Difficile réveil, je me rendors trois fois. Il fait beau, peu de brume. Nous aurons eu de belles journées malgré les prévisions pessimistes.

Balzac le matin, Cahun l'après-midi; je vais soutenir Lucie.

En gros, les Balzaciens rappellent ce qu'ils ont écrit, les Cahuniens imaginent ce que Claude Cahun pensait et croyait et chacun défend qu'il la comprend mieux que son voisin. Cette approche est vraiment de l'ordre de l'approche amoureuse: c'est moi qui détient la vérité de la personne que j'aime.
Je pense qu'il en est ainsi chaque fois qu'on étudie quelqu'un de peu connu et qu'on ne se confronte pas à des milliers de lecteurs.

Claude Cahun et sa publication au Mercure de France (j'entends le nom de Rachilde dont je n'avais pas entendu parler depuis longtemps), la fonction de l'acte de résistance au nazisme dans la vie de Cahun, la transcendance selon Cahun et son attirance pour le bouddhisme.

A dîner, je suis assise non loin d'un organisateur. J'en profite pour m'étonner qu'il n'y ait pas davantage d'étudiants dans les colloques (peut-être pas à Cerisy éloigné mais au moins à Paris). Réponse du professeur: dichotomie entre les élèves bêtes à concours qui préparent l'agrégation et ne se dispersent pas et les autres qui ne sont pas très motivés pour quoi que ce soit.
Il raconte drôlement la différence entre les bobos de Montmartre qui veulent que leurs enfants aient un an d'avance dès la maternelle et ceux du XVIe qui à l'inverse refusent parce qu'ils ne veulent pas que leurs enfants soient désavantagés en arrivant dans des classes où ils ne seraient pas premiers de la classe.

Nous expliquons les classes préparatoires à un professeur en Angleterre, la façon dont elles vident les universités et créent des distorsions.
— D'un autre côté, tous les profs rêvent d'y enseigner.
L'Anglais (il n'est pas anglais mais je ne connais pas sa nationalité) pose the question: «Ça coûte cher?»
Eh non, ça ne l'est pas. Peut-être que cela explique que les étudiants choisissent leurs études avec tant de légèreté et s'autorisent à changer trois fois de filières. (De mon temps, ma bonne dame, on voulait travailler et ne plus peser sur ses parents. Aujourd'hui ce souci ne semble plus effleurer grand monde : comment est-ce possible?)

Je bitche, pour le plaisir:
— L'impressionnant, en France, c'est le nombre d'étudiants en psycho.
A ma grande surprise, au lieu de provoquer un blanc réprobateur, je déclenche le rire du professeur français:
— Un tiers en psycho, un quart en histoire. Les autres disciplines des humanités se partagent le reste.
Le prof anglais: — Mais pourquoi?
Moi: — Je connaissais une psychologue qui disait que s'inscrivent en psychologie les jeunes qui auraient besoin de consulter. C'est sans doute réducteur, mais c'est amusant.

Le soir, film sur les actes de résistance de Claude Cahors sur l'île de Jersey. C'est un film en cours, non terminé. (Un autre film davantage grand public devrait avoir Vanessa Paradis comme actrice principale. Têtes de mes intellectuels.) J'aime les actes de résistance qui nous sont montrés, des tracts abandonnés dans des journaux, des commentaires sur les tombes, sans jamais savoir si ce sera lu et par qui.

Cave. Porto. Pas de ping-pong.

Puis longue discussion avec Eve dans l'étable, pour ne gêner personne — et n'être entendues de personne.
Certains moments résonnent avec la discussion ci-dessus. Elle enseigne à Oxford: «tous les professeurs sont évalués par leurs élèves. Si l'un d'entre eux décroche, il a le droit de me demander des comptes.»
Mais évidemment, tout cela est payant, et très cher.
Il y a sans doute un milieu à trouver, mais il faudrait au moins accepter de se poser la question.