Billets qui ont '1986' comme mot-clé.

Souvenirs économiques

Je me souviens qu'on prédisait la catastrophe aux Etats-Unis circa 1986 (le Japon allait devenir propriétaire du pays); à la même époque on parlait dette du Tiers-Monde et hyperinflation en Amérique du Sud. Cette dette s'est évaporée (mais où, quand, comment?), l'économie américaine est repartie (dans les années 2000, avant le krack actuel).

A l'époque toujours, ce n'est pas la mondialisation qui était à la mode, mais "la dématérialisation des produits financiers" (l'informatique, quoi, on s'esbaudissait sur le Matif). Des nostalgiques faisaient circuler des photos des emprunts russes.

Nous étions jaloux de l'Allemagne (la RFA) et de "son cercle vertueux". En 1986, première cohabitation, première chaîne de télévision privée, fin du contrôle des prix et de l'autorisation administrative du licenciement (je ne garantis pas l'année à un an près, je ne vais pas vérifier. Je parle d'un "air du temps").

Carte : Niveau d'endettement des différents pays européens.

Espace temps

Parfois le temps se dilate, se contracte,
en une seule diastole systole
et me semble qu'est tenue
la promesse déniée vingt ans plus tôt
et je ne comprends pas.





Cours sur Finnegans Wake avec Daniel Ferrer.

Souvenirs d'Haïti

1986 ou 87. Le directeur de l'agence bancaire où je fais un boulot d'été me reçoit. (Pourquoi? Entretien d'embauche, accueil du premier jour? je ne sais plus.) La conversation dérive, je me demande bien comment, jusqu'à cette déclaration qui résonne encore dans mes oreilles:
— Vous savez, si Bébé doc est tombé, c'est surtout à cause du sida. L'économie d'Haïti reposait entièrement sur la vente du sang; avec le sida, ils n'avaient plus rien à vendre.

Abasourdie, je regardais le directeur sans comprendre.



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Commentaire en 2018 : le 12 janvier 2010, un tremblement de terre a détruit Haïti.

Rêves et souvenirs

Deux chats prêts à bondir dans l'encoignure d'une porte surveillent un pigeon. Un cercle de touriste s'est formé pour observer la scène.
Un touriste jette des graines au pigeon — en direction des chats.


Trois heures de sieste. Je ne pensais pas être aussi fatiguée.
Je m'applique à lire — on s'est tant moqué de moi à cause des livres "inutiles, tu ne les liras jamais", que j'emportais. Les balades de Corto, avec leur lot d'histoires horribles, de personnages torturés, sciés en deux, de restaurateur servant de la chair humaine ou de jeunes filles enfermées au couvent (sort à comparer aux plaisirs du sérail, selon les auteurs), me plongent dans une rêverie douloureuse.
Venise est une ville sans nostalgie. Le temps s'y fond si bien que les souvenirs sont immédiatement présents, que l'histoire est toujours là. La dimension temporelle y est remplacée par la dimension onirique, et Brodsky a raison: le reflet est aussi une réalité.

Trouvé un nouveau chemin vers les Zaterre, en me perdant de nouveau dans le labyrinthe et en voyant se déployer une nouvelle ville dans un quartier que je pensais bien connaître. Toutes les Venises se superposent, celles de mes souvenirs et celles de mes rêves; je me rends compte en revenant ici que je rêve très souvent de Venise. Je ne sais pas retrouver les lieux. La Venise de mes dix-huit ans possédait beaucoup plus de palmiers et de chats et de puits. Impossible de savoir où j'ai erré alors.




Agenda
Fini La cantatrice chauve (Je prépare mon intervention sur le kitsch de Théâtre ce soir. Grand stress, mon premier colloque). Etabli la liste des chose à lire et à faire.
Santa Maria della Salute

Claude Lanzmann

J'ai vu Claude Lanzmann au Collège de France cette après-midi. J'appréhendais ce moment, il a la réputation d'être tranchant et prétentieux, or c'est un de mes héros personnels à cause de son œuvre.

Je me souviens de la première fois que j'ai vu Shoah, loin dans un quartier de l'ouest parisien, en 1986, et mon retour à pied dans les rues désertes, traversant la moitié de Paris jusqu'à la rue Cardinal Lemoine pour tenter de me remettre du choc (et la semaine suivante, recommençant pour la deuxième partie).
Je découvrais l'extermination. Jusqu'ici je ne connaissais que les camps de concentration (confusion encore bien répandue, qui fait dire à Paul, 87 ans «On n'exagère pas un peu? Beaucoup sont revenus, non? » Et le cœur serré devant cette trace vivante d'antisémitisme français à la Bernanos, j'explique: «Non, ce n'était pas la même chose. Très peu sont revenus des camps d'extermination, on a des listes quasi-exhaustives, de trente à trois cents noms…» Mais je ne sais s'il me croit.).

Je lisais mal l'anglais, à l'époque. J'ai repéré le nom de Raul Hilberg. J'ai tenté (en vain) de commander son livre chez Brentanos.
Il est sorti l'année suivante, en 1988 (La destruction des Juifs d'Europe). Je travaillais chez Mollat, je l'ai lu aussitôt. Je me souviens de ma lecture hallucinée, des sondernkommandos, des bus, des trottoirs, du soleil, de tout ce mélange irréel, des gestes quotidiens qui occupaient toujours la même place.

J'ai revu Shoah deux fois, en Dvd désormais, chez moi, toujours seule, la nuit. C'est un film que je trouve insupportable de regarder à plusieurs. (Et cette après-midi, malaise à ce que les extraits soient projetés sans que la lumière ne soit éteinte). Désormais j'en comprends la structure, qui m'avait échappée lors de sa diffusion en salle. Désormais je comprends les accusations de montage, la colère des historiens qui me fait rire. Désormais je considère que Lanzmann a été insupportablement violent avec les gens qu'il a filmés, provoquant les larmes, n'arrêtant jamais la caméra.
Ce film est monstrueux.
Et je bénis Lanzmann de l'avoir fait.
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