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Librairie polonaise

Dans les activités de l'après-midi, il est prévu vendredi en huit un café-débat. Le thème du jour était donc de s'entraîner à l'exercice du débat.
Je découvre le sujet de cet entrainement en ouvrant la chemise qui m'est remise chaque matin: l'amitié.
La feuille comporte du vocabulaire et des questions: comment définiriez-vous l'amitié? l'amitié peut-elle prendre fin? l'amitié entre un homme et une femme est-elle possible? Quelle est la différence entre un ami et un copain?

Copain, pote, camarade, ami, compagnon: les nuances, les sens identiques dans des niveaux de langage différents, etc.
J'exprime une conviction: leur but est de trouver du travail et obtenir des papiers, ils ont donc intérêt à toujours utiliser du français soutenu. Je leur conseille de ne jamais utiliser "pote", ce qui leur évitera de se tromper de contexte.

J'essaie d'expliquer que l'union libre n'était pas prévue par la langue française traditionnelle et qu'il nous manque des mots (je ne sais pas si c'est vrai mais c'est ainsi que j'ai vécu cette évolution) alors on utilise des mots non prévus pour à l'origine. Le français utilise copain et copine ou "petit copain" et "petite copine" pour traduire boyfriend et girlfriend, mais dans les faits cela ne s'applique qu'aux adolescents et aux jeunes adultes. Ensuite… eh bien compagnon ou compagne, par exemple, ou partenaire.
Les nuances entre un ami, mon ami…
— Même un Français ne sait pas exactement ce que vous voulez dire si vous arrivez aux JRS en disant: «je suis venu avec mon ami». Est-ce que vous n'avez qu'un seul ami et vous êtes venu avec ou est-ce que c'est votre petit copain? Il faut un contexte pour décider entre les deux, et parfois on se trompe.
— Mais alors qu'est-ce qu'il faut dire?
— Si vous voulez que les gens ne se posent pas de question, il faut dire «un»: je vous présente «un ami».

Nous avons comme consigne de retrouver l'autre groupe de niveau avancé à onze heures et demie; mais nous sommes si bien plongés dans les nuances (les conditions du débat: ne pas être catégorique: «Ne dites pas "vous vous trompez" ou "c'est faux"; dites "c'est possible, cependant j'apporterais une nuance"») que je n'ai pas lu la feuille jusqu'au bout: nous devions résumer nos réponses et choisir quelqu'un pour les présenter à l'autre groupe. Bon tant pis, on va se débrouiller.

Déjeuner avec Patrick chez Georgette. Deux ans sans se voir, me dit-il, depuis les derniers concerts à Thiré. Bavardage et papotage puis librairie polonaise. Nous y restons longtemps, comme un après-midi à prendre le thé chez des vieux amis. C'est une belle librairie, tant par les boiseries que par les livres présentés. Patrick et la libraire discutent longuement d'auteurs et d'éditeurs, de noms dont je n'ai jamais entendus parler, de souvenirs de la guerre froide. Les éditions de l'Âge d'homme ont déposé le bilan, et comme à chaque fois je me sens coupable: nous n'avons pas acheté assez de livres (mais maintenant je me souviens des mots jésuites: «vous ne sauverez personne»). Les éditions Noir et Blanc, qui appartiennent en partie à la librairie polonaise (mais comment Patrick sait-il tout ça) ont créé "la collection Dimitri" (en hommage à Vladimir Dimitrijević) et réédite les titres du fond au rythme d'un ou deux par an.
Il faut que je trouve les livres d'Arnold Zweig au plus vite.


Bibliophore :
- Hanna Krall, Le Roi de cœur
- Adam Mickiewicz, Les Slaves
- Andrzej Stasiuk, Sur la route de Babadag
- Wojciech Chmielarz, La colombienne

Des soldes et des rendez-vous

Petit déjeuner avec H. boulevard Raspail. Il va chez un client pour la journée, il m'a déposée près d'Assas. C'est devenu compliqué de circuler dans Paris, même l'été. Ça va être l'enfer à la rentrée.

Aujourd'hui le thème était l'écologie (le but étant toujours, je le rappelle, de fournir du vocabulaire). J'ai parlé ressources naturelles, pillage des ressources naturelles, famine, démographie, nourrir la planète, nucléaire, dépendance énergétique face à la Russie ou l'Arabie Saoudite. Sans doute pas assez parlé éoliennes ou panneaux solaires.
J'ai cruellement conscience de faire passer mes convictions (as opposed to une information objective). Mais je sais désormais que des écologistes pur sucre n'auraient pas ces scrupules.
Je pense trop.

Soldes à midi. Beaucoup plus acheté que d'habitude, sans doute l'indice que ces matinées me rendent heureuse (faire des essayages et constater qu'on est un gros tas devant le miroir (me) demande beaucoup d'énergie. Ce n'est pas une partie de plaisir mais un effort. Difficile de faire cela quand je n'ai pas le moral). Une robe et un tailleur rouges, deux chemisiers blancs, un pantalon noir, que des habits pour le boulot. La note était étonnamment peu salée, la moitié de ce que j'attendais: effet déstockage Covid?

L'après-midi, appel successif des deux propriétaires de Moret, que j'appellerai l'imprimerie (le grand entrepôt collé à la maison est le local d'une ancienne imprimerie) et le loft. Dans des styles très différents, le premier grincheux et le second enjoué, ils vérifient la même chose: que nous ne sommes pas des «visiteurs de maison», une engeance qui passe ses week-ends à faire perdre leur temps (et leur moral) aux propriétaires en visitant et en critiquant sans avoir l'intention d'acheter.
Je pose deux questions : avez-vous la fibre (non, pas à Moret) et comment la maison est-elle chauffée?

L'imprimerie est un homme plutôt négatif, qui m'explique que sa maison est en zone inondable. On dirait qu'il fait tout pour décourager la visite, «parce que ça donne du travail». Le loft prend la vie du bon côté et m'explique tout le bonheur de vivre à Moret, les commerçants présents en centre-ville, la forêt à deux pas (mais pourquoi s'en va-t-il?)
— Si vous voulez mettre des cloisons…
Je l'interromps: — Je n'achète pas un loft pour mettre des cloisons!
— Je suis bien d'accord avec vous.
J'ai l'impression qu'il a dû en voir de toutes les couleurs.

Visite prévue samedi pour l'imprimerie (je préviens que je serai transpirante du fait de l'aviron) et dimanche pour le loft.
La maison de Vitry est vendue (pour ceux qui veulent rêver et pour les riches, l'agence était Terrasses & jardins), Etiolles n'a pas fait signe, Saintry a envoyé un mail (propriétaire en Bretagne).

Le soir encadrement des débutants à Neuilly. Ça faisait longtemps: avec jrs le matin, j'ai totalement laissé tomber les entraînements d'ergo. J'ai oublié de dire que j'ai écrit le 13 juillet à l'organisateur de la coupe des dames à Angers pour qu'il m'indique quel club vers Fontainebleau participe régulièrement à la course: l'ANFA, le club organisateur de Ram' jazz. Je vais m'inscrire là-bas; ce sont mes dernières sorties à Neuilly, même si je ne le leur ai pas encore dit. J'ai fait trop d'efforts pour ce huit (revenir à la Défense le week-end, contrôler mon poids en permanence) pour trop peu de plaisir. Adieu.

H. m'attend depuis un moment. Nous dînons dans un excellent restaurant, servie par une serveuse très menue et très souriante. La rue entière est bloquée, transformée en immense terrasse, un orchestre de jazz joue au loin.

Il est strict ?

— Tu n'étais pas à la randonnée lundi ?
— Non, avec le 14 juillet, ça faisait quatre jours de congé, alors je suis restée avec mon mari.
— Ah, il est strict ?
— Non, mais dans la semaine on travaille, on ne se voit pas beaucoup, alors quand il y a quatre jours on en profite pour être ensemble.
— C'est logique.
Je souris intérieurement. Ça me fait plaisir qu'il découvre qu'un couple puisse être ensemble volontairement et non par obligation. Les relations hommes-femmes sont l'un des donnés occidental le plus difficile à intégrer pour eux.


Aujourd'hui, le thème était les fêtes nationales1. A part avoir expliqué le système des "ponts", je dois avouer que je n'ai pas traité le sujet. Tout au moins pas directement.
Décomplexée par ce que j'avais lu sur le site FLE, j'ai osé remonter à La Fayette. J'ai fait un cours de deux heures sur trois cents ans d'histoire de géopolitique occidentale. Je ne sais pas ce qui est compréhensible par des Afghans ou des Syriens de trente ans, qu'apprennent-ils à l'école, qu'ont-ils lu? Je n'ai pas l'impression qu'ils sachent grand chose sur la seconde guerre mondiale, ils ne réagissent pas au nom d'Union soviétique (sachant que quoi qu'ils apprennent, c'est forcément d'un point de vue différent du nôtre2). Voilà deux fois en dix jours que je parle de l'extermination des juifs. Je ne sais plus exactement pourquoi, une fois pour expliquer la création de l'Etat d'Israël à un Egyptien (la culpabilité européenne, mais en repartant de la première guerre mondiale et des Anglais. Parler de colonisation devant des descendants de colonisés subissant aujourd'hui les conséquences du bordel que nous avons fichu… Que pensent-ils? Sans doute bien autre chose que ce que j'imagine. Je n'ose pas poser de questions. Mais est-ce que l'Afghanistan a été colonisé? Je n'en sais rien, en fait), une autre fois pour parler des déplacements de population après 45 et des lois qui protègent les réfugiés: «vous en bénéficiez aujourd'hui».

Une fois encore je ne les ai pas beaucoup laissés parler. J'espère que je ne les saoûle pas trop.


Je suis retournée au restaurant qui propose des flameküches. Le serveur est toujours le même, c'est une plaisante stabilité dans un monde qui change.



Note
1 : Je suis émerveillée par ces ressources FLE.
2 : je ne sais plus si ce que je sais de l'Afghanistan vient de Homeland ou de Mes voyages avec Hérodote. Ou des deux. L'Afghanistan, «tombeau des empires», ce doit être Homeland.

Hébergement

Ce matin il y a beaucoup moins d'élèves en niveau avancé et nous nous retrouvons à deux pour quatre élèves, trois Iraniens et un Turc «d'origine kurde» précise-t-il toujours à l'enregistrement du matin — et c'est aussitôt déchirant de l'enregistrer comme turc.
L'autre animateur a prévu un petit jeu écrit — ce que je trouve étrange et scolaire puisque nous devons faire de la conversation française. Cela nous prend beaucoup de temps et il nous reste une heure pour traiter le thème du jour: la géographie.

Sans doute est-ce parce que j'ai consenti à son idée que l'autre animateur consent à la mienne: demander aux participants de nous expliquer la géographie de leur pays plutôt que nous celle de la France. Le Turc est en minorité devant l'enthousiasme des Iraniens pour leur pays: il faut absolument visiter l'Iran, c'est très beau, très varié (point culture: les plages sont non mixtes ce qui permet aux femmes de se baigner).
Plus tard lors du débrief inévitablement je me demanderai si je n'ai pas eu tort, s'il ne leur aurait pas été plus utile qu'on leur présente la France et ses régions.

Aujourd'hui j'ai appris que le prénom "Sader" voulait dire honnête et que la plupart des prénoms arabes ont une signification.

Le soir nous hébergeons AC, ma copine de St Brieuc. Elle fait une escale en route vers les Vosges.
Nous dînons au restaurant réunionnais en parlant principalement des malheurs (professionnels) d'Hervé.

Technologies

Le cours d'aujourd'hui portait sur les technologies. Je n'avais pas repéré que nous avions reçu les fiches de vocabulaire via un lien googledoc et je me demandais de quoi il fallait parler. En fait il s'agissait des technologies numériques, tout le vocabulaire des claviers, applications, internet…
J'ai trois élèves, aucun de ceux d'hier n'est revenu (c'est un peu inquiétant). J'apprends que les Iraniens et les Afghans se comprennent, que les Afghans parlent dari et pachtou et que le dari et le farsi sont très proches — mais qu'il existe une multitudes de langues en Afghanistan. (Je n'avais jamais entendu ce mot de "dari").

J'écris tout au tableau, Anne-Lise la prof de FLE reste un moment dans la salle pour voir comment ça se passe. Je joue un peu avec le franglais, «Google it!»
A la fin du cours, B** me demande: «est-ce que tu pourrais me donner un exemple de phrase avec le mot "numérique"? J'ai l'impression de connaître plein de mots que personne n'utilise.»
Je reste sèche.

Débrief. Un animateur en cours avancé a organisé un débat pour ou contre numérique pour les enfants, un autre a simulé l'achat d'un portable à la Fnac. Mince, je n'ai pas du tout pensé à cela, quand j'ai voulu préparer le cours hier j'ai focalisé sur «technologies» parce que je me demandais ce que cela recouvrait, et j'ai oublié l'aspect «conversation». J'exprime ma gêne durant le cours à utiliser certains mots technologiques en sachant le prix de ces objets, on me regarde avec incompréhension. J'exprime ma crainte de trop parler. Plus tard Anne-Lise croisée dans la cour me dira avec son grand sourire doux: «tu es dure avec toi-même».

Belle sortie en quatre, soleil et douceur.
Jean-François, moi, Bertrand et X. Le quatre des deux Eric n'a pas réussi à nous distancer, et comme ils sont imbus de leur force, ils font la tête (mais ils sont lourds, nous étions plus légers et plus techniques: l'aviron est un sport de glisse). Le soir dans la cuisine, j'aperçois des visiteurs à travers la vitre. Joie et bonheur, cela faisait plusieurs années que le dernier avait disparu.



(A noter, la bassine pour les déchets destinés aux poules. Et les limaces, délice des hérissons.)

Premier jour

Première journée à l'école d'été des JRS. Il y a beaucoup de monde dans la cour quand j'arrive, toute une foule joyeuse (en fait environ soixante: le maximum que l'on peut accueillir dans les salles dans le respect des règles sanitaires) qui est filtrée par deux professeurs de FLE qui évaluent leur niveau (débutant, intermédiaire, avancé) avant que chacun ne s'enregistre (ce qui permet de les compter et de prendre leur téléphone pour leur envoyer des sms d'invitation et de rappel) et descendent dans la grande salle prendre un café (ou plutôt du thé: une population, masculine à 90%, qui prend du thé) et manger une tartine (à la confiture de rhubarbe? Ils aiment la rhubarbe? Ne font-ils pas la grimace en en découvrant le goût?)

J'anime un groupe avancé sur le thème des métiers et des professions. Je suis seule avec eux; les animateurs des groupes débutants et intermédiaires sont en binôme. Ils sont trois jeunes hommes, un qui travaille, un qui attend des papiers (ou attend d'être refoulé, si on est pessimiste) et un étudiant, deux Afghans et un Syrien.

Celui qui était salarié travaillait à Auchan au rayon PGC (produits de grande consommation). Par chance j'ai travaillé dans cette enseigne il y a trèèès longtemps (mon premier emploi) ce qui me permet de connaître certains des sigles utilisés. J'ai sans doute trop parlé, je tente de leur donner du vocabulaire pour le quotidien, pour leur permettre de comprendre ce qu'ils entendent autour d'eux ou à la télévision.

Rayons, rayonnage, rayonner de joie: comment dit-on le contraire de rayonner de joie? «Je suis triste, je devais aller en Iran en mars, ma mère avait un visa entre l'Iran et l'Afghanistan, on devait se revoir, puis le covid est arrivé, et maintenant son visa n'est plus bon.»
Il parle de la vie difficile de smicard en région parisienne. Son idée est de faire venir sa famille, mais c'est dur avec un tel salaire. J'explique «coût de la vie»: «tu pourrais aller en province: le salaire serait le même, mais le loyer moins cher.» Mais il m'explique qu'il a besoin de Paris, pour jrs, ses cours de français, pour toutes les structures associatives et administratives. J'explique les départements, les préfectures, les antennes JRS comme Angers, Dijon… (il y en a sept mais je ne les connais pas toutes).

Moslem a expliqué en se présentant qu'il songeait à changer de nom: les Français ne comprennent pas son prénom et imaginent qu'il est en train de dire qu'il est musulman. Il est en attente de papiers et il exprime sa frustration: «je perds mon temps. Un an que je suis là et je ne fais rien, je vieillis, ma vie s'en va». (Je rappelle qu'en attendant la reconnaissance de son statut de réfugiée, une personne ne peut pas travailler, d'où beaucoup de solitude et d'ennui — d'où l'idée des jrs jeunes.)

Séance de débrief ensuite avec tous les animateurs. J'arrive très en retard, (je ne savais pas où c'était) et je n'entends pas ce que disent les autres, dommage. Un animateur de groupe avancé a imaginé un jeu de rôle sous forme d'entretien d'embauche: mais oui, quelle bonne idée, voilà comment les faire parler, plutôt que ce que j'ai fait.
Et je sais qu'il faut que je fasse taire cette voix, que c'était bien, que ça s'est bien passé, que nous avons passé un bon moment ensemble, que tout va bien, et que je dois arrêter de douter.

Le plus dur finalement est de ne parler de rien à la maison. Je ne suis pas sûre que H. apprécie que je rencontre trois réfugiés dans un espace confiné car le virus est toujours une grande source d'inquiétude.

J'ai fini Tchernobyl. Le dernier épisode pourrait être un commentaire de l'époque actuelle: la science n'est pas une idéologie, elle résiste à la propagande. Annoncer 3,5 röntgens de radiation quand la réalité est à 400 ou 4000 ne fera pas descendre le niveau à 3,5. Le mensonge ne peut pas tout cacher.
Soutenir que les vaccins sont nocifs ou que le covid n'existe pas — a ou aura des conséquences réelles sur la vie — et la mort — des gens.
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