule, je me perds à l'oral).

Nous ne possédons que les lettres envoyées par Emily Dickinson, car sur son lit de mort elle a demandé à ce que celles qu'elle avait reçues soient détruites. Concernant ses poèmes (sa famille et ses amis savaient qu'elle écrivait, ce n'était pas un passe-temps mais une occupation à plein temps, elle envoyait des poèmes, elle en offrait pour les anniversaires), sa sœur dut faire un choix, car E. Dickinson n'avait émis aucun souhait. Finalement les lettres furent rassemblées et les poèmes publiés, avec beaucoup de difficultés car il en existait de multiples versions.

Une salle est destinée à montrer la façon dont E. Dickinson travaillait au cours des mois, reprenant un poème, ajoutant une croix et une sorte de note de bas de page lorsqu'elle songeait à un autre mot possible: elle ne choisissait pas, ce qui a reporté sur les éditeurs la responsabilité d'établir la version "définitive" (''qui évidemment dans ses conditions n'existe pas. Il existe une édition annotée qui présente toutes les notes et versions possibles. C'est un livre de référence universitaire qui coûte une fortune (pense la guide qui nous en donne le prix que je n'ai pas compris)'').
Nous sont montrés aussi l'absence de titre des poèmes (les 1775 poèmes sont référencés par leur premier vers), l'usage des majuscules, des tirets, de la ponctuation en général, des fausses rimes (assonances).
Je suppose que la guide doit être doctorante. Je n'ose pas discuter. Il va être temps que je prenne de vrais cours de conversation en anglais (Echange: conversation sur Proust en français contre conversation en anglais sur Joyce, Pound ou Melville.)

L'association a plusieurs projets: reconstituer la bibliothèque d'Emily Dickinson dont elle possède l'inventaire en faisant appel à tous les bibliophiles qui trouveraient par hasard (ou pas) un de ses livres chez un bouquiniste ou une vente par lot (cela s'est déjà produit et elle en a déjà récupérés) et remonter la serre (E. Dickinson était une botaniste éclairée) dont elle possède les panneaux de verre d'origine et les plans.

Dîner après avoir dépassé Albany. Orage. Nous venons de perdre dix degrés, de trente à vingt. Nous suivons l'Hudson (prise de conscience que nous sommes exactement à la vertical de New York (ça y est, je me souviendrai de quel côté est la rivière: ouest de Manhattan): le Massachussets est l'État qui déborde à l'Est de la verticale de l'Hudson). Panneau: Utica 48 miles.





Le pare-brise de la voiture est propre: où sont les insectes?

J'achète des livres, les poèmes, les lettres (édités par Johnson, puisque ''Travers Coda'' indique que c'est lui qui a établi la première édition respectant l'utilisation des tirets), une biographie.

Il ne pleut plus. Ciel dégagé, soleil couchant.





Ensuite direction Arrowhead près de Pittsfield pour voir la maison de Melville (pour des photos d'Arrowhead (et autres sites littéraires et artistiques), voir ici). Je suis un peu déçue de ne pas y trouver la correspondance Melville-Hawthorne que j'attendais là après mon échec aux Seven Gables hier. La visite guidée commence dans vingt minutes, nous discutons avec l'homme au comptoir. La conservation de la maison dépend entièrement des visiteurs (elle reçoit parfois un legs) (à Déborah qui me dit que les tee-shirts sont chers, je réponds que c'est un moyen de soutenir l'association) et le caissier trouve la saison bonne pour l'instant: 64 visiteurs hier, un jour de semaine.

La visite m'apprend des détails que je saurais sans doute si j'avais lu la biographie traduite par Patrick (celle de Mumford) et je culpabilise un peu.
A l'horizon, au nord, le mont Greylock est presque invisible dans la brume de chaleur. Nous apprenons que le père de Melville était riche, que sa femme était hollandaise, et que Melville comme sa femme avaient des héros de la guerre d'Indépendance dans leurs ancêtres. L'un d'entre eux a participé à la Boston tea party.

Le père de Melville est mort ruiné, et Melville dut travailler à onze ans. Il fit plusieurs métiers, dont celui de garçon de ferme chez son oncle Thomas dans la région d'Arrowhead, ce qui explique que Melville songea à cette région quand il fut devenu célèbre et riche après la publication de Typee. (Sans doute paya-t-il la maison deux fois son prix tant il était anxieux d'acquérir Arrowhead, qui était alors une petite ferme en activité.)
Il n'y avait alors aucun arbre sur le terrain car le bois était vendu pour faire du charbon, et les pins que nous voyons, plus que centenaires, ont été plantés par Melville (une photo montre les pins plus petits que les hommes).

Melville arriva dans la ferme avec le manuscrit de Moby Dick qu'il déclarait alors terminé. Mais il y travailla encore un an et l'on pense que l'influence d'Hawthorne, qui habitait à quelques miles et qu'il rencontra au cours d'une promenade, l'amena à remanier profondément le manuscrit.
C'est sa femme qui se chargeait de mettre ses brouillons au propre, il y eut sans doute des erreurs de transcription que nous ne pouvons retrouver car il ne reste aucun manuscrit. Sans doute Melville les a-t-il détruits, car dès qu'il avait fini un livre il s'en désintéressait, laissant sa femme et sa sœur s'occuper de la relecture et de la publication. Les généticiens travaillent aujourd'hui à partir de l'édition américaine, considérée comme plus fiable que les éditions anglaises.

Les romans suivants furent des échecs et une dizaine d'années après, Melville dut revendre Arrowhead à son frère. Sa femme, sa sœur et un homme de loi (j'ai oublié son nom) furent des soutiens constants tandis que sa mère lui enjoignait de trouver "un vrai travail", ce qu'il fit pendant les dix-neuf dernières années de sa vie. Il mourut oublié et ce n'est qu'en 1923, après que sa dernière fille, Fanny, eut donné le manuscrit de ''Billy Budd'' à un critique, que son œuvre commença à être lentement réévaluée.

La maison ne comprend presque rien ayant appartenu à Melville; elle a été transformée après sa vente: puisque Melville était un écrivain raté, il n'y avait aucune raison de conserver quoi que ce soit en particulier.

Je découvre qu'il est possible de soutenir les baleines en payant pour une plaque d'immatriculation particulière. Le mont Greylock est à une demi-heure, mais à cette heure-là la route doit être fermée (??). Il est le point le plus haut du Massachussets.

Au moment de partir, un homme sur le parking nous voyant cartes déployées nous donne quelques indications:
— Vous voulez la route la plus rapide ou des lieux intéressants?
— La plus rapide, nous avons déjà fait beaucoup de détours, nous venons d'Amherst.
— Ah oui? Qu'avez-vous visité?
— La maison d'Emily Dickinson.
— Ma femme y travaille.
J'ai vraiment l'impression que tous ces gens sont des universitaires bénévoles.

Nous dînons dans un fast-food sur la route 90. En sortant j'aperçois une sorte de journal gratuit, HotelCoupons. Comme un ami nous avait prévenu que le couponing est pratiquement une monnaie parallèle aux Etats, je l'attrape en passant.
C'est ainsi que nous dormons dans un hôtel entre Utica et Rome, à Oriscany.

D'après Google Maps, nous sommes à trois heures et quart des chutes du Niagara. Tout le monde nous dit que c'est plus beau du côté canadien, mais je ne crois pas que nous puissions traverser la frontière avec la voiture de location. Pour une raison que j'ignore, l'étude de location de maxi-camping-car m'avait appris que les loueurs l'interdisaient formellement.

H. me dit qu'il ne montera pas dans les bateaux qui s'approchent des chutes: l'année dernière l'un d'entre eux c'est retrouver sous la chute et les passagers sont tous morts. De même, il y a trois semaines, un homme s'est assis sur la balustrade de sécurité et est tombé en arrière: mort. (Je précise que c'est H. qui veut voir les chutes.)
C'est un point qui contredit l'idée que l'on se fait des Américains qui seraient "tout sécuritaires": nous constatons plutôt l'inverse, vos actes sont de votre responsabilité, vous êtes prévenus de ce qui peut vous arriver, et ensuite, à vous de choisir votre comportement (par exemple, j'ai été surprise qu'on ne vérifie pas mon permis de conduire: mari et femme peuvent conduire, je suppose que si je conduis sans permis, c'est mon problème. De même, les piscines ne sont pas surveillées dans les hôtels, c'est écrit en gros, les consignes sont affichées, et ensuite, à dieu vat.

Talcy

Nous rentrons à deux voitures. H. prend l'autoroute, je lui annonce que je vais passer par Chambord, prendre l'autoroute à Mer et sortir à Artenay pour remonter par la N20.
Mais arrivée à Mer, je vois le panneau Talcy. La tentation est trop forte, il y a longtemps que je voudrais voir ce château, je me déroute.

Grande déception. Exposition "Dames blanches pour châteaux noirs" (je devrais peut-être leur envoyer un exemplaire de L'ABC du gothique), toutes les pièces sont plongées dans l'obscurité, avec des lanternes magiques, des bandes son sinistres, des projections angoissantes. C'est un joli château de pierres grises, très simple, avec de belles salles, des tapisseries, du mobilier, des tableaux: en temps ordinaire, il doit être facile de rêver ici. Mais pas aujourd'hui: on ne voit rien mais on entend beaucoup, impossible d'y échapper. Je suis très déçue. Je pense à l'administration sage de Chenonceau.

Je remonte sur l'autoroute à Mer. Je manque d'avoir deux accidents, le premier lors d'un ralentissement brutal sur l'autoroute (puis trois quart d'heure pour faire les six kilomètres qui me permettent de sortir à Orléans Nord: pour la peine je prends la route de Saint-Lyé-la-Forêt plutôt que la N20. Cela fait un moment que je ne l'avais pas empruntée et je constate une fois plus qu'il ne faut jamais quitter le réel des yeux: dès qu'on a le dos tourné, il change. Les ronds-points se sont épanouis, un pont passe au-dessus d'une autoroute (j'ai été un instant désorientée, ne comprenant pas comment je pouvais passer au-dessus de la A10 à cet endroit: ce n'était pas la A10); le second avec une camionnette de gendarmes en sortant d'une déviation pour travaux à Méréville (j'étais en train de vérifier la direction qu'indiquait le panneau de déviation, et au moment de repartir, je vois une masse sombre devant la voiture: je pile, c'était la camionnette venant de ma droite, qui a pilé aussi. Les gendarmes m'ont regardée, je les ai regardés (mais pas très fixement, juste un peu blanche (ne jamais regarder un gendarme dans les yeux, il vous demande aussitôt vos papiers (pour une fois tout était en règle contrôle technique compris, mais je n'ai aucune idée d'où est la carte grise))), quelques secondes, temps suspendu, que va-t-il se passer, (et dans ma tête le souvenir qu'il ne faut pas avoir d'accident avec ou contre "l'Etat", c'est infernal au niveau assurance (mais là pas de problème puisque j'aurais été indiscutablement en tort)) ils sont repartis.

(Et toujours cette façon de remonter le temps, quelle précision pour arriver à cet emboutissage manqué, et si je n'avais pas visité le château, et si je n'étais pas sortie à Orléans Nord, et si je ne m'étais pas perdue dans Saran… Quelques secondes plus tôt ou plus tard… Et que ce soit le cas de chaque seconde… Ma raison ne suit pas.)

Chenonceau

Très beau château, cela va sans dire, mais également d'une merveilleuse administration. Au milieu de la visite (qui s'effectue seul, avec audioguide ou fascicule si on le souhaite), je me tourne vers H. et lui dis: «ce n'est pas possible, ce château n'appartient pas aux monuments (Monuments) nationaux».

Je me renseigne à la sortie: effectivement, le château appartient à la famille Menier (le chocolat).

Comment dire? Il s'agit de détails accumulés, à commencer par le parking ombragé, agencé en places de stationnement séparées par des haies (tout est vert, et non pas blanc, comme ces terrifiants parkings de cailloux des châteaux de Chambord ou de Blois par exemple), il n'y a pas de panneaux désagréables sur les meubles (une barre vissée sur les fauteuils indique discrètement qu'il ne faut pas s'y assoir, mais le visiteur n'est pas pris pour un délinquant en puissance dans les cuisines où rien n'indique qu'il ne faut pas toucher les casseroles en cuivre), il n'y pas de gardien qui s'ennuie dans chaque pièce (s'il y a des caméras, elles sont bien cachées, et tant mieux), les bouquets de fleurs sont magnifiques, les plaquettes expliquant chaque pièce sont disponibles dans une dizaine de langues (dont asiatiques et russe, alors qu'au musée de Cluny ou à Orsay sont royalement proposés l'anglais et l'espagnol), tout est serein, non agressif. Je n'ai pas cette impression d'être l'ennemi à surveiller que j'ai dans certains endroits.

Le Cher, les barques, de magnifiques tableaux, une histoire qui croise celle des rois de France, une exposition sur les années qu'y passa Rousseau… Je ne recommanderai jamais assez chaleureusement ce château.

Sainte Chapelle

Que c'est dur de faire lever les enfants à neuf heures du matin. Des zombies.

Il faut être au lycée avant onze heures pour que A. rende ses livres de français et géographie (une fois de plus son sac pèse une tonne (au moins un pack d'eau de six bouteilles qu'elle trimballe toute la journée) car elle a tenu mordicus à emmener les livres qu'elle présente en "œuvre intégrale" pour son oral l'après-midi, bien qu'elle ait les extraits étudiés en photocopie (on ne discute pas avec A. On ne convainc pas A. Va pour le pack d'eau.)

Nous l'abandonnons. Direction la Sainte-Chapelle — à Vélib. Seul défaut, je ne peux pas commenter à Félix les rues de la ville qui défilent.

Trop de monde devant Notre-Dame que j'espérais visiter aussi: moi, je ne fais pas une heure de queue pour visiter un monument, je n'y tiens pas à ce point-là (et je suis incrédule: tous ces gens là devant moi y tiennent à ce point-là? Mais pourquoi? Qu'est-ce qui compte pour eux, qu'est-ce qui est si important pour eux dans Notre-Dame?)
J'explique à Félix que si vraiment il veut visiter Notre-Dame, il faut venir à la messe de huit heures, puis déambuler dans l'église. Alors il n'y a personne ou presque. Les journées de ces jeunes gens commencent vraiment trop tard.

Sainte Chapelle. Malgré le temps gris, toujours le même miracle. Je remarque avec amusement que la restauration dees vitraux est financée en partie par Velux (c'est idiot à dire, mais ça me touche. Je ne pensais pas que l'entreprise Velux était suffisamment importante pour faire ce type de mécénat, et je n'aurais pas imaginé une entreprise que j'associe aux constructions contemporaines de moyenne gamme investir dans la Sainte Chapelle. Oui, ça me touche.)
J'aime cet endroit. Je me souviens du choc la première fois que j'y suis entrée, les peintutres de la salle basse, les vitraux de la salle haute. Je ne savais pas que cela existait. J'en connaissais le nom, une ou deux photos. Mais je ne savais que cela ressemblerait à cela. (Dix-huit ans, interne à Versailles, ou dix-neuf, à Paris, je ne sais plus: je visite systématiquement tous les monuments, tous les musées, indiqués par un guide que j'ai perdu depuis.)

Vélib, dossier carte imagin'R àla Bourse (au Châtelet il n'y en avait plus), japonais sur un vœu exprimé par O. (le meilleur japonais de Paris (Hokkaido, 14 rue Chabanais). J'y suis venue par hasard en 1996 quand je travaillais rue Pillet-Will. J'ai l'impression qu'il est devenu très connu, il ne désemplit pas, mais il n'a pas changé: le même cuisinier, les mêmes serveurs, quelques cheveux gris en plus. En goûtant les gyozas, je me dis que non seulement ça n'a pas changé, mais leur cuisine est devenue encore meilleure), Vélib, ICP pour m'inscrire en allemand (deux heures l'année prochaine. "Université du milieu de vie", brrrr!), A. nous a prévenus qu'elle ne passait pas son oral avant 15 heures, Vélib, Décatlon près de la grande bibliothèque, tongs et t-shirts, A. a fini, nous en avons pour une heure pour rentrer, je suis rattrapée par la fatigue, pas sûre de tenir sur un vélo et je pense aux kilomètres qui m'attendent: nous prenons le bus. Je dors.

Sortie de Paris épouvantable. Nous arrivons à neuf heures à Blois. J'abandonne mon projet de rejoindre mes parents sur les bords de Loire où ils vont observer les castors.

Saint Denis

J'avais prévu aujourd'hui de visiter Chantilly et Saint Denis, puis lorsque O. m'annonça la bouche en cœur qu'il voulait aller à son cours de flûte à 15h30, place des Vosges et Saint Denis; finalement nous n'aurons eu le temps que de visiter Saint Denis.

Il faut dire que le matin nous avions une heure bloquée par une visite chez l'ophtalmo, O. et moi. La myopie d'O. augmente (l'ophtalmo: «oui, votre vision a un peu bougé, vous verrez mieux ainsi», l'opticien: «dis donc, ça a beaucoup bougé, ça va vous changer la vie!»). Quant à moi, je pensais que cette fois-ci j'aurais une nouvelle correction car je ne peux plus lire sans lunette (ou difficilement et pas longtemps, cela devient difficile par exemple de déchiffrer très rapidement une phrase dans les livres de mes voisins de transport (fondamental pour en identifier au moins le genre)), mais la conclusion de l'ophtalmo, fort logique quand on réfléchi à ce que je viens d'écrire, a été: «vous avez découvert que d'optionnelles, vos lunettes sont devenues indispensables. Mais il est encore trop tôt pour changer.» J'ai réclamé des lunettes de soleil, j'en ai profité pour prendre des verres progressifs, à la fois pour commencer à m'y habituer et parce que c'est indispensable à l'aviron. (L'opticienne aurait bien voulu me vendre des lunettes de vue, arguant que vu ma correction, je ne devais plus voir de loin. Je suis restée impassible. «Bon, alors je vais éviter de me trouver devant vous lorsque vous conduisez!» Cela m'énerve. D'abord je trouve cela impoli, mais surtout, j'ai beaucoup de mal à supporter que quelqu'un conteste par la théorie la réalité de mon expérience: si je le vis, c'est que c'est vrai, au moins pour moi, non? Sans compter que dans ce cas particulier, c'était validé par un ophtalmo.)

Saint Denis. J'aime beaucoup cette basilique, un peu désolée, un peu abandonnée au milieu des immeubles des années 1970 (mais comment a-t-on pu laisser construire de telles horreurs autour de cette église? Il fallait être tombé sur la tête (mais enfin, tout cela est réversible, rasable. L'important est de préserver l'essentiel, toujours). J'aime ce lieu où le mythe se matérialise. Le tombeau de Dagobert. Mais comment peut-il y avoir un tombeau de Dagobert? Et Du Guesclin, si petit, et Frédégonde (pensée pour Robbe-Grillet, ce doit être dans les actes du colloque de Cerisy, et Henri Martin. Enfin peut-être[1]) et ces transis, Louis XII et Anne de Bretagne, les rois nus, morts et mortels, la chair vaincue mais espérante (je n'ai jamais vu de transi ailleurs qu'à Saint-Denis, et l'humilité que représente l'idée-même de ces statues me transporte de surprise.

Et puis la Révolution, le saccage, la violence (s'attaquer à des vivants, à la rigueur, mais à des morts: cela m'est rigoureusement incompréhensible. Tout mort me devient sacré, il n'est pas un squelette exposé, momie ou marin de La Pérouse, qui ne m'emplisse de gêne), la reconstitution tant bien que mal des tombeaux, la réaffectation des restes, le cœur embaumé de Louis XVII, les listes de noms, tout me touche.

Notes

[1] Non, Robbe-Grillet parle de Brunehaut, p.312 du tome 1 des actes du colloque de 1975.

Vendredi

Matin: déchetterie puis un bœuf mode à l'ancienne (pied de veau inclus).
Après-midi: un violoncelle pour Félix qui va passer dix semaines à la maison et l'aquarium de Paris. Belleville, rue de la Villette. Quel beau quartier que je ne connais pas. Trocadéro, photo de la tour Eiffel, parfaits touristes, c'est amusant. (J'ai oublié de parler de mon plaisir hier à contempler Paris du haut de Beaubourg. Une voix chante au fond de moi: «Nous n'avons pas été bombardés, nous n'avons pas été bombardés.» Je fais part de mon allégresse à mon compagnon, qui me répond: «Oui, c'est grâce à Pétain, c'est totalement oublié, ce qui est plutôt injuste.» (Et je pense à Rome: qui prendrait la responsabilité de faire bombarder Rome? Rome, la ville indéfendable.))

J'ai mal partout, je suis bien plus mal en point qu'au début de la semaine. Je suis toute courbaturée, et un peu démoralisée par ce que j'explique dans mon précédent billet.


2020 jour pour jour, je raconte : ce jour-là, A et moi avons libéré les blattes dans la déchetterie. J'ai longtemps eu peur qu'elles n'envahissent tout à la façon des écrevisses américaines.

Jeudi

Musée Grévin, expositions Albers et Matisse à Beaubourg. Variations encore. Je songe à cette expression devenue mythique à la maison: «Pour faire de jolis pots, il faut faire beaucoup de pots»..
L'intrigant est que les tableaux sur un même thème sont souvent (toujours) peints la même année, il n'y a pas comme chez Degas une évolution s'étendant sur une longue période (pour une même composition, je veux dire): comme si Matisse voulait aussitôt nous montrer plusieurs visions intérieures.

Découvert à mon grand désarroi une nouvelle catégorie d'électeurs du FN: après les extrémistes par conviction, les ouvriers et catégories sociales délaissés, je découvre "l'intellectuel qui fait le malin", qui veut envoyer "un signe" pour signifier que la situation devient incontrôlable dans les écoles, les facs, les banlieues, etc, bien persuadé que "de toute façon le FN ne passera pas".
Certes. Il faudra un jour que je copie certains textes de H.G. Wells du début du XXe siècle (anéantir tous les jaunes): les idées dans l'air rendent certaines idées tolérables, il n'y a pas de neutralité en la matière.

La Fontaine à Château-Thierry

Pélerinage au musée La Fontaine, cet auteur étant celui le plus cher à mon cœur parmi les classiques. (Tout m'est prétexte pour faire des kilomètres et suivre les Demeures de l'esprit: la présence du jeune Allemand, le bac de français de ma fille qui étudie La Fontaine en classe…)

RC parle d'une promenade agréable sur les remparts, je dirais plutôt qu'elle serre le cœur (a-t-il été indulgent ou la situation s'est-elle beaucoup dégradée?) Toute une partie de la ville au delà de la Marne mais encore dans la ville et non à sa périphérie n'est que barres d'immeubles; sur les remparts eux-mêmes se dresse une palissade en bois apparemment destinée à protéger un spectacle de fauconnerie, et surtout un chalet en bois est en cours de construction.

J'en appelle à votre expertise: que peut bien être un casteloscope?





Le musée en lui-même est mignon, si l'on oublie qu'il s'agit de La Fontaine, il est possible de songer à un décor de Balzac. Les éditions des Fables sont nombreuses et de tous âges, les murs illustrent de nombreuses fables dont j'avais oublié le détail (une lice? Apparemment il s'agit d'une chienne de chasse. Et cette morale: «Ce qu'on donne aux méchants, toujours on le regrette.» Je suis contente de le voir écrit.)

J'ai photographié comme je pouvais (flash, vitrines, livre à peine entrouvert) un exemplaire japonais et un algérien:


Bateau-mouche, musée d'Orsay.

Tout est dans le titre. Bateau-mouche un peu miteux, je trouve. Il me semble (souvenir vague) que j'ai dû prendre un billet pour les bateaux-mouches seule, en arrivant à Paris. Tous les hôtels particuliers étaient nommés, avec date et architecte, et j'étais désespérée de ne pouvoir les enregistrer au fur à mesure.
Aujourd'hui seuls les principaux monuments sont indiqués, et chaque phrase est répétée en plusieurs langues (anglais, japonais et ??).

Tout cela consiste à revenir sur ses pas, mais des pas quasi effacés. Orsay. Je me souviens d'avoir visité Orsay peu après son inauguration, inauguration qui suivait l'exposition impressionniste de l'hiver 1985 au Grand palais. (Oui je m'en souviens: c'était la première fois que j'allais voir une exposition).
Et puis une exposition Pompon. 1992?[1] Je me demande si ce n'était pas lors d'une soirée privée. C'est amusant d'écrire cela, cela donne l'impression d'une expérience très longue qui en réalité n'existe pas, comme le prouve d'ailleurs l'écart entre les dates.

Le musée d'Orsay d'aujourd'hui ne ressemble plus guère à ce qu'il était, même si je ne m'en souviens que confusément, ne serait-ce que par la manie de découper les grands volumes en petites boîtes pas trop éclairées (pour ne pas abîmer les tableaux? Mais les scènes d'opéra ou de théâtre ne sont pas éclairées non plus, nous assistons à une préciosité de la pénombre.)

Mais je ne me souvenais pas d'autant de tableaux, non, je suis sûre qu'il y avait bien moins de tableaux, de tableaux connus, aimés, presque des compagnons de vie tant ils m'ont accompagnée dans les livres de classe, dans diverses illustrations ou iconographies dont j'ai à peine conscience[2]. Intérêt des "boîtes" dans les grands volumes: cela multiplie les murs pour accrocher des tableaux.
(Je choisis les Pivoines de Manet. (La galerie des impressionnistes n'est pas dans la pénombre, elle bénéficie d'un bel éclairage zénithal)).

(J'ai oublié d'essayer de retrouver le petit meuble de Jean Puyaubert cité dans le journal 2006, je crois.)

Degas, Akseli Gallen-Kallela.
Grand souci de progression et de rapprochement dans l'exposition Degas, fascination de la variation, les quelques toiles d'autres peintres sont très judicieusement choisies. La provenance de certains dessins (très souvent américaine) me fait sourire: Degas à Kansas city, vraiment?
Akseli Gallen-Kallella résonne évidemment avec les Demeures de l'esprit du nord. Très bonne surprise que ces toiles, ne serait-ce que par leur variété de style, de sujets, de couleurs. J'aime beaucoup le visage rougi par le feu de l'homme en face de la cheminée.

Merci à Pierre.



PS: je me suis flambée la frange et les sourcils au calvados en préparant un lapin à la normande.

Notes

[1] 1994 me dit Google.

[2] Les enfants ne reconnaissent rien. Je m'étonne. Rentrée à la maison, je vérifie dans leurs livres de cours: pas un Monet, pas un Renoir, pas un Degas. Ni Millet, ni Fantin-Latour. Rien, aucune image destinée à devenir familière.

La pluie

Je suis plutôt contente d'avoir un prétexte de pouvoir "faire" Paris comme si j'étais touriste, comme si je n'avais qu'à courir de musées en églises en jardins en ruelles en…
(En réalité ça ne se passe pas exactement comme cela: au bout d'un musée, tout le monde déclare forfait, alors qu'on pourrait encore aller au musée Picasso, visiter le jardin d'acclimatation, traverser le Père-Lachaise, jeter un œil à la Sainte-Chapelle, entrer dans deux ou trois librairies, et…)

— Maman, c'est quoi l'emploi du temps de demain?
Ils n'ont peur que d'une chose, c'est de mes idées et de mes envies. Leur rêve: tranquilles devant l'ordinateur. Pas pour rien que je n'ai pas prévu de passer toutes les vacances avec eux. Je sais que cela les ennuie plus qu'autre chose (Alors pourquoi le faire? Je ne sais pas, parce que je pense que je le dois, je suppose. Et puis on ne sait jamais. On ne sait jamais quoi? Je ne sais pas, imagine que ça leur plaise, qu'ils aient un coup de foudre? (Histoire d'une fille qui croyait aux épiphanies.)
Tant pis, j'irai seule — un jour.)

Arrivé à trois heures vingt devant les catacombes. Queue. Un gentil organisateur nous prévient aimablement qu'il y en a pour une heure d'attente et que le guichet ferme à seize heures.
— Bref, inutile d'attendre?
— Ça dépend. Si un groupe scolaire de cinquante sort, la file va avancer d'un coup. Attendez dix minutes, vous verrez bien.

Nous attendrons jusqu'à moins dix. Pluie. Elle devient battante, un homme nous prête gentiment un parapluie, le jean colle aux cuisses, le tissu des basketts est transpercé. A moins dix, j'évalue qu'il n'y aura plus de miracles. Nous rendons le parapluie et filons au musée de Cluny.
— Tu sais à quelle heure il ferme?
— Non, mais c'est pas grave, au pire il y a une librairie à côté. (J'avoue, pure provoc, pour m'amuser. Ça marche.)
— Ma-man ! (scandalisé-exaspéré-non dupe).

Le musée a bien changé depuis la dernière fois (quand? Je ne sais plus, huit ou dix ans). Il est plus moderne, plus au goût du jour je suppose, mais je regrette les statues en bois du rez-de-chaussée, certaine Vierge en bois d'origine d'Allemagne du nord ou de Flandres, un peu renfrognée ou maladroite, que j'aimais beaucoup.
Il y a toujours la même surprise à être plongée hors du monde tout en pouvant le contempler par les fenêtres. (Et le plaisir inverse surtout, du boulevard pouvoir regarder les fenêtres et imaginer ce qu'il y a derrière.)

Il ne pleut plus. Nous sommes secs.

Ecole de médecine, coupole de l'Académie dans l'enfilade de la rue Mazarine, rue de Seine. Au 6, en face du square grande photo de Gide photographiée pour F. Pic (à venir). Ponts des arts, j'égrène les toits, cadenas, cadenas, cadenas, cour carrée. — C'est quoi? — Saint-Germain-l'Auxerrois, vous voulez entrer? — Nous, on veut juste rentrer à la maison.
Nous rentrons.


Le soir même, je lis les lignes suivantes:
Tu souffrais de mal de cœur en voiture, c'est vrai, mais tu ne paraissais pas autrement impressionné, de toute façon, par la villa Carlotta. La semaine suivante, tu n'as même pas voulu mettre pied à terre, à Frascati, pour entrer dans le parc de la villa Aldobrandini. Est-ce que j'ai lu dans Stendhal qu'on pouvait deviner la façade, par temps clair, depuis le sommet des escaliers, à la Trinité-des-Monts? Mais il n'y a plus de temps clair. A Ravello, tu refusas de marcher jusqu'à la villa Cimbrone. Nous n'irions pas ensemble à Paestum. Dans l'Orne, un dimanche d'automne, je n'ai pas pu visiter le haras du Pin: tu voulais être à Paris pour dîner, ne pas trop rouler la nuit, rentrer pour rentrer, me semblait-il, alors qu'il ne s'agissait jamais pour moi que d'une fatalité navrante, à repousser toujours autant qu'il se pouvait.

Élégies pour quelques-uns, p.24

Vaux, j'aime je n'aime pas

Je n'aime pas les jardins à la française, écrasés de soleil, sans ombre.
J'aime les croquis de Le Nôtre, son esprit géométriques et ses rêves. J'aime la bière locale (blonde: en 75 cl, elle n'existe que blonde) bue le long des haies en papotant.

Je n'aime pas le hall d'entrée, vide, disproportionné, humide, sans chaleur ni humaine, ni mobilière, ni immobilière.
J'aime la charpente, les outils et le vocabulaire des charpentiers. J'aime la vue du haut du clocheton. J'aimerais acheter une tuile (cinq euros) mais ce n'est pas prévu sur le site.

Je n'aime pas le destin de Fouquet, la trahison de ses pairs (quoi qu'il ait fait par ailleurs), l'enfermement durant 19 ans, le passage brutal des fastes au dénument. Je frémis d'horreur quand je tente de me représenter l'ennui de toutes ces heures à vivre inutiles et vides.
J'aime les photos de famille (dit-on Vogü-é ou Vogueuil?), le nom de duc de Praslins, la fidélité de Madame de Sévigné et de La Fontaine, et tous ceux qui furent fidèles alors que c'était dangereux.

J'aime le jeune homme qui n'a pas froid dans la cuisine (sa position contre le radiateur, les mains inoccupées, me rappelle Fouquet représenté dans son cachot), les chasubles des prêtres taillées dans les robes de mariées.

Je n'aime pas les réflexions des puristes, qui tordent le nez parce que les statues du jardin ne sont pas "d'époque" et que la bibliothèque a été reconstituée.
J'aime le kitsch de la boutique de souvenirs, si commercial, mais témoignant d'un attachement naïf de la part des acheteurs, d'une sorte de ''worship'ing'', d'un désir d'adoration ou d'esbrouffe qui m'émeut ou me fait rire.

La gloire c'est : signer une tuile de Vaux (de l'ardoise d'Angers) et qu'elle soit exposée sous vitrine plutôt que posée sur le toit.







Note en mai 2015.
Cette journée devait être une sortie cruchons mais finalement seuls Patrick et Aline sont venus. J'étais tellement en larmes que j'ai songé à annuler. Je m'en suis empêchée, me tenant à la conviction qu'il ne fallait annuler aucun engagement, que tout renoncement ne ferait que renforcer mon sentiment de vacuité et de ratage.
J'ai caché mes larmes comme je pouvais, et au fur à mesure de la journée c'est allé mieux, grâce à leur conversation.

La Pérouse

Je voyais Paul une fois par semaine mais je n'osais pas raconter nos rencontres ou ses souvenirs: j'avais peur qu'il ne découvre ce blog et qu'il me juge indiscrète. Ou qu'il le lise, m'obligeant dès lors à me censurer.
(Je lui prêtais sans doute bien plus d'habileté qu'il n'en eut jamais: il s'essaya à l'informatique deux ans trop tard, j'aurais dû insister pour qu'il s'y mette dès qu'il m'en parla. Je n'ai pas osé, plus exactement je ne me sentais pas le droit d'insister, et deux ans plus tard, c'était devenu trop déroutant pour lui, il s'énervait trop vite quand il ne comprenait pas. Il voulait comprendre son ordinateur comme il avait compris sa voiture («Ma première voiture, je l'ai démontée et remontée pour comprendre comment elle fonctionnait»), il ne pouvait accepter d'utiliser sans jamais accéder au coeur du système (quoique dans ma folie je lui eus ramené un ouvrage de vulgarisation sur les ordinateurs (micro-processeurs, carte-mère, etc): s'il voulait comprendre, je voulais l'aider).)
Aujourd'hui ce sont ses petits-enfants qui pourraient trouver ces lignes. J'ose imaginer qu'elles leur feraient plaisir, peut-être qu'ils y découvriraient des aspects inconnus de leur grand-père. Au pire il serait toujours possible de passer ces notes hors ligne.

Ainsi, ce billet avait été rédigé après la visite privée de l'exposition La Pérouse au musée de la Marine à laquelle j'avais été invitée par Paul. A l'époque sa femme allait très mal et il était déjà fatigué. Il n'y avait pas de quoi s'asseoir (conférences (assis) (avec la présence d'un descendant de La Pérouse, aujourd'hui installé aux Etats-Unis, et de chercheurs, animés de la conviction que La Pérouse, en savant qu'il était, avait forcément protégé ses notes, son travail, et qu'il avait dû les enterrer (et leur vie entière à imaginer, à tenter de déchiffrer un code dans les documents retrouvés, un code qui leur permettrait de retrouver la malle forcément cachée… Il me semblait écouter Tournesol dans Le secret de la Licorne)); visite (debout); l'inévitable cocktail (debout): Paul était épuisé mais voulait le cacher, il me fallait donc faire semblant de ne rien remarquer.)

Evidemment, depuis ce soir-là, le passage de Proust a acquis pour moi une nuance supplémentaire, illustrant ce point. (Proust parle donc de la deuxième expédition, celle de Dumont d'Urville qui trouva l'île (contrairement à d'Entrecasteaux) mais non les restes le La Pérouse).

Musée Balzac

«Balzac était très bavard. Les jours où il devait y avoir beaucoup de travail à l'étude, Maître Guillonet-Merville lui disait: "Demain il y aura du travail, restez chez vous"».


Sur le mur de la maison de Balzac, rue Berton à Passy.


Beaubourg

Parti un peu en catastrophe voir les feuillages de Lucian Freud. Passé à la librairie du centre Georges Pompidou afin de préparer les enfants à ce qu'ils vont voir (et pour regarder les cartes postales: excellent endroit pour acheter une carte postale poilue).
En feuilletant le catalogue Freud, A. tombe sur un homme nu allongé, sexe exposé en premier plan:
— Je pensais que c'était interdit, me dit-elle.
Je suis surprise. Ah tiens, malgré la télé qu'elle regarde et les BD qu'elle lit, elle imagine donc qu'il reste des sujets qu'on ne peut pas peindre, et qu'il y a des lois pour cela? Je réponds avec force:
— Mais non! Mais évidemment, comme ce sont les hommes qui peignent, ils préfèrent peindre des femmes à poil.

Nous étions venus voir Freud, nous aurons vu Erró (Des cartoons, chic!… Des cartoons, beeeuuuh… Réactions des enfants (11 à 14 ans) car nous avons remonté l'expositions Erró à l'envers et commencé par le plus hard, dans tous les sens du terme) et un film sur Patrick Jouin qui montre la réalisation de divers objets: chaudement recommandé pour toute personne fascinée par les conceptions industrielles, la machine à emboutir les cuillères à soupe, le laser à faire fondre des micros-particules de plastique (0,3 mm) ou la résine incorporée sous vide à une structure en carbone… (Mais où se trouvent donc ces usines magiques?)
Nous apprenons à faire cuire les pâtes à la façon du risotto (??!) et qu'on se déplace en vélib dans les ateliers qui fabriquent la nouvelle sanisette parisienne (gratuite, lavée à l'eau de pluie recyclée).

En sortant je me trompe de direction et nous passons par hasard devant cette affiche, qui répond très précisément à la question de A. posée beaucoup plus tôt. Hélas elle ne lit pas l'anglais.




J'ai imaginé le public féminin entrant nu à Beaubourg et je me suis dit que cela ne gênerait pas grand monde, au contraire.
Quel mauvais slogan.

Recoin

Au Louvre, il existe tout au bout des galeries de peintures italiennes et espagnoles une pièce de trois mètres sur trois contenant des icônes. On dirait un oratoire. On y est absolument tranquille, comme dans la plupart des pièces qui flanquent le hall principal.

Au Louvre

En adhérant à la société des amis du Louvre j'ai l'impression d'avoir loué le Louvre, d'y être désormais un peu chez moi. Fini l'impératif de voir vite un maximum de choses pour amortir mon billet, à moi le temps de la promenade. J'y entre pour rien, même une demi-heure, je ne regarde rien, j'arpente les couloirs et les escaliers, je mesure la hauteur des plafonds à mon essoufflement, je me souviens de Skot disant que le Louvre était vide si on évitait les salles italiennes ? je ne vais jamais dans les salles italiennes, je vais voir trois fois les expositions, j'apprends à m'orienter en regardant par les fenêtres, je fais des photos stupides (ie, qui ne valent rien) avec mon téléphone. J'aime la salle des caryatides, j'ai l'impression d'être au centre du château.

A midi, j'avais l'intention d'aller voir la collection de dessins de Pébereau, mais je n'avais plus le temps (j'étais passée à la poste du Louvre, le plus agréable bureau de Paris que j'ai fréquenté à ce jour: je fais un détour pour avoir affaire à eux). Je suis restée au rez-de-chaussée, j'ai erré une fois de plus autour des murailles du Louvre médiéval, remarquant une sculpture très "tee-shirt mouillé" dans le cadre de l'exposition "De Smyrne à Izmir".


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Une fois de plus j'ai visité la salle Saint-Louis, que j'oublie toujours et qui me serre le cœur. Toutes ces vieilles pierres me serrent le cœur; qu'ont-elles vu, combien de secrets politiques et d'intrigues amoureuses en hennin ? (toujours la surprise que le château illustrant Les très riches heures du duc de Berry ne soit pas imaginaire), que pensent-elles des touristes en short et des appareils photos, des ribambelles de gamins traînés ici qui chahutent par désœuvrement, regrettent-elles d'avoir été déterrées et réveillées il y a une vingtaine d'années?

Peter Doig

La rubrique "expositions" n'existe pas. Ce n'est sans doute pas un hasard.
Sur les conseils d'un grand manitou (dont je m'amuse désormais à deviner s'il sera plus embêté que je le cite ou que je ne le cite pas (Môôssieur n'étale pas ses sorties, LUI (mais cependant,... enfin bon, j'aime bien l'embêter))), grâce à qui j'avais déjà vu "Figurations narratives" au Grand Palais, je suis allée voir l'exposition Peter Doig. J'avais repéré les affiches dans Paris cet été, mais la figure de l'esquimau m'ayant évoqué Jean-Marie Gleize, j'avais été rebutée.

X. m'ayant donc encouragée (et ayant attiré mon attention sur la date de fin prochaine de l'exposition), je suis allée voir Peter Doig.

Je ne l'ai pas regretté.

Grandes toiles. Tableaux amicaux, bienveillants. Omniprésence de l'eau, les arbres comme des algues. La critique parle de "paysages oniriques", je parlerais de paysages lacustres. L'eau est représentée sur la toile, peu à peu elle prend possession de la toile, sur le dernier tableau présenté, elle fait partie du tableau en tant que matière, la peinture délavée ayant coulé sur la toile comme de la peinture sur de la soie. Trop d'eau, aurait-on pensé si l'on ne venait pas de voir les quinze ans de peinture précédente.
Toujours de l'eau, une flaque, un peu de mer dans un coin. Ou de la neige, collée comme du chewing-gum. Magnifiques sapins oranges peints comme au pochoir (peints au pochoir?), toile lisse, plaisant changement si l'on songe aux tartines habituelles.

Peinture sereine.
Je découvre cet usage qui consiste à offrir un tableau à un musée en hommage à un tiers : «Collection particulière. Don partiel et promis au Museum of Modern Art, New York, en l'honneur de Kynaston McShine».
Voilà qui ne manque pas d'élégance.

C'est étonnant comme certains tableaux peuvent avoir une présence humaine. On dirait des amis.

Souvenirs de vacances

* lundi
Chez ma grand-mère du côté de Bourges.
Après-midi à Issoudun : pélerinage sur les traces de l'enfance de H. Un peu décevant, comme il se doit. Superbes arbres de Jessé dans les hospices transformés en musée.
Nous passons à quelques kilomètres de Civray, où est né mon père. Je n'y étais jamais venue.
Le soir, réfugiés dans notre chambre, nous faisons côte à côte le ménage dans nos portables. H. exhume cette vidéo (c'est une vengeance: j'imite la cornemuse depuis la veille, quand il m'a imposé la bande-son du Jour le plus long).

* mardi
Cathédrale de Bourges (restauration avec quelques touche de polychromie (très joli)) et Palais Jacques Cœur (comme on dit chez moi, mais apparemment, il faudrait dire «la grande maison»).
C'est la troisième fois que je le visite. Finalement, c'est un peu comme les traductions, on peut recommencer tous les cinq ans, il y a des modes. Celle en cours veut qu'on expose tout ce qu'on ne sait pas, tout ce qui n'est pas sûr, toutes les suppositions. Cela m'agace. Je préfère rêver en visitant, et douter en lisant.

* mercredi
Je continue à mettre à jour mon carnet d'adresse sur ordinateur, qui permet de synchroniser les anniversaires avec iCal. C'est une manie innocente et chronophage.
Connaissez-vous Les cadavres ne portent pas de costard et les crises du héros déclenchées par les mots "cleaning woman"? Après le dîner, tandis qu'une partie d'entre nous regarde France-Suède d'un œil vague, ma mère nous fait une crise effarante sur le même modèle. Les mots déclencheurs sont "lièvre au chocolat". J'ai l'habitude de ces explosions incompréhensibles au téléphone (ou plutôt je les redoute, et je tremble de téléphoner), en live, c'est très impressionnant.

* jeudi
J'apprends la mort de Tony Duvert dans La Nouvelle République du jour. Je découpe l'article.
Visite du château de Blois. Très belles polychromies dues à Félix Duban. Ma tante nous racontait qu'il y a quelques années ma grand-mère avait sursauté en écoutant la description du guide racontant de meurtre d'Henri de Guise à l'endroit même où ils se tenaient; je me souviens qu'on nous indiquait la pièce de l'assassinat; aujourd'hui on nous explique qu'on sait que cela s'est passé à l'étage, mais qu'on ne sait pas où: l'exactitude (ou l'imprécision, ce qui est ici la même chose) y gagne ce que le charme y perd.
Quand j'étais enfant, la bibliothèque municipale occupait six pièces de l'aile Gaston d'Orléans, dont deux ouvertes au public: six mètres de hauteur, plancher, rayonnages jusqu'au plafond. Cela a disparu avec Jack Lang. Je pensais qu'il avait récupéré les pièces pour en faire quelques chose de grandiose, je suis affreusement déçue par de petites pièces basses de plafond et sans fenêtres: ce sont de petits décors aveugles et sombres.

* vendredi
Rentrés à la maison, tranquillement.
Arrêt à Notre-Dame-de Cléry. Les hirondelles nichent dans les moulures des portails. J'aime profondément cette église, à cause de la chanson, de son histoire, de son délabrement. Je redoute le moment où elle sera entièrement restaurée.
Il pleut.

13 août

Cité de l'architecture. Relevé les noms des églises possédant des peintures murales dans l'Indre, l'Indre-et-Loir, le Cher et le Loir-et-Cher. Agacée par la mauvaise volonté des enfants. Je ne supporte plus leur mauvaise humeur, leur bouderie, leur façon de traîner les pieds. Que faire, sortir sans eux, les laisser devant leur ordinateur? A vrai dire, je préfère, je suis bien plus tranquille, mais je vais me faire traiter d'égoïste — ce que je suis, je le sais, et sans beaucoup d'états d'âme.

Roissy, récupéré C. Pas vraiment envie de le revoir, il nous a si parfaitement oubliés que j'en ferais bien autant.

De Roissy à Yerres, lu Les vacances du petit Nicolas, commencé Le petit Nicolas a des ennuis. C'est l'inverse de La Gloire de mon père: je ris aujourd'hui à Pagnol que je ne comprenais pas à douze ans, tandis que Goscinny qui me faisait rire me paraît maintenant bien mécanique, avec des ficelles à la Major Thompson.

Trois semaines

— Tu pars où en vacances ?
— Je reste chez moi.
— ???


- finir le boulot que j'ai ramené à la maison (avant la fin de ce week-end, si possible) ;
- finir les trois billets en cours sur Cerisy ;
. 1/ le 18/08/2008
. 2/ le 26/08/2008
- terminer les notes sur la patristique (il y a un fou qui me l'a demandé!) ;
une le 30/08
- mettre à jour mes blogsroll en répartissant les liens en fonction du "style" de mes deux blogs ;
. fait à peu près le 13/08 + le 30/08
- terminer la reprise/sauvegarde des messages écrits de la SLRC que je veux conserver ;
. j'ai atteint juin 2005, il me reste un an à reprendre.
- harmoniser les catégories ;
- avancer les deux billets d'indexation de l'autre blog;
- aller au cinéma ;
. 10/08 : Mariage à l'italienne
. 12/08 : Le voyage de Primo Levi
. 14/08 : Wall-e
. 24/08 : Babylone A.D.
- voir ma grand-mère, passer chez mes parents ;
. OK du 18 au 22/08
- visiter quelques musées/églises/châteaux ;
. 13/08 : cité de l'architecture
. 18/08 : musée des hospices d'Issoudun
. 19/08 : cathédrale de Bourges (assez vite), palais Jacques Cœur
. 21/08 : château de Blois
. 22/08 : Notre-Dame-de-Cléry
- m'occuper du jardin (une heure par jour? deux heures?) ;
. 09/08 : tondu la pelouse
. 31/08 : les rosiers, un peu
- aller en salle de sport (quatre fois par semaine?) ;
. 10/08 (courbatures atroces); 16/08; 17/08; 23/08; 24/08; 29, 30 et 31/08
- ranger cette rognûtdjû de maison (ou au moins le dernier étage, les papiers et les livres (je fais si souvent des allusions à mes classements de papiers que je n'ose plus en parler)).
. journée du 15/08, après-midi du 17/08.
. le 26/08, fin de la chambre, le 27/08, fin du 2e étage avec réorganisation des archives en prime, le 29/8, rez-de-chaussée.
. le 31/08, premier étage

Et puis, éventuellement, lire et bloguer un peu ...


Un logiciel de To do list qui me plaît.


A une époque, je faisais des emplois du temps précis que je respectais. Puis j'ai fait des emplois du temps précis que je ne respectais pas (grosse frustration). Puis j'ai arrêté de faire des emplois du temps quand je me suis aperçue que si j'additionnais tout ce que je devais faire à tout ce que j'avais envie de faire, cela ne tenait pas en 24 heures (sans sommeil, évidemment) (je favorise largement la deuxième catégorie depuis que les enfants ont grandi).
Aujourd'hui j'essaie de m'organiser un peu plus.
Mais bon. La vie matérielle ne m'intéresse pas beaucoup.

Larchant

J'ai profité d'une transversale Pithiviers Bois-le-Roi pour m'arrêter à Larchant. J'avais gardé de l'église Saint Mathurin en ruines un souvenir émerveillé, quelque chose venu du fond des âges dont l'absence de restauration permettait soudain de prendre conscience de la restauration de toutes les autres églises et de tous les autre monuments. On se mettait au centre de la tour au clocher manquant, on regardait vers le haut, on calculait la probabilité de se prendre une pierre sur le nez.
Trois ans plus tard, j'ai été un peu déçue, les forces de l'ordre sont passées par là, ce sont désomais des ruines propres et blanches, bien sages dans leur robe de ruines.

Plus de calmes blocs chus, mais encore des pierres contre le ciel, heureusement.

(toujours des photos de téléphone).

Je conservais de l'intérieur le souvenir d'une nef humide, de la paille s'échappant par poignées du plafond, une impression d'écroulement imminent sous le poids des ans et par absence d'entretien.
Ai-je imaginé cela? Cela semble si loin. Le plafond est propre, la voûte du chœur formée de petites briques beiges ou ocres; des vitraux blancs éclairent le transept, des vitraux bleux la chapelle de la Vierge.
Ai-je rêvé?

détail d'un des vitraux blancs

Huysmans et Gustave Moreau

Il y a longtemps que j'aurais dû visiter le musée Gustave Moreau. C'est en effet l'un des premiers peintres qui m'ait marquée quand j'étais au lycée et que je m'ennuyais : Salomé illustrait mon livre de français de seconde.
J'ai travaillé trois ans à deux pas de ce musée, mais a-t-on idée d'être un musée qui ferme entre midi et deux ?

Cette fois-ci j'avais une motivation supplémentaire, une exposition mettant en évidence les relations entre Huysmans et Gustave Moreau, et peut-être une deuxième motivation, un attachement à ce blog.

Le musée Gustave Moreau est ce que j'aime, davantage une demeure particulière (comme celui de Delacroix) qu'un vaste établissement impersonnel.
Evidemment, cela suppose que le public l'ignore, car il ne pourrait accueillir grande quantité de visiteurs à la fois.
Il y fait trop chaud (c'est étonnant).
Le premier étage est charmant, les pièces minuscules, gonflées de meubles et de tableaux qu'on peut à peine voir, retenus que nous sommes par une rambarde qui nous empêche d'approcher et de piétiner les tapis et casser la porcelaine. Tout cela est très chargé, c'est tout de même étrange d'avoir constitué son propre musée de son vivant. On pourrait vivre ici en enlevant quelques meubles et en ouvrant les fenêtres, Dieu qu'il fait chaud.

Au deuxième étage se tient l'exposition, qui n'est qu'un prétexte pour visiter le musée: quelques pièces rassemblées là, le manuscrit d' À rebours, très raturé dans un gros livre relié, des lettres autographes (très belle écriture de Jean Lorrain), des extraits des critiques de Huysmans. Les ébauches et dessins préparatoires pour l'illustration des Fables de La Fontaine sont exposés, c'est inattendu et me plaît beaucoup: simplicité et précision du dessin, grande décision dans la couleur et dans le trait. C'est finalement ce qui me frappe dans les tableaux de Gustave Moreau: la décision, cette décision qui contraste si fort avec le déferlement des couleurs et des ors, avec l'atmosphère onirique et fantastique. Rien n'est flou dans ce monde vaporeux ou rêvé.

Deux étages, quelques toiles immenses, tout le temps que l'on veut pour rester devant les toiles, peu de monde, la certitude qu'ici on a une chance de voir tout ce qui est exposé (deux pièces, ce n'est pas si grand), même si bien sûr au bout d'une dizaine de tableaux il vaut mieux arrêter et se dire qu'on reviendra.
Le même titre sert à trois ou quatre toiles, on ne sait plus bien laquelle est l'ébauche de laquelle, j'aime beaucoup une Marie-Madeleine assise au pied du calvaire, les jambes tendues, dans une position inconfortable et laide laissant transparaître le désespoir. Je découvre les talents de copiste de Gustave Moreau qui paraît avoir copié les artistes les plus divers, au dernier étage se trouve une copie du Saint Georges de Carpaccio qui me paraît plus claire que l'original.

Le cri du cœur du touriste épuisé

Une petite pièce attenante à Sainte-Marie-Majeure sert de boutique à cartes postales ; une grosse Américaine erre devant la porte. La vendeuse s?interpose, l?entrée par cette porte est interdite.
La grosse Américaine la détrompe, elle ne veut pas entrer, elle veut sortir.
— No more church ! s'exclame-t-elle avec conviction.

Problème de robinets version romaine

Premier jour de vacances, debout à sept heures pour rejoindre deux amis sous les murs du Vatican à neuf heures dix.
Le projet, formé la veille au soir, consiste à arriver tôt afin de faire la queue pour visiter la chapelle Sixtine. La Cité ouvre ses portes à dix heures.
A neuf heures, la queue est déjà immense. H. commence son audit, il disparaît, revient, ses premiers relevés estiment à cinq personnes par mètre le nombre de touristes, la file devant nous fait six cents mètres. H. nous apprend que des cars entiers déversent des groupes à l'entrée du musée: pour eux, les portes sont ouvertes à partir de huit heures.
Nous essayons de calculer la vitesse d'écoulement de la queue, afin d'estimer à quelle heure nous allons arriver aux portes du musée, sachant que nos amis doivent nous quitter à quinze heures pour prendre l'avion. C'est difficile, nous ne savons pas combien de guichets sont ouverts. Combien de temps faut-il compter par personne pour l'achat d'un billet, deux minutes, trois? Est-il raisonnable d'estimer qu'une personne paie en moyenne pour trois, accélérant d'autant l'écoulement (si l'on estime, comme H. insiste pour le faire, pour considérer que le paiement au guichet constitue le goulet d'étranglement du processus)?
On rit, on suppute, il fait beau, le ciel est très bleu, H. nous achève en nous apprenant que le vendeur de pizzas au premier angle de la citadelle propose à la file devant sa boutique de réserver sa pizza pour midi.

Nous abandonnons et nous allons nous promener sur le Forum.

Le château de Grosbois

Dimanche, ciel de pluie.



Se casser le nez

L'une des raisons pour lesquelles j'ai abandonné les visites de châteaux, expositions, musées, outre la réticence de mon entourage, c'est la difficulté à dompter horaires et calendrier. C'est un monde où l'exception est la règle et où le théorème de Murphy s'applique systématiquement: fermé le week-end alors que vous n'êtes libre que le week-end, ouvert le week-end alors que vous serez reparti, fermé à partir de 16 heures, ouvert à partir de 16 heures, fermeture exceptionnelle... Grrrrr. Cela m'exaspère.
Il faudrait téléphoner systématiquement, ce qui m'exaspère également.


Lundi, j'avais l'intention de visiter le musée d'Art moderne de la ville de Paris. Le bâtiment est désert, sinistre, les tables sur la terrasse prennent l'eau dans l'attente que celle-ci se transforme en mouss, les fenêtres sont sales, tout respire l'abandon. J'aurais pourtant juré que ce musée avait rouvert au printemps. Je feuillette fébrilement L'officiel des spectacles: le musée est ouvert tous les jours sauf le lundi.
Je maudis les petits malins qui ont voulu se démarquer des jours de visite des musées nationaux, sur lesquels je m'étais intuitivement appuyée (jour de fermeture le mardi). Je suppose que cela permet d'avoir un musée à visiter le mardi...

Qu'à cela ne tienne, un coup de fil à C. pour qu'il nous rejoigne à l'hôtel de Soubise, que nous tenons à visiter depuis les concerts "des jeunes talents" auxquels nous avons assisté. Nous arrivons essouflés, une heure avant la fermeture des guichets (en espérant que la fermeture des guichets ne coïncide pas avec la fermeture du musée): il était inutile de tant se dépêcher, le musée est exceptionnellement fermé pour réfection jusqu'au 21 août.

Vendredi, j'emmène C. visiter le château de Champs, résidence de la duchesse de Pompadour avant qu'elle n'achète Ménard. A la suite de divers malentendus, nous n'avons pas déjeuné et nous nous arrêtons au café manger un sandwich (rillettes pour l'un, saucisson sec pour l'autre) et boire un coca. À côté de nous une femme sans âge dans un anorack léger gris/kaki parle toute seule en scrutant l'écran de télé par dessus son épaule: «douze, dix-sept, dix-huit, zut il m'en manque un, si j'avais coché le dix c'était bon». Elle a l'air désespérée, elle fouille dans son sac, se lève, va faire enregistrer une autre grille, je regarde l'écran, en bas à droite s'affiche «prochain tirage dans:» et les secondes défilent dans un compte à rebours. Il y a un tirage toutes les trois minutes, je suis éberluée, je m'empare d'une grille sur la table d'à côté pour lire les instructions.
La femme revient, se rassoit, le manège se répète. Le patron qui jouait aux dés au comptoir avec un client vient s'assoir en face d'elle, visiblement il a perdu, il crie à la serveuse d'un air mi-furieux, mi-dégoûté: «donne-lui ce qu'il veut, trois sandwiches s'il veut.» Il ajoute à la cantonnade: «On croit qu'ils jouent aux dominos, mais ils en veulent à votre chemise.» Le client, un jeune homme, rit, penaud.

Nous quittons le café. C'est le dernier bâtiment sur la route avant le château, et c'est surprenant, ce château ainsi dans la ville (une ville très basse, austère, sans grâce). Des douves, une grille, un aimable gardien qui nous invite à entrer: «Ce n'est pas payant? — Euh... Le château ne se visite pas, on a eu des problèmes d'infiltration l'année dernière».
Je suis furieuse et déçue, je regarde C.; maintenant qu'on est là, autant visiter les jardins.
Le jardin à la française est immense, quelques herbes folles profitent déjà des vacances des jardiniers. Une très belle fontaine représente Scylla, entourée de monstres qui ressemblent à des loups. Nous nous arrêtons lire quelques minutes sur un banc, mais le vent est trop froid pour rester immobiles longtemps. Au loin, entre les arbres, on aperçoit des immeubles et une tour de radiodiffusion, un autre monde.
En revenant, un coup d'œil à travers les carreaux nous permet de regretter encore davantage que les visites soient suspendues. Qu'il vous suffise d'imaginer que le château a servi de décor au film Les liaisons dangereuses.

La Vallée-aux-Loups

Jeudi matin.

A force de voir Guillaume et Philippe[s] visiter des lieux près desquels j'ai grandi sans jamais y avoir mis les pieds, j'ai fini par ouvrir le Guide vert de l'Ile-de-France.

A ma grande surprise, j'ai découvert que la Vallée-aux-Loups se trouvait à une demie-heure de la maison : à cause sans doute des magnifiques photos du parc, je l'imaginais en Normandie, malgré un récent journal camusien me prouvant le contraire — «Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances».

A 11 heures du matin, le parking était désert et j'étais la seule présente pour la visite guidée qui allait commencer.
Le guide ayant eu un empêchement, une femme me tendit une feuille A3 imprimée et m'annonça que j'allais devoir faire seule la visite — en sa présence. Un peu surprise, je demandai: «Vous avez peur que j'abîme quelque chose?»
Quelle stupide chose à dire, elle sourit sans répondre, mais je continuai, emportée par l'élan: «Vous allez vous ennuyer!»
Ainsi commença la visite, lecture du paragraphe concernant la salle, observation de la salle, je regarde les meubles, observation de la vue (Quels arbres magnifiques, plantés de façon à donner de la profondeur au paysage. La pelouse est tondue sur trois niveaux, une bande rase de trois mètres, puis une bande d'herbes plus hautes, puis à quinze mètres de la friche), retour à la salle, lecture des cartouches le corps penché au-dessus du cordon de velours, la tête tordue, je pense que dans quelques années je ne pourrai plus lire si facilement, profitons pendant qu'il est temps (il n'y a pas si longtemps que j'ai compris que Mignonne allons vois si la rose n'était pas mufle, mais tout simplement vrai).

Deuxième salle, le guide arrive transpirant, vouant le RER aux gémonies, racontant à sa collègue une sombre erreur d'annonce fausse et de mauvaise correspondance. Sans reprendre souffle, il enchaîne sur la description de la salle où nous nous trouvons. Récit de l'achat de la Vallée-aux-Loups, récitation de la longue phrase à propos du silence accompagnant la tyrannie qui a provoqué la colère de Napoléon, présentation d'un lourd volume et de ses gravures... Il dégage une étrange odeur, est-ce cela, le camphre? Tout le long de la visite, il fera preuve d'un véritable amour pour l'œuvre de Chateaubriand, me résumera Atala, rendra justice à Mme de Chateaubriand, s'attachera à se déclarer, à plusieurs reprises, profondément républicain, et se montrera par moment d'une étrange vulgarité, présentant le mur consacré aux maîtresses de Chateaubriand comme «Chateaubriand et ses copines» et utilisant le terme de sympa à propos de tout et de rien, une commode, les fleurs entourant le double escalier, un parquet bien restauré... Il fait une remarque amusante à propos de la «mode Atala» (vaisselle, gravures, etc), imaginant avec raison qu'aujourd'hui il y aurait sans doute des tee-shirts Atala.
L'histoire de Madame Récamier venant mettre au propre la première version des Mémoires à la Vallée-aux-Loups vendue, sans avoir le droit d'y inviter l'ancien propriétaire, me serre le cœur.

Une partie du bâtiment, sur deux niveaux, est une bibliothèque et un centre de recherche. Elle ne se visite pas, c'est un lieu d'études, mais comme nous seuls, il me fait entrer quelques minutes: c'est une bibliothèque qu'on a pris soin de meubler en plaquage d'érable, dans les tons du reste de la demeure.

Je vais me promener dans le parc. Il est finalement le seul vrai témoin de l'époque, les pièces de la maison n'étant que des reconstitutions. La tour Velléda est minuscule dans la pénombre des arbres qui l'enserrent.
Il fait beau, on entend au loin le grondement permanent des voitures, tout est si tranquille, la pelouse en friche est destinée aux oiseaux, il est interdit de quitter les sentiers, le milieu est fragile nous préviennent diverses pancartes.
On passerait sa vie ici.

La bataille du crépi

Le château de Jarcieu présente plusieurs caractéristiques intéressantes :

- il est si difficile à trouver que l'association qui le gère a mis une affichette à l'entrée : "Nous ne sommes pas responsables de la signalétique routière, si vous avez eu du mal à nous trouver, nous en sommes désolés."

- les deux derniers propriétaires, frères, "n'avaient pas les mêmes goûts", nous a indiqué pudiquement le guide : une ligne partage la façade au-dessus de la porte principale; à gauche la façade est crépie, à droite la pierre est apparente.
Le frère préférant le crépi vivait sur place, le frère préférant la pierre ne venait que pour les vacances.

- j'ai enfin vu la mythique tasse pour droitier. Dans le petit musée de la faïence attenant au château se trouve une tasse à chocolat pour moustachu : à environ un centimètre du bord à l'intérieur du récipient une plaque de porcelaine ferme un tiers de la tasse en ne laissant qu'un étroit passage pour le liquide à l'endroit où l'on pose les lèvres. Cette plaque empêche le liquide de toucher les moustaches. La position de la plaque par rapport à l'anse prévoit que la tasse soit tenue de la main droite.



- Exposition sur les éventails. Langage des éventails.
- Lieu où fut signé l'édit de Roussillon par Charles IX, fixant le début de l'année au 1er janvier pour toute la France.

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