Billets qui ont 'foi' comme mot-clé.

Parkour

Journée à écrire des billets de blog et à chercher une nouvelle série sur Netflix. Rien ne me convient.

Je contemple également cela avec intérêt (il me manquait le vocabulaire pour faire une recherche. Je l'ai trouvé en hashtag sur les vidéos FB). Je me sens tellement gauche. Le club référencé à Paris s'appelle Pinkparkour, pour une pratique «entre femmes et minorités de genre». C'est une nouvelle encourageante, c'est moins impressionnant que se retrouver parmi des musclors, mais je me demande s'ils auraient la même bienveillance envers une vieille qu'envers les minorités de genre.

Farniente et miscellanées

Journée morne. Bien que n'ayant pas ramé je dors une grande partie de l'après-midi.

Messe de l'Ascension. J'apprends avec stupéfaction que les reliques de Thérèse et de ses parents seront là demain.
Je ne devrais pourtant pas être stupéfaite: j'avais vu il y a dix jours qu'elles venaient à Surville .
Mais l'idée que l'on promène des reliques me paraît… so glauque et so XIXe. Et si surprenante en soi. Si incompréhensible.

Je tourne sur Netflix. The f***-it List. Intéressante idée: avoir raté sa vie à dix-sept ans. Ça me fait doucement glousser.
Mais pas tant que ça: à quel âge a-t-on «raté sa vie», c'est-à-dire est-il trop tard pour commencer ou recommencer?
Je connais les optimistes ou les programmés qui se sentent obligés de vous répondre: «Jamais, il n'est jamais trop tard».
Certes ce n'est pas faux. Cependant, quand on fait beaucoup d'ergo (= ergomètre = rameur) comme moi, on sait bien que si on a prévu de ramer quinze minutes, on peut influencer sa moyenne de vitesse pendant dix minutes, mais que plus on approche de la fin, plus il faudra un effort immense pour compenser la mauvaise moyenne obtenue jusqu'alors, jusqu'au point où il faudrait atteindre une vitesse supersonique pour mathématiquement compenser la lenteur du début (alors que l'inverse est bien plus simple: si vous arrêtez de ramer, alors vous n'atteindrez jamais le but, de façon certaine).

Je songe à Simone Veil, à une réflexion à propos du retour des camps: «le plus dur, c'était pour les plus âgés. Nous, nous avions quinze ou seize ans, toute la vie à construire. Mais ceux qui avaient cinquante ans, qui avaient tout perdu, ils n'avaient plus le temps, il n'était plus possible de reconstruire.»

Ourlets et boutons devant la saison 3 de Colony. Ce n'est pas très bon (scénario peu rigoureux qui oublie des détails du passé) mais illustre bien la difficulté de prendre des décisions en univers incertain: quelles que soient les rationalisations qu'on se donne, il s'agit en définitive de pile ou face.

Divers

Recherche sur les débaptisations. Ça augmente à partir de 2009, partout en Occident (Espagne, Italie, Argentine, Belgique, France, Pays-Bas, Angleterre,…)

Davantage de RER.
Le parking de Boissy, que je n'avais pas utilisé depuis quatre ou cinq ans, est défoncé comme j'ai rarement vu un parking défoncé: de vraies baignoires. Une carcasse de voiture calcinée, deux ou trois places au bitume fondu: mais que se passe-t-il ici?

Rédigé à l'intention des commissaires aux comptes dans le but d'un audit une typologie des anomalies rencontrées l'année dernière avec notre prestataire. Exercice fun.

Une somme importante (l'équivalent d'un salaire) est en cours de virement sur le compte joint. Qu'est-ce que c'est? Les impôts? Si oui, nous aurons beaucoup gagné au prélèvement à la source. On verra demain. (Quoi qu'il en soit, ça tombe à pic: ça rembourse les billets de train inutilisés en décembre.)

J'écris d'une oreille en assistant à une réunion de préparation aux municipales. (Hier, j'ai reçu une invitation aux vœux de «notre» député (NDA pour ceux qui l'ignorent) timbrée par l'Assemblée nationale… façon de soutenir le maire sortant sans débourser un centime — et de rappeler que voter pour un autre maire, c'est perdre le soutien de ce député.)

Pessimisme ecclésial

Il paraît que je suis pessimiste.
C'est la conclusion de mes camarades d'atelier de rédaction de mémoire de théologie (cinq «de» : record battu). (Principe: nous lisons nos travaux réciproques et apportons nos commentaires, conseils, incompréhension…)

Je le confesse. Entre les catholiques très respectueux des normes qui ne supportent pas qu'on touche à quoi que ce soit (le pompon revient aux évèques américains qui traitent le pape François d'hérétique — mais la plupart d'entre vous auront en tête la Manif pour tous); les catholiques qui pensent qu'il faudrait s'attacher plus à l'esprit qu'à la lettre, c'est-à-dire davantage aux pauvres et aux étrangers qu'aux pratiques sexuelles de chacun dans et hors mariage (les scandales sexuels de l'Eglise se présentant dans ce contexte comme une hypocrisie insupportable); et les autres, croyants, athées, bouffeurs de curés, qui regardent l'Eglise avec ahurissement (au mieux) ou haine (hélas), j'ai l'impression que l'Eglise est dans le même état de tension et de crise qu'en 1960, avant Vatican II.

J'ai présenté une ébauche de plan, trop détaillée et pas assez articulée pour être vraiment un plan. Ce qui m'a frappée, c'est que le diacre qui anime l'atelier m'a dit quelque chose comme «Pas la peine de parler de ce qui va mal, inutile d'insister», mais à mi-voix, en passant, et je ne sais pas s'il voulait parler des scandales sexuels. (J'ai été si surprise (car par ailleurs l'ICP organise des soirées et débats sur le sujet) que le temps que je réagisse et pense à demander des précisions, nous étions passés à autre chose.)
Je ne vois pas de quoi d'autre il pouvait s'agir. Mais pourquoi ne faudrait-il pas en parler? Pourquoi avoir peur de ce qui est vrai, avéré? N'est-ce pas à la condition d'avoir un discours vrai sur ce sujet qu'il sera possible de restaurer une certaine crédibilité de l'Eglise? Ou en creux, refuser d'avoir un discours vrai sur ce sujet, n'est-ce pas se condamner à perdre toute crédibilité sur tous les autres sujets?


J'ai repéré ce livre pour mettre un peu d'optimisme dans ma conclusion.

Catéchisme

Cette année, je n'ai pas été recontactée par la responsable de l'année dernière. Il faut dire que le courant passait mal entre nous. N'empêche, je suis un peu vexée, un peu déçue, un peu inquiète: est-ce que j'ai mal enseigné? Est-ce que les enfants étaient mécontents? Ou les parents? Ou n'est-ce que la responsable qui ne voulait plus de moi dans son équipe?

Dans le fond ça m'arrange, les enfants me font peur et je ne savais pas comment j'étais censée m'y prendre. Mais malgré tout, mi-vexée, mi-inquiète.

En juin, la responsable du bulletin de la paroisse avait demandé aux catéchistes leur témoignage. Voici ce que je lui avais donné (en sachant qu'elle couperait largement: je voulais lui laisser le choix des thèmes abordés, qu'elle puisse caviarder à l'aise en fonction de ce qu'auraient écrit les autres).
Pourquoi avoir accepté de « faire » du catéchisme? La réponse ressemble à une boutade: parce qu’on me l’a demandé. Cependant, n’est-ce pas tout ce que demande l’Évangile, à plusieurs reprises et sous des formes variées : répondre «oui» à un appel, même si l’on ne se sent ni très à la hauteur, ni très armé? (Mais comment je vais faire? Est-ce que je vais savoir faire?)
Par ailleurs, je suis convaincue de l’importance du catéchisme. Tout commence au catéchisme. C’est le premier lieu de la transmission. C’est le lieu qu’il faut tenir. C’est une question que je pose aux enfants quand je les vois me regarder lors de notre première rencontre, déconfits de s’être levés un dimanche pour une heure de quelque chose qui ressemble beaucoup à de l’école:
— A votre avis, pourquoi êtes-vous là? Pourquoi vos parents vous ont-ils inscrit au catéchisme?
— Pour qu’on connaisse Dieu et qu’on apprenne à l’aimer?
— Oui, bien sûr. Pour connaître et aimer Dieu. Mais pourquoi il est important que vous soyez ici, pourquoi vous, vous êtes importants? (Ils se regardent d’un air sceptique: eux sont importants?)
— Parce que vous êtes les suivants. Vous avez déjà fait de la course de relais ? Vous vous rappelez le nom du bâton, ça s’appelle un témoin. Vous êtes là pour qu’on vous passe le témoin. Les chrétiens ont besoin de vous, l’Église a besoin de vous pour qu’on continue à raconter l’histoire de Jésus et à croire en sa promesse. Vous êtes les suivants. Sans vous ça s’arrête.
(Entre nous, je ne sais pas si je les ai vraiment convaincus. Mais un ou deux deviennent attentifs. Et moi j’en suis convaincue : sans eux ça s’arrête. «Vous êtes la lumière du monde»: ils sont la lumière du monde et ils ne le savent pas. Nous devons tout faire pour faire naître et entretenir cette lumière.)

Qu’est-ce que cela m’apporte? Là encore je vais répondre par une boutade : beaucoup de panique. J’ai le bagage théorique nécessaire, mais je n’en ai aucun en pédagogie et je panique la veille, le matin: qu’est-ce que je vais raconter aux enfants? Et comment? Je n’ai pas d’aptitude en coloriage ou en découpage ou en chansons. Alors je révise les textes, j’essaie de trouver un axe intéressant, quelque chose à leur montrer, une carte de Méditerranée, une bible en hébreu... J’explique le contexte, la géographie, le vocabulaire («qu’est-ce que c’est, un scribe? Vous avez déjà vu du lin?») J’essaie de montrer combien les émotions et réactions des hommes et des foules d’hier et d’aujourd’hui se ressemblent, les peureux, les courageux, les enthousiastes, les indécis. J’attache beaucoup d’importance à ce qu’ils aient bien compris les textes. Ce que je préfère, c’est le dialogue avec les enfants, leurs questions et leurs réponses. Ils sont terriblement sérieux (je leur ai posé la question: à la place du père, eux n’auraient jamais donné l’héritage à l’enfant prodigue), mais aussi provocateurs: «la résurrection, c’est comme Mario Kart, on a plusieurs vies. — Sauf que dans Mario tu n’as que trois vies, alors qu’avec Jésus, c’est pour toujours»).

Cette année, j’ai eu le souffle coupé par la question d’un futur communiant, alors que je venais de raconter Jésus visitant les apôtres barricadés dans une maison après la crucifixion: «mais Madame, est-ce que tout ça c’est vrai?» Souffle coupé qu’il ait attendu si longtemps pour la poser, mais aussi qu’il ose la poser. Je m’applique toujours à répondre avec le plus d’exactitude possible. Pour moi il est fondamental que ma réponse corresponde à ce que les enfants voient et vivent au quotidien, qu’il n’y ait pas de divergence entre le discours de l’Église et leur expérience du quotidien: «Pour moi c’est vrai. Pour toutes les personnes que tu vois à l’Église, c’est vrai. Les évangélistes ont raconté la vie de Jésus, puis Paul et les premiers Chrétiens, et c’est venu jusqu’à nous. Nous attendons le retour de Jésus et nous croyons à la vie éternelle. Mais tout le monde n’y croit pas. Il y a des gens qui ne le croient pas.»
C’est ce que j’aime avec les enfants : d’une certaine manière c’est avec eux qu’il est plus facile de parler sur le fond, de parler de ce qui compte vraiment. Car à quel moment dans nos vies parlons-nous de notre foi, et avec qui ?
J'ai écrit cela, une partie a été publiée dans le bulletin paroissial en juillet, et en septembre je suis débarquée: pas de doute, je suis vexée, même si soulagée!

Incarnation

A l'ICP :
— Parfois, j'ai l'impression qu'ici on vit hors de la réalité, comme si tout le monde était croyant alors qu'en réalité presque plus personne ne croit. Par exemple si j'interroge sur le sens de passion avec un P majuscule, on me dit «mais si, je sais», et quand je demande des précisions: «c'est religieux, non?»
— Oh lala, si tu savais! Des ados m'ont dit il n'y a pas longtemps: «Jésus, il a pris cher!»


Et tout bien réfléchi, ce n'est pas une mauvaise définition, ni de la Passion, ni de la vie de Jéus: d'il a pris chair à il a pris cher.

Coming out

Je continue mes lectures, ma recherche de bibliographie. L'idée est de trouver des livres qui permettent "d'entrer en dialogue" (formule consacrée). Le problème, c'est qu'on découvre des textes qui ont si bien traité les questions qu'on voulait aborder qu'il n'y a plus grand chose à dire (déjà que…)

J'en profite pour partager ce passage qui m'a fait sourire.
L'investissement personnel, nécessire à la formation théologique universitaire que propose le Cycle C est d'une telle ampleur qu'il implique des décisions assez radicales en termes de priorité et d'organisation aussi bien sur le plan du travail personnel que sur le plan de la vie familiale. Pour autant, l'étudiant reste souvent très discret sur son engagement dans ces études. On perçoit une réelle réticence à dire et partager les études entreprises; plusieurs étudiants évitent de faire ce que l'on pourrait appeler leur «coming out» […]

[…] L'idée même de retourner «en classe», de suivre des cours après une journée professionnelle souvent chargée, de lire des livres, de passer des examens et de rendre des devoirs, sucite étonnement, voire admiration. A l'intérieur d'une vie déjà prise par une famille et un métier, choisir de consacrer du temps — et d'engager des frais — pour continuer des études paraît déjà considérable. Mais quand le contenu des études est révélé, l'étonnement croît encore, et vire parfois à l'inquiétude: «Mais, à quoi ça sert?»

"Les engagement ecclésiaux des laïcs formés en théologie", par Christelle Javary et Luc Forestier, dans Des laïcs en théologie: pourquoi? pour qui?, direction Brigitte Cholvy, Bayard 2010, p.122-123
Je me souviens il y a sept ans avoir hésité à avouer mes études ici, puis avoir décidé de vous faire confiance, ô vous lecteurs habituels ou de passage.
Pourquoi ce mot de confiance? parce que théologie appelle religion, et religion évoque obscurantisme (et pire désormais avec les scandales pédophiles).

Comment rendre compte des trésors d'intelligence, de réflexion et d'équilibre rencontrés en théologie, quel sens peuvent-ils avoir en dehors de la foi?
Et s'ils n'en n'ont pas, quel gaspillage de force, quel dommage, et à quoi bon?

L'impossible foi

Deux heures de théologie au lever du soleil, entre sept et neuf heures. Je finis l'article de Lemieux et je reprends Dosse.
Comment faire de la théologie, pourquoi faire de la théologie, je tourne ces questions comme un sujet possible de mémoire de licence. En 1966 Roustang se fait virer de Christus parce qu'il prévoit l'indifférence des générations futures.
Si l'on n'y prend garde et si l'on se refuse à voir l'évidence, le détachement à l'égard de l'Eglise, qui est largement commencé, ira en s'accentuant. Il ne revêtira pas alors, comme dans le passé, la forme d'une opposition ou celle d'un abandon, mais d'un désintérêt tranquille à l'égard, disent-ils, de cette montagne d'efforts qui accouche inlassablement d'une souris.

François Roustang, «Le troisième homme», Christus, n°52, octobre 1966, p.567, cité par F. Dosse, Michel de Certeau, le marcheur blessé, p.87
Je repense à H. en 2012, son effarement, son incompréhension devant mon cursus de théologie: «Mais enfin, ta religion, elle est morte!»
J'ai raconté cette anecdote plusieurs fois, choquant certains. Comme l'a souligné un élève, «bref, tu n'es pas soutenue à la maison». Ce qui est difficile à expliquer, c'est que dans un certain sens je préfère cela. Je préfère cela à ceux qui paraissent vivre dans un monde que je ne connais pas et qui m'effraie (de l'extérieur), un monde où tout le monde est chrétien, croyant, pratiquant, où la foi, les rituels, la connaissance des Ecritures vont de soi. Qu'est-ce que ce monde, où se trouve un monde pareil, s'agit-il d'un "vrai" monde, en prise avec la réalité, avec les Pokémons et Instagram?
Dans mon monde à moi croire ne va pas de soi, c'est plutôt une anomalie, pour ne pas dire un signe de bêtise, de léger attardement mental. Dans mon entourage, certains pensent que tout le mal vient des religions (comme si les hommes ne trouveraient pas autre chose pour se faire la guerre!) et Jacques, que j'aimais tant, semblait bien convaincu que tous les curés étaient pédophiles.
Je préfère vivre dans ce monde-là qui ne comprend pas comment il est possible de croire (titre d'un groupe Facebook: «Je n'ai pas d'ami imaginaire») parce qu'à vrai dire, je ne suis pas sûre de comprendre non plus.
Mais je crois, c'est ainsi.
Pourquoi? (non, pas de psychologie à deux balles, please).


Petit déjeuner, une heure de nage dans la mer, sieste, déjeuner, bataille avec l'informatique (le peu de photos que je prends est devenu inutilisable, je n'arrive pas à les transférer de mon téléphone), blogage, dîner à Katerini où nous sommes les seuls touristes. La place principale est joyeuse, tout le monde est dehors, les gens élégants, les enfants jouent pendant que les parents dînent, on est bien.

Finance et théologie

Les deux notes de ma journée.

Comité d'audit annuel puis une conférence très technique de Vincent Hozler sur la foi trinitaire. (Elle sera sans doute en ligne dans peu de temps).

Citations patristiques (Irénée, Augustin), scolastiques (Anselme, Thomas), contemporaines (Barth, Urs von Baltasar, Rahner). Elaboration intellectuelle de haut vol autour du caractère testimonial et dialectique de la foi trinitaire.

Je retiendrai simplement : se méfier de la voie courte de l'analogie. «Je préfère la voie longue de la dialectique, plus longue et plus périlleuse.»

Je sais que c'est très vrai dans mon cas : il y a une paresse à se débarrasser d'un problème par une image, un parallèle, une analogie, plutôt que passer par le long détour de l'observation et du commentaire. Lire et mûrir.

N'empêche que tout cela est très complexe. Est-il vraiment utile de se tordre ainsi les méninges sur des sujets où quoi qu'il en soit nous ne pourrons pas mener d'expériences pour valider ou invalider nos thèses?
J'en discute avec Jean-Marc en sortant. Il en ressort deux axes : d'une part cela permet tout de même de clarifier ce qui n'est pas vrai, ce qui ne peut être soutenu. Ce n'est pas parce que ce n'est pas vérifiable en élaborant les conditions d'une expérience que ce n'est pas vérifié dans l'existence (dans l'expérience vécue, celle qui survient). Tout n'est pas vrai, certaines propositions peuvent être résolument écartées, avec certitude : lire et réfléchir permet de savoir lesquelles avec décision. D'autre part cela dépend des personnes avec qui l'on discute. Mon entourage est généralement curieux, bienveillant, il lui convient mieux de faire appel aux récits et à l'affect. Avec d'autres qui tendent à vous prendre de haut sur le thème «je ne crois pas à ces racontars de bonne femme», il est bon de prouver qu'il y a derrière tout cela une solide et très fine réflexion philosophique et anthropologique.

Le comité d'audit s'est terminé si tard que je n'ai pas eu le temps de dîner avant la conférence. En sortant je vais prendre un mojito et manger des cacahuètes.

La vérité, au fond

H. était à Tours pour la journée. Un ami cherche à recruter des informaticiens et H. les rencontrent pour vérifier leurs compétences.

Ils recherchent des candidats qui croient et aiment l'informatique tout en ayant compris que cela s'appuie sur les mathématiques. C'est volontairement que je décris cela de cette façon un peu étrange car H. se heurte toujours aux mêmes limites : des candidats qui n'ont pas le réflexe d'utiliser les mathématiques (même au niveau le plus simple, les problèmes d'ordres de grandeur, de dichotomie, de tri, de matrice), des candidats pour qui l'informatique n'est pas un mode d'être (il recherche des enthousiastes, des amoureux, des personnes qui vivent par l'informatique. Evidemment, c'est non seulement difficile à écrire dans une offre d'emploi, mais c'est également rare).
Je le rejoins gare de Lyon. Il oscille entre découragement, ébahissement (il me raconte un entretien de la journée : « il avait envie mais il ne savait rien»), exaspération.

Nous rentrons en voiture sous une pluie battante.

Je lui parle de l'invitation de Nicolas, de mon souhait d'inviter mes camarades de la catho. Il soupire. Je parle tout doucement:
— Mais pourquoi soupires-tu? Ce sont des médecins, des ingénieurs, des contrôleurs de gestion. Vous avez des sujets en commun, tu t'entendras avec certains, tu n'es pas obligé de parler religion et ils n'essaieront pas de te convertir.
Il répond, lui aussi très bas:
— Mais justement, pourquoi… (sous-entendu, pourquoi des gens comme ça, avec ce cursus-là, croient-ils en Dieu? Quelle bêtise, quel dommage, quelle perte du bon sens…)
Pour une fois je dis le fond de ce qui est, de ce que je n'ose jamais dire parce que c'est personnel, aussi personnel qu'une déclaration d'amour:
— Parce que nous avons rencontré le Christ et que nous l'aimons.
Silence.
Il reprend du poil de la bête:
— Comme dirait Coluche, si tu le croises, salue-le de ma part.

Sur la prière

Un vieux jésuite reçevait un paroissien qui s'accusait d'avoir des distractions pendant ses prières.
— Vous avez de la chance, moi j'ai des prières pendant mes distractions.


(Commentaire invitant à l'indulgence : «tant qu'on ne prie pas on n'a pas de distraction pendant ses prières.»)


« L'inverse du péché n'est pas la vertu (quand on a fait un peu de psychanalyse, on sait ce que peut cacher la vertu), c'est l'action de grâce. »

(ce qui me rappelle Mgr Pansard : « il n'y a que trois prières : pardon, merci, s'il vous plaît. » )

Que font les théologiens ?

Je ne sais plus très bien comment rédiger ces billets : ne reprendre qu'un thème, une anecdote, courtement, ou en faire davantage un journal, des pierres de Petit Poucet pour se souvenir, ce qui complique le titre à donner au billet.

Ce matin, TG sur Gaudium et Spes. J'ai très peu travaillé, je l'ai très peu travaillé. Overdose de Vatican II, overdose d'émerveillement devant le miracle qu'a constitué ce concile. Je suis fatiguée de ce que je ressens comme de la propagande ecclésiologique alors que toute ma pente va à la christologie (en termes ordinaires : ma foi s'enracine dans les évangiles, pas dans les actes du magistère).

Il se passe quelque chose d'étrange avec la professeur. Il est évident que mon mode de pensée, mes interventions et mes interrogations la dérangent, à tort ou à raison1 — et elle recentre le débat. Soit. Ce qui est embarrassant, c'est qu'elle culpabilise et me demande ensuite si je boude ! (non je ne boude pas. Simplement je me demande in petto si l'on peut s'interroger librement (puisque nous sommes entre nous, croyants de bonne volonté) ou s'il faut s'autocensurer.)

Des exemples : l'une des questions porte sur l'Incarnation : sans la chute, le Christ aurait-il eu "besoin" de s'incarner, se serait-il incarné ? Dun Scott penche pour oui, Thomas d'Aquin pour non.
Une autre question porte sur le péché : pensons-nous (chacun de nous, dans la salle) le péché comme constitutif de l'homme, ou pensons-nous la création (Création) comme essentiellement bonne, et l'homme fondamentalement bon, ensuite seulement corrompu par le péché ?
Depuis Vatican II la deuxième position prime mais pendant longtemps l'Eglise adoptait plutôt la première. Sur les deux questions, les deux positions sont possibles, acceptées par l'Eglise, ce qui amène mon interrogation de fond : que font les théologiens ? (de quelle nature est leur réflexion ?) : s'enferment-ils dans leur chambre pour prier et ensuite écrire, dans une inspiration tels les prophètes, ou nous livrent-ils leur opinion (étayée par la prière et l'étude des textes et de la tradition, bien sûr) qui dépend en grande partie de leur personnalité plus ou moins optimiste ?
Cette question-là n'a pas plu.
Suis-je la seule à ressentir du malaise devant le travail des théologiens, devant cette façon de vouloir expliquer l'incompréhensible et de le réduire à dimension humaine ?
Mais y a-t-il moyen de faire autrement si l'on veut se servir de sa raison ?

En sortant, shopping. Ça fait quelques semaines que j'y songeais, j'ai froid et je n'ai rien qui me corresponde vraiment dans ma garde-robe pour les jours froids.
Deux robes grises en laine chez Max Mara. La vendeuse est charmante.


Note
1 : autrement dit, il est fort possible que je sois hors sujet

Toujours à la recherche d'un sujet

Un moine parle :
« Pour venir de La Pierre-qui-Vire, je voyage par blabla car. C'est l'occasion d'une grande variété de rencontres. Cependant il y a trois points qui reviennent souvent dans les conversations :
- nous allons mourir ;
- dans le combat entre la vie et la mort, la mort paraît avoir le dernier mot ;
- seul l'amour permet de dépasser la mort. »

C'est exactement Harry Potter.
Et je me dis que si JY Lacoste a analysé Narnia, je pourrais proposer d'analyser Harry Potter, parce que ce répètent les sept livres jusqu'à plus soif, c'est la victoire de l'amour par-delà la mort : Harry Potter et le sacrifice, comme Narnia et le sacrifice d'Aslan.
Après tout, la citation sur la tombe des parents d'Harry : "le dernier ennemi, la mort" est une citation de St Paul.

Lundi

Se profile la première semaine entière de travail depuis longtemps (depuis la semaine du 20 mars, je pense).
Je continue à travailler lentement, une action après l'autre. Tout est très calme. Je n'ai aucun contact avec les administrateurs, les assurés n'appellent plus, personne ne s'inquiète des enveloppes T, du matériel de vote à envoyer. J'avance lentement, sans aucune pression.

A-C au téléphone. Nous parlons famille, enfants et mari. Ce qui ressort finalement, c'est à quel point l'irresponsabilité du conjoint finit par être insupportable. Ne pas pouvoir compter sur l'autre pour la protection du foyer et des enfants finit par dégoûter de la vie commune: à quoi bon? Soudain l'obsessionnel jusqu'au ridicule "il faut protéger ma famille" des films américains finit par trouver un sens.

Humanae Vitae. Dans ce qui suis je mélange réflexions personnelles et prise de notes. Je ne précise pas dans la mesure où le changement de style me paraît suffisant à marquer l'un et l'autre.
Ce texte est une invitation à la spiritualisation du désir.
Comment ne pas sourire ou soupirer ou avoir envie de pleurer en lisant ce texte qui imagine évident et partagé le désir de contrôle de soi et de soumission des instincts. Le problème (l'un des problèmes, mais je crois que c'est le principal) c'est que l'instinct génésique masculin est survalorisé, l'a sans doute toujours été, à la fois dans le temps et l'espace. Les maternités non désirées sont désignées comme mauvaises, non souhaitables, mais le manque d'appétit sexuel est toujours jugé une catastrophe. On lutte contre les maternités par une pilule, contre le défaut d'érection par une autre. Je n'ai jamais entendu personne insinuer que mis ensemble, ces deux "problèmes" n'en sont plus. La tendance du jour serait plutôt de toujours trouver de nouveaux moyens d'exciter et de satisfaire les instincts génésiques.

J'ai entendu un jour (dans le jardin de St-Serge, dans une allée, en passant) un prêtre orthodoxe parler de la gloutonnerie, englobant d'un même mouvement la luxure et la gourmandise en parlant des hommes ventripotents aux multiples enfants et de leur incapacité à contrôler leurs appétits — mais autant leur surpoids ne fait que punir le glouton, autant les multiples enfants punit la mère qui subit deux fois: l'insatiabilité de son mari et les enfants (grossesses et soins du ménage et éducation…) C'est cela qui provoque ce profond sentiment féministe d'injustice dans ces obligations: ce n'est pas celui qui est avide qui en subit les conséquences (eh oui: l'enfant comme malédiction et non bénédiction, c'est que l'Eglise est incapable d'imaginer.)

Ne pas écraser la vie spirituelle par le respect d'une loi extérieure.

L'idéal, le réel, le possible : triade posée par certains théologiens. Benoît XVI refusait de dissocier réalité et idéal, tandis que le pape François parle de l'attention à porter aux situations "non-pleines" (ie accepter les situations non parfaites (ce qui rejoint la loi de gradualité de Jean-Paul II)), dans l'espérance qu'elles sont une étape vers un amour plus grand.

De nombreux théologiens ont protesté (à l'époque de la parution d'Humanae Vitae, 1968), certains ont été interdits d'enseignement.

L'acédie

Acédie: la première fois que j'ai entendu ce mot, c'était Ricœur qui parlait de la vieillesse et de l'approche de la mort: «La tristesse est liée à l'obligation d'abandonner beaucoup de choses. Il y a un travail de dessaisissement à faire. La tristesse n'est pas maîtrisable, mais ce qui peut être maîtrisé, c'est le consentement à la tristesse, ce que les pères de l'Eglise appelaient acédie. Il ne faut pas céder là-dessus.» (Les Cahiers de L'Herne, 2004)

J'ai appris hier que c'est l'une des huit pensées qui, selon Evagre le Pontique, tentent de détourner le moine de la prière et de l'adoration. Quand Cassien a traduit en latin la pensée d'Evagre, il a réduit ces huit pensées à sept péchés (sept tentations), en rassemblant l'acédie et la tristesse sous le terme de paresse. (Intéressant: la paresse n'est donc pas comme je le pensais une volupté dans la farniente mais un découragement devant la tâche à accomplir, ou encore devant l'inutilité apparente de nos efforts.)

Jamais donc je n'aurai autant entendu parler d'acédie qu'aujourd'hui, sans doute du fait de la présence d'orthodoxes.

***

Les interventions du matin ont été si techniques que je n'ose les rapporter: trop d'approximations. (Il y aura des actes pour ceux que cela intéresse).

L'après-midi a comporté trois interventions sur la compréhension du péché dans différentes cultures: Afrique (vidéo provocatrice nous montrant un "précheur du réveil" totalement illuminé (le Christ vous mènera vers le succès et vous sauvera du malheur); Asie et les problèmes de traduction (choisir parmi les mots déjà existants représentant le mal ou le malheur, d'où des résonances culturelles in-entendues des Occidentaux, inculturation ou aculturation); Amérique latine (théologie de la libération: peut-on réellement demander aux plus pauvres de se sentir pécheurs, existence du péché/faute et péché/malheur).

François Clavairoly, protestant, a terminé la journée par une communication intitulée «le péché et la grâce, sans indulgence». Je n'avais pas du tout saisi qu'il s'agissait "des" indulgences, mais Clavairoly étant protestant, je suppose qu'il n'a pu résister à cette petite provocation (qui suppose déjà une confiance dans son auditoire). Ce que j'en retiendrai, c'est que la première chose que Dieu trouve mauvais, c'est la solitude: «il n'est pas bon que l'homme soit seul». Le péché est ce qui isole, ce qui éloigne, ce qui coupe.

(Et je vois d'ici certains lecteurs qui vont se morfondre: "ch'uis tout seul!" Non. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit, vous avez des amis, des familles. Attention à l'acédie cf ci-dessus)

Péché I

J'avais vu à l'institut protestant une publicité pour un colloque de l'ISEO (institut supérieur d'études œcuméniques) sur le péché: «Comment parler du péché en 2017?»
Bien que mon féminisme se méfie instinctivement de toute évocation du péché (parce que le péché "originel" qui permet d'accuser les femmes de tout et n'importe quoi me paraît une manipulation ecclésiale du genre «celui qui veut noyer son chien dit qu'il a la rage»), je me suis inscrite dans l'espoir de trouver des pistes pour mon oral de théologie en morale fondamentale (très important, le "fondamentale", la prof a insisté).

Je ne livre que quelques anecdotes et quelques pistes.

Quatre personnes de quatre confessions sont intervenues pour répondre à la question: «Quelle est à votre avis le problème le plus grave dans votre Eglise le péché le plus grave ?»

- Brice Deymié, protestant aumônier de prison, fait d'abord remarquer la différence entre le péché (transcendance, coupure d'avec Dieu) et les péchés (toujours personnels). Sa réponse à la question : la tentation de l'Eglise : se prendre pour Dieu.

- Michel Kubler, catholique, répond catégoriquement: la pédépholie. Il parle de Mgr Lalanne qui a fait l'erreur de répondre par des nuances théologiques à une question médiatique1 et insiste sur la condamnation permanente de Ratzinger (devenu Benoît XVI) qui est allé jusqu'à parler de "péché structurel". Démarche de conversion pour ne plus protéger l'institution et pour accompagner les victimes.
Il cite plusieurs livres, j'ai retenu celui d'une paroissienne qui étudie la façon dont une communauté se tait, s'est tue: Isabelle de Gaulmyn, Histoire d'un silence. Péché de l'Eglise, péché du peuple de Dieu.

Luc Oleknovitch, pasteur de l’Union des églises évangéliques libres de France (UEELF): péché de pharisaïsme : faire porter aux autres ce que nous ne portons pas nous-mêmes; péché d'infidélité : quand une Eglise ne me plaît pas, je vais en voir une autre. Recherche de la satisfaction émotionnelle. Si je devais définir ce péché, je l'appellerais "ingratitude".

Marc-Antoine Costa de Beauregard, orthodoxe (se signe avant de commencer). Le péché le plus grave: on m'a posé la question, spontanément j'ai répondu: "l'hérésie". Ouh là, qu'est-ce que je n'avais pas dit. Pour beaucoup, Dieu n'est pas la référence, la référence est la religion. Qui est Jésus-X pour toi?

C'est lui qui m'apprend que par la grâce du calendrier lunaire, tous les chrétiens vont fêter Pâques à la même date.

Citation de Brice Deymié: «Un directeur de prison me disait (les directeurs de prison sont souvent des personnes remarquables): "vous verrez, toutes les personnes que vous rencontrerez ici ont en commun qu'on ne leur a jamais dit "je t'aime".»
«On demande soudain à la prison de faire des miracles, de réussir là où la famille, l'école, etc., ont échoué…»

La salle demande comment parler du péché aux enfants. La réponse m'a fait sourire, car elle reprend l'adage «les protestants c'est toujours oui, les orthodoxes c'est toujours non, les catholiques ça dépend). Le prêtre orthodoxe répond qu'il faut commencer très tôt, que dès trois ans, les enfants savent exprimer la douleur de la faute et le besoin de la réconciliation; le catholique répond qu'il préfère attendre l'âge de raison (utiliser l'image de la ficelle cassée que l'on renoue); le protestant répond que les enfants culpabilisent déjà suffisamment spontanément, il préfère insiste sur la foi, la présence du christ; parler du péché ça vient toujours assez tôt.

Il n'y a pas de raison de parler de péché à quelqu'un qui ne croit pas. On peut faire appel à sa conscience, etc. mais on ne peut pas parler de péché à quelqu'un qui n'a pas la foi, ça n'a pas de sens (Michel Kubler).

Une question de la salle me fait sursauter en rappelant que l'œcuménisme, ce n'est pas «tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil»: c'est un effort constant, avec des désaccords profonds et douloureux quasi physiquement (on voit les visages se figer, se crisper), et qu'il faut une attention permanente pour dialoguer sans blesser. (En d'autres termes, c'est moins la question qui m'a impressionnée que ce qu'elle a mis en évidence de failles, de désaccord, de volonté de continuer ensemble malgré tout, de se parler et non se condamner).
La question: Quels sont les péchés que chacune de nos Eglises considèrent comme un péché chez l'autre qui sont des obstacles au rapprochement? je pense par exemple à la reconnaissance des homosexuels, à la dévotion mariale, …

L'après-midi sera plus léger, sauf dans sa première intervention.
Jean-François Colosimo, orthodoxe, nous parle du combat spirituels des pères au désert. Il s'agit par ailleurs d'une charge contre l'ennéagramme, le New Age, etc. : «des choix de confort, alors que la religion chrétienne est inconfortable».
Lire un aphogtegme des pères du désert par jour.
théorie latine: tous les hommes sont responsables (amendée plus tard par St Thomas)
Remplacer la dyade faute/pardon par celle de mort/vie.
Permet de déplacer la culpabilisation qui reste une culpabilisation de la construction de soi.
Evagre : huit pensées (qui deviendront à travers Cassien en latin: les sept péchés capitaux)
Ce sont les pensées qui peuvent assaillir le moine: donc les "péchés" sont des combats spirituels.
concupiscence : luxure, gloutonnerie, vaine gloire, avarice
frustration : colère, tristesse, acédie, orgueil.
Il ne faut pas perdre de vue l'acédie (l'abandon par désespoir, qui sera rassemblé avec la tristesse sous le titre de paresse : l'abandon du combat).

C'est étrange, pour moi il est beaucoup plus engageant de se battre contre de mauvais génies qui induisent en tentation (pour ne pas dire Satan, un reste de peur du ridicule) que de devoir bander sa volonté pour lutter contre soi-même (la paresse, la gourmandise, etc): vaincre un ennemi "extérieur" éveille l'esprit combatif, l'énergie vivante et joyeuse des combats de chevaliers.

Ensuite, deux interventions sur le péché représenté en art ou utisé dans la publicité (Genèse 3).

Je pars pour mon cours d'allemand. A 19 heures, dans le cadre du colloque, projection à l'IPT de Sous le soleil de Satan. Je m'ennuie. Cette exaltation n'est pas du tout mon genre.


Note
1 : «"la pédophilie est un mal, est-ce un péché? je ne saurais le dire, mais il faut protéger les victimes". En disant cela, il suivait la doctrine catholique classique, en s'appuyant sur la reconnaissance progressive par l'Eglise de la pédophilie comme maladie ou pulsion irrépressible».

Du matin au soir

H. est parti ce matin pour New York. Si j'ai bien compris, il monte cette semaine la filiale américaine de l'entreprise pour laquelle il travaille en France (les Américains sont tout à fait disposés à accueillir n'importe qui qui crée des emplois chez eux). Par "monter" j'entends création juridique.

Le soir, "rencontre avec Guzman Carriguiry à l'ICP autour du texte du pape François, Les laïcs, messagers de l’Évangile".
Je suis déçue: c'est une conférence, j'attendais quelque chose de plus informel. Chaque intervenant évoque Rosa, la grand-mère du pape, véritable héroïne le temps de cette soirée.

Comment se présenter comme catho en France au temps de La manif pour tous? (qui est encore en train de faire des siennes autour d'un film). Pour moi c'est impossible. Au lieu de parler de la pauvreté, de la précarité, de l'accueil des migrants, le discours est confisqué pour parler du mariage et des homos. Comment ne pas avoir honte de se présenter comme catho en France?
Il vaut mieux laisser s'approcher les gens. A l'usage je me rends compte de leur grande curiosité (croire? mais quelle idée bizarre et moyenâgeuse, à quoi cela sert-il?)

M. aurait dû me rejoindre. A-t-elle oublié? Ou son petit fils a-t-il eu besoin d'elle? Je pensais dîner avec elle, je suis rentrée le ventre vide.


Sûr comme la mort, Trump est en train de nommer un ancien de Golman Sachs.

Dimanche radieux

Ramer le samedi ne semble pas s'insérer naturellement dans mes semaines. Hier, encore un empêchement. Ce matin, un doute, y aller ou pas? Mais il faut y aller chaque fois que c'est possible puisque je ne peux prévoir ce qui surgira à la fin de la semaine suivante. Prendre ce qui peut être pris. Le héron. (La Fontaine)

J'arrive vers neuf heures moins le quart. Déjà le quatre de pointe vétérans est en train de rentrer, mais à quelle heure sont-ils sortis?

Nous sommes quatre, Bruno ne peut pas ramer, une rameuse préfère l'ergo (drôle d'idée), Philippe et moi sortons en skiff.

Le temps est magnifique. je n'ai pas vu passer septembre, les arbres commencent à se différencier, quelques rouges éclatants (une sorte de vigne), des jaunes, les verts foncent. Jambes nues encore, manches longues. Au retour, je regrette de ne pas avoir pris de casquette, quand la lumière se reflétant sur l'eau éblouit de face. Philippe et moi ramons à la même vitesse. Je le soupçonne de ne pas être très à l'aise (il plume) mais avoir préféré cela à monter en double avec moi dont il ne connaissait pas le niveau. Tant mieux, j'ai vraiment envie de faire un maximum de kilomètres en skiff avant l'hiver, le courant trop fort, le gel, le brouillard…
Encore cet ennui d'avoir abandonné "ceux de dix heures", je leur en veux de ne pas avoir davantage d'ambitions techniques, de désir de progresser, mais je sais que ce n'est que le reflet de mon sentiment de trahison: leur en vouloir est plus simple.

Cela me permet d'arriver à la messe de onze heures et demie. C'est un nouvel horaire proposé depuis deux ou trois ans, je n'en reviens pas du nombre de messes à Yerres : quatre chaque week-end. Le prêtre vient d'Amérique latine. J'avoue ici que cela me permet d'aller à la messe "invisiblement": je suis partie à l'aviron alors que tout le monde dormait, je reviens à midi passé comme avant; le fait que je sois partie bien plus tôt n'est pas vraiment perçu.
L'harmonie familiale y gagne (j'échappe au froncement de sourcil ou au haussement d'épaules, plus ou moins exaspéré selon les semaines), l'inconvénient est de ne pas affirmer ma foi (mais cela n'a jamais été ma pente. Pour moi la foi relève de l'intime, cela ne s'étale pas, comme tout ce qui est précieux.)
Par ailleurs, cette messe à cet horaire fait écho à celle que je suivais à la basilique de Blois, le dimanche après un cours de tennis. Il y a dans cet enchaînement du physique et du spirituel un lien naturel, logique, de l'ordre de l'exultation.

Vers le soir, ménage et rangement en écoutant Andromaque sur France Culture. Il est prévu que tout Racine soit diffusé. Quels beaux dimanches en perspective.

L'anaphore de St Jacques

TG sur la prière eucharistique. Etude de l'anaphore (offrande) de saint Jacques. (Il faut bien avouer que j'adore tous ces mots : anaphore, épiclèse, euchologie, scrutin,…)

Cette anaphore est une prière eucharistique orientale des premières siècles chrétiens. Le dossier que nous avions à préparer l'étudiait à la fois par rapport aux autres prières contemporaines, au catéchisme de Cyrille de Jérusalem, mais aussi à la prière juive du vendredi soir: différences et ressemblances.

Je reste stupéfaite de voir à quel point cette prière a traversé les siècles inchangée (juqu'à Vatican II, l'Eglise utilisait une prière fixée… par Ambroise de Milan). Rendre vivante la tradition, adapter pour conserver, la tension est permanente (j'avais aimé ces mots de JH Newman cités en cours et dont je n'ai pas la référence exacte: «il faut beaucoup changer pour rester fidèle».)

Il est sidérant de constater à quel point chaque mot compte, est pesé, renvoie à un geste ou une histoire (la lutte contre les arianistes, les marcionistes, etc.) Rien n'est là au hasard ou pour remplir les blancs, tout signifie.
Qu'est-ce que ces études ont changé? A cette question qui me laisse coite, je peux peut-être avancer aujourd'hui: elle a redonné du poids aux mots, moi qui après ma (dé)formation à Sciences-Po ne croyais plus au sens, persuadée que tout était tordable à volonté, entre politique et marketing, pour démontrer n'importe quoi (et même les chiffres se manipulaient): non, il reste des lieux où et des gens pour qui le monde et les mots ont un sens, qui utilisent les mots pour dire quelque chose de précis qui coïncide avec une foi. Cela a fait, cela fait, reculer le cynisme.

Récit et dialogue

TG sur la Trinité, avec ce moment étrange où on fait un tour de table en demandant à chacun de s'exprimer sur la Trinité:

- que risque-t-on davantage, le modalisme (trois modalités d'un seul Dieu (et non trois personnes en tant que telles, mais personne au sens antique et non moderne, chargée de conscience et de psychologie (mais qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire? Bien sûr que le ressenti de chacun par chacun a évolué, mais la notion est présente dès l'origine des écrits dont on dispose, non? Platon, Socrate, se considèrent bien comme des personnes, des individus. Le sentiment d'appartenance à la cité de Socrate ne l'empêche pas — au contraire — de mettre en avant sa propre opinion, son individualité)); donc que risque-t-on, le modalisme ou un trithéisme (accusation des musulmans)?

- comment vivons-nous la Trinité dans nos vies?
Euh… J'ai l'impression d'être à confess (nom des rencontres prof-élève en écoles préparatoires, du moins à mon époque) Qu'est-ce qu'une question pareille vient faire en cours? Serions-nous notés sur notre orthodoxie?
Je prends la parole, je raconte l'histoire de cette jeune fille qui me demandait si l'on pouvait s'inscrire au Cycle C sans être croyant, à qui j'avais répondu que c'était possible, mais sans doute non viable, car sans la foi, la motivation manquerait, c'était trop dur (déjà qu'avec la foi ce n'est pas facile tous les jours…) Mais elle n'avait pas entendu la fin de ma réponse, n'avait retenu que mon doute et avait protesté: «Ça me choque qu'on ne puisse pas s'inscrire en théologie sans la foi».
Ce n'était pas ce que j'avais dit, mais bon. Elle était encore étudiante, je n'ai pas insisté: comment expliquer une vie professionnelle et familiale à quelqu'un qui n'a jamais eu ni l'un ni l'autre — et qui n'est pas disposé à écouter? A quoi bon? Qu'elle essaie — ou qu'elle n'essaie pas.

Mais bon, «ce que je voulais dire, c'est que» je suis choquée de cette question sur la "Trinité dans nos vies" (entre guillemets pour souligner ma gêne, c'est vraiment le genre de sujet qui me paraît très privé): nous sommes en cours, pas en retraite spirituelle.

La prof insiste, nous nous soumettons, certains en restant abstrait, d'autres en jouant davantage le jeu, en étant précis, en parlant de prière, d'engagement dans leur travail. Nous dépendons pour une grande part de notre formation initiale, la qualité de l'enseignement reçu au catéchisme. Le mien, je m'en rends compte depuis que je suis ici, a été excellent, à croire que les prêtres de mon enfance passaient leurs nuits dans les commentaires théologiques et les analyses des conséquences de Vatican II. J'en suis rétrospectivement admirative.

Et donc, pour ne pas me dérober ici non plus, j'écris ma réponse: j'ai une foi christocentrée, sans doute parce que c'est l'entrée "naturelle" dans le catholicisme aujourd'hui (les enfants commencent avec l'Annonciation et Noël), sans doute aussi parce que j'ai lu les Evangiles dès qu'on me les a donnés (avant huit ans? après?), Jésus Christ est un compagnon quotidien, permanent1; je ne pense pas souvent à Dieu, dans une approche barthienne (un Dieu inconnaissable, sans mesure avec l'homme), partant du principe que les choses sont dans Ses mains et non les miennes; je vois souvent des signes de l'Esprit, les coïncidences, les coups de pouce dans les moments désespérés, ce que les athées appellent la chance ou le destin (toujours, déformation d'une vie parmi les non croyants, j'essaie de voir à travers leurs yeux). «Et il ne fit pas beaucoup de miracles dans ce lieu, à cause de leur incrédulité» (Mt 13, 58)

La prof ne triche pas et nous apporte son propre témoignage. Elle raconte également une anecdote dont je préciserai le cadre exact dès que je l'aurai retrouvé: comment, par expérience, les premiers moments d'un rapprochement passent par le récit de chacun, et non par la tentative de convaincre: se raconter, c'est accepter de se montrer, c'est le début d'une possibilité de se comprendre.


Note
1 : je me suis rendue compte, avec quelque gêne et un sourire amusé, qu'il y a un groupe sur FB qui peut très bien définir cela pour les non croyants: ce groupe s'intitule "je n'ai pas d'ami imaginaire". Le Christ comme le Hobbes de Calvin? De l'extérieur, c'est cohérent, je pense. De l'intérieur, ça n'a rien à voir, mais je n'ose pas m'expliquer. Ça m'intimide. C'est personnel (c'était déjà difficile en cours "entre nous", alors ici…)

Est-ce que cela a changé quelque chose pour vous ?

Comme l'oral "officiel" avait lieu pendant nos vacances en Espagne, je le passe en séance de rattrapage à l'église St Julien le pauvre (rite grec melkite) dont notre professeur est le curé (autant dire que la période est épuisante pour lui: Pâques, baptêmes, mariages, examens…, tout cela à caser dans un seul emploi du temps).
Nous sommes plusieurs dans ce cas-là; nous attendons notre tour assis dans l'église en chuchotant. Nous tentons de nous rassurer mutuellement, nous dédramatisons: «ne t'inquiète pas, même s'il regarde sa montre et semble s'ennuyer…» (mais quelle drôle d'idée aussi de demander à un professeur qui a écrit sa thèse sur Grégoire de Nysse d'interroger des étudiants qui ont eu douze heures de cours de patristique et ont lu un livre pour préparer un oral d'une demi-heure).

Grégoire de Nysse justement, Sur les titres des Psaumes. Je parle de sa bienveillance (et c'est vrai: je pense que la lecture de Grégoire de Nysse remonterait le moral de n'importe qui (pour info, c'est l'un des premiers à avoir envisagé un enfer vide (apocatastase, puisque Jésus a vaincu et vaincra) — après Origène, mais lui sans se faire condamner, simplement censurer dans certaines traductions ou copies d'époque); je décris sa thèse qui est que l'ensemble du psautier serait une progression en cinq étapes vers la béatitude, l'accès au sein de Dieu. Je ne sais pas répondre à une question plus générale, mais dans l'ensemble ça se passe plutôt bien.

Nous allons ensuite prendre un pot devant l'église, à trois ou quatre étudiants. Je les connais peu, ils ne font pas partie de ma promotion initiale, ce sont des "quatrième année", je suis en cinquième.
Et soudain, l'un d'entre eux demande: «qu'est-ce que ça a changé pour vous, cette formation?»
Panique à bord. Ils ont tous des choses positives à dire: ils écrivent plus, ils lisent plus, etc.
Pas moi.
Je lis moins, j'écris moins. Je me suis coupée de mes amis, je suis embarrassée de faire état publiquement de ma foi (même si je m'y force). Je ne suis pas à la hauteur de ce que je voudrais être ou faire (c'est de l'orgueil, sans aucun doute). Qu'est-ce que cela a changé? La découverte de noms, de domaines inconnus. L'apprentissage du grec. Mais est-ce que cela compte vraiment au quotidien? Qu'est-ce que cela a changé? Je ne sais pas. Il me semble avoir plus perdu que gagné, je me dis que je dois m'y prendre mal, il y a quelque chose que je ne dois pas voir ou faire.

Sainte-Anne

En faisant quelques recherches ce soir je tombe sur cela et j'ai honte: m'être réjouie que Charlie soit courageux pour qu'il se fasse assassiner deux ans plus tard… Avons-nous le droit de conseiller à qui que ce soit d'être courageux, si ce n'est à nous-mêmes?

Ce soir, je recherchais un billet que je n'ai pas mis en ligne. Il y a eu en septembre 2012 (pour la x-ième fois, la première fois remontant à 2005 au Danemark) des remous à cause de caricatures de Mahomet; sans doute y a-t-il eu des discussions autour du voile et de la laïcité ensuite, toujours est-il qu'en faisant des recherches sur internet j'étais tombée, je m'en souviens bien, sur des discussions très intéressantes sur un forum suisse (avec troll, mais un seul, ce qui est exceptionnel sur un tel sujet. Vive les Suisses.)

A l'époque, j'avais eu l'intention d'en faire un billet. J'en avais écrit le titre mais je ne l'ai jamais mis en ligne. Je l'ai retrouvé, c'était un billet daté du 6 novembre 20121.
Je ne l'ai pas mis en ligne car de fil en aiguille, j'avais eu la curiosité de chercher une photo de "mon" église, celle où j'ai fait ma communion et suivi mes premiers cours de catéchisme: Sainte-Anne à Agadir.

Et j'avais trouvé cela, qui m'avait fait froid dans le dos.
Et dans une attitude très "ne désespérons pas Billancourt" (septembre 2012, nous tâchions de comprendre ce qui allait sortir du printemps arabe qui s'enlisait après l'enthousiasme initial du printemps 20112), je n'avais pas posté cette photo et pas écrit de billet (aujourd'hui je le regrette car je n'ai plus de traces sur le vif de ce qui se passait et de ce que je pensais alors, juste des souvenirs flous).




Que se passait-il sur cette photo? Pourquoi? Elle datait de 2004, comment cela était-il possible? Les catholiques étaient-ils menacés en 2004 au Maroc? Les militaires assuraient-ils leur sécurité? Incroyable.
J'ai refusé d'y croire.

J'ai suivi le cours sur l'islam à l'ICP en janvier 2013 et en mars 2013, j'ai découvert en feuilletant L'islam que j'aime, l'islam qui m'inquiète que Tareq Oubrou était allé en maternelle chez les sœurs à Sainte-Anne. J'ai acheté le livre.


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Agenda
C'est officiellement l'automne : première sortie en collant et manches longues.
Quatre sans Ena 2. Moi à la nage, Tudal, Olivier, Marc. Deux tours de l'île.



Notes
1 : Si vous regardez l'adresse du billet, vous verrez qu'il porte le numéro 2386. Cela permet de savoir quand il a été créé: je détruis rarement les billets que je ne mets pas en ligne; soit ils restent dans les limbes; soit je les réutilise à une autre date.
2 : En avril 2012 RC avait appelé à voté Le Pen, en septembre j'écrivais de ce que je pensais de sa hiérarchie des priorités dans un billet sur la SLRC, billet qu'en janvier 2013 Rémi allait faire censurer dans le silence — et l'approbation? je n'y étais pas, je ne sais pas — des membres de la SLRC3. Période douloureuse et inquiète que toute cette étendue de temps, sentiments ou sensations que je ne sais pas, je ne veux pas, exprimer sur le moment — et qui se perdent, et que je perds, plus tard.
C'est étrange de se dire qu'on écrit tous les jours, et que pourtant l'essentiel n'y est pas — ce qui compte vraiment n'y est pas, la colère, la tristesse, l'angoisse, n'y sont pas. (Les émotions positives y sont davantages (smiley).)
J'ai entrepris de reprendre mes billets pour les passer en format html (au lieu de wiki), j'en profite pour les annoter le cas échéant, pour ajouter les commentaires amers ou les explications gardées en brouillon à l'époque.
Mais parfois je ne me souviens de rien. Ce n'était pas si grave finalement.
3 : Cette censure m'a causé un chagrin et une crise de misanthropie si violents que j'ai fermé FB en mettant cela sur le compte du besoin de travailler (mes cours), ne voulant pas me donner le ridicule de croire que cela pouvait affecter qui que ce soit. Je me rends compte aujourd'hui que durant cette absence de FB se sont développées des haines entre des gens que je pensais amis, haines que j'ai du mal à prendre en compte pour ne pas en avoir vécu la naissance et l'évolution.

Questions

Antoine me demande pourquoi j'ai entrepris ce cycle de théologie. La question lui a été posée ce week-end et visiblement il n'a pas réussi à convaincre son auditoire. Je parle de la nécessité de se former pour avoir une parole légitime dans un monde où la, les, religions ont pris une importance inattendue (inattendue il y a vingt ou quarante ans) et sans doute démesurée pour la tranquillité du globe.

Plus tard, Nicole, sans avoir connaissance de cette conversation et alors que je proteste contre les questions byzantines (au sens propre) concernant les deux natures du Christ, dit quelque chose comme «Tu n'as pas des questions, toi? on ne vient pas ici si ce n'est pas pour répondre à quelques questions» (heureusement Vincent se met à rire: «je découvre des questions que je n'aurais jamais songé à me poser», ce qui est un peu mon point de vue, à cela près que je ne me les pose pas davantage maintenant.)

Sans doute que je ne m'en pose pas assez. Mais les réponses me paraissent si ridicules, si humaines, si réduites à notre taille.

Quand j'avais six ou sept ans, au catéchisme, on nous a raconté l'histoire d'un enfant en train de creuser un trou dans le sable sur la plage. Un sage passe et lui demande ce qu'il fait: «je creuse un trou pour y mettre la mer», répond l'enfant. Le sage comprend alors que vouloir contenir Dieu dans son esprit est aussi ridicule que vouloir mettre la mer dans un trou creusé dans le sable.
(Des années plus tard (quand et comment?) je découvris que c'était un récit de Saint Augustin.)
Quoi qu'il en soit, la leçon a laissé des traces indélébiles. Il faut bien avouer que les réponses humaines me font sourire, mais la persistance à en chercher et à en trouver (trouver, inventer: synonymes, oui ou non?) m'intrigue: les théologiens sont des gens fins, intelligents et cultivés, et eux ne trouvent cela ni déplacés ni ridicules.
Donc donc donc… Donc quoi?

Retour

Dessau - gare St Lazare d'une traite. P. a conduit tout du long dans un trafic dense. Nous lâchons A. qui part à Lisieux une demi-heure plus tard.
Trop tard pour voir la lecture de Benoît autour d'Unica Zürn. Je vais donc en cours.

Le lundi c'est théologie.
La phrase du jour : «Vatican II était aussi une réponse à la critique marxiste: «le christianime endort. Vous souffrez maintenant? Ce n'est pas grave, au paradis ça ira mieux.»

PS : jardin tondu (compliqué car cela consiste plutôt à "faire les foins"), écran d'appoint changé (d'un écran qui pixellise à une merveille), malle d'habits triée… je devrais m'absenter plus souvent.

Nous en serions déjà là ?

Le cours reprend la conclusion du colloque «Le Concile Vatican II, des ressources nouvelles pour le gouvernement de l'Église» pour synthétiser l'apport pour l'œcuménisme.


Je résume, en simplifiant beaucoup, les points de vue sur l'épiscopat :
- les protestants : nous acceptons que vous ayez des évêques mais il vous (les catholiques) faudra accepter que nous n'en ayons pas.
- les orthodoxes : nous ne pouvons concevoir des évêques sans diocèse, c'est insensé. Prégnance des Eglises locales.

C'est alors que le professeur (prêtre) fait une remarque qui me glace: le pape François, dans une rencontre avec l'Eglise anglicane, a fait remarquer que nous entrions dans une nouvelle ère de martyre, et que cela donnerait sans doute un nouveau sens à l'œcuménisme (sous-entendu: nous allons devoir nous soutenir les uns les autres pour notre survie et les disputes dogmatiques vont sans doute passer au second plan.).

Effroi

Tous les jours une nouvelle horreur. Hier (ou avant-hier) le pilote brûlé vif, aujourd'hui les enfants crucifiés ou enterrés vivants… Cela ressemble terriblement aux descriptions des guerres de religion en France, à cela près que ce n'était pas filmé. (Comme je le disais en 2008, aujourd'hui même les camps seraient filmés (et en 2008, "l'info en continu" n'avait pas atteint les sommets atteints depuis Merah en 2012)). Impuissance, hébétude, fatalisme, et chez certains cette fascination qui me donne envie de vomir.

Bien entendu les ennemis des religions éprouvent une colère dont la férocité ressemble à de la joie, tenant "leur" preuve incontestable; les religions, ce n'est rien d'autre que le mal incarné, et devant tant d'horreur, il me vient à penser non pas qu'ils ont raison, mais que je les comprends, que je ne peux que les comprendre, ce qu'ils disent est incontestable.
Et je pense au nazisme et à l'hitlérisme. Refuser la transcendance n'est pas non plus un gage de bonté et de générosité.
Je ne sais pas ce qui produit le plus de crimes, ou ce qui est le plus irrationnel: croire en l'homme ou en Dieu.
L'horreur n'est pas un concours.

Mise au point

Je soutiens les musulmans, les musulmans «convaincus et pacifiques», comme dirait Monseigneur Dubost.

Je ne les soutiens pas dans une sorte de naïveté irénique du type «Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil». Je les soutiens par intérêt bien compris.

De même qu'en soutenant le droit des homosexuels à se marier, je soutenais le droit des femmes de ne pas être restreintes à la procréation (culture contre nature), de même en soutenant les musulmans dans leur droit à vivre leur religion dans le cadre des lois françaises je soutiens mon propre droit à vivre ma religion.

Car de «tous les musulmans sont de dangereux fanatiques», on passe assez vite à «tous les croyants sont de dangereux fanatiques».

Non.

Brume

Tellement de brouillard sur la Seine à Melun qu'on ne voyait pas les péniches qui passaient. Sorties interdites, pourtant un huit est parti dans le coton. Je songe à une nouvelle de Maupassant (mais laquelle?). Je regrette de ne pas avoir pris de photo: qu'aurait-on vu, qu'aurait-on compris?

Dormi tout l'après-midi. Je respire comme une bouilloire.



Je feuillette le Chenu acheté hier et trouve ces lignes de St Hilaire de Poitiers cité par Saint Thomas qui dépeignent à la fois mon impuissance et mon espoir croissants concernant mes études:
… C'est cette recherche qu'exalte Hilaire, dans son livre sur la Trinité: «Dans ta foi, entreprends, progresse, acharne-toi. Tu n'arriveras pas au terme, je le sais, mais le moindre progrès est déjà plein de grâce. Qui poursuit l'infini avec ferveur progresse, même s'il n'arrive pas à ses fins. Mais pour cela, garde-toi de prétendre percer le mystère, par cette immersion dans la vérité sans rivage; la première condition est de comprendre qu'elle passe toute compréhension.»
Somme contre les Gentils, Livre Ier, chap. 5 et 8.
Comm. sur le traité de la Trinité de Boèce, quest. 2, art. 3, rép. 5.

Marie-Dominique Chenu, St Thomas d'Aquin et la théologie, p.46

Enquête

Les questions sont ici.

1/ Tous les midis pratiquement.
Je dîne moins souvent à l'extérieur (à une époque c'était la marque de notre paresse) depuis que j'ai découvert, vers 2000, les magasins Métro: les litres de sauces au poivre, au roquefort, blanche, corail, les vinaigrettes toutes prêtes, les boudins d'œufs durs reconstitués, etc., m'ont dégoûtée de manger au restaurant: c'est meilleur chez moi quand Hervé est aux fournaux.

2/ J'ai rêvé cette nuit que j'étais enceinte.

3 et 4/ Non et non.

5/ Je ne crois pas.

6/ Oui, mais de façon limitée: religion catholique orientale ou orthodoxe (je ne sortirai pas du christianisme, et le protestantisme n'est pas une option).

7/ Oui, mais pas franchement à l'échelle !

8/ J'ai lu énormément de bandes dessinées entre vingt et trente ans. Je n'en lis plus aujourd'hui, sauf à retomber sur un album dans le salon. Je n'en lis pas que je ne connaisse déjà.

9/ Je ne crois pas. Je téléphone très peu, et brièvement.

10/ Aux fantômes, aux fées, aux lutins. A tout. (C'est ainsi que mon fils me pense superstitieuse.) J'ai tant de nostalgie de cet univers.

11/ Non. Ce n'est pas l'avion qui est en cause, mais les contrôles au sol : je déteste être prise à priori pour une criminelle, coupable tant que non prouvée innocente.

Nécessairement, c'est tout un ensemble.

J'apprends ce matin qu'Hervé Legrand était "disciple" de Congar.
Ainsi donc je m'étais entichée du disciple (1997) avant de connaître le maître, pour éprouver un coup de foudre pour le maître à la première citation de lui entendue (2011).
«La théologie est toujours biographique». (B. Cholvy)



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Agenda
Un prêtre polonais me demande des conseils pour une mutuelle. Euh… Je lui conseille de chercher une mutuelle couvrant le forfait hospitalier, soit la couverture minimale pour une cotisation minimale. Il reste à vérifier qu'il est bien couvert par la sécurité sociale française.

Retour sur un ancien chemin

Retour sur au club littéraires des anciens Sciences-Po, ce club qui réunit des anciens au restaurant une fois par mois pour présenter un livre sur un thème imposé et repartir avec le livre d'un des participants (bookcrossing).

C'est ici que j'avais rencontré Paul Rivière, il y a bien longtemps (septembre 2000. J'avais présenté Le Voleur de Bible. Par coïncidence, la dernière soirée à laquelle j'avais participé de façon régulière avait eu lieu le 11 septembre 2001 — marche dans Paris silencieux, sous le choc, pour rejoindre le restaurant. (Ce soir-là, Madame Bleu de Chine (comprendre l'éditrice de Bleu de Chine) intervenait).

Ensuite, je n'y étais plus allée que sporadiquement, prise d'abord par mon Deug de philo, puis par la découverte de RC et le forum de la société des lecteurs.
Cependant ce club est resté au long des années le prétexte des rencontres hebdomadaire avec Paul: il venait avec le thème de la prochaine rencontre, je proposais des auteurs, nous discutions. Les livres s'entassaient sur la table de restaurant en pile aussi haute que la bouteille.

Je n'arrive pas à me souvenir exactement de ma dernière participation; avant la mort de Paul en avril 2010. Sans doute en mai ou juin 2009. Je sais que les derniers livres que j'ai présentés étaient Vies politiques d'Arendt (quel thème? l'actualité, la culture? je ne sais plus) et Les gommes (thème: la ville).

Je reçois régulièrement les annonces des prochaines rencontres, et cette fois-ci, un peu par curiosité, un peu par ce que je me sens moins fatiguée que l'année dernière, je me suis inscrite. (Thème: "vos lectures non littéraires". J'ai présenté Souvenirs de Hans Jonas, m'apercevant en le feuilletant que beaucoup de noms inconnus en 2005 lors de ma première lecture (Bultmann, Löwith, von Harnack,…) me sont devenus familiers.)

Le hasard fidèle à lui-même m'a placée en face d'une dame revenant de plusieurs années au Etats-Unis qui enseigne quelques heures à la catho. La conversation a glissé sur le cycle C et a amené la fameuse question: pourquoi la théologie?
— La foi, sans doute. La montée de l'islam et la nécessité de "se connaître soi-même" pour répondre de soi et répondre aux autres. Et fondamentalement, c'est sans doute ce que j'aurais dû faire depuis toujours.

Pourquoi la théologie? Avouons que je ne sais toujours pas ce que c'est: de quoi parle-t-on? C'était un moyen d'échapper à la littérature, qui me paraît artificielle et affectée dès que je m'y penche, et à la philosophie, qui d'une part me dépasse souvent et d'autre part me met en colère, tant il me semble qu'elle joue à l'apprenti-sorcier, diffusant des idées (que l'on pense des conclusions mais qui sont des hypothèses) mises ensuite en pratique dans les cent ou deux cents ans suivants, causant des milliers de morts. (Evidemment, on peut répondre que la religion ne fait guère mieux. La théologie est-elle la religion? Il y a une phrase de Schmitt comme quoi un théologien souhaite la mort de ses ennemis. Bref, à suivre dans les prochaines années).

Un chose est sûre, c'est que cela me dirige où je voulais aller. C'est le chemin qui s'enfonce au cœur de mon obsession, s'il faut appeler ainsi une idée jamais absente, toujours présente: la destruction des juifs d'Europe. La question de Taubes demeure, «Que s'est-il passé?»

Je quitte la soirée avec deux livres, un policier et une sorte de catalogue d'exposition (Le Coup de filet de Camilleri et Moi, Eugénie Grandet de Louise Bourgeois). Le problème avec ces soirées, c'est que vous vous retrouvez avec des livres qui n'entrent absolument pas dans votre programme de lecture (par politesse, vous les prenez: c'est atroce de présenter un livre que personne ne choisit ensuite).

Opération

L'orthodentiste avait recommandé depuis longtemps que les dents de A. soient arrachées. Cette volonté de perfection et de norme m'agaçait un peu; d'un autre côté, je me souvenais bien des douleurs des dents de sagesse («il faut le faire pendant que tu n'as pas mal, je t'assure. Je te garantis qu'on a toujours mal un week-end ou un jour férié, bref, un jour où les dentistes sont fermés»).
Nous avions décidé d'attendre le bac, puis de retards en rendez-vous, la date avait été fixée aujourd'hui.

En cas d'anesthésie locale, un solide petit déjeuner est recommandé, j'ai prévu d'arriver tôt à Paris pour éviter les bouchons, nous allons aux Editeurs dont j'ai repéré la carte. A. prend ses médicaments (le dentiste a forcé la dose car elle a avoué son anxiété: elle plane un peu) et nous nous rendons au cabinet.

Le dentiste a du retard, nous attendons. En feuilletant un très beau livre sur l'art grec, A. a tout naturellement l'une des réflexions les plus païennes que j'ai entendues: «et dire qu'un jour, toutes nos cathédrales et tous nos tableaux auront aussi peu de sens que ces temples grecs…»
J'en n'ai le souffle coupé parce que je peux parfaitement adopter son point de vue. Après tout, pourquoi pas; après tout, c'est déjà le cas pour tant de gens; après tout, je suis capable de prendre la distance nécessaire à ressentir comme vrai ce qu'elle vient de dire.
Alors pourquoi m'accroché-je à l'idée que «cela ne sera pas»? Par peur, besoin de réconfort? Par conviction, entêtement?
Non, à cause de cette présence du Christ que je peux ressentir au quotidien à tout instant. N'est-ce qu'un fantasme? (mais à cette question il n'y a d'autre réponse que notre décision de répondre oui ou non, je le sais. Mais d'où vient cette décision, qu'est-ce qui la fait pencher dans un sens ou un autre?)

Je vais à la bibliothèque pendant l'opération. A mon retour, A. est un peu gonflée. Le dentiste souligne son courage: «cela a été très difficile, deux dents étaient coincées, il a fallu aller les chercher.»

Sur le chemin du retour, je m'arrête au Forum des Halles pour aller chercher un livre sur les Pokémon qu'elle a commandé. Je la laisse dans la voiture (les anti-douleurs la rendent flageolante et je ne tiens pas à ce qu'elle attrape un microbe dans la foule) et j'y vais: elle y tient tant; je suis persuadée qu'elle guérira mieux avec son livre qu'à se morfondre au fond de son lit en redoutant qu'il soit vendu parce qu'elle n'est pas allée le chercher assez vite.

Thème : mondialisation et religion

Au petit déjeuner, mes oreilles qui traînent entendent Maurice raconter son expérience du Rwanda dix ans après les massacres auprès des réfugiés (je raconte très à peu près, j'étais à la table d'à côté), le sang qui avait monté si haut dans une église (sans doute construite en amphithéâtre, sinon je ne vois pas comment c'est possible) qu'on voyait encore la marque du niveau sur la pierre de l'autel, l'histoire d'un homme qui avait fait mourir sa fille à la façon d'Antigone pour pouvoir réintégrer son village (je suis arrivée au milieu de cette histoire, je n'ai pas entendu le début, mais j'ai cru comprendre que ce que Maurice essayait d'expliquer, c'est que pour cet homme qui venait de sacrifier sa fille à la société, il n'y aurait rien d'exceptionnel dans le sacrifice de Jésus: «Qu'est-ce que je peux apporter à cet homme?»), «religion, sacrifice, orgie, tout cela est lié, c'est évident, tous les missionnaires le savent, la religion, ça commence par l'anthropologie et Levi-Strauss» (je mets des guillemets, mais bien entendu, c'est moi qui rapporte de mémoire.)

9h47 : les cigales commencent.

Je dois avouer que je décroche pendant une intervention étrange sur "mondialisation et religion" (comment quelqu'un qui nous a expliqué il y a trois jours que le temps n'est pas celui des horloges peut-il être autant dans le court terme et dans la défense de l'Occident? Je n'ai jamais compris qu'un défenseur des valeurs occidentales ne soit pas heureux de les voir se répandre. Mais de toute façon ce n'est pas clair, on ne comprend pas s'il craint qu'elles nous soient "piquées" (sic) ou qu'elles ne soient plus reconnues).
Beaucoup de gens dans l'assemblée sont agacés mais décident de ne pas trop le manifester. Cette sagesse, cette façon de vivre ensemble, ce refus conscient de la stigmatisation est instructif et me fait réfléchir, c'est presque la leçon de cette intervention.

Puis intervention d'Amal qui parle du christianisme en Inde, de la façon d'aborder les mystères.
Il évoque Roger Haight (Boston) - écrit condamné par l'Eglise («Il sera peut-être publié après sa mort…») mais je n'ai pas bien compris pourquoi. La façon de concevoir l'un et le multiple, la trinité, est difficile à reprendre ici. Lisez plutôt les livres de Michael Amaladoss.

Au dessert, Leonardo royal passe de table en table et sert la glace en se plaignant:
— Les filles m'ont laissé ça à faire, ça me casse les bras! (Il est dans le groupe des jeunes, ça lui va comme un gant.)
— Normal que tu serves la glace, tu es italien!
— Leoardo, pourquoi es-tu devenu jésuite?
— Je ne sais pas, mais maintenant que j'y suis, je me sens chez moi.
(Quelques jours plus tôt, il avait évoqué le choc de la rencontre de Teilhard de Chardin.)

Je relis et complète ces notes.
Je voudrais juste pouvoir interroger (et surtout écouter) Marc tout en ayant peur d'être envahissante (ce qui entraîne le paradoxe que je me tiens à distance).
Je pense à Mireille qui il y a bien longtemps disait sa crainte de voir disparaître la foi du charbonnier, à notre ami Bernard Gallière, jésuite, qui pensait dommageable que certains ne deviennent jésuites que par attrait intellectuel, à Maurice en train de dire dans le bus «Nous ne devons pas devenir une élite arrogante» (il parlait de la position d'une Eglise catholique devenant minoritaire en France); bref, tous ceux qui redoutent une religion de tête et non de cœur.
Mais rien à faire, la forme de pensée de Marc me plaît, entièrement tournée vers l'étude et les citations («l'homme qui cite plus vite que son ombre»), avec néanmoins un goût des films et des romans policiers (il faudrait que je vérifie ses connaissances en Tolkien, Star Wars et Douglas Adams).
Après tout, cela aussi est de l'amour (amour des textes, d'une langue, d'un peuple, curiosité pour le monde, attachement, désir de comprendre).

J'ai de tels coups de soleil après la journée d'hier que je préfère ne pas me baigner. Je reste au centre à écrire les cartes postales que j'ai enfin trouvées. Puis sieste sous les pins (j'adore regarder le ciel à travers les pins). J'avance dans le Mahbharata, nous partons demain, il faut que je le finisse.
Les autres préparent la veillée de demain, je me sens totalement incapable de faire quoi que ce soit, mais Guy a proposé que notre groupe lise à plusieurs voix "En attendant les barbares" de Cavafy, ce qui me fait bigrement plaisir.

Rencontre à quelques-uns avec le père Konditis qui nous parle de la Grèce. L'un des problèmes fondamentaux serait une absence de contrat social, la méfiance des citoyens pour l'Etat, depuis toujours (ce n'est pas dû à la crise, mais la crise l'amplifie). En contrepartie, les gens s'entraident.
Finalement, on dirait que de nombreuses structures qui semblent si naturelles à un Français depuis Napoléon ou Louis XI restent à mettre en place. L'immigration est proportionnellement très importante, car les Turcs laissent passer volontairement les personnes. Les ressources économiques sont peu importantes, l'agriculture a diminué car l'euro rend les importations plus attractives, le secteur industriel est faible, il reste la marine («cinq officiers grecs, vingt marins philippins», résume le père Konditis) et le commerce international. Tout cela a l'air bien mal engagé.

Dernier soir, remerciements et distribution de cadeau, apéro, dîner, veillée (cœurs de pierre, épitaphe chantée en grec classique, Cavafy, "Complainte du phoque en Alaska", coudre un bouton, kairos, pastèque, chèvre qui frissonne et moustique mystique).

Philippe Lefebvre sur Samuel ou Joseph


PS:
N'empêche, «—What time is it? —Kairos, kairos!», est sans doute le meilleur résumé de la session voire de la vie (de la façon dont nous devons vivre). Cette boutade est un trait de génie.

Trois jours

Mouillés.

- samedi. Rien de notable. J'emprunte un Gaston en allemand à la bibliothèque, mais hélas, pas de "Rhôgnutdju" qui permette d'avoir une idée de la traduction. H. plein de bonne volonté décide de tondre (quand j'arrive chez moi je songe à Houellebecq dans La carte et le territoire disant au narrateur: «Vous reconnaîtrez ma maison, le jardin n'est pas entretenu»); il est sauvé par la pluie.

- dimanche. Messe de Pentecôte dans une église comble du fait des premières communions. Le prêtre confie la lecture de l'Evangile à un pasteur dans l'assistance (je suppose que c'est un parent des premiers communiants), j'ai une pensée pour Vatican II et tout ce qu'il a rendu possible. Prêche: «J'étais hier à la cathédrale d'Evry où une centaine d'adultes entre vingt et quatre-vingts ans faisaient leur confirmation. Il y avait un homme de quatre-vingts ans qui faisait sa première communion». Pensée pour les conversions à l'islam qui font couler de l'encre. (Pour ceux qui ne le savent pas, la confirmation est le sacrement qui confirme le baptême: le catholique adulte confirme qu'il accepte les engagements que ses parents et parrains avaient pris lors de son baptême.)
Frites à la patate douce : pas bon (sucré) mais source de rires. Chute brutale de C. sur la terrasse trempée et gluante (noire, une sorte de moisissure due à l'eau qui ne s'écoule pas, les maçons ont oublié de la construire très légèrement en pente) dans l'après-midi. Il en sera quitte pour boîter. J'espère que la main n'est pas cassée. Mes beaux-parents arrivent trop tard pour que nous les entraînions voir The Grandmaster que j'avais envie de revoir.

- lundi. Matinée grecque, à essayer de démêler le passif du moyen, les verbes actifs au futur moyen, les verbes moyens à l'aoriste en thé, etc. Il faut bien reconnaître que je mélange un peu tout. Examen le 8 juin.
Upside Down. N'y allez pas.
Nous récupérons O. trempé et épuisé. Il vient de passer trois jours sous la tente et sous la pluie («Le problème de Jambville sous la pluie, c'est que ce n'est plus que de la gadoue. Celles qui étaient en Uggs ont pleuré» (Comme je trouve ces bottes mochissimes, j'ai pensé: «Bien fait!»)). Il a des brûlures et des ampoules aux mains. Il s'endort devant le feu.

Pâques

Le monde fantastique d'Oz. Assez lent à démarrer, une trame narrative parfois trop lâche (incohérences ou manques de détails pour lier deux événements), mais de très jolies images, des couleurs très vives, un héros aux multiples défauts, prétentieux et séducteur, trois sorcières, rouge, verte, blanche, la rouge incontestablement la plus jolie.

En mineur (mais nous pourrions aussi dire que c'est le "message" du film si nous voulions à toute force qu'un film ait un message), c'est une ode à la science, plus précisément au cinéma: le magicien, c'est Edison.
(Et je songe à Lewis Mumford, qui lie Moby Dick à la science, qui le définit comme l'alliance de la science et de l'imagination rendue possible par le XIXe siècle.)

La fin m'a laissé une étrange impression, j'ai pensé "C'est ainsi que naissent les religions", mais aussi "il ne faut pas désespérer Billancourt", en voyant Oz, la sorcière, la poupée de porcelaine, le majordome et le projectionnisme se mettre d'accord pour ne pas dévoiler la vérité afin que le peuple conserve sa confiance et sa force quand les méchantes sorcières reviendront «car elles reviendront», dit Oz, ce qui nous prépare déjà à une suite. (Ozimandias, ça commence aussi par Oz (pour ceux qui connaissent The Watchmen)).


Le soir, encore un disque de The Big Bang Theory. J'avance dans la saison 2. Penny évolue, elle résiste, elle est le regard extérieur sur ce groupe endogamique de chercheurs. Je crois que ce qui me tient dans cette série, c'est l'amitié entre les quatre garçons qui survit à toutes leurs brutalités de langage, à leur franchise asociale.%%% Les réalisateurs sont tout de même très allumés.

Les conséquences de la manif pour tous

Mes beaux-parents sont arrivés trois quart d'heure en retard au restaurant pour fêter les 70 ans de ma belle-mère en famille.


(Tout cela me fait penser à une phrase de Michel Evdokimov lors d'un colloque sur "la réception de Vatican II, cinquante ans après". Parlant du schisme avec l'Eglise orthodoxe, il a dit la voix pleine de regrets: «le schisme a provoqué la rupture du lien de charité. Nous avons commencé par nous détester, puis nous avons justifié cette détestation par des arguments théologiques. Il faut retrouver l'amour.»
Mille ans environ pour arriver à ces paroles. En voyant la "manif pour tous", je ne peux que songer à cela: nous sommes en train de rompre (ou l'Eglise a d'ores et déjà rompu) le lien de charité.

Le pape s'en va

J'ai pensé à Jean-Paul I, à mon incrédulité en apprenant sa mort.

J'ai pensé au départ de Steve Jobs et à Frédéric II, à je ne sais plus quel général des Jésuites auquel le pape avait refusé de démissionner malgré sa maladie.

Je pensais que le refus de la contraception et de l'euthanasie par l'Eglise catholique était lié à la conviction qu'il ne fallait pas s'opposer à la nature, à l'œuvre de la nature comme dessein de Dieu, souffle de l'Esprit Saint. Dans cet esprit, le vieillissement étant le terme naturel de la vie, n'était-il pas cohérent, ne serait-il pas cohérent, de le laisser faire son œuvre sans s'y opposer, sans prendre la décision de se dérober? (Je pensais que c'était ce qui sous-tendait l'attitude de Jean-Paul II, par exemple: la soumission au temps comme décision de Dieu.)

Ici, quelques paroles désenchantées, qui évoquent ce blog dont je donne le lien au moment où il ne servira (sans doute) plus. (Que va faire le pape? Entrer au couvent? Et quel sera son titre? Redevient-on "civil" quand on a été pape? Ou est-ce comme ministre?)

Quelques réflexions

J'ai un peu hésité, mais finalement je vous donne le lien vers mes notes de ces trois jours.

La nature de mon hésitation est de plusieurs ordres. Le premier et le plus bête, au sens de primaire, naïf, spontané, est la peur de transformer ce blog-ci en blog de grenouille de bénitier, ou tout au moins d'en donner l'impression (parler publiquement de foi est un peu mon coming-out, dans la plupart des milieux que je fréquente, y compris ma famille, c'est au mieux une bizarrerie, au pire le signe d'une stupidité avérée (ou encore "une aliénation", selon d'autres)).

Le deuxième est plus compliqué. J'aime ces colloques. J'y rencontre dans un espace restreint une concentration d'intelligence et de savoir comme je n'aurais jamais rêvé qu'il en existât, dans une atmosphère exaltante qui ne respire jamais l'ennui. (C'est en fait bien plus exaltant que les colloques en littérature ou en philosophie: est-ce parce que cela aborde des domaines que j'ignore totalement; est-ce dû à la personnalité des intervenants, qui ne se battent pas pour une chaire universitaire (ou tout au moins pas principalement, puisqu'ils sont pour la plupart prêtres, moines, religieuses); est-ce dû à leur foi, comme je n'ose pas l'écrire; ou encore parce que par nature de nombreux domaines sont touchés en un seul mouvement, histoire, linguistique, philosophie, théologie?)
Et la question qui insiste discrètement au fond de mon crâne, c'est: mais quel rapport entre toute cette intelligence, toute cette recherche, et la foi? Ne s'agit-il pas de purs exercices, dans un but épicurien ("se faire plaisir") ou défensif (prouver aux non-croyants qu'un croyant n'est pas juste un imbécile qui a abandonné tout sens critique)?

La dernière question qui me taraude est: comment font-ils? Comment font-ils, de nombreux d'entre eux, pour planer ainsi et retourner le lendemain en paroisse? Comment font-ils, mais je connais la réponse, ils sont entrés dans les ordres pour servir, c'est une affaire d'humilité. Mais tout de même…
Et dans la même question, parce que ce n'est pas une question différente pour moi, car elle touche à la personnalité de ces personnes: sont-ce vraiment les mêmes, les mêmes catholiques, qui vont défiler contre les homosexuels? Comment est-ce possible, après avoir été immergés dans les Evangiles comme ils le sont?

(Je dis bien contre les homosexuels, et non contre le mariage homo. Au début je pensais que les homos étaient un peu parano, que ce n'était pas contre eux que les gens défilaient, mais simplement parce qu'ils pensaient que la reproduction étant sexuée, il était logique que les couples qui se marient soient hétéro (et il me semble possible de penser cela sans être homophobe). Mais plus le temps passe, plus je lis des réactions (le troll chez Matoo (c'est important, parce que concernant les autres témoignages, il est toujours possible de se dire que les journalistes les ont choisis: là, il s'agit d'un troll "naturel", venu de lui-même), et plus il faut se rendre à l'évidence, il s'agit bien d'homophobie. Et je vois revenir l'assocoiation homosexualité/pédophilie qui m'effare, me navre et me met en rage. A ce compte-là, nous ne devrions jamais confier nos filles à des professeurs masculins.)

Allégorie et typologie

Peut-être que j'arriverais à apprendre le latin si le professeur est italien: cela devient alors une langue qui se parle (de toute façon, il me vient le soupçon que ce n'est pas une langue morte du tout, mais plutôt un langage secret entre initiés).

Comment donner des rudiments bibliques à vos paroissiens: faites-leur lire les péricopes du Lectionnaire arménien de Jérusalem (non, je plaisante. Enfin non, c'est réellement la réponse donnée à cette question!)

Vêpres, laudes, office du midi: depuis que j'ai lu La réforme liturgique du métropolite Cyprien de Kiev, mon esprit vagabonde dans le désert entre le Ve et VIe siècle. C'est tout à fait particulier de répéter un geste en sachant que des milliers de personnes l'ont répété à travers des centaines d'années. On est comme dépossédé de soi pour entrer dans un soi plus grand qui nous dépasse.

Encore un colloque

J'avoue: je les choisis purement sur leur titre: "Pour une herméneutique de l'euchologie", c'est totalement irrésistible.

Notre liturgie porte au plus profond d'elle-même des traces des Pères de l'Eglise: cela a du mal à m'étonner après trois jours de colloque sur l'Eglise orthodoxe en octobre dernier et la lecture de La réforme liturgique du métropolite Cyprien de Kiev.
C'est l'assistance qui m'étonne toujours. En moi la question de l'appartenance: est-ce que je leur appartiens vraiment? Est-ce que je souhaite vraiment leur ressembler? Et si je le souhaite, le puis-je?
Je ne sais répondre à aucune de ces questions.

Grec ancien

Je suis en train de tomber dans le grec ancien.

H. se moque parce que c'est du faux grec, évidemment, la Septante, ce n'est pas Eschyle. Et encore, même pas la Septante, mais le Nouveau Testament.

En attendant je m'amuse bien. Les trajets en RER en sont raccourcis. J'aime la façon dont le doute remonte de strate en strate, douter d'une construction, douter du sens d'un mot, douter de la graphie correcte du copiste… et remplacer les mots, proposer l'ajout ou le retrait d'une syllable, recréer le texte, mettre cinquante ans à stabiliser une hypothèse à force de discussions entre savants.

Quel travail, quelle ascèse. Tout ce qui approche de la folie me plaît, cet irrationnel le plus pur sous couvert de scientificité.


Philo. Ce soir Saint Augustin. De Trinitate. J'ai l'impression de tomber en enfance, je revois ma première année de catéchisme, tout cela est tellement naturel, tellement immédiat que j'en deviens perplexe. Je devrais faire une recherche, il devrait être possible de retrouver les pères blancs qui faisaient le catéchisme à Agadir. Je donnerais ma main à couper qu'ils étaient imprégnés d'augustinisme.

La fille aînée de l'Eglise

Il y a deux ou trois ans j'avais été un peu choquée d'apprendre que si le mercredi restait libre, c'était que ce jour était réservé au catéchisme, et qu'un préfet qui souhaitait utiliser le mercredi à l'école primaire devait en avertir l'évêque: comment, c'était cela la séparation de l'Eglise et de l'Etat? D'un autre côté, cette influence occulte de l'Eglise m'avait fait sourire: ah, j'avais été stupide de ne pas m'en douter.

Ce matin en écoutant la radio j'apprends simultanément qu'il y aura école le mercredi matin et que nous manquons d'aumôniers musulmans dans les prisons. Pas de doute, les temps changent.


(Qu'on ne se méprenne pas: je préfère des croyants d'une autre religion que des non-croyants, parce qu'il me semble avoir ainsi davantage de chances d'échapper à un monde entièrement tourné vers la consommation et l'étourdissement par les sens. (Et qu'on ne se méprenne pas bis: je sais aussi parfaitement que les amis les plus humanistes, les plus généreux, les plus réfléchis, que je côtoie sont aussi très souvent les plus délibérément athées1 et que ce que je viens d'écrire ne supporte pas l'examen de la réalité (ma réalité: celle qui m'entoure). Peut-être que cela veut simplement dire que nous, croyants, croyons mal, insuffisamment.)


Note
1 : Mais comme le dirait une professeur, un athée a des convictions, ce n'est pas un indifférent, un tiède, un sans-opinion, un gloubiboulga (sic) de convictions new-age. Même les vrais athées tendent à disparaître.

A fronts renversés (une fois de plus)

Quand je suis entrée en hypokhâgne, je venais d'un bac C, d'une famille de matheux. Un ami de mes parents s'était exclamé spontanément en apprenant ce que j'allais faire l'année suivante: «Quelle déchéance!».
Quelques semaines plus tard, je regardais muette une de mes camarades de classe (l'une des plus sottes (ce qui est peut-être une explication, je m'en avise)) dire gravement: «N'oublions pas que nous sommes l'élite de la France».

J'ai l'impression de revivre la même situation. Entourée en temps normal de philosophes m'assurant que seule la philosophie conduit à la vérité et qu'entre foi et superstition l'écart n'existe pas (cf. Leo Strauss), je me retrouve dans une salle où chacun semble persuadé que le théologien est "mieux" que le philosophe.

Bon.

(Jean-Luc Marion parle de: urgence kérygmatique // délai herméneutique. Ça me plaît.)



(Front renversé encore: débat entre un théologien et un philosophe, c'est le philosophe qui est prêtre).

«Eminence Révérendissime»

…Ça fait tout de même un choc la première fois que l'on entend cela (je ne connaissais pas l'existence de cette formule).
Vu et entendu le cardinal Zen ce soir. La situation en Chine n'est guère brillante pour les libertés, et visiblement elle se dégrade: par exemple, la torture qui avait disparu des prisons il y a quelques années réapparaît.

Ce qu'il a pu nous dire est assez bien résumé ici. Ce qui est impressionnant, c'est le contraste entre le calme du corps, les cheveux blancs, et la vivacité de l'expression, l'emportement au fur à mesure qu'il expose la situation et ses convictions. Profonde révérence envers le pape et beaucoup de reproches à faire à la congrégation pour l'évangélisation, considérée comme trop prompte à trouver des compromis.

Ce n'est pas ce que vous croyez

1/ "D'apparence musulmane", assise à côté de moi ce matin.


Fier d'être arabe et chrétien


2/ Je m'assois sur le lit d'un inconnu après y avoir déposé quelques billets.


(Je viens de trouver chez un libraire "à domicile" un texte de RC que je ne qualifierai pas de rare mais d'inconnu.)

Profession de foi

Je l'ai fait s'installer dans la cuisine pendant que j'épluche les légumes. Lecture à haute voix, j'interromps régulièrement pour préciser un point ou vérifier la compréhension du vocabulaire:

— «… C'était un mercredi, le plus beau jour de la semaine, car nos jours ne sont beaux que par leur lendemain. Tout en marchant, mon père me dit: — Crapaud, j'aurai besoin de toi demain matin. — Pour quoi faire? — Tu le verras bien. C'est une surprise. — Moi aussi, tu as besoin de moi? demanda Paul, inquiet. — Bien sûr, dit mon père. Mais Marcel viendra avec moi, et toi du resteras à la maison, pour surveiller la femme de ménage, qui va balayer la cave. C'est très important. — Moi, d'habitude, dit Paul, j'ai peur d'aller dans la cave. Mais avec la femme de ménage, je n'aurai pas peur.»
— Pourquoi il dit "nos jours ne sont beaux que par leur lendemain"?
— Je ne sais pas.
— C'est quel jour, le lendemain?
— Jeudi.
— Avant, jusque dans les années 50 je crois, c'est le jeudi qu'on ne travaillait pas.[1] Il était content de ne pas aller à l'école le lendemain. Et pourquoi le père dit à Paul qu'il va surveiller la femme de ménage?
— Parce que c'est très important?
— Non. Paul est petit et il est toujours dans leurs jambes. C'est pour s'en débarrasser, mais de façon gentille, sans le faire pleurer. Le père invente un faux travail.

Il rit de l'astuce. Je l'abandonne à une lecture silencieuse. Mon but est simplement d'éveiller sa curiosité: non, l'auteur n'est pas tombé sur la tête, si quelque chose est bizarre dans le texte, illogique ou incompréhensible, c'est qu'il doit y avoir une raison. (Plus tard il sera horrifié et ravi du massacre des fourmis (nous lisant soudain à haute voix les passages réjouissants), plus tard encore je lui expliquerai les cabinets au fond du jardin, la planche en bois et le journal découpé en carrés, lui rappelant pour stimuler son imagination nos affres quand nous n'avons pas eu d'eau pendant quatre jours un hiver).
Il termine le livre dans la journée.

Le livre traîne, je le ramasse, le feuillette.

Mon père secoua tristement la tête, et soudain, d'une voix furieuse, il s'écria:
— Voilà! Voilà l'intolérance de ces fanatiques! Est-ce que je l'empêche, moi, d'aller manger son Dieu tous les dimanches? Est-ce que je te défends de fréquenter ta sœur parce qu'elle est mariée à un homme qui croit que le Créateur de l'Univers descend en personne tous les dimanches, dans cent mille gobelets? Eh bien, je veux lui montrer ma largeur d'esprit. Je le ridiculiserai par mon libéralisme. Non, je ne lui parlerai pas de l'Inquisition, ni de Calas, ni de Jean Huss, ni de tant d'autres que l'Église envoya au bûcher; je ne dirai rien des papes Borgia, ni de la papesse Jeanne! Et même s'il essaie de me prêcher les conceptions puériles d'une religion aussi enfantine que les contes de ma grand-mère, je lui répondrai poliment, et je me contenterai d'en rigoler doucement dans ma barbe!
Mais il n'avait pas de barbe, et il ne rigolait pas du tout.
Cependant, il tint parole, et leur amitié ne fut pas troublé par les quelques mots qui leur échappaient de temps à autre, et que leurs femmes vigilantes escamotaient aussitôt par de grands cris de surprise, ou des éclats de rire stridents dont elles inventaient ensuite le motif.

Marcel Pagnol, La gloire de mon père, p.61-62, Presses pocket 1976.

Ce passage me laisse songeuse. Est-ce pour cela, que j'ai dû lire en sixième, (et tant d'autres auteurs de la même veine, catéchisme républicain) que j'ai si longtemps tu le fait que j'étais catholique et croyante? Je n'en parlais jamais, et d'autant moins que j'étais dans une filière "scientifique": oui, le prêche du père de Marcel avait porté, comment croire et faire des mathématiques et de la physique, comment expliquer la différence entre la superstition et la foi (objectivement, de l'extérieur, sans la foi, quelle différence?) et finalement et surtout, pourquoi expliquer, cela ne regardait personne, et puis c'était si étrange, il n'y avait aucune raison de croire plutôt que ne pas croire, ou inversement (après tout, pour moi cela avait été immédiat, dès la première seconde en entrant à la "mission" d'Agadir, et cela ne pouvait s'expliquer).

Il m'a fallu beaucoup de temps pour découvrir que des gens "très bien" (comprendre: ni des fanatiques ni des grenouilles de bénitier) étaient croyants, encore plus longtemps pour m'apercevoir que l'Église, à tort ou à raison, occupait une place fondamentale dans le monde actuel, et à partir de là, mais sans doute davantage à cause des questions sociales et politiques posées par le foulard dans les années 80, pour comprendre et admettre que la religion n'était pas un épiphénomène à rejeter dans les sphères du privé, mais bien un élément structurant de la vie en commun (cf. Schmitt et "toute politique est une théologie", la croyance en un homme fondamentalement bon ou mauvais régissant les choix d'une organisation de société).

Ce matin je termine la préface de Michel Gros à De la tolérance de Pierre Bayle (presses pocket 1992).

… l'intolérance n'est pas la réponse à un désordre, elle est le désordre, elle est le désordre.
Toutefois, cette première réponse, pragmatique, est sous-tendue par un principe plus essentiel: à l'égard de leur conscience, «les hommes ne dépendent pas les uns des autres, et n'ont ni roi, ni reine, ni maître, ni seigneur sur la terre; il ne faut donc pas blâmer un prince qui n'exerce point de juridiction sur les choses que Dieu ne lui à point soumises[2]» En d'autres termes, c'est la dimension transcendante de la conscience qui la fait échapper à toute dépendance terrestre. (p.33)

Et au moment de m'enthousiasmer pour ces quelques phrases, je songe à Imre Kertész et Être sans destin. Non, finalement, ce n'est peut-être pas une bonne idée, ou pas une idée suffisante, la conscience de chacun comme seule limite et seul frein…

Mais alors quoi? Toujours me revient à l'esprit cette phrase de l'évangile à propos des bons et mauvais fruits: "vous reconnaîtrez les prophètes à leurs fruits"[3].
(Je suppose qu'on pourrait alors reculer la discussion d'un pas, en essayant de définir le bon et le mauvais fruit. Curieusement, il me semble n'avoir jamais rencontré ce type d'arguties, comme si la différence entre bon et mauvais fruit allait, elle, enfin, de soi.)

Notes

[1] En fait, 1972, je viens de vérifier.

[2] Commentaire philosophique, pp.263-264

[3] Matthieu 7.15. Gardez-vous des faux prophètes. Ils viennent à vous en vêtements de brebis, mais au dedans ce sont des loups ravisseurs. 16 Vous les reconnaîtrez à leurs fruits. Cueille-t-on des raisins sur des épines, ou des figues sur des chardons? 17 Tout bon arbre porte de bons fruits, mais le mauvais arbre porte de mauvais fruits.

œcuménisme

En attendant l'heure d'aller à l'anniversaire de Matoo[1], je mangeais une omelette en lisant le numéro de Communio sur Barth et Balthasar. Je faillis m'étrangler en lisant ces quelques mots, que je relus plusieurs fois:

Et, l'index dressé, il [H.U. v. Baltasar] ajoute cet avertissement: «Que l'on n'espère pas régler en un tournemain les questions soulevées… Le fait d'avoir, à l'époque de la Réforme, pratiqué la théologie à coups de marteau n'a fait que rendre définitif le schisme. Travailler à sa résorption est un rude labeur, exige une prudence redoublée, de la douceur et beaucoup de patience[2]

Manfred Lochbrunner, "L'incroyable histoire de la genèse du livre de H. U. v. Baltasar", in Communio XXXVI, p.25

Travailler à sa résorption? Certains envisageaient, envisagent, sérieusement de réunir catholiques et protestants, de les fondre de nouveau en une seule Eglise? Je n'étais pas plus surprise que si l'on avait voulu me démontrer que des jumeaux étaient en réalité une seule personne.
Je sais que cela sera incompréhensible pour la plupart d'entre vous, mais en cette seconde, le monde changea subtilement de couleur: je venais d'envisager la réconciliation de deux visions du monde qui me paraissaient absolument irréconciliables. Ainsi donc, il devenait probable que rien n'était irréconciliable? Et cette réconciliation supposait de résoudre une infinité de détails, et le plus extraordinaire était de découvrir que certains étaient prêts à s'atteler à cette tâche (s'y étaient déjà attelés) sans peur, sans céder au découragement, sans même envisager d'être découragés.

Ce soir dans le bus, je rencontre la même idée, moins impressionnante car sur le mode du regret et non du possible. Des années de guerre, des milliers de morts, parce qu'un concile a eu du retard, deux ou trois papes ont manqué de courage:

Si un parlement de la Chrétienté catholique s'était réuni avant la condamnation des thèses de Luther (1520) et l'excommunication de celui-ci (1521), ou même peu après ces graves décisions, il est probable qu'on aurait pu faire l'économie du schisme. Rome refusa de prendre l'initiative salvatrice. Aussi bien déclarait-on dans l'entourage de Léon X et de Clément VII qu'aucun concile ne pourrait revenir sur une solennelle condamnation doctrinale. Mais une prise de position théologique par une assemblée œcuménique aurait été capable d'éclairer les indécis et de fortifier les hésitants. Le refus du concile permit au Luthérianisme de se répandre, au nouveau culte de s'organiser, aux frontières religieuses de se préciser et au fossé de s'élargir entre confessions chrétiennes rivales. […]
Réuni vingt-cinq ans trop tard, le concile manqua l'objectif majeur qui aurait dû être le sien: la réunion des Chrétiens.

Jean Delumeau et Monique Cottret, Le Catholicisme entre Luther et Voltaire, pp.68-69

Notes

[1] En juin, ça date.

[2] H.U. v. Baltasar, Karl Barth, p.9

La devinette du samedi

Qu'est-ce qu'un combat entre un petit pois et un haricot vert ?








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Agenda
Confirmation de Claude.

Décontenancée

Messe à La Défense. Saint Thomas d'Aquin. Prêche: "nous avons un devoir d'intelligence".

Au rez de chaussée sous la nef, le hall d'accueil propose une minuscule librairie. J'erre devant les titres, et finis par choisir Le château intérieur de Thérèse d'Avila.

Une très vieille dame courbée, sans doute bénévole, encaisse et note les références des achats dans un cahier à souche: «Ça y est, vous avez choisi? (Et prenant le livre et l'examinant) Ah oui, ce n'est pas tout jeune, mais on peut toujours s'y plonger.»

Service minimum

Ce blog vit dangereusement en ce moment. Rien à écrire, rien envie d'écrire, rien de court surtout, et pas envie d'y consacrer le temps de quelque chose de long.

- Lundi : Le fou, de et par Benoît Lepecq. Emerveillée par ce travail.

- Mardi : il suffit que je m'intéresse à quelque chose pour qu'elle disparaisse, m'étais-je dit un jour en voyant que les blogs que je me mettais à lire régulièrement devenaient aussitôt silencieux. Hier, j'ai constaté le même phénomène à propos d'Helena Rubinstein dont je cherchais les produits depuis quelques jours: ils ne sont plus (ou très mal) commercialisés en France.

Soir : Les réunions de préparation aux séances de catéchisme me glacent le sang (et cela me glace le sang: quelle prétention de ma part). Surtout ne pas faire lire les Ecritures, pas la moindre parabole, «ça va ennuyer les gamins», préférer les résumés, voir une seule phrase «ah tiens, c'est une bonne antisèche». Qu'est-ce que les enfants auront appris? il faut vraiment croire que l'Esprit souffle où il veut. (Non je ne suis pas en train de dire que la foi est pure affaire de raison et d'éducation. Mais oui, c'est indispensable malgré tout.)

Nous avons évoqué «L'ouvrier de la onzième heure», parabole qui me fait rire (à cause de la tête de ceux qui veulent absolument une justice divine à l'image de la justice humaine: il y a un os. Rassurant d'ailleurs, que les textes aient pu traverser les siècles sans être caviardés malgré tout ce qu'ils contiennent d'humainement choquant. Enfin, cela ne fait pas si longtemps que tout le monde sait lire).

Le pilier de Paul Claudel

Notre-Dame de Paris, huit heures du matin. L'éclairage entre les piliers est diffus, parfait, sans rien de la dureté des spots utilisés parfois dans les églises (je n'aime pas que les églises soient trop lumineuses. Ni trop sombres.) La cathédrale devient intime, resserrée.
Ma récente lecture de Claude Mauriac me pousse à rechercher "le pilier de Paul Claudel" (c'est en fait "Notre-Dame du Pilier" qu'il aurait fallu chercher, mais je ne le savais pas). Spontanément je le cherche au même endroit que "le pilier de Péguy" à Chartres (le pilier comportant une plaque commémorant son pèlerinage), mais celui de Claudel est de l'autre côté, à droite du chœur à la croisée des transepts. Le lieu est signalé par un pavé gravé]. Ce pavé se trouve au pied d'un pilier sur lequel est aujourd'hui clouée une plaque à la mémoire de Mgr Lustiger. Le texte en commence ainsi: «Je suis né juif et je porte le prénom de mon grand-père Aron»…


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Agenda (ajouté en 2018) :
Furieuse contre la bibliothèque de Sciences-Po qui veut un justificatif de domicile alors que je paie ma cotisation d'ancienne élève par prélèvement depuis des années. J'y ai oublié mes gants rouges. Carnets de Finnegans Wake avec l'équipe de Daniel Ferrer. Passé en librairie. 3e tome de Mme de Sévigné en pléiade. Bière avec Patrick jusque tard dans la nuit.

Racines

En lisant L'Oeil du Quattrocento, je découvre que la méthode de prière des Exercices spirituels[1] utilisant la visualisation s'inscrit dans la continuité des modes de piété du Moyen-Âge. Ce n'est nullement une innovation par rapport à l'époque précédente.

Plus surprenant (pour moi), cette méthode de visualisation encore enseignée aujourd'hui par les Jésuites est donc une survivance directe du Moyen-Âge, voire de l'Antiquité si l'on a tendance comme je le fais à rattacher toute méthode de mémorisation fondée sur la visualisation à "l'art de la mémoire" (cf. Frances Yates).

Notes

[1] Ignace de Loloya, 1491-1556.

La question de Caïn

Parce qu'un passage lu il y a un an m'obsède en ce moment, je commence Histoire d'une âme. J'y trouve dès les premières lignes le mystère incompréhensible de l'élection:

Ensuite, ouvrant le saint Evangile, mes yeux sont tombés sur ces mots: «Jésus, étant monté sur une montagne, appela à lui ceux qu'il lui plut[1].» Voilà bien le mystère de ma vocation, de ma vie tout entière et surtout le mystère des privilèges de Jésus sur mon âme. Il n'appelle pas ceux qui en sont dignes, mais ceux qu'il lui plaît. Comme le dit saint Paul: «Dieu a pitié de qui il veut, et il fait miséricorde à qui il veut faire miséricorde.[2]».

C'est le mystère d'Abel et Caïn, "le sacrifice d'Abel agréa à Dieu" (faux guillemets, il ne s'agit pas de citation, mais de souvenirs): pourquoi? ou celui du fils prodigue: "Pourquoi pas moi?" demande le fils obéissant.

Pourquoi lui et pas moi? (souvent le signe de la jalousie).
Pourquoi moi? (le signe du refus (Jonas) ou de l'émerveillement, de la reconnaissance et de l'humilité (Marie)).
Pas de réponse. Etre patient ou se montrer digne. C'est tout.

Notes

[1] Marc 3, 13.

[2] Exode, 33, 18-19.

Profession de foi

Je suis ennuyée, ce soir. J'ai peur de recevoir un coup de fil affolé de parents m'accusant d'avoir traumatisé leur enfant. J'ai simplement dit la vérité.
Je me demande comment je peux réussir à raconter cela sans paraître comtesse de Ségur.
Tentative.

Dans notre commune la "dame de catéchisme" a disparu. Ceux qui veulent transmettre ce qu'ils peuvent de foi et de tradition catholique doivent s'en charger eux-mêmes. Cependant, ils ne peuvent le faire en "candidat libre", ils leur faut prêter serment d'allégeance à l'institution. Les parents inscrivent donc leurs enfants au catéchisme, ceux-ci sont regroupés par école, et les parents reçoivent chacun à tour de rôle le groupe dont fait partie leur enfant pour le catéchiser.
Bref, chacun d'entre nous se retrouve deux fois dans l'année à donner une leçon de catéchisme à des enfant entre huit et douze ans.
Des réunions de préparation sont organisées pour les parents; insidieusement l'Eglise en profite pour re-catéchiser qui elle peut. Certains parents sont effrayés par cette tâche, je dois avouer que je l'aime bien. Il faut dire que j'ai la chance d'avoir une formation plus poussée que la plupart, ayant fréquenté l'aumônerie après le bac, et puis j'aime ce contact avec les enfants qui mettent les pieds dans le plat sans s'embarrasser des convenances. (Ma plus grosse trouille, c'est qu'ils me demandent pourquoi la maison n'est pas remplie de SDF: oui, pourquoi? (j'avais déjà envie de la poser à mes parents quand j'avais sept ans: n'étions-nous pas censés avoir un pauvre à table et prêter nos vêtements ? Ce n'est que bien plus tard, en lisant L'Œuvre au noir, que j'ai réalisé que tout vendre et tout laisser, c'était (peut-être) davantage vivre en parasite qu'en saint homme. Et pourtant Saint François ? Saint Bernard, pourquoi eux ? Oui mais… Enfin bref. (Les ordre mendiants ont toujours été encadrés étroitement par l'Eglise, y compris récemment, voir les tribulations de Mère Teresa pour faire reconnaître l'ordre qu'elle voulait fonder.))
Ma deuxième chance, c'est que les enfants de "mon" groupe sont attentifs et curieux.

Ce matin, nous devons lire et commenter deux miracles : la guérison d'un lépreux et la résurection du fils d'une veuve (pas de chance, je préfère les paraboles).

L'un des enfants qui l'année dernière suivait cela avec intérêt soupire, regarde ailleurs.
— Ça ne va pas, Paul?
— De toute façon, tout ça, ce sont des légendes. J'ai mon meilleur ami, son cousin est mort à une semaine, Dieu n'a pas pu vouloir ça. Donc tout ça, c'est juste des histoires.

Bien. J'ai toujours touvé incroyables les gens qui essaient de rendre la mort supportable. La mort est insupportable. Mais est-ce que je me lance dans la démonstration du miracle comme négation par Dieu des règles que lui-même a mises en place? Ils ont onze ans.
Allons-y pour mon seul "credo", leur dire ce que je crois, leur dire la vérité, la mienne en tout cas.


— Nous allons tous mourir. C'est incompréhensible, on ne comprend pas bien pourquoi on naît si c'est pour mourir, mais c'est une chose certaine, nous allons tous mourir. Et c'est terrible quand ce sont des gens plus âgés que nous (je ne sais pas si vous avez perdu des grands-mères, j'aimais beaucoup la mienne), mais quand ils ont le même âge que nous ou qu'ils sont plus jeunes, ça paraît encore plus incompréhensible. Et on ne s'habitue jamais, et à chaque mort la question est la même: « Pourquoi ? » Comment leur dire cette douleur des adultes? Et pourquoi la leur cacher?

Autour de la table ils se taisent. Ils sont cinq. Paul a toujours son air de défi.
— Et le pire, c'est de perdre un enfant. Il n'y a rien de pire.
Jordan intervient:
— Mais si Jésus a ressuscité le fils de la veuve, c'est qu'il était bon…
Continuons mon entreprise de destruction:
— Non. Il l'a ressuscité parce qu'Il a eu pitié. Les gens étaient autour de lui, ils Lui faisaient confiance, ils croyaient qu'Il pouvait les aider. Il a eu pitié. Si vous lisez les Evangiles (je n'y crois pas beaucoup… (qu'ils vont lire, je veux dire)), vous verrez que cela arrive souvent : Jésus est en train d'enseigner, de raconter des paraboles, les gens arrivent autour de Lui et Le supplie, et Il n'a pas le courage de dire non. L'Evangile le dit souvent "Il eut pitié d'eux". Mais Il n'est pas là d'abord pour ça, Il n'est pas là pour faire des miracles.
Et pour répondre à Paul, il y a encore des miracles. Pas beaucoup, mais quelques-uns. Plus exactement des guérisons inexpliquées, à Lourdes, par exemple. Mais l'Eglise a tellement peur de se faire accuser de charlatanisme qu'Elle mène des enquêtes pour prouver que ce n'est pas vrai, pour trouver des explications aux guérisons (Têtes des enfants.) Mais de temps en temps, on ne trouve rien: donc c'est un miracle.

Je les regarde, je souris, reviens à leurs préoccupations (et puis, je me souviens si bien… Tout ce que je croyais au premier degré, tout ce qui n'a jamais marché…):
— Mais inutile de prier pour avoir une bonne note si vous n'avez pas travaillé, ça ne marchera pas !
Jérémy, avec son sourire craquant : — Pourquoi ?
— Parce que c'est comme ça. Il y a une règle, c'est qu'il faut commencer soi-même: «Aide-toi et le Ciel t'aidera». Et je peux t'assurer que c'est vrai: on commence et il se passe des choses, les choses changent…
— Et donc, Paul, ce bébé est mort, et je peux vous assurer qu'il n'y avait pas de raison particulière. C'est juste tombé sur lui. Cela arrive aussi dans les Evangiles, je ne les connais pas assez pour vous donner la page, mais cela arrive: un jour une tour s'écroule sur des gens et les tue, les gens autour de Jésus lui annoncent la nouvelle, un peu affolés, et il y en a un qui dit « Ils devaient avoir beaucoup péché pour mourir ainsi », et Jésus répond : « Non, veillez car vous ne savez ni le jour ni l'heure. » Il n'y a pas de raison particulière. Et très souvent ce n'est pas très juste à notre idée. Par exemple l'ouvrier de la onzième heure… C'est l'histoire du propriétaire d'une vigne qui emploie des gens pour faire les vendanges. A la fin de la journée, il décide de donner le même salaire aux gens qui sont arrivés tôt le matin et à ceux qui sont arrivés dans l'après-midi..
Tous les enfants, révoltés : — Mais c'est pas juste !
Je souris : — Non, à notre idée, ce n'est pas juste. Mais pourquoi ? Après tout, on ne prend pas sur la part de ceux du matin pour donner à ceux du soir. Ils ne sont pas volés. Pourquoi est-ce que ça les fâche? Ils pourraient être contents de voir que ceux qui ont finalement décidé de venir reçoivent la même chose, ils pourraient se réjouir… Après tout on ne sait pas pourquoi les autres ne sont pas venus plus tôt…
Les enfants n'ont pas l'air convaincu.
— Pourquoi est-ce que cette idée nous déplaît ? Pourquoi ça paraît injuste ? C'est parce que je réfléchis, j'essaie de comprendre ce que je sens parce qu'on aimerait des compliments. On aimerait qu'on nous dise que c'est bien, on aimerait qu'on nous dise qu'on a fait mieux que notre voisin. Mais Jésus ne fait jamais ce genre de compliment. Et quand Pierre veut essayer de lui faire dire que lui, Pierre, aura une bonne place au Paradis, Jésus répond que les premiers seront les derniers. Il n'est pas très encourageant. C'est même un peu méchant de si peu encourager Pierre. Mais cela veut dire que nous ne devons pas travailler pour une récompense, mais juste pour sentir en nous, en dedans de nous, que ce qu'on est en train de faire est bien. C'est d'ailleurs bizarre… Là je passe carrément à Simone Weil, je ne devrais pas… mais pourquoi est-ce qu'on ne fait pas ce qu'on sent qui est bien, et ce qui fait qu'on se sent bien, et qu'on préfère les plaisirs rapides qui font moins plaisir ?
Ils sont paumés. Je reformule :
Pourquoi est-ce que vous préférez jouer à la Gameboy plutôt qu'aider votre mère à faire la vaisselle? Vous savez bien que vous vous sentiriez mieux si vous aidiez votre mère? Je n'ose pas dire la phrase suivante: «Pourquoi vous ne préférez pas vous sentir la conscience tranquille.» Tout cela devient vraiment trop pontifiant. Je me tourne vers Jérémy :
— Tu ne crois pas que ça ferait plaisir à ta mère, que tu l'aides ?
Il a l'air surpris, comme s'il n'y avait jamais pensé.
— Tu fais une drôle de tête. Tu n'y avais jamais pensé? Tu penses vraiment que ta mère aime faire la vaisselle, qu'elle est faite pour ça, qu'elle n'a pas envie de faire autre chose, elle aussi ?
Il me regarde avec embarras. Les autres rient. Olivier surtout, qui sait bien que je passerais bien autant de temps que lui sur l'ordinateur. Visiblement Jérémy vient de découvrir quelque chose: sa mère n'était pas née pour faire la vaisselle. j'aurais au moins servi à ça.

Mais s'ils racontent à leurs parents ce que j'ai dit, j'ai peur que ceux-ci ne soient pas très contents.

Notre-dame de la Pentecôte

8 heures, endormie et vaseuse. Vendredi. Messe à l'église de La Défense, un peu par curiosité, un peu parce que ce serait pratique si ça me convenait.

Nous sommes une trentaine, et à ma grande surprise, seulement quatre ou cinq femmes.

La lecture n'est pas une lecture mais une récitation: la jeune femme est aveugle, elle récite d'une voix claire, à peine hésitante vers la fin du passage, l'histoire de David et Bethsabée. Celle-ci me paraît longue, j'ai peur que la jeune femme se trompe, qu'elle ait un trou de mémoire. Jamais je n'avais écouté avec autant d'attention; je n'avais pas retenu les multiples péripéties de l'affaire, David invitant Ourias à sa table, souhaitant l'inciter à la faute pour couvrir la sienne. Si Ourias avait été moins pieux, s'il n'avait pas respecté la règle qui interdisait aux soldats de rejoindre leur femme en temps de guerre, David ne l'aurait pas envoyé à la mort.
Il arrive souvent dans la Bible que la vertu ne soit pas récompensée, je n'y ai pas prêté suffisamment attention quand j'étais plus jeune.

OMNI

— Mais y a pas de mozzarella là-d'dans!

— Mais si, le truc mou que t'arrives pas à identifier.
— Ah, çaaaa!




Glycine à San Giobbe





Agenda
Hermann Broch en terrasse.
Acheté les billets pour le bateau et un pass pour les églises.
Visite de San Giobbe
Discussion déprimante avec Hervé qui me dit de ne pas me faire d'illusions concernant le catéchisme et Olivier (nous préparons sa première communion). Réponse: leur éducation est un échec et je ne me fais pas d'illusion. Je n'investis que sur moi. Hervé choqué. Après m'avoir conseillé de ne pas me faire d'illusions, il est surpris de mesurer la profondeur de ma désillusion (!! comme il me connaît pas. Il semble persuadé que je dois être aveuglée par mon amour maternel, comme dans les clichés. Et il est persuadé d'être le seul à se donner du mal avec les enfants.)

Pâques

Le réveil sonne à 6h45. J'ai prévu large, afin d'assister à la messe de Pâques à Saint-Marc à huit heures. J'avais repéré la veille l'entrée sur la place dei Leoni; je pensais que cela donnait accès à une salle secondaire.
Non, c'est à la nef que l'on accède. Je suis en avance de quelques minutes, je regarde un prêtre déplacer son escabeau pour allumer une à une les vraies bougies sous la coupole. Au fond, la pala d'oro brille tant qu'elle est indistingable.
Ne pas trop regarder, rester discrète.
Je ne me souvenais pas de tant de splendeur.
Sur chaque siège, un livret en cinq ou six langues donne la liturgie du jour, les lectures bien sûr, mais l'ensemble du rite. J'hésite à en emporter un, mais qu'en ferais-je?


Agenda:
Arsenal, île San Pietro, le pont de bois est en réfection (sera-t-il remplacé?) l'église est fermée; ici il règne un parfum de bout du monde, de prairie et d'air salé.
Musée de l'arsenal fermé.
Froid à saint François des Vignes, déçue par l'église, j'en gardait un souvenir bien plus lumineux.
Il fait un temps magnifique. Coups de soleil. Les lions de l'arsenal, le linge sur les cordes, etc.

Une église en situation de monopole est une église vide.

Peter Berger, professeur de sociologie à Boston University, a longtemps cru que la sécularisation progressait avec le développement socio-économique. Depuis, il a changé d’avis et privilégie désormais une explication centrée sur l’offre. La demande de religion n’aurait pas grand-chose à voir avec le niveau de développement, mais beaucoup avec l’offre religieuse.
Si les Américains vont davantage à l’Eglise et sont plus pieux que les Européens, c’est parce que le marché religieux est beaucoup plus ouvert aux Etats-Unis : des douzaines d’églises s’y font une concurrence acharnée pour attirer des adeptes, en leur proposant chacune une voie de salut particulière, et en répondant au plus près aux besoins des paroissiens. «Dans un marché aussi libre, l’offre est très différenciée», explique Mr. Finke. L’offre s’y adapte instantanément à la demande. Tout se passe comme s’il existait «une demande potentielle de religion qui ne demande qu’à être activée», explique Rodney Stark, sociologue à Baylor University. «Plus les membres du clergé sont préoccupés de préserver ou d’agrandir la part de marché de leur congrégation, plus vous aurez de monde dans les églises».
Ce modèle explique aussi ce qui se passe en Europe. Les Européens ne seraient pas fondamentalement moins religieux que les Américains ; simplement, le marché religieux y serait beaucoup moins concurrentiel, les Eglises en place ayant historiquement réussi à imposer un quasi monopole. Or, nous dit Mr. Stark, «une église en position de monopole est une église vide».

trouvé ici

Pierre (saint)

— Pierre, c'est l'homme du gag, celui dont on peut être sûr qu'il mettra le pied dans la flaque : s'il y a une chose à ne pas dire, il la dit, s'il y a une chose à ne pas faire, il la fait; mais il est toujours là, avec son enthousiasme et ses défauts.

Battue, Madame Le Quesnoy

Là, ce n'est plus la rubrique "on s'en fout", mais la rubrique "nawak".

Dédié à Gvgvsse et Zvezdo, ceci est ma contribution au débat «Chantait-on mieux dans les églises de France avant Vatican II?» (Je dois avouer que la question m'a surprise, car je me suis rendue compte que j'étais en plein préjugé: à bien y réfléchir, je n'avais aucune idée de ce qu'on chantait dans les églises dans les années 50 ou 60.)

Merci aux commentateurs de Caféine.

Insidieuse propagande

Oz est à la foi ce que Jack Bauer est à la torture.

Buona Pasqua a tutti

Samedi soir, j'ai assisté à la veillée pascale à l'église des Carmes. Un cardinal officiait. Je suis arrivée un peu tard, trop tard pour le feu et la distribution des cierges, fins, très fins, beaucoup plus fins qu'en France.

J'aime assister à la messe en langue étrangère. Le rite prend toute sa puissance, les rythmes permettent de reconnaître le sens, l'extérieur apporte la forme, le fond est intérieur.
Je ne connais pas bien les rites de la veillée pascale, ce n'était pas une tradition familiale, on allait plutôt à la messe le dimanche matin. Je n'ai assisté qu'à deux veillées dans ma vie, et il m'a semblé que celle-ci, la troisième, se passait de façon légèrement différente, le nombre de lectures m'a surprise.
L'assemblée se lève, le texte est lu, je me concentre le temps de reconnaître le texte grâce à quelques mots, puis je m'endors, épuisée. L'assemblée s'assoit, un prêtre commente le texte, je ne comprends pas, je dors profondément, l'assemblée se lève et chante, bien sûr je ne comprends pas le numéro des chants, je repère de loin la forme imprimée des strophes chez mes voisins et trouve la page adéquate, le chant est presque fini, c'est joli, plus joli qu'en France, plus doux et plus mélodieux (je déteste en France ces chants dont il faut bien reconnaître que La Vie est un long fleuve tranquille donne une image assez exacte), je chante, le texte suivant commence, je me rendors.
Combien de fois? Dix fois, quinze fois? Je ne sais pas, je ne pensais pas que ce serait aussi long, je ne savais pas que j'étais si fatiguée, une fois mon genou fléchit tandis que je suis debout, mon sommeil était devenu trop profond.

Qu'est-ce que je fais là? Ce matin j'étais à Paris, à midi dans l'avion, à six heures sur les Zattere à manger une glace… Qu'est-ce que je fais là? Je pense à Matoo, à Guillaume, à Veuve Tarquine, à leur fureur anti-Dieu, à la tristesse que cela provoque en moi parce qu'il n'y a rien à dire, d'une certaine façon ils ont raison mais moi aussi, mais il y a déjà un moment que j'ai décidé de ne plus réfléchir, de ne plus rationaliser tout cela.
S'il n'y a rien nous ne le saurons pas (et c'est une bonne farce, réellement l'idée me fait rire); mais s'il y a quelque chose (ou "quelqu'un") cela ne fera pas grande différence d'avoir été croyant ou pas. L'important sera la vie menée. Et les critères de jugement ne seront pas humains, ce qui est profondément rassurant (et me fait regarder avec condescendance ces croyants si sûrs de savoir où est le Bien et le Mal: relisez les Evangiles, vous verrez, c'est surprenant, personne n'est jamais jugé comme il l'attend).

Enfin bon. Je pense à Jules, à sa veillée de Noël à Saint-Marc (mais que faisait-il là?), finalement ce ne serait pas si difficile à organiser.

Le cardinal nous libèrera d'un joyeux "Buona Pasqua a tutti", les gens se rassemblent, s'embrassent, sont heureux, c'est un village, une fête de famille.
Je m'éclipse.

Perdue

Dans la vie de la plupart des femmes, tout, même le plus grand chagrin, aboutit à une question d'essayage.

Le côté de Guermantes, Pléiade t.2 (1957) p.335
J'ai détesté Proust d'avoir écrit cela. J'en ai parlé à un ami, qui m'a répondu que la remarque s'appliquait également aux hommes. Piètre consolation.

Lorsque j'ai rencontré H. il y a vingt ans, nous réunissions à nous deux sept grands-parents. Nous avons enterré le sixième aujourd'hui, la grand-mère maternelle de H. Il ne reste que ma grand-mère maternelle.
Je suppose que nous sommes censés nous résigner. C'est l'inverse qui se produit, la colère, la frustration, est plus grande à chaque fois. Ce n'est pas tant la mort que la fin de ces vies qui me révolte, ces vies dures, honnêtes, courageuses, terminées dans la souffrance ou l'ennui ou la folie pendant quelques semaines ou quelques années, et la mort à l'hôpital loin chez soi. J'ai l'impression d'une promesse trahie — comme s'il nous avait jamais été promis la justice en ce monde.
Nous eûmes par la suite une conversation que je n'ai jamais oubliée. Nous passions la soirée chez elle, Lore et moi, avec Marie McCarthy et une amie à elle qui vivait à Rome, catholique croyante comme il apparut bientôt. Elle s'intéressait vivement à moi et me provoqua en me demandant à brûle-pourpoint: «Croyez-vous en dieu?» On ne m'avait jamais posé la question de manière aussi directe — et cela venant d'une presque étrangère! Je la considérai d'abord perplexe, je réfléchis puis dis — à ma propre surprise: «Oui!» Hannah [Arendt] sursauta — je me souviens de son regard presque épouvanté sur moi. «Vraiment?» Et je répliquai: «Oui. Finalement oui. Quel qu'en soit le sens, la réponse "oui" se rapproche plus de la vérité que le "non".» Peu de temps après je me trouvais seul avec Hannah. La conversation revint sur dieu et elle déclara: «Je n'ai jamais douté d'un dieu personnel.» Sur quoi je dis: «Mais Hannah, je ne le savais pas du tout! Et je ne comprends pas pourquoi, l'autre soir, tu as eu l'air tellement stupéfaite.» Elle répondit: «J'étais très ébranlée d'entendre cela de ta bouche, car je ne l'aurais jamais pensé.» Ainsi nous nous étions surpris l'un l'autre par cet aveu.

Hans Jonas, Souvenirs, p.259
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