Billets qui ont 'Gilda' comme nom propre.

Nouveau départ

«Leur Jésus est un autre.» J'adore.

Ça me rappelle ce passage de Proust:
Il fallut pourtant une circonstance exceptionnelle pour qu'un jour [le directeur] découpât lui-même les dindonneaux. J'étais sorti mais j'ai su qu'il l'avait fait avec une majesté sacerdotale, entouré, à distance respectueuse du dressoir, d'un cercle de garçons qui cherchaient par là moins à apprendre qu'à se faire bien voir, et avaient un air béat d'admiration. Vus d'ailleurs par le directeur (plongeant d'un geste lent dans le flanc des victimes et n'en détachant pas plus ses yeux pénétrés de sa haute fonction que s'il avait dû y lire quelque augure), ils ne le furent nullement. Le sacrificateur ne s'aperçut même pas de mon absence. Quand il l'apprit, elle le désola. «Comment, vous ne m'avez pas vu découper moi-même les dindonneaux?» Je lui répondis que n'ayant pu voir jusqu'ici Rome, Venise, Sienne, le Prado, le musée de Dresde, les Indes, Sarah dans Phèdre, je connaissais la résignation et que j'ajouterais son découpage des dindonneaux à ma liste. La comparaison avec l'art dramatique (Sarah dans Phèdre) fut la seule qu'il parut comprendre, car il savait par moi que, les jours de grandes représentations, Coquelin aîné avait accepté des rôles de débutant, celui même d'un personnage qui ne dit qu'un mot ou ne dit rien. «C'est égal, je suis désolé pour vous. Quand est-ce que je découperai de nouveau? Il faudrait un événement, il faudrait une guerre.» (Il fallut en effet l'armistice.) Depuis ce jour-là le calendrier fut changé, on compta ainsi: «C'est le lendemain du jour où j'ai découpé moi-même les dindonneaux.» «C'est juste huit jours après que le directeur a découpé lui-même les dindonneaux.» Ainsi cette prosectomie donna-t-elle, comme la naissance du Christ ou l'Hégire, le point de départ d'un calendrier différent des autres, mais qui ne prit pas leur extension et n'égala pas leur durée.

Proust, Sodome et Gomorrhe
Ceci me permet d'un même élan de donner à Matoo ce lien vers La Recherche en ligne.

L'incendie du Crédit Lyonnais

Un post de Gilda me permet de dater quelque chose dont je me souviens très précisément mais que j'aurais été incapable de dater.

Quoique. 1996, évidemment : peu après la naissance d'A., après mon départ négocié de G** (mars?), après la semaine de stage d'anglais avec AC (avril).

AC travaillait avec moi à G**, nous nous y étions rencontrées et devenues amies (elle est la marraine d'O.) Elle avait quitté G** en 1994 pour aller travailler à Tahiti et était rentrée récemment en France. Nous nous aidions mutuellement: je la motivais et la briefais avant ses entretiens d'embauche, elle me disait comment négocier mon départ (demander un an pour obtenir six mois, etc: sans elle je n'aurais jamais osé; là, je me contentais de suivre ses indications, en m'interdisant de réfléchir).

Nous avions vécu les années Pétriat (vingt ans plus tard j'apprends son destin) ensemble, nous avions résisté ensemble à une hiérarchie bête (et concernant la mienne, méchante), nous nous tenions les coudes.

Je ne sais plus qui a appelé l'autre cette après-midi-là en apprenant l'incendie du Crédit Lyonnais, mais je me souviens de moi dans le salon à Villecresnes, de nous au téléphone en train de rire souffle coupé, incrédules : «ils ont osé», dans notre reconnaissance instinctive de ces magouilles dont nous avions souffert ensemble pendant trois ou quatre ans.
Jamais, même une seconde, avons-nous cru que ce n'était pas un incendie criminel, volontaire, une façon de faire disparaître la preuve de malversations. (Je ne sais plus pourquoi cela paraissait si évident à l'époque: affaires Adidas, MGM (Metro Goldwyn Mayer))?

Plus tard, en 2011, j'ai appris lors d'une formation à la "gestion du risque" que les archives du Crédit Lyonnais avaient brûlé au Havre le même jour, ce qui me parut la preuve définitive que c'était bien un incendie criminel.
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