Petit déjeuner plus rudimentaire que les jours précédents (forfait de sept dollars pour nous cinq). J'essaie le jus de cranberry en libre service. Nous sommes visiblement au pays de la cranberry (canneberge: grosse airelle des marais, dit le guide du routard) et j'aime beaucoup ça. O. est malheureux, pas de chocolat au lait.

Les enfants auraient bien profité de la piscine encore ce matin, mais elle n'ouvre qu'à neuf heures et nous voudrions être à Boston ce soir (ce n'est pas ce que j'ai écrit dans le billet précédent: je n'étais pas au courant). H. a prévu de voir Plimoth Plantation, Déborah aussi, je ne sais pas ce que c'est: il s'agit du camp des premiers pionniers débarqués du Mayflower en 1620.

Comme hier à Mystic River, il s'agit de toute une zone transformée en musée. La visite commence par un film qui nous explique ce que nous allons voir: la rencontre de deux peuples ("two peoples": j'apprends que "people" peut prendre une s).
Le film est sous-titré en anglais, et j'ai alors supposé que plutôt que de trancher dans le choix des langues, il s'agissait d'une solution élégante pour aider les étrangers à comprendre (c'est efficace, O. avec son unique année d'anglais derrière lui en est la preuve); mais l'expérience de la télé le lendemain à la laverie automatique semble montrer qu'il s'agit plutôt d'un sous-titrage pour les sourds, qui aiderait aussi les latinos (et autres) à apprendre l'anglais (ce n'est pas incompatible).

Une tribu de Wanapatoags était installée là, mais le siècle précédent l'avait fait disparaître (les maladies importées ont ravagé la moitié de la population indienne) et les pionniers se sont installés exactement au même endroit. Le site de Plimoth Plantation présente un campement indien, plus loin le village des pionniers et plus loin encore un bâtiment destiné à montrer le travail artisanal de l'époque, poterie, couture, tricot, menuiserie (et j'ai la surprise de lire sur un panneau explicatif: «vous pensez peut-être que l'artisanat et les activités manuelles sont des hobbies, mais à l'époques, il s'agissait d'activités vitales pour la survie». Se pourrait-il réellement que les visiteurs américains aient une vision purement industrielle des productions humaines? Je n'arrive pas à y croire, ils ont forcément eu une grand-mère ou un arrière grand-oncle qui travaillait de ses mains).

Le film nous explique que tous les guides/acteurs présents dans le village indien sont de véritables indiens. Nous sommes invités à poser toutes les questions que nous voulons aux personnes que nous rencontrerons (mais nous sommes prévenus que les pionniers exposent les idées de l'époque, qu'il ne faudra pas être choqué par exemple par leur refus de la tolérance religieuse: de sont des Puritains (et que cet avertissement soit nécessaire me fait sourire)).
Nous sommes très loin des "animations" à la française genre Provins, où ce qui est favorisé est le spectacle et l'agitation, le bruit et le mouvement. Ici il s'agit de reconstitution et de démarche didactique, ce que O. résume d'un mot: «c'est comme un jeu de rôle en trois D».
C'est très naturel, très efficace en matière d'apprentissage, non intrusif (puisqu'il n'y a que des réponses à des questions); le seul problème en ce qui me concerne c'est que je suis aussitôt dans le "méta": quelle est la formation des acteurs, quels sont les présupposés d'une telle méthode, etc.

Village des indiens: un Iroquois (aaahhahh, la coiffure n'est pas leurs cheveux, mais une coiffe sans doute en crin de cheval coloré, très souple, maintenue je ne sais comment) nous explique la structure de la tente, très impressionnante («c'est construit comme un navire de guerre, c'est très solide. Il y a quelques années une tempête a détruit quatre ou cinq maisons de pionniers, il a fallu faire un appel aux donateurs, mais dans le village indien nous n'avons eu aucun dégât»). Il nous raconte que les systèmes indiens repose sur le matriarcat, que les personnes âgées venaient vivre avec leurs enfants dans une seule grande hutte où il faisait si chaud que les enfants sortaient nus jouer dans la neige pour se refroidir.
Lui vit encore en tribu, pas aux Etats-Unis où c'est désormais interdit en hiver, mais au Canada, qui protège mieux les modes de vie traditionnelles.

Village des pionniers, tellement moins intégré à la nature, entouré de palissades, aussitôt défensif. Le contraste est saisissant, tout ici à l'air maladroit, mal adapté. C'est drôle de se dire que c'est ce mode de vie qui a prévalu, alors qu'il semble bien moins rationnel et confortable. (Les pionniers n'ont-ils jamais été tentés de vivre comme les indiens? Mais ils venaient avec leur foi, pour ne pas dire leur fanatisme.) Il est difficile de faire le lien mental entre cela et Manhattan. Quatre siècles.

Le site de ce village est magnifique, en pente douce avec la mer au pied. Quelques maisons, les meubles et les animaux sont venus avec les hommes, sur le Mayflower. Dans un premier temps, le cordonnier et le maréchal-ferrant ne faisaient qu'entretenir et remplacer ce qui s'usait. (Dans les ateliers un menuisier et une couturière continuent à fabriquer à la main ce qui est utilisé par les acteurs dans le village.) Il fait très chaud, mais dans les maisons obscures, un feu brûle dans les cheminées. Une femme nous explique qu'elle a chaud parce qu'il fait chaud, mais pas à cause de sa jupe en laine, qui la protège au contraire de la chaleur du feu. (J'ai mes doutes.) Le tablier en lin n'est là que pour protéger la jupe, car il se lave plus facilement. (Elle se moque drôlement de la robe d'été d'une fillette, genre de t-shirt un peu long, en disant qu'elle se demande si elle a subi un naufrage pour se promener ainsi en guenilles, mais qu'elle ne veut pas la juger, car elle ne la connaît pas).

Repas au "centre", menu indien traditionnel à base de courgettes et maïs. C'est bon. Premiers achats de tee-shirts du voyage. Il en existe un qui montre trois ou quatre indiens armés avec la légende suivante: «Milice anti-terroriste depuis 1492». Cela me plaît beaucoup, je trouve cela insolent et bien vu, mais porter cela en tant qu'étrangère me dérangerait, j'aurais l'impression de faire la leçon à mes hôtes. Tant pis.

Puis visite d'une réplique du Mayflower à Plymouth même. C'est minuscule, on dirait une boîte à chaussures. Plus de cent pionniers là-dessus, auxquels il faut ajouter les hommes d'équipage (une trentaine de personnes), les meubles, les animaux… Une idée de l'enfer, il devait vraiment falloir de bonnes raisons pour décider de quitter l'Europe ainsi.
Nous discutons avec un homme plus âgé sur le pont: le navire est en état de naviguer, mais cela coûte extrêmement cher en assurance. De plus il faut loger l'équipage à l'hôtel le soir, il n'y a pas (plus) le droit de dormir sur le navire. A Plimouth même, l'ancrage est gratuit car l'association assure en échange la surveillance du port.

Pierre (rocher) des pionniers gravée de 1620 à quelques pas du port. Un panneau explique l'histoire de cette pierre, c'est-à-dire qu'il explique une mise en scène historique conçue plus de cent ans après.

Nous avons fini vers quatre heures, et comme nous avons un peu de temps, nous allons baguenauder dans un centre commercial: O. ne supporte plus ses cheveux, il lui faut une coupe. Que ce soit à cause de mon accent ou de son désamour des coupes militaires, la jeune coiffeuse ne lui fait pas la coupe en brosse attendue mais le massacre allègrement (pas grave, ça repoussera), des achats pour H (son short ne tient plus), des sandales pour eux deux, un chapeau de paille pour Déborah, un chapeau blanc pour O., le tout en solde, au quart du prix qu'on le trouverait en France.

Le soir, repas dans un steakhouse, le Longhorn de Pembroke. Portions trop importantes hélas, O. ne termine pas son gâteau au chocolat, qui consiste en DEUX portions d'un gâteau qui ressemble à une forêt noire sans les cerises (il faut dire qu'il a fini les assiettes de sa sœur et de Déborah: s'il avait su, il se serait économisé).





Fin du repas mystérieuse: une voiture de police sur le parking (le gyrophare clignote dans la nuit, éclairant de rouge et de bleu les vitres du restaurant), une femme inquiète fait des va-et-vient de la caisse aux toilettes, un homme armé d'une serpilière se dirige vers les toilettes, chargé également d'une pancarte à poser sur le sol «attention glissant sol mouillé».
Deuxième voiture de police, puis ambulance (le tout silencieux: pas de remue-ménage dans le restaurant, pas d'exclamation, pas de sirène). Nous échaffaudons des hypothèses, je penche pour une overdose (vomissures et évanouissement), les enfants sont plus gores ou plus tragiques, ils en tiennent pour l'égorgement ou le suicide et du sang partout.
Mais nous ne voyons aucun corps sortir. Y a-t-il une porte de service?





Nous avions comme plan de refaire ce qui nous avait si bien réussi hier: demander au serveur un conseil pour la nuit. Mais nous sommes dans un centre commercial sur une route passante et non plus aux abords d'une petite ville où tout le monde se connaît; les renseignements sont inexistants. Il est tard, ou plutôt il fait nuit (il n'est pas si tard que ça), le premier hôtel est plein, nous avons peur que les prix explosent si nous nous rapprochons de Boston, nous prenons la dernière suite dans un Confort Inn à Rockland, assez cher lui aussi.