Billets qui ont 'Parapluie' comme nom propre.

Les rencontres d'une semaine

Mardi Marie

Elle arrive en retard, j'ai eu le temps de prendre une bière et de lui envoyer (au bout d'une demi-heure, mon délai de grâce) un SMS paranoïaque («Tu m'as oubliée? J'ai donné une mauvaise adresse? Je me suis trompée de jour?»). Je repère sur le mur une affiche pour un spectacle-hommage à Boby Lapointe et une pour un film de Paul Newman. Apparemment il a filmé sa femme. Il faudra que j'essaie de voir ce film, j'aime beaucoup ces deux acteurs.

C'est la troisième fois que nous nous rencontrons, ça fait deux ans que nous ne nous étions pas vues.
Vous ou tu, je ne sais plus. Par écrit, vous. Ce soir-là, je ne sais plus. Tu, sans doute.
Nous parlons, du Yémen, de Renaud Camus, des fous rires avec Renaud Camus, de ses chiens, de notre incompréhension de son parti, de "l'affaire" qu'elle avait sentie venir [1], (c'est une lectrice "historique", dès Passage), de l'ours Ben, de sa fille. Je lui raconte mes rapports à la littérature, cette façon de tourner autour depuis si longtemps, du K de Dino Buzatti et de ses deux fins, la véritable (le monstre marin offre une perle au narrateur) et celle que m'avait racontée le père d'une amie lorsque j'avais seize ans (à la fin, quand il est trop tard, le requin dit au narrateur: «Je t'ai tant aimé»), cette façon que j'ai de fuir la littérature à la façon dont le narrateur fuit le K et d'être toujours rattrapée.
Nous parlons livres, voyages, amis; nous parlons je ne sais trop de quoi, toujours est-il que nous finissons par nous lever à une heure du matin lorsque les garçons du Reflet commencent à retourner les chaises sur les tables.

Mercredi Embruns

Comme j'avais ce soir-là une réunion à Yerres, je savais que je ne pourrais arriver que très tard. Qu'importe, depuis le temps que je suivais les Paris-carnets sur le web (janvier 2004), depuis le temps que je remettais les occasions d'y aller (d'abord parce que je n'avais pas de blog, puis parce que j'en avais un: je n'allais pas "en plus" passer mes soirées avec des blogueurs (ici, imaginer l'exaspération de mon entourage devant cette activité futile et obsédante)), cette rencontre-là ne pouvait pas être remise : c'était les adieux du capitaine, la fin d'une époque, la fin du canal historique de la blogosphère française (un peu de grandiloquence ne fait jamais de mal).

Je n'avais rencontré Laurent qu'une seule fois, pour les trente ans de Matoo, il y a dix-huit mois. A peu près impossible qu'il s'en souvienne. Mais ce n'était pas grave: j'allais à ce Paris-carnet comme on fait un pélerinage, c'était un signe pur.

Je suis arrivée à L'Assassin à 23h30. Il ne m'a fallu que quelques secondes pour constater que je ne connaissais personne (mais je connais si peux de blogueurs que c'était infiniment probable). J'ai repéré Embruns, je me voyais mal aller l'importuner. J'ai commandé une Guinness (horreur et damnation: une canette vidée dans un verre puis passée à travers je ne sais quel procédé à ultra-son pour la décanter!) et me suis installée au bar pour boire tranquillement en attendant de décider du mouvement suivant.
Je regardais les têtes, certaines me paraissaient familières, sans doute vues en photos lors de compte-rendus de soirée publiés sur le web. Je riais de penser qu'il y avait peut-être dans la salle deux ou trois personnes que j'avais beaucoup lues, dont je connaissais la vie plus intimement que certaines de leurs connaissances, et que je ne savais même pas les reconnaître. Certains trouvent cela malsain, moi j'aime bien. C'est bizarre mais pas bien méchant, un peu mystérieux mais sans enjeu.
— Ça t'arrive souvent de venir boire seule dans un café plein?
Je me suis fait aborder par un petit mec, blogueur de son état, ayant visiblement déjà pas mal bu, plutôt marrant. Il tenait un discours d'une grande cohérence dans son incohérence, quelque chose de l'ordre de la sinusoïde lunatique, ouais moi j'ai un carnet d'adresses, rien qu'hier j'ai présenté un copain à Mathieu Kassovitz, Mathieu Kassovitz, quand je veux je quitte mon boulot, ch'uis très demandé, mais j'm'éclate là ou ch'uis, ch'uis mal payé, mon blog, il est lu par deux cents personnes, ça m'a pris du temps de comprendre que j'étais trop bon pour les autres, mais qu'est-ce que ch'uis, ch'uis rien, regarde-moi,...
Etc. J'étais plutôt amusée, il me tenait compagnie. Je pensais «Tu t'es vu quand t'as bu». Je n'ai pas vraiment compris ce qu'il faisait là, apparemment il ne connaissait pas Laurent, il était venu entraîné par un ami. Je lui montrai Embruns.
— Ah c'est lui? Il m'a donné un mail-opener, me dit-il en brandissant un @ en acier qui me sembla être un décapsuleur. Tu vois il est vachement sympa, je suis vachement sympa, il me connaît pas et il m'offre un mail-opener, j'en reviens pas de ma chance...
— Tu veux dire qu'il n'a pas trouvé d'autre moyen de se débarrasser de toi, lâchai-je un peu sadiquement, d'une part parce que je le pensais, d'autre part pour voir comment il allait réagir.
Mais il avait déjà disparu pour retourner voir Laurent. Je le rejoignis, ce qui me permis de dire quelques mots et de remarquer l'alliance de Laurent, sobre et large. C'est ainsi que je me présentai à Jujupiter, que je vis rouler un magnifique patin au capitaine (hélas, le temps de saisir mon portable, il était trop tard). Je mets en ligne une photo prise dans les minutes qui ont suivi, bien floue comme toute photo de paparazzi qui se respecte:

Le temps de reconnaître Versac et je demandai à un grand brun qui parlait à Laurent : «Et toi, tu es qui?»
Toujours la même hésitation: comment se présenter entre parfaits inconnus, comment donner LE trait qui permettra l'identification de façon rapide et certaine (pour ma part, je me présente généralement comme commentatrice chez Matoo: nous ne sommes pas si nombreuses) :
— Eh bien... si tu lis Matoo... Je ne sais pas si tu as lu un post récent, où il parlait d'un certain Michel V...
— Oui ?
— Je suis Michel V.
— Ah, celui dont Embruns disait qu'il était un hétéro irrécupérable?
(Lol.)

Je dois avouer que la coïncidence m'a fait plaisir: tomber sur l'un des personnages principaux d'un des posts récents de Matoo, visiblement vieille connaissance d'Embruns...
Je me suis éclipsée peu après.

Jeudi Parapluie et infundibuliforme

Au départ le rendez-vous était samedi: je n'aurais pas pu venir, mais Matoo si. Puis les choses se sont inversées et je me suis retrouvée à Saint-Michel pour un rendez-vous foireux. (Parapluie a tiqué devant ce terme de "foireux": j'appelle foireux un rendez-vous dans un endroit large et populeux avec des gens qu'on ne connaît pas, qu'on n'a jamais vu, avec qui on a convenu d'aucun signe de reconnaissance et dont on n'a pas le numéro de téléphone. Je le savais avant d'y aller, je ne m'attendais pourtant pas à ce qu'il y eut autant de monde sur cette place.)
J'expérimentai l'attente, brandis ostensiblement un livre au titre prétentieux, cherchai un jeune homme avec un parapluie. Je m'approchai des groupes, tentai de saisir des conversations, envoyai un mayday à Matoo qui ne me fut d'aucun secours.
Bah, qu'importe, on se retrouverait dans la file d'attente ou dans la salle.
En effet, la première chose que je vis en entrant dans la salle, ce fut eux, certitude, un groupe, très jeune (ils me lisent, mais il faut qu'ils le sachent: très jeunes!), installé au premier rang. Drôle d'idée. Je montai m'installer à ma place habituelle, dans le fond.

Après le film, nous évacuons la salle par le fond. Je les attends, un peu mal à l'aise. D'une certaine façon le risque est gros: celui de les décevoir.
Les sourires sont là, c'est bien eux. Ils me vouvoient, je proteste mais n'insiste pas: après tout, c'est bien naturel, et je trouve si pénible ces gens qui veulent à toute force qu'on les tutoie alors que le vous vous vient naturellement aux lèvres. Je me demande si je leur parais aussi vieille qu'ils me paraissent jeunes... (non, je ne tiens pas à avoir la réponse!).

Après le débat, nous nous retrouvons au café place de la Sorbonne. Il y a là Parapluie, infundibuliforme, un ami à eux prof de math et deux jeunes filles encore étudiantes.
Nous parlerons là encore jusqu'à la fermeture du café, décourageant le prof de math qui doit rejoindre sa banlieue puis les deux amies. Il fait froid, Parapluie tremble. Je n'ose écrire car je sais que les deux me lisent, que chaque mot sera pesé et donnera lieu à des discussions. L'un parle, l'autre moins, l'un est pâle, l'autre sombre, je découvre qu'ils sont pacsés, j'admire tant de décision.
Nous parlons du film, de l'homophobie, de Beckett, de théâtre, de Censier, des relations familiales (jamais simples — toujours barges), de blogs, de l'expérience du Cern.
— Pourquoi les objets ont une masse?
Je commence juste (au moment où j'écris) à entrevoir ce que signifie la question et le fait qu'on la pose ainsi. Nous parlons un peu de physique, de mesure, de température, chaque fois je dis une bêtise, et parapluie, un peu gêné mais rigoureux, corrige comme il peut. Je m'aperçois avec horreur que je ne sais plus rien, que je confonds tout, je songe à Bouveresse et je me dis que désormais je m'interdirai toute allusion scientifique. Je me rends compte une fois de plus qu'il y a des modes, même en sciences, le vocabulaire de Parapluie n'est pas celui que j'ai appris.
Nous parlons de Beckett et des animaux chez Beckett. — Il n'y en a pas. — Si, ils sont tous morts.
Toujours la même surprise et le même soulagement de s'apercevoir qu'il suffit d'un intérêt commun pour pouvoir discuter avec des inconnus.

Ils me raccompagnent jusqu'à Jussieu. Je trouve un vélib. Je m'endors dans l'autobus.
Demain soir, encore une réunion.

Notes

[1] voir ici pour ceux que ça intéressent et qui ne connaissent pas.

Invitation à bloguer des blogs

Bon, c'est compliqué. Un filleul inattendu (mais ça tombe bien, je n'ai par ailleurs qu'une filleule (je sais, j'aurais dû dire neveu)) me demande de participer au Blog Day (je n'ajoute pas la bannière parce que ça me gonfle de faire des mises à jours ftp de mon blog).

Si je comprends bien, il me faut trouver d'une part des blogs dont vous parler le 31 août, d'autre part inviter des blogueurs à vous parler de blogs le 31 août, c'est-à-dire qu'il me faut trouver deux séries de blogueurs : ceux que je lis sans que vous le sachiez (dont je vous parlerai le 31 août), ceux dont j'imagine qu'ils me lisent (pour lancer mes invitations).

J'invite donc, sans savoir s'ils sont pour ou contre les manifestations bloguiennes collectives (c'est fou ce que certains réussissent à théoriser à ce sujet), Pradoc, Theobald, Rémi, Aymeric et Philippe[s] à participer au Blog Day.

11 et 12 août

  • lundi : rien

. Terriblement mal aux cuisses. Trop forcé hier. Je peux à peine descendre les escaliers. Cela m'impressionne, ça ne m'était jamais arrivé à ce point-là.

. Je continue à décrire Cerisy, même si cela m'effraie et si je me sens ridicule. Ne pas penser.

. Courses. Vérifié la présence de Play de Durex au Cora de Boussy-Saint-Antoine (je proposerais bien une enquête inter-blogs à travers la France et un repérage sur Google: cartes des grandes surfaces vendant Play.

. Sieste avortée.

. Equeuté les haricots verts puis terminé l'ourlet de la jupe jaune de A. en regardant Impitoyable. Etrange western. Réalisateur Clint Eastwood. Tout le film n'est qu'une longue parenthèse, commence par un arbre en ombre chinoise contre un soleil rougeoyant, termine de même. Tout le film est de guinguois, rien ne fonctionne comme il devrait. Mise en place de règles de morale et de justice dans un monde où les motivations et les mensonges des autres sont opaques: peut-on agir justement si l'on n'est pas omniscient? Tout tombe légèrement à côté, un peu trop fort sur certains innocents (mais pas tous), épargnant certains coupables (mais pas tous).
C'est Olivier qui m'avait envoyé ce film après que je lui eus parlé de 3h10 pour Yuma. Il faut croire que je lui avais bien expliqué l'atmosphère, les deux films appartiennent à la même famille des westerns étrangement moraux, tendant à penser que la pente du bien est plus naturel que celle du mal, et que les braves types sont plus nombreux que les sombres salauds.

. Quelques minutes d'attente, je rouvre Les Nuits attiques, parcours l'introduction. Lire, c'était presque toujours prendre des notes. (Eh oui.)

. Le soir, réunion MoDem pour préparer des élections internes. Toujours la même envie de rire et le même plaisir à arriver dans cette petite rue de pavillons de banlieue avec le soleil couchant dans les yeux: cela ressemble tant aux rues des premiers Léo Malet, j'ai l'impression d'être dans 120 rue de la gare.
Nous rentrons tard, agacés par tant de bavardages inefficaces. Visiblement, la plupart des personnes qui entrent en politique le font parce qu'elles ne savent que faire de leurs soirées.


  • mardi : l'Europe jusqu'à l'Oural

. Pain perdu pour mon beau-père. Un peu raté, je n'ai pas le pain qu'il faut. Mais il est heureux de ce clin d'œil à l'enfance, et c'est l'essentiel.

. Encore plus mal aux jambes qu'hier. Je ne peux pas descendre un escalier de face, je dois me mettre de côté, descendre une marche à la fois.

. Le voyage de Primo Levi. Des cinéastes ont décidé de refaire en 2005 le trajet de retour de Primo Levi en 1946, d'Auschwitz à Turin, raconté dans La Trêve. Ce film est court pour un si long parcours: beaucoup de montage, de nombreux choix, une bande sonore intéressante. Le film commence sur des images de Ground Zero et énonce qu'en des temps troublés, il faut peut-être se tourner vers le passé pour comprendre le présent et prévoir l'avenir. Ce film est extrêmement monté, disais-je, partial, subjectif, mais d'autant plus humain et chaleureux. Pologne, plaques de rues, la place Ronald Reagan côtoie l'avenue Jean-Paul II, friches industrielles, extraits de L'homme de fer, interview de Wajda, une pub pour Crazyguides (je n'étais pas sûre que ce ne sois pas une plaisanterie jusqu'à il y a quelques secondes), Russie, des vaches, des kolkhozes, des routes, des forêts, des champs, des marchés et des étalages dans les rues, des statues et encore des statues, monumentales, un chanteur ukrainien mort d'avoir chanté en ukrainien, la tentation du nationalisme ukrainien, la musique des fêtes foraines ukrainiennes cinq ans plus tard — une jeunesse désœuvrée sortie tout droit de Liverpool. Chaleureuse Biélorussie dont les réalisateurs se moquent doucement, par vengeance d'avoir été suivis et encadrés par le commissaire du parti responsable de l'idéologie. La Biélorussie semble vivre heureuse et hors du temps, Primo Levi y a passé un été avec ses compagnons et a noté la bonté et la joie de cette terre et de ses habitants, soixante ans plus tard cela paraît encore vrai. En toute logique ce seront les prochains à être rattrappés par la folie occidentale, je ne leur souhaite pas. Ukraine, Tchernobyl, 50.000 personnes évacuées devant tout laisser derrière elles (et les images de l'herbe folle au milieu des grands ensembles (Tchernobyl est la catastrophe de ma jeunesse, elle m'aura marquée davantage que le 11 septembre: la chute du mur, la fin de l'appartheid, Tchernobyl, le 11 septembre, dates)); la Moldavie paraît une terre de désolation, on y regrette les kolkhozes, la terre est intégralement cultivée à la main, il n'y a pas de machine agricole. Roumanie, usine de sacs à main italiens, Hongrie, Primo Levi note qu'enfin la vieille Europe, leur Europe, apparaît devant leurs yeux, l'alphabet redevient lisible même si incompréhensible. Autriche, façade de la maison natale d'Hitler, Munich et une réunion de nationalistes allemands, Italie. Que va-t-il se passer maintenant, qu'allons-nous trouver, angoisse des revenants.
Mario Rigoni Stern: «Cette année, je ne suis pas aller skier. Vous comprenez, à quatre-vingt ans passés, si je me casse la jambe, on me traitera d'imbécile». J'ai la surprise d'entendre des lignes que je reconnais aussitôt: en cadeau d'adieu, mon libraire m'a offert un petit livre hors commerce, Pour Primo Levi, c'est ce texte que j'entends, écrit (ou simplement publié?) après le suicide de son ami.
Et tandis que je me souviens bien du film, j'en ai oublié la fin. Il boucle, il boucle sur la neige tombant sur Auschwitz, je crois.

. Les affiches du cinéma du Reflet. J'ai raté A History of Violence, Parfum de femme a l'air intéressant, je ne sais pas si j'aurai le courage d'aller voir Aguirre, la colère de Dieu. Librairie la Compagnie, je n'ouvre aucun livre, suf Le jardin des Finzi-Contini dont je relis les trois dernières pages. Je passe devant le Collège de France, le tabac est fermé, je monte vers "la cantine", passe dans rue de l'école polytechnique, renonce à acheter des cigarettes, renonce devant la carte du bistrot, retourne au Russe de la rue de l'école polytechnique.

. Bortsch, raviolis, verre de vin. Je lis Salceda.
En face de moi, deux vieilles dames ont sympathisé. L'une parle russe, l'autre moins bien. L'une habite dans les environs de Versaille, l'autre rue de Crimée. La première prend avantage sur l'autre, décrit ses voyages, son apprentissage de la langue («Du bortsch, il y en a partout, mais ils sont très différents. J'en ai mangé en Sibérie, c'était autre chose!» Elle rit.) La seconde parle cinéma, évoque Ballerina, qui passe actuellement au Reflet, la première n'admet qu'au bout de quelques minutes qu'elle ne va jamais au cinéma. Elle part. La serveuse apporte à la première ce qui ressemble à une plaquette de beurre, enveloppée dans du papier argenté. C'est de la glace ou de la crème entourée de deux gaufrettes.
Une autre table m'est cachée en grande partie. Un homme, une femme qui doit avoir soixante-dix ans puisque sa mère, en face, en a au moins quatre-vingt-dix. Je ne vois que le dos de la fille, son chignon, ses beaux cheveux d'un blond cendré. Il faudra retrouver cette couleur quand je ferai teindre mes cheveux. La mère a un très petit visage, des yeux incommodants à force d'être bleus, une auréole de cheveux très blancs. Elle est sourde mais conserve sa vivacité d'esprit. La fille parle: «Balbina était... Tu aurais aimé Balbina... Elle m'a beaucoup influencée... Sa grande maison... La Giudecca... c'est comme Prague... villes-musées...». Je pense à Hannah Arendt, à sa réflexion à propos de Rosa Luxembourg: seuls les Juifs des années trente auront été véritablement européens, de par leur multi-culturalisme et leur maîtrise de trois à quatre langues.
Une troisième table est occupée par deux hommes d'affaire. Le blond saluera la serveuse en russe en partant. C'est un restaurant qui ne paie pas de mine, avec une carte très simple, visiblement apprécié de ceux qui veulent retrouver un peu du pays.
Je songe. Peut-être faut-il adopter le point de vue de ces westerns étranges, peut-être faut-il abandonner cette idée d'entropie, de malheur, de déchéance, de désagrégation toujours en marche, et penser que la pente naturelle de l'homme est de chercher la paix, la joie et une certaine civilisation. Peut-être.

. Retour à la maison. H. a trié le placard de O., jeté (seule façon de ranger, à mon avis), remis les étagères et le bureau dans la chambre. Il lui propose le grand lit à la place du sien, O. est enchanté.
Je range un peu le dernier étage, tâche sans fin; pour une raison incompréhensible il faut toujours tout réorganiser (me voilà avec une pile de draps une place à devoir ranger. Je vais faire un échange avec les draps en lin de ma grand-mère actuellement dans un carton (j'ai tant de ces draps qu'ils ne tiennent pas tous dans mes armoires)). Et où va-t-on mettre ce matelas? Nous voilà avec deux lits superposés à donner ou à vendre.
Je monte et descends des livres, reclasse des étagères. J'ouvre des livres, je suis agréablement surprise par quelques notes jetées sur un post-it en début de Comment j'ai écrit certains de mes livres, je parcours un numéro des Cahiers du Chemin (1971), tout était déjà là, et le sommaire du numéro de Formules qui représente les actes du colloque de 2001. Que faisais-je en 2001 durant l'été? Ma grand-mère venait de mourir, j'ai commencé un régime draconien, les tours étaient encore debout, j'étais encore à Sérénis, je ne lisais pas encore Renaud Camus.

. Mes beaux-parents s'en vont. Il est 22 heures. J'écris.

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