Billets qui ont 'Danielle' comme nom propre.

Trois jours

- dimanche
Journée bizarrement active : je sais que nous avons avancé sur un certain nombre de points, mais je ne saurais pas dire lesquels et j'ai l'impression de n'avoir rien fait.
(Ah si, je me souviens: le gros du week-end a consisté à remettre d'aplomb l'ordinateur des enfants (copie de disques durs, tripes à l'air etc) et à récupérer les données du serveur qui devait être débranché depuis Pâques ou mai. (Ordinateur en panne une semaine avant les grandes vacances, O. à son habitude n'a rien laissé paraître mais je le savais affreusement déçu: à quoi bon des vacances si ce n'est pour jouer à WoW douze heures par jour?)) Commencé le repassage devant Laura dont je gardais un souvenir émerveillé.
Ma fille me fait rire à dévaliser mentalement la maison "pour s'installer" (comprendre: meubler son studio). Il y a du regroupement de livres en perspective puisque qu'elle veut me piquer deux étagères (bon bon bon).

- lundi
A force de ne rien demander pour ne pas donner de faux espoir j'ai tout compris de travers et nous sommes arrivés en retard à Cloyes (dire en retard est un euphémisme: tout était fini).
Malgré tout, nous avons vu la maison du notaire que Zola décrit au début de La terre. Cette sensation de la littérature qui devient quotidienne, qui s'incarne dans le quotidien, je l'aurai vraiment découvert tard dans ma vie. Ça change tout, quelque chose gagne en épaisseur, atterrit dans le réel (mais qu'est-ce que le réel? Non non, je ne vais pas m'embarquer là-dedans (je lis Valensin et le passage (ou pas) de l'idéalisme à l'existentialisme)).
Je suis reconnaissante aux enfants de m'avoir accompagnée sans protester.
Repassage tard dans la nuit (disons: jusqu'à l'aube). Mes beaux-parents prennent possession de la maison vendredi prochain et j'aimerais qu'elle soit présentable, ce qui n'est pas un mince défi. (Tant pis pour le jardin, à l'impossible nul n'est tenu).
Je continue le grec et l'allemand, doucement.

- mardi
Un pastis en écrivant ces lignes. Après une semaine à cinq, nous sommes de nouveau trois depuis lundi.
J'ai vu Danielle à midi, ma collègue de galère en 2012. Elle avait un tee-shirt blanc, c'était la première fois que je la voyais avec autre chose que du noir (elle est veuve depuis cinq ans, après avoir accompagné son mari le long d'une maladie interminable). Elle fait des projets, elle va mieux, cela m'a fait plaisir (et m'a rendue jalouse, car ce n'est pas moi qui suis là pour constater qu'elle va mieux, ce sont d'autres collègues qui l'accompagnent désormais. L'être humain est bizarre).

Aujourd'hui c'est l'anniversaire de Paul Rivière.

Danielle craque

… et cela me fait plaisir, car cela prouve que je ne suis pas folle. Quand vous êtes la seule à protester contre des agissements et une situation qui ont lieu au sein d'un groupe, il y a toujours un moment où vous vous demandez si vous êtes folle, complètement parano, si le problème, finalement, ce ne serait pas vous, dans la mesure où vous êtes la seule à protester.

Imperturbablement, malgré la vente, mon patron aidé de son consultant unique et favori a lancé un «plan de continuité d'activité», ce qui consiste à peu près à décider comment continuer à travailler si les bâtiments brûlent ou si les deux tiers des salariés meurent dans une épidémie. Il refuse de prendre en compte le fait que les équipes vont être fondues dans une organisation plus grande tandis que nos locaux ne seront plus ceux-ci (ce qui a tout de même son importance quand on commence à compter les imprimantes et les téléphones).

Le consultant et Danielle (ma collègue) vont à cet effet interviewer les patrons de service. Je suis émerveillée par la courtoisie de tous ces managers, interloqués par l'obstination de mon patron (ils sont un niveau hiérarchique plus bas, mais n'en dépendent pas) mais aimables avec Danielle et P. [le consultant], se permettant tout au plus de faire remarquer que puisque tout cela ne servira à rien, ils vont répondre rapidement car ils ont d'autres chats à fouetter (ce qui dans un contexte de rachat peut se comprendre).
Danielle me raconte le consultant, ses questions, sa façon d'écouter un manager lui expliquer très précisément son métier et ses contraintes, et de reprendre imperturbablement après vingt minutes de discours: «Alors, je mets 50 ou 60 dans cette case?»

Danielle exaspérée en sortant d'un entretien me dit: «J'ai pensé à ma grand-mère. Elle était d'une famille bourgeoise, elle avait des domestiques. Un jour, une petite bonne, Angèle, lui demanda:" Madame, est-ce que je peux ouvert la fenêtre?" Et ma grand-mère de commencer à lui expliquer, grammaire, conjugaison, l'importance de l'éducation, etc. Au bout de vingt minutes, ma grand-mère termine, et Angèle demande: "Mais Madame, vous ne m'avez toujours pas dit si je peux l'ouvert".»
Et Danielle de conclure: «Quand je vois P. répondre à J. [le manager], qui vient de lui expliquer son boulot pendant vingt minutes, je pense à Angèle, dit-elle, prenant une petite voix sotte: mais madame, est-ce que je peux l'ouvert?»

Et moi je ris, soulagée de constater que je n'avais pas rêvé, j'avais bien vu ce que j'avais vu et mes conclusions, bien que rapides, étaient adéquates.
Les billets et commentaires du blog Alice du fromage sont utilisables sous licence Creatives Commons : citation de la source, pas d'utilisation commerciale ni de modification.