Billets qui ont '2020-03-16' comme date.

Hier soir

Hier soir, à partir de neuf heures, une dizaine de colistiers s'est retrouvée à la maison après le résultat des municipales. FG était très déçue, normal, c'était sa première campagne, moi ma troisième. C'est dur d'y croire à fond, de tout mettre en jeu, et de se retrouver avec rien ou pas grand chose.

J'ai essayé de la convaincre (moi je suis convaincue) que c'était une victoire: l'opposition avait un siège de plus (quatre au lieu de trois), Clodong avait cinq points de moins que Dupont-Aignan en 2014 (17,7%). A chaque municipale nous grignotons.
C'est difficile parce que les anti-fachos et ceux qui ne supportent pas la pression fiscale déménagent, et les pro-fachos emménagent. Donc structurellement ça devient de plus en plus difficile.

Très bonne soirée, nous avons un peu bu et beaucoup ri.
Je culpabilise : peut-être n'aurions-nous pas dû. Pourvu que personne ne soit malade. Un bol par personne, pour mettre les chips et les cacahuètes et ne pas mettre les mains dans le même plat. Du gel hydro-alcoolique (qui pue. — Mais pourquoi pue-t-il autant? Ça sentait bon d'habitude. — Peut-être pour donner l'impression d'être plus efficace?) dont une ou deux personnes ont dû se servir. Bières, ginger beer, vodka (pour moi: je me suis fait deux Moscow Mule) et deux bouteilles de la cuvée Assemblée Nationale. Ce fut une bonne soirée.

Comme promis, une photo de la table avant (la table effrayante) et la table après.




Pourvu que cela n'ait pas été une bêtise. C'était la dernière soirée avant six ou huit semaines.
J'ai le moral dans les chaussettes aujourd'hui. Gv me fait peur: «Vous allez morfler». Lui est loin d'ici. Il doit penser impuissant à sa famille.
J'ai peur de ne pas revoir tout le monde à la fin de cette période. Hier, quand les enfants sont partis sans être embrassés, avec les plaisanteries habituelles pour conjurer l'émotion de se quitter (ne jamais oublier que même en temps ordinaire je suis tracqueuse. Je pense que c'est dû à l'imagination — trop d'imagination: accident de la route, accident de toute sorte, tout ce qui peut faire que ce soit la dernière fois qu'on se voit. Déjà en temps normal. J'y pensais même le matin en les quittant à l'école), oui, hier j'avais le cœur gros.

J'envoie un mot aux infirmières de la famille. Il y en a cinq ou six, entre les cousines et les tantes.
Nous avons décalé l'invitation du 9 mai au 13 juin.

Mon horloger est sceptique

La comtoise va mal, elle ne conserve plus l'inertie donnée au balancier et s'arrête, au bout de cinq minutes ou une heure. Je l'ai donc emmenée chez l'horloger. Verdict: elle est très sale, poussière et toiles d'araignée. (Je ne vois pas comment empêcher cela car le mécanisme est hors d'atteinte en temps normal).

Il va la nettoyer mais ça va prendre un moment: il a beaucoup de travail. Derrière lui, un calendrier Johnny Hallyday, devant lui un cendrier Johnny Hallyday, sur le côté une affiche pour un grand prix de F1. La conversation s'engage.

— Non mais, vous croyez pas qu'y zegzagèrent? Ma fille a une copine infirmière à Villeneuve-St-Georges [hôpital], elle dit qu'il n'y a personne.
— Mais c'est normal. Une doctoresse italienne a expliqué comment ça s'est passé en Italie: on a vidé les hôpitaux, reporté les opérations non urgentes. C'est pour ça que les hôpitaux sont vides. Les malades vont arriver comme une vague.
Il me regarde d'un air sceptique.
— Mais en Angleterre ils ont décidé de ne rien faire, de laisser les défenses immunitaires se renforcer.
— Mouis. C'est ce qu'on faisait au XVIIIe siècle contre la peste et le choléra.
Il me regarde sans rien dire. Je suis calme, très factuelle. Quelque chose me paraît vaciller dans ses yeux.
— Mais quand même… la grippe c'est huit mille morts. Personne ne fait rien pour ça.
— Oui, mais des gens qu'on a soignés. Ici on va tomber dans la médecine de catastrophe: quand il n'y aura plus assez de lits à l'hôpital, il faudra choisir qui on sauve. Evidemment, si ça tombe sur le voisin, on est triste mais ça va. Mais si c'est votre mère ou votre fils?

Il m'a regardée… C'est marrant, je suis persuadée que discuter ne sert à rien, que les gens ont leurs opinions à eux, bien arrêtées, et qu'on a simplement le devoir d'exprimer ce qu'on pense, de ne pas se taire si on pense que ce qui est dit ou fait ne devrait pas l'être, ou pas comme ça. Un devoir éthique, une obligation, mais sans espoir, inutile.
Là, j'ai eu la satisfaction d'avoir l'impression de l'avoir fait douter. Peut-être même l'ai-je convaincu.


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Ma fille arrive du Perche. Elle vient voter pour sa mère. Je pensais que nous aurions droit à un long sermon sur ce qu'il ne faut pas faire (elle est volontaire à la Croix-Rouge). A ma grande surprise elle prend cela à la légère et accepte avec dépit de ne pas nous embrasser.
Est-ce qu'elle vit dans une tour? Est-ce que la Croix Rouge n'est pas mobilisée?

Elle nous fait rire en déclarant que ce qui avait manqué, ce n'était pas le gel hydo-alcoolique, mais les flacons, fabriqués en Chine. (Comme quoi elle est quand même au courant… je ne comprends pas bien la cohérence de tout cela).

Non boîtage

Ce soir je devais "boîter" à nouveau, avec la consigne stricte d'arrêter à onze heures (la limite légale est minuit mais les têtes de liste voulaient conserver une marge).

Je me gare, sors de la voiture, mets mes écouteurs (pour écouter les aventures de l'Agneau mystique) et m'oriente sous les lampadaires pour commencer ma tournée.

A ce moment-là je reçois un appel: on arrête le boîtage immédiatement. Il paraît que la distribution d'un tract doit laisser le temps à l'adversaire de répondre. En tractant le vendredi soir, alors que la campagne s'arrête à minuit, nous enfreignons cette règle. Clodong a fait un mini-esclandre en apercevant les boîteurs ou tracteurs dans l'après-midi, les filmant et menaçant de mettre la vidéo en ligne. (Et alors? ai-je envie de dire)

OK, pourquoi pas. Sauf que le tract répondait à une calomnie donc nous avions une justification. Et mon expérience de la justice est qu'elle est lente. Et en ce moment, entre les grèves pour les retraites et la désorganisation due à l'épidémie, ça doit être encore pire.
Bref, j'aurais couru ma chance, ne serait-ce que pour prouver que lorsqu'on ne respecte pas les règles en me calomniant, je ne respecte pas les règles non plus. Il ne faut pas oublier que nous sommes dans une mairie d'extrême-droite: ne pas respecter les règles tout en jouant la victime flouée est l'un de leur tour de passe-passe favori.
C'est à ce genre de réaction que je me rends compte que me disputer avec RP et me battre contre JA m'a rendue combative.

Fun fact: NDA soutient un gilet jaune à Vigneux. Ce type n'a-t-il aucune dignité intellectuelle envers lui-même?

Les mains libres




Je suis passée chez Listel Or récupérer des Langelot et en déposer d'autres. Ma relieuse devrait se faire opérer du bras en mai.
Je discute un peu trop longtemps pour être à l'heure chez Clarisse. Dans un moment d'ubris, j'ai pris un vélib devant la porte au lieu de prendre la ligne 2 qui m'aurait amenée rapidement à destination. Mal m'en a pris: il s'est mis à pleuvoir à seaux et j'ai été trempée comme une soupe, dans la plus pure tradition de mon adolescence.

Clarisse avait invité notre yolette à boire la bouteille que nous avions gagnée. Son appartement est un étonnement. Nous savions qu'elle cousait elle-même ses vêtements qui contribuent à sa grande élégance («—Comme ça te va bien. Où as-tu acheté ça? —Je l'ai fait moi-même.») Nous ne savions pas qu'elle en faisait autant pour son appartement: tout est de sa main, parquets, peintures, moulures, soudure à l'arc. Elle a déplacé une porte (cassé le mur, remonté un mur, déplacé le chambranle). Elle a construit la structure de son canapé, puis l'a tapissé. Elle possède trois machines à coudre, «une pour les grosses pièces de cuir». Il y a une sculpture au mur, un scooter embouti: «je suis allée à une exposition sur César, je me suis dit que je pouvais essayer. J'avais ce scooter, je l'ai emmené chez un garagiste pour le faire emboutir, puis je l'ai fixé sur cette planche et je l'ai peint. Et voilà.»

Visiblement elle aime davantage le métal que le bois. Tout est brun ou bronze et renvoie la lumière. Son appartement luit, sa douceur est celle du reflet.

Elles ont parlé famille, maisons de campagne, souvenirs. Je me sentais socialement décalée. Je n'ai pas osé leur parler de mes trente ans de mariage auquel je compte les inviter. Foutue timidité.

Décrue

La décrue est amorcée. A midi nous étions au club en train de laver la boue sur le matériel.

Photo du sapin enneigé prise de la fenêtre de notre chambre. J'aime la distorsion de l'optique.


Rentrée

J'aurais dû entrer en deuxième année de maternelle. Mais il n'y avait pas de Français ni en deuxième année, ni en troisième année. Alors je suis entrée en CP.

C'était à l'école juive d'Agadir qui allait de la première année de maternelle à la Terminale. Tous les élèves partageaient la même cour de récréation et j'agaçais ma mère en parlant «des grands comme vous».

La salle de CP était installée dans une mezzanine au-dessus d'une grande salle solennelle. J'ai rêvé de cette salle longtemps. Les portes pour y accéder étaient au rez-de-chaussée, des portes imposantes et une salle interdite. C'était étrange de voir dans la salle sans avoir le droit d'y entrer. Ce n'est qu'en réfléchissant à cette image qui revenait dans mes rêves sans vraiment comprendre ce qu'elle était et où elle était que j'ai compris que c'était une salle de synagogue — enfin, une salle qui servait au culte.


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