Ce soir le prof a glissé dans ce que j'aime et que je ne sais pas nommer: serait-ce l'ivresse? Cette sensation, vers une ou deux heures du matin, quand on écrit depuis plusieurs heures, et que l'on commence à décoller, à dire (écrire) ce qu'on n'oserait jamais écrire si l'on était tout à fait sobre, tout à fait reposé et serein, le moment où l'exaltation (et dans la mesure où l'examen consiste en un oral, je commence à envisager sérieusement de boire un peu avant d'y aller) a gagné. (L'année dernière, j'ai vu Daniel Ferrer glisser vers cet état («cette tache de café sur le manuscrit a vu l'œil de Balzac et elle nous regarde»; et j'ai pensé que peut-être les grands professeurs étaient ceux qui atteignaient ce plan en état de sobriété.)
Ce soir donc, notre professeur de philosophie s'est mis à planer par instants (sur Platon).

De mémoire quelques mots: «Ce qui vous fera réussir vos études de philosophie, ce n'est pas l'intelligence, c'est l'amour. Si vous n'avez pas l'amour (je prends des accents pauliniens qu'il n'avait peut-être pas. Lui est brésilien, accent et infimes accidents de syntaxe compris), vous abandonnerez dès que cela deviendra difficile. L'autre ennemi de l'amour, c'est la curiosité. Le curieux ne s'intéresse qu'à ce qu'il ne connaît pas (serait-ce la définition du donjuanisme?), dès qu'il commence à connaître un peu, il passe à autre chose. C'est l'amour qui permet de tenir dans le temps.» (Ce n'est pas tant le fond du discours qui était étonnant, car il est connu; mais le moment où il est intervenu, la force de conviction, l'évidence avec lesquelles ces quelques mots ont été prononcés.)