Billets qui ont 'objets' comme mot-clé.

Kitsch

J'ai récupéré mon tableau. Je n'ose en mettre une photo en ligne. Mais ça me fait plaisir.
Maintenant, il faudrait que ce tableau devienne suffisamment associé à moi pour que l'un des enfants souhaite le récupérer à ma mort. Est-ce possible? En attendant, je l'ai posé à côté de mon bureau, contre l'étagère. L'encadreuse a gentiment et très soigneusement recopié au dos du cadre tous les renseignements écrits le long de l'affiche. Ce n'est pas parce que celle-ci date de 1939 que cela signifie que mon grand-père l'a achetée cette année-là (je ne peux m'empêcher de penser que le cadre argenté est une idée à lui. C'était son style). Je ne saurai jamais.

Agents très spéciaux - Code U.N.C.L.E avec A. et O. Etonnament bon (je veux dire que je ne m'attendais pas à ce que ce soit si bon).

Courses

J'ai encore deux jours de vacances. J'en ai profité pour faire des courses que je n'ai jamais le temps de faire : passer à la poste récupérer un code secret pour gérer mon livret A depuis internet (je me rendrai compte quelques jours plus tard que cet imbécile de chargé de clientèle ne m'a pas donné d'identifiant — je ne sais s'il l'a fait en connaissance de cause); passer chez le bijoutier pour faire remettre une goutte d'ambre au centre de boucles d'oreilles qui ressemblent à des flocons de neige et réenfiler un collier de lapis-lazulli (cassé à Dessau); passer chez l'encadreur pour faire changer le cadre d'un tableau ayant appartenu à ma grand-mère.

Je ne sais si c'est très laid ou juste très kitsch. Il s'agit d'une reproduction de la Vierge noire de Czestochowa dans les tons verts, jaunes et blancs datant de 1939 (j'ai découvert la date aujourd'hui quand l'encadreur a démonté le cadre argenté à moulures de plâtre). Je l'ai toujours vue au-dessus du lit de mon grand-père et de ma grand-mère et lorsque nous avons vidé la ferme en 2003, c'est ce que j'ai voulu récupérer.
Je suppose que c'est hideux pour tout le monde — mais pas pour moi. Le cadre friable commençait à partir en morceaux, quand j'ai demandé à ma mère (par l'intermédiaire de H.) si elle pouvait le réencadrer, elle a répondu que je ferais mieux «de mettre cette horreur à la poubelle». J'ai posé le cadre à côté de mon lit (H. ne veut pas qu'on l'accroche au mur!) en attendant d'avoir les fonds pour faire réencadrer cette reproduction.
Ce jour est arrivé. J'ai choisi une baguette ridiculement large, profonde, dorée, roccoco, qui j'espère ira parfaitement avec le kitsch de cette reproduction passée au soleil.

La table de nuit

Ce qui m'a fait sourire, en fait, c'est que je n'ai pas encore quatre-vingt-dix-sept ans, et ma table de nuit est beaucoup plus petite, mais elle ressemble déjà beaucoup à ça: une lampe d'architecte bleue (pour lire au lit), un tube d'homéoplasmine (à cause de ma brûlure au doigt ou parce que je n'avais plus de Vicks? je ne sais plus), la boîte de cigarettes de couleur (pour contenir des micro-pinces à cheveux et des boules quiès en mousse), un coupe-ongles (il ne devrait pas être là (la plupart du reste non plus, remarquez)), un dessous de verre acheté à Carnac en revenant du mariage de Matoo (pour poser le thé), une bouteille de Synthol (contre les piqûres d'insectes), deux pipettes de larmes artificielles, une ouverte l'autre non (pour mes débuts d'allergie (démangeaisons) ou pour me réveiller les matins où c'est dur)), l'inhalateur en cas de menaces de crise d'asthme (quand les poumons sifflent certains soirs), un tube de lait auto-bronzant (il ne devrait pas être là — tentative de raccord de bronzage sur les pieds — ça n'a pas marché), un bocal de confiture Bonne Maman rempli de bonbons au miel (aussi pour prévenir les crises d'allergies), posé dessus un pot de Vicks (idem: tout est fait pour ne pas permettre à la crise respiratoire de se déclencher et de s'installer), la carte de bibliothèque de Yerres, une pile de petits cartons sur lesquels sont inscrites des tâches à accomplir si possible quotidiennement (si j'en fais deux ou trois c'est déjà bien — genre bloguer et faire du grec), une bouteille de spray pour la gorge, une bouteille de vernis sans doute solidifié (avec la chaleur — à vérifier), ma chaîne avec la croix en argent de Pologne et le cœur offert par la mère de Frédérique, les boucles d'oreilles achetées à Mycènes, une lime à ongle, un critérium publicitaire Mercure, une bouteille de spray pour le nez (je n'aime pas ça, c'est trop fort — mais j'étais en rupture de spray pour la gorge), un gobelet souvenir de la rando sur l'Erde rempli de stylos et de feutres (j'ai toujours besoin de stylos), un vaporisateur noir d'huile prodigieuse Nuxe (j'adore l'odeur du chèvrefeuille), un presse-papier Love d'Indiana offert par P. (je ne sais plus très bien pourquoi il a été descendu, normalement il est près du bureau), un chapelet ramené par mon grand-père de Lourdes.



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Agenda
Je rejoins Hervé, Isabelle et Olivier pour voir A Touch of Zen.
Quand je récupère ma voiture à Villeneuve-St-Georges, quelqu'un a rayé le côté conducteur. Mal dormi.

Souvenirs géographiques

Week-end chez mes parents en présence de ma tante maternelle qui cherche la tombe d'un de ses oncles tué en Albanie durant la première guerre mondiale (relique familiale: le portefeuille troué de la balle mortelle). Le lieu présumé de sa mort, Voskopojë, semble de toute beauté (toujours cet étonnement qu'un lieu mythique ne soit finalement que terrestre. Je me souviens de ma surprise et de ma déception, enfant, que franchissant une frontière, ce soit exactement pareil de l'autre côté: dès lors, à quoi bon?)

Je parle de "ma" cuillère. D'après ma mère, elle aurait plutôt appartenu au grand-père de mon grand-père (né en 1911 : la cuillère aurait connu la guerre russo-polonaise de 1831? un arrière-arrière-grand-père né à peu près en 1810? Cela me paraît un peu court: l'arrière-grand-père de mon grand-père?)

Au passage je note ici le nom du village de mes grands-parents paternels: Ozegow (ainsi je ne l'oublierai plus, ou plutôt je saurai où le retrouver). Ce doit être particulièrement sans intérêt: rien sur Flickr.

Dernier lieu: le lac de Constance. Le père de mon grand-père maternel y était cantonné pendant la guerre de 1870 (ça alors! je ne me souvenais absolument pas que cette guerre avait connu des batailles hors du territoire français) et en a ramené deux pipes bavaroises au tuyau en porcelaine.

(On en concluera que les guerres étaient l'occasion de sortir de chez soi.)

Pologne

Vu le film de Wajda sur Walesa. Portrait qui ne cherche pas à le flatter, et qui sera à compléter du livre de sa femme, Rêves et secrets. J'entends le "Lekou" diminutif de Lech qui me rappelle le Stachkou, diminutif de Stanislas, que j'ai si souvent entendu crier à travers la cour.

Je sais si peu de choses sur la Pologne. La première fois que j'en ai vu les paysages, c'est dans Shoah, le film de Lanzmann. Ce film a été terrible pour d'autres raisons: certains visages polonais étaient exactement ceux de mon grand-père. Ce que je regardais, c'était un album de famille, et l'état des routes, les chevaux, me rappelaient ce qu'on nous racontait sur la ferme dans les années 50.

Puis Rudnicki, Les fenêtres d'or.

— Mais mémé n'aime pas les juifs !
— Oui, tu ne le savais pas ?

Kieslowsky, Tu ne seras pas luxurieux, et la phrase (lors d'un interview, pas dans ce film): «je pensais ne faire des documentaires qui ne pouvaient intéresser que les Polonais, et puis je me suis rendu compte qu'on était triste ou qu'on avait mal aux dents de la même façon partout dans le monde.»

Puis Wajda, l'un des plus beaux films que j'ai vus, Kanal, un film en noir et blanc dans les égoûts, un film où le noir devient lumière.
Et à la fin les touristes. Auschwitz, encore et toujours, mais cette fois-ci, à l'époque contemporaine.

Conrad. Souvenirs me ramène au silence de mon grand-père et à l'humour de la branche paternelle. L'introduction de Souvenirs, les guerres russo-polonaises, et cette cuillère que ma grand-mère m'a donnée en me disant que c'était le plus vieil objet de la maison, qu'elle appartenait au père ou au grand-père de mon grand-père qui l'avait avec lui quand «il avait fait la guerre contre les Russes». Mais quelle guerre? Il y en a eu tant. (Trop tard, je ne saurai jamais.)

Puis l'année dernière Szczygiel, Voyage en Pologne de Döblin et cette année Kapuscinski.

Je lui dis que pour nous, Polonais, cette attitude est inconcevable, car une tradition fondamentalement différente nous sépare. Loin d'être des sanguinaires, les rois polonais qui se sont succédé sont pour la plupart des hommes qui ont laissé derrière eux un bon souvenir. A son accession au trône, l'un d'eux a trouvé un pays avec des maisons en bois et l'a quitté avec des bâtisses en pierre, un autre a proclamé un décret sur la tolérance et a interdit d'allumer des bûchers, un autre encore nous a défendus contre une invasion barbare. Nous avons eu un roi qui récompensait les savants, un autre qui avait des amis poètes. D'ailleurs, les surnoms qui leur ont été donnés — le Généreux, le Juste, le Pieux — montrent qu'on pensait à eux avec reconnaissance et sympathie.

Ryszard Kapuscinski, Le Shah, p.70-71, Champs Flammarion 2010.
Est-ce savoir quelque chose de la Pologne? Sans doute pas. Mais je ne sais rien d'autre.

Enquête

Les questions sont ici.

1/ Puisque je réponds le 11 janvier 2015, la réponse est oui: j'en ai reçue une à Noël. J'ai perdu la précédente je ne sais où, à l'automne 2014, et cela m'a profondément affectée. C'était une montre achetée à Hervé en 1989 pour laquelle nous nous étions endettés. (En fait, il ne l'a pratiquement jamais portée, elle n'était pas "son genre", mais comme nous ne sortions pas ensemble depuis longtemps, je suppose qu'il n'avait pas voulu le dire. Bref, j'ai décidé de porter cette montre en avril dernier (avril 2014) après avoir perdu celle que mon père m'avait donnée en 1986 (mais pourquoi perds-je mes montres?))

2/ Les photographies d'Edouard Levé.

3/ Non. La peau du coccyx quand je fais de l'ergonomètre !

4/ Quelques-unes à la main, beaucoup au clavier. Quand je suis très fatiguée, mon écriture se décompose ("m'est" pour "mais", "tant" pour "temps", et des trucs bizarres que je ne comprends pas le lendemain.)

5/ Oui. Enfin, des gens qui me détestent (sont-ce des ennemis?)

6/ La neige et la nuit.

7/ Non. J'ai du bon sens, ça peut servir à l'occasion.

8/ Je profite du manque de piquant !

9/ Oui ! Trop courtes !

10/ Version originale le plus souvent.

La montre de ma grand-mère

La montre de ma grand-mère date des années 30. Elle se remonte tous les soirs, à l'ancienne. Je suis bien heureuse de l'avoir récupérée (si c'est le mot), ma grand-mère s'étant persuadée que je ne voudrais pas d'une montre mécanique.
Elle n'a qu'une idée vague de mon amour des objets qui ont une histoire.

Le problème de la montre de ma grand-mère, c'est qu'elle retarde. Elle retarde beaucoup. Le matin, je l'avance d'une demi-heure, elle est à l'heure vers une heure de l'après-midi. Elle a environ vingt minutes de retard en début de soirée.

De cette façon, je n'ai jamais l'heure, ou à un quart d'heure près.
Il est prévu que je la fasse réparer, mais ça m'inquiète un peu.

Mon pismo prend sa retraite

Ce billet N'est PAS de la publicité pour Apple. :-)


Je n'arrive pas à me souvenir du moment où j'ai hérité du pismo. Je l'utilisais déjà en septembre 2002, j'en suis sûre. C'était un ordinateur de récup: à partir du moment où nous sommes sortis des perpétuelles fins de mois difficiles, H. a acheté un nouvel ordinateur (un nouveau Mac) quasiment tous les ans en trouvant à chaque fois un prétexte (s'il me lit il va être furieux), des gens prêts à lui racheter le précédent, quelqu'un de la famille intéressé par un ordinateur gratuit (assez rarement, en fait, car la famille est anti-Apple), la nécessité d'acheter un portable, etc.
En 2002, je fus donc la personne qui héritai du pismo, avec un clavier et une souris extérieurs pour m'en servir en ordinateur fixe (je ne m'en suis pratiquement jamais servi comme d'ordinateur portable).

Je n'arrive plus à démêler les années. Il y eut la fois où je provoquai un court-circuit en tirant sur le câble d'alimentation: une carte grilla, je me retrouvai sans ordinateur. Une carte fut commandée, installée, l'ordinateur démarrait mais le son ne fonctionnait plus. Quelques bidouilles plus tard, le son sortait à nouveau, mais uniquement sur des hauts-parleurs externes qu'il fallait brancher sur le portable.
Le pismo avait été promis à C.; entretemps était sorti l'iMac, le coma de mon pismo avait été l'occasion de se procurer cette bête de course: un ordinateur neuf rien que pour moi (septembre ou octobre 2004, puisque par la même occasion H. m'offrit un iPod, le dernier joujou à la mode. Je n'en voulais pas (mon snobisme consiste à mépriser ce qui est à la mode), je m'y habituai très vite. J'espère qu'il va vivre encore longtemps.)
Je ne me suis jamais vraiment entendu avec mon iMac, je ne sais pas pourquoi. Trop beau, trop neuf, le syndrome de «C'est beaucoup trop beau pour un chien». En tout cas, nous n'étions pas destinés à vieillir ensemble. Pour une raison inexplicable, il a grillé sous mes doigts en janvier ou février 2006. Il paraît que c'est rarissime. Est-ce parce que j'ai éternué du thé sur le clavier? J'ai un don avec les ordinateurs et les programmes. Je trouve toujours le défaut.

Chance pour H., cela correspondait à la sortie du Mac mini. Il m'avait déjà annoncé qu'il fallait absolument que nous en eussions un à la maison, qu'il fallait qu'il le teste, que l'idée était géniale (et c'est vrai que...), que c'était destiné aux gens qui avaient déjà un écran et un portable, etc. Je ne voulais pas, toujours pas, de quelque chose bien trop beau (trop grand, trop puisssant, disproportionné par rapport à mes besoins) pour moi. Le Mac mini fut installé dans le salon pour les enfants et je récupérai mon pismo chéri, qu'il fallut faire passer sous Tiger ou Leopard ou Panter, je ne sais. C'était un peu lourd pour lui, mais toujours compatible.

Il y a quelques mois, H. s'est offert le plus grand écran que propose Apple, un 30 pouces (taquinerie à part, il faut tout de même que j'écrive ici que vu ce qu'il programme, c'est justifié). J'ai alors hérité de son 23 pouces. Le pismo a eu du mal. Il a fallu lui rajouter une carte vidéo. Il mettait plusieurs secondes pour passer en veille, il en sortait en affichant un voile rouge. Il fallait le ménager, je pris l'habitude de ne jamais laisser plus de trois applications ouvertes à la fois (le mail, internet, et une troisième). C'était une contrainte. Peu à peu j'avais l'impression de voir vieillir une personne âgée, une personne pouvant de moins en moins se permettre de bouger. Son état se dégradait.
Le pismo est devenu muet. La dernière vidéo que j'ai vue et entendue, c'est celle de la quinte juste. Je n'ai jamais osé avouer à Zvezdo que je n'avais pas écouté les illustrations de ses billets que je lis avec beaucoup d'attention et de plaisir (et maintenant, je vais aller écouter le billet sur Peter Grimes. C'était frustrant, tout de même.).
Mais pas simplement muet, aveugle, aussi. Impossible depuis l'été de regarder les vidéos de Tlön ou de Matoo.
Mon pismo était également asmathique, et j'aimais bien. Je l'entendais souffler quand je lui demandais quelque chose qui demandait de la ressource. Je n'aime pas abandonner les choses usées qui m'ont beaucoup servie. Il me semble que je leur dois quelque chose (Objets inanimés,...), avec eux disparaît un peu de nous-mêmes, aussi. Je ne disais rien à H., mais je savais que le pismo était en train de mourir.

La prochaine version du système d'exploitation ne sera pas supportée par le pismo. H. a acheté le dernier Mac mini (le premier a été vendu pour être évidemment remplacé par le dernier iMac Core duo, vous vous en seriez douté) et a remplacé mon pismo jeudi, sans rien me dire. Le plus étrange est que je ne m'en suis pas aperçue (je dois expliquer que le pismo était invisible, posé sous le bureau). Il m'a envoyé une vidéo, m'a demandé de la regarder. J'ai protesté qu'il y avait longtemps que je ne pouvais plus regarder de vidéo. Puis j'ai essayé. Ça a marché, je me suis réjouie, sans m'étonner. Je ne me suis pas étonnée non plus de ne plus entendre le bruit de l'ordinateur, pas étonnée que la carte-son fonctionne à nouveau. Je me suis dit que j'avais de la chance. Je suis absolument disposée à croire aux miracles, aux fées et aux trois vœux.
Je n'aurais toujours rien vu si H. n'avait pas fini par me le dire.
Cet aveuglement, lui, m'étonne à chaque fois, cette inaptitude à voir ce qu'on ne veut pas voir, cette aptitude à considérer le réel comme figé tant que rien n'indique formellement qu'il a été modifié...

Je suis soulagée. J'avais peur que mon portable s'éteigne un jour, un jour sans sauvegarde bien entendu. J'étais arrivée aux limites de l'exercice, même si je ne voulais pas l'avouer.
Je suis contente de pouvoir aller regarder les vidéos chez les uns et les autres, de pouvoir faire des recherches sur Youtube comme tout le monde, de lancer les radioblogs de Zvezdo. Je vais pouvoir rapatrier ma bibliothèque iTunes qui était sur un autre ordinateur car trop lourde pour le pismo.
J'espère que cet ordinateur-là me durera plus longtemps que l'iMac.


Ça fait un peu étalage, tant pis, ou plutôt tant mieux, ce billet était un billet d'adieu, mais aussi une recension. Je sais que nous avons toujours les derniers produits Apple à la maison, H. dit que c'est faux, en écrivant ce billet j'ai réalisé à quel point c'était vrai (et je n'ai pas parlé de l'ordinateur qui supporte le réseau, ni des deux titanium successifs, ni des iPod mini, nano, shuffle, offerts aux anniversaires et Noëls des uns et des autres, je n'ai parlé que de ce qui me concerne directement.)

La cuillère

I unlocked the medecine chest in the second bathroom, and out fluttered a message advising me that the slit for discarded safety blades was too full for use. I opened the icebox, and it warned me with a bark that 'no national specialities with odors hard to rid of' should be placed therein. I pulled out the middle drawer of the desk in the study ? and discoverd a catalogue raisonné of its meager contents which included an assortment of ashtrays, a damask paperknife (described as 'one ancient dagger brought by Mrs Goldsworth's father from the Orient'), and an old but unused pocket diary optimistically maturing there until its calendric correspondencies came round again. Among various detailed notices affixed to a special board in the pantry, such as plumbing instructions, dissertations on electricity, discourses on cactuses and so forth, I found the diet of the black cat that came with the house :
Mon, Wed, Fri : Liver
Tue,Thu,Sat: Fish
Sun: Ground meat
(All it got from me was milk and sardines; it was a likeable little creature but after a while its movements began to grate on my nerves and I farmed it out to Mrs Finley, the cleaning woman.) But perhaps the funniest note concemed the manipulations of the window curtains which had to be drawn in different ways at different hours to prevent the sun from getting at the upholstery. A description of the position of the sun, daily and seasonal, was given for the several windows, and if I had heeded all this I would have been kept as busy as a participant in a regatta. A footnote, however, generously suggested that instead of manning the curtains, I might prefer to stift and reshift out of sun range the more precious pieces of furniture (two embroidered armchairs and a heavy 'royal console') but should do it carefully lest I scratch the wall moldings. I cannot, alas, reproduce the meticulous schedule of these transposals but seem to recall that I was supposed to castle the long way before going to bed and the short way first thing in the morning. My dear Shade roared with laughter when I led him on a tour of inspection and had him find some of those bunny eggs for himself.

Vladimir Nabokov, Pale Fire, commentaire des v.47-48


Ce fut Aureliano qui conçut la formule grâce à laquelle ils allaient se défendre pendant des mois contre les pertes de mémoire. Il la découvrit par hasard. Expert en insomnie puisqu'il avait été l'un des premiers atteints, il avait appris à la perfection l'art de l'orfèvrerie. Un jour en cherchant la petite enclume qui lui servait à laminer les métaux, il ne se souvint plus de son nom. Son père le lui dit : «C'est un tas.» Aureliano écrivit le nom sur un morceau de papier qu'il colla à la base de la petite enclume : tas. Ainsi fut-il sûr de ne pas l'oublier à l'avenir. Il ne lui vint pas à l'idée que ce fût là un premier symptôme d'amnésie, parce que l'objet en question avait un nom facile à oublier. Pourtant, quelques jours plus tard, il s'aperçut qu'il éprouvait de la difficulté à se rappeler presque tous les objets du laboratoire. Alors il nota sur chacun d'eux leur nom respectif, de sorte qu'il lui suffirait de lire l'inscription pour pouvoir les identifier. Quand son père lui fit part de son inquiétude parce qu'il avait oublié jusqu'aux événements les plus marquants de son enfance, Aureliano lui expliqua sa méthode et José Arcadio Buendia la mit en pratique dans toute la maisonnée, et l'imposa plus tard à l'ensemble du village. Avec un badigeon trempé dans l'encre, il marqua chaque chose à son nom : table, chaise, horloge, porte, mur, lit, casserole. Il se rendit dans l'enclos et marqua les animaux comme les plantes : vache, bouc, cochon, poule, manioc, malanga, bananier. Peu à peu, étudiant les infinies ressources de l'oubli, il se rendit compte que le jour pourrait bien arriver où l'on reconnaîtrait chaque chose grâce à son inscription, mais où l'on ne se souviendrait plus de son usage. Il se fit alors plus explicite. L'écriteau qu'il suspendit au garrot de la vache fut un modèle de la manière dont les gens de Macondo entendaient lutter contre l'oubli : Voici la vache, il faut la traire tous les matins pour qu'elle produise du lait et le lait, il faut le faire bouillir pour le mélanger avec du café et obtenir du café au lait. Ainsi continuèrent-ils à vivre dans une réalité fuyante, momentanément retenue captive par les mots, mais qui ne manquerait pas de leur échapper sans retour dès qu'ils oublieraient le sens même de l'écriture.

Gabriel Garcia Marquez, Cent ans de solitude, p.56 éd Points Seuil
Peu avant sa mort, ma grand-mère commença à distribuer ses biens, à répartir ses meubles et ses objets entre ses enfants et ses petits-enfants.
Un jour, elle me tendit une cuillère à soupe, longue, pointue, profonde, lourde et noircie, ce qui me fait penser qu'elle doit être en argent, même si ce qu'elle me dit alors rend cette supposition improbable :
— C'est le plus vieil objet de la maison. Elle appartenait au père de pépé, il a fait la campagne de Russie avec.

Je ne me souviens plus : a-t-elle parlé du père de mon grand-père ("le père de pépé") ou du grand-père de mon grand-père? Et qu'est-ce que la campagne de Russie? Cela avait forcément un autre sens pour elle, polonaise née en 1913, que pour moi. Je n'ai pas osé lui poser la question, l'instant était trop émouvant et elle m'avait prise par surprise.
Je regarde la cuillère. J'aimerais qu'elle sache parler, qu'elle me dise où elle est allée, dans quelles conditions, ce qu'elle a connu avec mon arrière-grand-père ou mon arrière-arrière-grand-père.
Je me dis qu'il n'y a que moi qui sache ce qu'elle est. Si je me fais écraser demain, si le ciel me tombe sur la tête, personne ne saura ce qu'est cette cuillère (et moi, je le sais déjà si peu). Parfois je songe qu'il faudrait que je rédige une petite notice, que je l'attache à la cuillère. Mais alors il faudrait en attacher à tant de choses, à tant d'objets usés, abîmés, sans importance, conservés parce qu'ils ont une histoire qui représente un poids de souvenirs, mes souvenirs.
Et je songe "à quoi bon", que valent des souvenirs transmis ainsi, artificiellement, sans une inscription (une ré-inscription, une nouvelle inscription) dans les souvenirs de la ou les générations suivantes? A quoi bon transformer la maison en musée, puisque tout est destiné à disparaître dans l'oubli, et que si tout ne disparaissait pas ainsi, nous serions bientôt noyés dans les souvenirs des autres, sans rien qui nous appartienne en propre?
Et je reste inquiète, à me demander ce que deviendront tous ces objets aimés quand il n'y aura plus personne pour les aimer.

La comtoise

Une fois à la retraite, mon grand-père répara la comtoise du salon. Il était le seul à avoir droit de la remonter, le seul d'ailleurs à savoir où était la clé.
Quand mon grand-père est mort, il n'y a eu plus personne pour remonter la comtoise. Ma grand-mère était sourde, elle ne s'en rendait pas compte, cela ne lui manquait pas. Quant à moi, le silence du salon me frappait chaque fois au cœur.
Je n'ai jamais osé demander où était la clé pour remonter la pendule. La mort de mon grand-père fut le silence des horloges.
Quand ma grand-mère est morte, mon oncle, de par son droit d'aînesse, emporta la comtoise. Avec la petite somme d'argent tirée de l'héritage que mon père me donna, j'ai acheté une comtoise.
Je ne supporte pas qu'elle s'arrête.
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