Billets qui ont 'powerpoint' comme mot-clé.

Cruautés (?)

Une semaine sans écrire ici alors que je ne suis pas en vacances (comprendre: loin d'une connexion internet)$$Et donc du 11 au 16, les billets sont écrits après celui-ci.$$. Cela n'était jamais arrivé depuis le début de ce blog. Le temps est plein comme un œuf; d'autre part je privilégie les moments familiaux au détriment de cet ordinateur. Ce n'est pas une résolution de nouvel an, c'est juste un fait.

Formation lamentable aujourd'hui. Tant pis. Nous sommes grands (comprendre: adultes), polis et de bonne volonté, longtemps nous avons répondu et participé; mais à partir d'un moment, lassés, nous nous sommes tus. L'après-midi fut longue, surtout pour la formatrice je suppose, mais je n'ai même pas ressenti l'habituel pincement de compassion et de culpabilité que je ressens dans les situations semblables.

Formation à l'encadrement des apprenants (comprendre: les étudiants travaillant en alternance. Je n'utilise jamais ce mot qui me fait penser à "mal-comprenants"): «Il y a quelques années nous avions des armées mexicaines de CDD et d'intérimaires, aujourd'hui nous avons des armées mexicaines d'étudiants en alternance.»

— Il y a l'incompétent inconscient, l'incompétent conscient, le compétent conscient, …
— Mais qu'est-ce qu'on fait avec un incompétent inconscient ?
— On le recadre, on lui fait comprendre ce qui ne va pas…
— Oh mais pour lui tout va très bien. Tout va toujours très bien…



Le soir, après cette journée énervante (en ce moment je lis Martimort qui utilise "énervant" dans son sens étymologique), "notre" consultant arrive dans mon bureau pour me faire un résumé de la journée (il ne sait pas que j'en ai déjà eu un à midi par ma collègue préférée qui l'a si bien allumé en réunion (réunion à laquelle je n'assistais pas du fait de ma formation) que désormais je dois passer pour une modérée: merci Danielle!).

Il insiste pour me montrer un schéma powerpoint qu'il vient de finir. Avant d'obtempérer, je retourne dans le dédale des dossiers et sous-dossiers pour lui démontrer (une fois de plus) que c'est parce que nous avons pris le projet à l'envers par rapport à la méthode préconisée que nous sommes maintenant face aux problèmes actuels (ce consultant me rappelle mon cousin urgentiste qui disait des obstétriciens : « ils sont incapables de laisser un accouchement se dérouler normalement. Il faut qu'ils interviennent, c'est plus fort qu'eux ».)

Je regarde le schéma, atterrée, n'osant pas éclater de rire. Je songe: « Seriously ? », qui est devenu le mot de mon aîné.
Je décide de dire la vérité, tout de même; après tout il est presque à son compte, il faut tout de même qu'il prenne conscience de ce que pensent des gens "normaux" de ce genre d'usine à gaz :
— Hum, je suis désolée, je ne le dirai jamais en public, mais ce genre de schéma… hum… c'est un gag, vous n'êtes pas sérieux, c'est exactement ce genre de schéma qui tourne sur facebook…
— Mais pourquoi vous dites ça ?
Je ne peux pas le lui expliquer. C'est au-dessus de mes forces. C'est tellement puéril, appliqué, cela ressemble tellement au schéma du parfait consultant, le truc imbitable que personne dans son bon sens ne regardera ou n'utilisera, qui ne sert qu'à faire un slide pour meubler le temps en réunion et impressionner les gogos…
— Je ne sais pas… Peut-être que je me trompe ? Il est possible que ce genre de schéma vous permette de passer auprès de certaines entreprises, mais je pense qu'il vous bloque l'accès à d'autres.

Après son départ, un peu ennuyée (ai-je été trop catégorique? aurais-je tort?), j'envoie le schéma à H. avec une seule phrase « Sondage : qu'en penses-tu?»
Comme prévu il est pire que moi.
Pour vous faire une idée :

puzzle.jpg


(Ou vivrais-je trop parmi les geeks? cf. le powerpoint karaoké et une explication plus sérieuse, plus flippante (mais peut-être trop sérieuse justement pour une banale vie de bureau) du danger d'analyser la vie à travers Powerpoint.)

Tapons un peu sur les produits Microsoft

J'avais promis à Zvezdo de créer une catégorie spécialement pour ce genre de billets (afin qu'il ne les lise pas), mais finalement... ça l'intéressera peut-être.
C'est un peu ancien — certains connaissent peut-être déjà — mais j'aime bien. Là encore, cela permet de réfléchir au formatage de la (de nos) pensée(s), à nos modes de réflexion. Donc voici Devenez beau, riche et intelligent, avec PowerPoint, Excel et Word.

C'est évidemment un peu exagéré, certains trouveront la critique un peu facile, et l'auteur reconnaît sa mauvaise foi. Cependant, ça me fait toujours rire car tout est loin d'être faux.

Extraits :
Nous pensions naïvement que PowerPoint, Excel et Word, les trois logiciels qui composent la suite Office de Microsoft, n'étaient que de fidèles outils chargés de traduire notre activité. Lorsque vous n'avez pas le choix de votre outil, qui utilise qui ? Petit à petit, c'est notre activité qui est devenue le miroir de Microsoft Office. « Le média est le message », disait je ne sais plus qui.
J'érige donc mon tribunal, évidemment de mauvaise foi, chargeant tour à tour du plus coupable au moins coupable les accusés PowerPoint, Excel et Word5. Chacun est responsable de créer des distorsions dans notre manière d'appréhender le monde. PowerPoint, Excel et Word sont les derniers cache-sexe de l'Incertitude et, par-là, les derniers remparts de la Certitude.
- Power Point
Les structures de présentation standards proposées par PowerPoint sont somme toute calquées sur un scénario Hollywoodien normalisé : camper le décor, créer l'inquiétude, montrer des faiblesses humaines vénielles (« à vaincre sans péril… »), happy-endiser en sauvant l'humanité et sa banlieue à la fin. Sans oublier, comme le suggère Succesful Presentations for Dummies, de placer un gag désopilant toutes les sept minutes. Nous sommes dans le Disney pour adultes : on nourrit le public de ce dont il veut bien se nourrir, c'est-à-dire d'histoires prévisibles de bons (évidement nous/je) et de méchants (forcément everybody else). Et, forcément, c'est nous qu'on gagne à la fin.
- Excel
Un modeste entrepreneur, actionnaire quasi unique de sa propre boite, ne se livre en général pas à cet exercice ridicule [budget prévisionnel à cinq ou dix ans]. À la rigueur, il fait un succédané de business plan, qu'on appelle un budget annuel. Il n'a pas besoin de s'écrire des objectifs à un, trois ou dix ans. Il sait qu'il fait pour le mieux, au jour le jour, essayant de saisir toutes les opportunités possibles avec les moyens dont il dispose et dans le contexte qui est le sien. À la fin de l'année, rétrospectivement, il se dit qu'il a fait une bonne ou une mauvaise récolte. Il continue à vivre selon une logique de paysan.
Mais dès lors que vous montrez votre business à des financiers, vous sortez de l'ère agraire pour entrer dans l'ère industrielle. Vous devez raconter ce qui va se passer dans les trois ou cinq années à venir et jurer-cracher (poliment) que vous croyez à vos chiffres. Il faut une certaine dose d'entraînement ou d'autosuggestion pour ne pas avoir la voix qui tremble à ce moment-là. Au début, jeune naïf, vous pensez que vos interlocuteurs sont normaux et sensés, qu'ils vivent la vie comme vous et moi, une vie où parfois les trains ont du retard, où certains jours on oublie son parapluie alors qu'il pleut. Alors, vous insinuez que, dans votre projet, il pourrait y avoir un doute ici où là, que rien n'est jamais certain, mais que, l'un dans l'autre, vous pensez que votre plan est « jouable ». Malheureux ! À ces mots, votre interlocuteur argentier se redresse dans le capiton de son fauteuil de capitaliste et vous décapite. Bandant du menton, il vous toise et dit sèchement que des millions d'épargnants lui ont confié les économies de toute une vie, et que, jamais, il n'ira investir dans une affaire où des choses imprécises subsistent. « Mentez-moi, jeune homme, vous ne savez pas vendre votre dossier » semble-t-il vous dire.
- Word
Que peut-on reprocher à Word ? Après tout, ce n'est qu'un simple traitement de texte. On écrit des textes depuis des siècles, depuis que consigner par écrit nous a fait sortir de l'insupportable volatilité de la tradition orale. Word est en filiation directe de l'épopée de Gilgamesh, de l'Iliade et l'Odyssée, de la Vulgate, de Gutenberg et de toute cette histoire de la chose écrite qui a extirpé l'humanité de l'ignorance, de l'analphabétisme et de la barbarie.
Et c'est bien pour ça qu'écrire fait peur.
C'est moi qui souligne, bien entendu !
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