Matin. Du mal à me lever, à me déplier, courbatures. Quand je pense que je suis la plus en forme des quatre. Je ne sais pas si A. va pouvoir marcher aujourd'hui, elle paraissait avoir la plante des pieds très échauffée. J'ai du mal à m'apitoyer après qu'elle m'eut dit le premier jour: «Ah mais je comprends pourquoi j'ai du mal à marcher, ça fait trois semaines que je ne bouge pas» (cf mes billets énervés de juillet).

Hier 3 août.

Nous avions donné rendez-vous aux enfants à 8 heures dans le hall. En arrivant, nous croisons O., presque affolé (ce n'est pas dû tout son genre de perdre son sang froid, il est très flegmatique):
— Déborah s'est enfermée dans la salle de bain depuis une demi-heure, je n'ai même pas pu aller pisser!
Il a l'air abasourdi et dépassé par cette action incompréhensible. Je lui propose les clés de notre chambre, il les refuse courageusement:
— Non, elle a terminé maintenant, j'étais juste descendu vous prévenir.
Nous les attendons, j'en profite pour poster deux billets écrits hors ligne.

Plus tard, je commenterai: «Moi qui comptais sur la ponctualité allemande!» À quoi il répondra, toujours logique: «Mais elle, elle était à l'heure.» (Et je me suis demandé si nous pouvions tirer une morale de cette phrase.)

- Sud de Manhattan pour voir le mémorial du 11 septembre. Palissades, chantier. Déjà très impressionnant, vertige "à l'envers" en regardant vers le haut. Une petite église, très vieille, Saint-Paul church, je suppose que tout le monde la connaît, l'a vue à la télé à l'époque. Pas moi. J'aurais bien erré entre les tombes penchées, je n'ai pas osé le demander à mes compagnons de voyage («Encore une église!» finit par être traumatisant à la longue.)
Je regrette de ne pas m'être renseignée, de ne pas avoir mieux préparé ce voyage. Pour visiter il faut réserver (911memorial.org). Nous n'avons pas réservé.

- Nous sommes à deux pas de la poste centrale. Immeuble monumental, climatisé (chaque passage dans un bâtiment permet de se rafraîchir un peu, il fait déjà très chaud), inauguré par Roosevelt. La salle des casiers poste restante est très old fashion. J'achète des timbres (aucune idée de l'endroit où ils s'achètent ordinairement, mais il faut dire que je n'ai pas demandé et ne suis entrée nulle part).

- Rendez-vous au MoMa avec le reste de la famille de Déborah (famille tuyau-de-poêle un peu étonnante). Désormais nous sommes neuf, ce qui ralentit le mouvement, avec les besoins ou désirs de certaines auxquelles personne n'ose dire non, par politesse. Nous nous séparons, je fais une équipe avec H. et O., nous abandonnons A., de mauvaise humeur depuis que j'ai inspecté son sac et l'ai délestée d'un kilo de bagage (livres de grammaire anglaise, plusieurs bouteilles d'eau d'un demi-litre (je ne lui en laisse qu'une), etc).
Mes impressions du MoMa sont mitigées. De beaux Picasso, les célèbres Demoiselles, des Van Gogh, etc, etc. Mais finalement assez peu de Warhol, par exemple. Ils doivent être ailleurs, à Chicago ou Los Angelès. Et pas d'Edward Hopper, moi qui espérais tellement en voir (oui, je sais, il suffisait de se renseigner: mais ils n'auraient pas été là davantage). Je photographie Rebus, pour des raisons églogales (Travers coda).
Des variations, des peintres et sculpteurs dont je n'ai jamais entendu parler, ou pas souvent*. Tout cela est très gai, joyeux, met de bonne humeur et laisse interrogatif. De l'art? Vous êtes sûr? Mais ce n'est pas très sérieux, non?





Mais s'il s'agit de dire quelque chose de l'homme d'à la fois intemporel, éternel, universel, et de très ancré dans le temps, dans une époque, pourquoi pas?
Dans la salle des minimalistes, j'essaie de donner quelques pistes à O. sur le point atteint aujourd'hui (l'année prochaine, histoire de l'art au brevet des collèges, mais je doute qu'il aborde l'art contemporain).

Les pièces qui marquent le plus sont finalement celles des expositions temporaires, mais on n'a pas le droit de les photographier. Je ne vois pas de catalogue (sans doute vais-je trop vite, il y en a sûrement).

- Tour de l'île de Manhattan en bateau. Nous apprenons que la meilleure vue possible, et gratuite, sur le mémorial du 11 septembre, est le "jardin d'hiver" (winter garden), une construction entièrement vitrée sur le bord de mer.
Le commentateur est d'un nationalisme ou d'un chauvinisme échevelé (ton emphatique: «Et si vous êtes américain, vous devez venir vous recueillir ici, où tant d'Américains sont morts»; «Et si vous êtes New Yorkais comme moi — combien de New Yorkais ici? Levez la main. … A New York sont parlées toutes les langues de la terre; d'où que vous veniez il y a forcément quelqu'un qui parle votre langue…» son enthousiasme m'amuse mais agace les deux Américaines à côté de moi que j'entends commenter.
De la mer, on se rend compte que les immeubles à l'extrême sud sont vraiment serrés. C'est un miracle qu'il n'y ait pas eu davantage de gratte-ciels touchés le 11 septembre. J'ai des questions soudain, que s'est-il passé juste après, est-ce que les gens qui vivaient là sont revenus y dormir? Y a-t-il eu des journées de deuil? Tout a-t-il continué? Je ne me souviens plus. Je regrette de n'avoir jamais vu les tours.
Quais abandonnés, activité portuaire disparue, l'activité immobilière gagne. De l'autre côté de l'île, à l'ouest dans le New Jersey, les immeubles sont en expansion (n'y a-t-il pas de marée haute?)) Etrange mélange de ce qu'on sait être la plus grande richesse et cette impression d'abandon ou de chantiers.

- Retour. Il faut remonter toute la 42e rue. Nous attendons le bus. Il est à cinquante mètres de l'arrêt, franchit trente mètres en vingt minutes. La chaleur est à couper au couteau. Nous partons à pied. Explication deux blocs plus loin: la police a bloqué un carrefour. Les piétons envahissent la chaussée. Je m'attends à des sirènes, à une explication: rien. Nous marchons. Chaleur.
Sieste.
- Mac Do (je ne retrouve plus ce que j'aimais tant il y a vingt ans. Etait-ce des milk-shakes? Il me semble que oui. Ils ont dû être remplacés par les smoothies. Et il n'y a plus les distributeurs de sauces que j'aimais tant, au goût différent des sauces en Europe).
Il fait nuit. Les trottoirs sont pleins. Beaucoup de femmes sont sur leur trente-et-un. C'est vendredi. Je pense à Sex and the City. Les téléfilms donnent une image fidèle.
Rockfeller Center la nuit. Le fleuve ou la mer (je confonds un peu tout) est tout proche. Brume. Guirlandes des ponts. Je crains et souhaite l'orage. La chaleur au sol m'évoque 2003 (cette impression de se mouvoir dans une piscine d'air chaud), la différence étant la présence de vent léger: l'air n'est pas immobile. Note pour plus tard: revenir en octobre, sans doute: "l'été indien" doit avoir une signification.


* Une belle variation de Marcel Broodthaers sur Oscar Wilde, Lewis Carroll, etc.