Billets qui ont 'Oberiberg' comme ville.

A pied dans la montagne

(Le blog est en carafe. Je rédige les billets dans TextEdit en attendant de pouvoir les publier).

Petit déjeuner sur la terrasse encore. Nous préparons soigneusement notre sac, nourriture et jeans contre la pluie, mon ciré rouge acheté l’année dernière au Mont-St-Michel dont il est prouvé qu’il a le pouvoir d’arrêter la pluie. (Conversation un matin: — Ce chat regarde la porte comme si cela avait le pouvoir de l’ouvrir. — Dans son expérience, ça a ce pouvoir : la porte finit toujours par s’ouvrir. (Silence.) — Aaah. Tu veux dire que c’est comme la danse de la pluie, il finit toujours par pleuvoir?)

Nous avons tellement peur de rater le bus que nous sommes une demi heure en avance à l’arrêt (il faut dire que nous pensions prendre un bus jaune à neuf heures moins le quart, c’est un bus rouge à neuf heures, nous n’avions pas regardé les bons horaires). L’allemand du chauffeur n’est guère compréhensible. Nous héritons de trois tickets : deux tickets à quatre francs quatre-vingt et un à cinq. Qu’est-ce que ce troisième ticket? Un forfait pour les non-abandonnés? «Je n’ai pas compris ce qu’il disait. Un instant j’ai pensé que c’était une assurance», me dit O. qui est le traducteur officiel du voyage.
Nous reprenons la route d’hier vers Ibergeregg. Je suppose que les gens du coin connaissent les horaires des bus et n’empruntent pas la route à ces heures-là. A trois ou quatre reprises, une barrière en travers de la route ne laisse la place que pour un véhicule et l’oblige à passer sur des rouleaux (nous supposons que le dispositifs est destiné à contenir les vaches). Même habitué le conducteur s’engage lentement, il y a juste la largeur pour son bus.

Nous descendons à Ibergeregg. Nous suivons le chemin des crêtes ouvrant sur plusieurs vallées, chemin panoramique de Schwyz. Balisage jaune, chemin gravillonné gris. Les vaches montent réellement très haut dans les alpages, je ne pensais pas qu’elles avaient le pied aussi aventureux. Visiblement les sapins doivent protéger des insectes car elles s’enfoncent dessous au maximum.
— Quand on y pense, c’est tout petit le cerveau d’une vache.
— Hmm. Je ne sais pas s’il y a des cerveaux plus gros que celui de l’homme. De quelle taille est celui d’un éléphant?
— Celui du dauphin est à peu près de la taille de celui de l’homme, à cause du sonar qui prend beaucoup de place.
(Dans la série: « le geek est plein de savoirs inutiles. »)

Longtemps nous avons en vue Brunnen au bord du lac, c’est magnifique. La vue plonge vers plusieurs vallées. Le chemin relie plusieurs stations téléphériques, nous sommes en haut du domaine skiable. Chapelle de Laucheren, ne payant pas de mine à l’extérieur, bois gris battu par la neige et la pluie, très jolie et très nette à l’intérieur. Il y a des messes chaque dimanche de l’été: qui y assiste? Je pensais que nous serions sur un chemin très fréquenté; nous sommes absolument seuls, tout est désert. Déjeuner sur la terrasse déserte de la station ou du mont Wildä Maa (1850 mètres, 1850 m.u.M, meter über Meer). Je dors dix minutes sur les planches. Crème solaire. Coups de soleil. Un peu d’hésitation ensuite: redescendre, comme il serait prudent puisque nous sommes peu entraînés, ou continuer jusqu’à Sternen?

Nous continuons. Au pied de l’arrivée du téléphérique nous commençons la descente à travers champs. Le chemin si bien balisé jusqu’ici se fait davantage invisible dans les herbes. O. interprète les piquets rouges et blancs comme du balisage, moi comme le reste des pistes de ski — mais ce n’est pas incompatible. Nous sommes assaillis de mouches et de taons que nous tuons du plat de la main ou à coup de casquette (comme nous oublions vite que la vie avec le bétail, c’est la vie avec les mouches (enfin, oublier : encore faut-il l’avoir connu, ce qui est mon cas)).
La descente est très raide, mon genou gauche encaisse mon poids à chaque pas, par moment il s’agit presque d’un escalier irrégulier dans la terre. J’ai très peur de glisser et de me faire une entorse — non pour la douleur, mais pour l’incapacité que cela représente ensuite.
Nous rejoignons une route goudronnée, reprenons un champ, une autre route. La crête était déserte mais déjà très domestiquée, ici nous avons rejoint la civilisation, trois ou quatre immeubles laids en bas des piste comme horizon. Le goudron est dur sous les pieds, surtout il dégage une chaleur désagréable au corps et une lumière désagréable aux yeux. La fatigue commence à se faire sentir. Un couple fauche ou tond un champ, elle armée de la soufflerie dont on se sert contre les feuilles à l’automne, lui à contre jour plus haut sur la pente torse nu aérant le foin à l’aide d’une fourche en bois.

J’attendais Seebli, on m’avait promis un étang. L’étang est là, vide. Des buldozers en curent le fond et ramassent une épaisse terre noire que des camions emmènent pour remblayer ou aplanir d’autres parties de terrain (nous n’avons pas compris à quel usage).
Contrairement à ce que je pensais, le téléphérique fonctionne. Apparemment il transporte les personnes à la demande. Une blonde en descend — mais d’où vient-elle?
Nous saluons un vieux paysan pipe au bec qui râcle les graviers de la route (de la piste, de la future route). Appuyé sur sa pelle il engage une conversation joviale, bousculant tous mes préjugés sur les autochtones que je supposais hostiles (vieux réflexe français anti-touriste? ou sentiment de notre ridicule (et vague embarras) à donner le spectacle de notre oisiveté passée à peiner volontairement alors qu’eux travaillent? Il a un accent terrible, nous évoquons la pluie promise, il nous assure qu’il ne pleuvra pas. «J’ai compris un mot sur trois» avoue O. plus loin, décontenancé.

Monter de nouveau, terrain plat autour de la montagne parmi les sapins, puis descendre, descendre. Nous apercevons notre immeuble loin dans la vallée. Nous descendons en zig-zag un dénivellé de six cent mètres à flanc de prairie, c’est presque un escalier, en moins confortable. Il nous manque un bâton de marche.
Heureusement que nous n’avons pas entrepris cette marche dans l’autre sens, d’Oberiberg vers Ibergeregg. J’y avais pensé, mais j’avais eu peur de ne pas marcher assez vite et de rater le dernier bus passant à Ibergeregg. Je n’avais pas voulu marcher sous la contrainte d’un horaire.
Heureusement qu'il ne pleut pas.
Nous sommes flappis, soulagés d'arriver, chacun inquiet pour l'autre.

Je voudrais trouver un restaurant, manger une fondue. O. propose d’en acheter une toute prête (il en a vu hier en faisant les courses) et de la faire nous-mêmes.
— Mais tu n’as pas de caquelon: il va falloir manger debout devant la cuisinière en tournant constamment le fromage!
L’expérience l’amuse et ça m’amuse que ça l’amuse.
— Ok, fait ton expérience. Je m’engage à ne pas râler et à t’aider à nettoyer si ça tourne à la cata (imaginant le fromage brûlé au fond de la casserole.)

Il a fait cuire deux demi-baguettes pré-cuites et fait fondre deux sachets de fondues pour « deux à trois personnes », indication sur la boîte (ce n’était pas clair: un sachet pour deux à trois personnes, ou deux, c’est-à-dire le contenu de toute la boîte?) Cela a fait beaucoup de fondue. Nous avons tout mangé, debout devant la cuisinière vitro-céramique, en riant.
J’ai peiné à récurer la casserole, elle a fini sur le balcon avec une fine couche de liquide vaisselle au fond. Pose pour la nuit.

J’ai pris un doliprane contre les coups de soleil et l’inflammation de mon genou droit. Je boîte.
Je me suis endormie brutalement.

Transit

Je reprends (ou tente de reprendre, le futur dira si c’est concluant) l’écriture des billets en voiture, car j’espérais me réveiller assez tôt pour bloguer et ce ne fut pas le cas. Or j’ai prévu de rattraper mon retard pendant les vacances — je prévois toujours de rattraper mon retard en vacances, comme si soudain le temps allait prendre une qualité enveloppante, élastique, et s’adapter mollement aux contours des actes, actions, activités rêvés ou réels et non s’égrener avec son impassibilité habituelle.)

Départ 8h 50. Sortie de Dijon. Les voitures se pressent — dans l’autre sens : tout le monde n’est pas en vacances et c’est à la fois une surprise et une satisfaction (sadique).
Des tracteurs, une moissonneuse, des camions. Nous remontons vers le nord, vers Montbéliard. Vézelay était un détour, la ligne droite nous aurait fait passer par Bâle. Il fait déjà chaud. Je lis un peu d’histoire suisse. La conclusion serait qu’il manque à l’Europe un Nicolas de Flüe, ermite qui au XVe siècle permit de réconcilier les villes et les campagnes suisses.

Avant d’arriver à Noidans-lès-Vesoul, nous passons sur un pont qui surplombe la caravane du tour du France Nous reprenons la N19. Quatre voies. C’est sans intérêt, mais il faut atteindre la frontière, nous verrons après à reprendre des petites routes. O. fatigue, je prends le volant.

Récit poursuivi le lendemain tôt. Le serveur du blog est inaccessible, je ne sais quand cela sera mis en ligne.

La journée sera sous le signe des erreurs et des changements de décisions. La N19 évite Montbéliard et Belfort, tant pis, je ne montrerai pas le lion à O. C’est « l’Européenne » 27 (E27) et elle continue en Suisse, droit devant. Nous passons la douane sur un coup de tête (contre l’avis de Waze), achetons le macaron pour l’autoroute (quarante-deux francs suisses puisés dans le pot à confiture qui contient notre fortune dans cette monnaie: soixante francs en billets, un peu plus de quarante en pièces, dont la minuscule et trompeuse pièce d’un demi franc), nous garons pour évaluer le chemin à prendre. Rien à faire, Waze est catégorique, pour aller à Oberiberg, il faut sortir de Suisse et passer par la France. Aller à Vézelay constituait un détour, le chemin le plus droit passait par Mulhouse. O. me montre la carte, Oberiberg est à peine plus bas que Dijon, comme d’habitude je voyais la Suisse plus au sud, bien plus bas, et je pensais passer par Bern. Eh bien pas du tout, le chemin consiste à aller vers l’est à hauteur de Bâle puis à plonger ver le sud.

Nous obtempérons, retour en France, routes de campagne, camions courts locaux ou polonais. Nous passons le Rhin à St Louis, postes frontières abandonnés, Allemagne, Suisse, Allemagne, tout le monde est à vélo et traverse sur les passages cloutés comme s’ils étaient seuls au monde, dans une exquise confiance dans l’attention des automobilistes.

J’ai vu le nom de Rheinfelden dans le parcours proposé par Waze, je me souviens des chutes du Rhin, je propose à O. de manger au bord, heure d’arrivée prévu à 13h30. Ça ira, pas trop faim?
Il fait trop chaud, nous recapotons. 31°. Rheinfelden, nous dépassons la ville, Waze nous emmène sur un chemin de terre, impasse, O. refuse de se garer ici et de marcher jusqu’au Rhin.
C’est bizarre, cela ne ressemble pas à mon souvenir.
Demi-tour, nous entrons en ville, je me gare à la diable devant des pavillons, tape « chutes du Rhin » sur mon téléphone. En fait les chutes du Rhin ne sont pas ici mais beaucoup plus loin, vers Schaffhausen, nous avons perdu du temps pour rien.
Tant pis, mangeons, cela devient urgent.
Sandwich au bord du Rhin (malgré tout!), supérette à la gare, Appfelschorle et Volvic. Il fait beaucoup trop chaud dans la voiture pour acheter quoi que ce soit d’autre. Le moral remonte.

Nous décidons de suivre les conseils de Waze. La Suisse du nord est plutôt laide, commerciale et industrielle (non la Suisse ce n’est pas que des banques et des vaches). O. découvre l’une des spécialités suisses : la tonte des prairies comme si c’était de la pelouse, le pays entier est tondu, rasé, ce qui donne un air extrêmement net à tout1.) Le revêtement des autoroutes est gris, des éclats de mica brillent au soleil, c’est ce revêtement magique sur lequel ne tient pas la neige. Un béton enrichi au sodium, suppose O.
Au loin les Alpes et les neiges éternelles.

34°, 35°, vitres ouvertes à chaque ralentissement, fermées dès que nous accélérons — relativement. La conduite suisse est reposante, peu rapide, avec des distances de sécurité respectées.

Direction Zürich que nous évitons. Je m’endors au volant, à vingt kilomètres de Zug nous quittons la route, montons un chemin de terre. Je gare la voiture à l’ombre d’un noyer (peut-être). Drap de bain au sol, je dors dix minutes. Quand nous repartons les Alpes semblent s’être beaucoup rapprochées — elles disparaîtront brutalement peu après pour laisser la place à un piton gris et proche.

Il fait toujours aussi chaud mais ça va mieux. Carte en main (au diable Waze et son efficacité), O. nous fait longer le Zugersee (lac de Zug) puis le Lauerzersee. Schwyz, la ville qui a donné son nom à la Suisse. C’est magnifique. J’espérais qu’il ferait moins chaud près de l’eau, mais las. Nous baissons la capote, nous sommes toujours entre 32° et 34°, de kilomètre en kilomètre. Je prends de l’essence: non seulement ma carte bleue est acceptée (je n’en était pas très sûre, elle n’est pas internationale) mais l’appareil passe aussitôt en français. Cela a vraiment fait des progrès en six ans.

Direction l’est. Route d’Ibergeregg. Montagne et sapins. Route étroite en à pic, avec de virages en virages des saillies pour permettre à une voiture de se serrer et autoriser les croisements. Nez nez avec un tracteur, je recule une trentaine de mètres vers le précédent encorbellement en aval pour le laisser passer. O. est heureux, c’est enfin la Suisse qu’il imaginait.

Oberiberg. J’ai réservé deux nuits via booking, dans la semaine j’ai reçu un mail nous demandant à quelle heure nous arrivions car « je n’habite pas sur place, il me faut le temps de venir », me disait le propriétaire. Cela m’avait paru bizarre: ce ne serait pas un hôtel? Aurait-il autre chose que des hôtels sur booking?
Bast, on verra bien. Cela nous laisse le temps d’acheter des victuailles pour demain à la supérette du coin. Toast, pâté en boîte, fruits secs, eau, bananes, abricots. Nous n’osons rien acheter de frais car nous ne savons pas si nous aurons un frigo.
Nous étudions la carte d’état-major pour demain : j’ai prévu quinze kilomètres de marche demain, sur les crêtes. O. est sceptique, il a peur que nous nous épuisions — surtout moi. Et la météo annonce de l’orage. Nous allons à l’arrêt de bus, nous étudions les horaires : l’idée est d’aller en bus à Iberberegg et de revenir à pied. L’idée m’est venue en lisant ici « le trajet en bus est impressionnant » : à l’origine, j’avais songé à une journée de bateau sur les lacs. Mais l’appel du bus suisse est le plus fort.

Nous nous perdons une fois, deux fois, en cherchant l’adresse de la chambre. Nous nous garons sur un parking devant un ensemble immobilier plutôt laid, ce que serait à la montagne les immeubles du front de mer à La Baule. Cela devrait être là, mais le nom de la rue ne correspond pas. Au bout de dix minutes d’étude (les numéros des immeubles, les affiches du camping proche) je m’apprête à téléphoner quand une très jolie jeune fille dans le genre blonde sportif nous aborde: elle est la fille du propriétaire.

Deuxième étage. Ouverture de la porte. Appartement immense, trois chambres, deux salles de bain. Elle nous abandonne ici, après nous avoir fait réglé par CB (elle a l’appareil nécessaire qui m’envoie un compte rendu par mail) et fait remplir mon nom et mon adresse (mais sans demander de pièce d’identité), sans dépôt de caution, en nous disant de laisser les clés dans la boîte aux lettres quand nous partirons: what ? Elle n’a pas peur que nous volions les petites cuillères ou l’écran plat ?

Il y a des cintres en quantité, une buanderie, des skis, des chaussettes de laine… Nous vidons la voiture. Phénomène étrange, l’intérieur des valises (des sacs de sport) est brûlant et humide, comme s’il sortait d’une étuve. Nous sortons les vêtements, nous les pendons pour les faire sécher. Le moral est remonté au zénith. Nous dînons (pique-niquons) sur la terrasse sans trop savoir ce que nous mangerons au petit déjeuner demain: des toasts et des bananes, nous rachèterons de la nourriture à Iberberegg.

Depuis qu’O. a vu une carte en 3D des sentiers de randonnée dans l’ascenseur il est enthousiaste. Depuis qu’il est entré dans l’appartement il est enthousiaste. Il fait frais, j’ai presque froid. Nous étudions longuement la douche et la baignoire: le tableau de bord semble indiquer un sauna et une radio, plus quelques boutons incompris, jets d’eau en tous genres dans la douche. Comme il n’y a pas de thé je me fais une camomille (achetée à Vézelay : non, je n’ai pas emporté de la camomille de la maison! Mais c’est si difficile à trouver (de la romaine, pas de la matricaire) que je n’ai pas hésité en en voyant à Vézelay. Maintenant je regrette de ne pas avoir pris aussi du miel (du miel dans la voiture pendant trois mille kilomètres : j’ai préféré éviter)).
Il y a du wifi mais j’ai besoin de dormir.

Seize kilomètres sur les crêtes demain en espérant qu’il n’y ait pas d’orage. O. n’a pas de k-way et veut emmener l’un des parapluies de l’appartement : un parapluie sous l’orage en montagne? Je croyais les scouts plus avisés !

Note
1 : Astérix et Lucky Luke sont constamment utilisés dans nos conversations. Ici il s’agit d’une déformation d’une parole de l’Anglaise dans Astérix chez les Belges : « j’utilise de la bouillante eau, cela donne un exquis goût à tout ». Astérix en Helvétie est bien sûr mis fortement à contribution: « C’est comment l’Helvétie? — Plat.»
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