Alice du fromage

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Billets qui ont 'Massachussets' comme autre lieu.

jeudi 9 août 2012

Brume matinale

5h50. Nous avons prévu de partir tôt et le réveil sonne dans dix minutes, mais je sens que les humeurs vont être maussades: cette nuit, à une heure du matin, nous avons eu droit à la goudronneuse et au rouleau compresseur devant le motel pendant une heure, avec lumière clignotante et bipbip lancinant des engins de chantier. Visiblement, pour ne pas gêner la circulation, les routes sont refaites la nuit. C'est prévenant pour les conducteurs, mais infernal pour les habitants. (Evidemment, nous ne sommes peut-être pas censés dormir la fenêtre ouverte (que nous avons fermée pour l'occasion), mais comment résister à du véritable air marin quand nous pouvons échapper à la clim? Surtout que toutes les fenêtres sont dotées ici de cette invention merveilleuse qui m'avait déjà enthousiasmée il y a vingt cinq ans: la moustiquaire.)

Brume matinale sur la mer. Ce matin nous partons vers l'ouest, direction les chutes du Niagara (dix heures de route, à peu près. Nous allons passer près de Buffalo. Pensée pour mes amis oulipiens (regret de n'être pas venue là avec eux), et pensée pour le travail accompli par l'université de Buffalo).

mardi 7 août 2012

Boston

Au petit déjeuner je teste le peanut butter en petit pot unitaire (meilleur que chez nous, plus pâteux). Il faut vraiment aimer le goût de la cacahuète, le vrai, celui des cacahuètes décortiquées, ni grillées, ni salées.
Il y a un moule à gaufres mais nous ne voyons pas de pâte. Ce n'est que plus tard, en voyant les gauffres impeccables d'un jeune cadre dynamique qui petit déjeune à ma gauche que je trouverai le distributeur: on se verse la quantité de pâte nécessaire dans un gobelet, on la répartit dans le moule, on attend, on retourne à mi-cuisson. Drame entre le frère et la sœur, elle squatte l'appareil pour deux sets de gauffres ratées, il réussit les siennes bien qu'un peu trop craquantes.
Toute la vaisselle est jetable, au bout d'une semaine ma fille ne supporte plus les couverts en plastique. Tout ce peuple en marche gobelet à la main est assez étonnant, mais il faut dire que conduire une automatique laisse une main et un pied libre: comment s'occuper? Manger ou téléphoner.

Boston. Il fait chaud mais ce n'est pas la moiteur de New York. La ville me plaît au premier regard (1), la hauteur de ses immeubles (moyenne), l'harmonie de ses proportions, ses briques rouges, le style anglais (victorien?) des maisons autour du parc central.

Une différence avec New York, c'est que des enfant se baignent dans les fontaines. Je n'ai pas compris que personne ne le fasse à NY, est-ce illégal, ou simplement que les gens sont trop obsédés par l'hygiène? (J'ai vu plusieurs fois des mères recommander à leurs enfants de ne pas toucher les rampes d'escalier ou les poignées de porte, ouvrant elles-mêmes les portes avec les coudes).




Nous suivons tout simplement la ligne rouge à travers Boston. Elle est peinte en partie, mais parfois ce sont les briques des trottoirs elles-mêmes qui sont rouges, décolorées par le temps et l'usure. Je me demande depuis quand existe cette ligne. Je pensais qu'elle avait pour but de canaliser les touristes (ce qui n'est pas bête, grande économie de moyens pour une efficacité maximale), mais elle paraît si ancienne que ce fut peut-être à l'origine un hommage à l'histoire de Boston(2). Je découvre cette ligne sur place, c'est H. qui s'est documenté avant de venir à Boston. Nous ne ferons que trois étapes, toutes à pied.

En passant, nous visitons le cimetière de Granary (tombe des parents de Benjamin Franklin, et non la sienne, comme je l'avais compris par erreur) où sont enterrées les victimes du massacre de Boston et Mother Goose(3).
Nous voyons également à deux pas la première école publique des Etats-Unis, transformée aujourd'hui en bureaux. Un panneau explique que ce fut le premier bâtiment historique sauvé ainsi, en le réhabilitant pour l'utiliser à d'autres fins que celle prévue à l'origine (drôle de façon de préserver un bâtiment, mais après tout, pourquoi pas?)

Park Street Church: je retiens qu'elle a servi comme dépôt de poudre pendant la guerre de 1812(4) d'où son surnom de "Brimstone corner". Samuel Francis Smith y a écrit un nombre incalculable d'hymnes et chants, dont le premier hymne américain. C'est également la plus ancienne radio évangéliste (même si je ne sais plus très bien ce que cela signifie: la première au monde? la plus ancienne à diffuser encore aujourd'hui?)

Old South Meeting House. Des statues des personnes importantes, des vitrines et Old South Meeting House expliquant les événements ayant mené à la "Boston tea party" sont disposées autour des stalles. Je découvre l'origine du "Tea Party", qui n'était pour moi qu'un ramassis d'extrémistes. Cela ressemble un peu au Front national qui a récupéré le nom du Front national de la Résistance.
Parmi les statues je découvre également Phillis Wheatley, qui réussit à être femme, noire, esclave née en Afrique et poète publiée au XVIIIe siècle. Comment une telle chose est-elle, fut-elle, possible?
J'achète mes deux premiers livres du voyage, un contenant des anecdotes sur l'histoire des Etats-Unis, un sur des citations inhabituelles de Benjamin Franklin (le genre de truc qui doit traîner sur internet en des milliers de versions, mais éparpillées). Et un T-shirt "Boston tea party". Déborah fait la moue, me dit que c'est ambigu; je lui réponds que ça m'est égal, que je me fiche de l'opinion des autres et que de toute façon personne ne connaît ce parti en France.
De façon plus générale cette église semble avoir joué un rôle dans l'histoire de chaque révolte ou protestation (contre l'esclavage, par exemple).

The Old State House. Le "massacre" de Boston a eu lieu devant ce bâtiment. Massacre est un bien grand mot, cinq à huit hommes tués par des soldats anglais qui ont paniqué dans l'atmosphère surchauffée de la ville (j'ai sans doute l'air peu compatissante, mais dans le cimetière il semblait que les victimes étaient des dizaines, femmes et enfants compris).

A midi, déjeuner au Quincy Market, en deux équipes, car nous en tenons définitivement pour le homard tandis que les enfants préfèrent les hamburgers ou les pizzas. Promenade, ça parle français dans les allées, souvent des Canadiens. Il fait chaud mais plus doux malgré tout, il est sans doute plus facile pour un Européen de s'adapter à cette ville qu'à toute autre. (Il faudra que je lise Les Bostoniens.)

Rien à voir à Faneuil Hall qui, selon le même principe que l'école ci-dessus, a été transformé: c'est l'équivalent d'un vaste marché couvert spécialisé dans les gadgets et souvenirs pour touristes.

Retour vers la voiture garée en sous-sol au sud ouest du parc, je réussis à convaincre de pousser jusqu'à la bilbliothèque (arguments clé: «Il y aura du wifi et des chaises»). H. a quelques obligations professionnelles, les enfants jouent sur leurs écrans, je déambule dans le bâtiment monumental. J'ai la surprise de rencontrer plusieurs fois Jeanne d'Arc, la première fois dans l'escalier, puis dans les salles de l'étage (je ne sais pas trop ce qu'elles sont, ni si nous avons vraiment le droit d'être là).





La dernière visite est pour Trinity Church (entrée payante pour moi, je n'ai pas un cent, les enfants se cotisent avec la monnaie restante de leurs sandwiches).

Nous quittons Boston, traversons Salem, nous perdons, cherchons un hôtel. Le soir tombe, nous avons peur que les hôtels soient très chers, c'est si joli au bord de la mer.


1- T-shirt vu à Mystic Seaport sur un jeune homme pas mal du tout: «si vous ne croyez pas à l'amour au premier regard, croisez-moi une seconde fois».
2- La Freedom Trail.
3- Je croyais que les Contes de ma mère l'Oye étaient la traduction de ces comptines: erreur, erreur, mais pas la seule erreur, car apparemment il y a deux Mother Goose, une Mary et une Elizabeth, souvent confondues. (Je découvre tout cela sur internet après le voyage).
4- Plus tard au cours du voyage, je comprendrai qu'il s'agissait d'une "guerre du wiskhy" menée contre les Anglais (et donc l'aide des Français!). Le fort de Niagara Falls célèbre les deux cents ans de cette guerre.

lundi 6 août 2012

Plimoth Plantation

Petit déjeuner plus rudimentaire que les jours précédents (forfait de sept dollars pour nous cinq). J'essaie le jus de cranberry en libre service. Nous sommes visiblement au pays de la cranberry (canneberge: grosse airelle des marais, dit le guide du routard) et j'aime beaucoup ça. O. est malheureux, pas de chocolat au lait.

Les enfants auraient bien profité de la piscine encore ce matin, mais elle n'ouvre qu'à neuf heures et nous voudrions être à Boston ce soir (ce n'est pas ce que j'ai écrit dans le billet précédent: je n'étais pas au courant). H. a prévu de voir Plimoth Plantation, Déborah aussi, je ne sais pas ce que c'est: il s'agit du camp des premiers pionniers débarqués du Mayflower en 1620.

Comme hier à Mystic River, il s'agit de toute une zone transformée en musée. La visite commence par un film qui nous explique ce que nous allons voir: la rencontre de deux peuples ("two peoples": j'apprends que "people" peut prendre une s).
Le film est sous-titré en anglais, et j'ai alors supposé que plutôt que de trancher dans le choix des langues, il s'agissait d'une solution élégante pour aider les étrangers à comprendre (c'est efficace, O. avec son unique année d'anglais derrière lui en est la preuve); mais l'expérience de la télé le lendemain à la laverie automatique semble montrer qu'il s'agit plutôt d'un sous-titrage pour les sourds, qui aiderait aussi les latinos (et autres) à apprendre l'anglais (ce n'est pas incompatible).

Une tribu de Wanapatoags était installée là, mais le siècle précédent l'avait fait disparaître (les maladies importées ont ravagé la moitié de la population indienne) et les pionniers se sont installés exactement au même endroit. Le site de Plimoth Plantation présente un campement indien, plus loin le village des pionniers et plus loin encore un bâtiment destiné à montrer le travail artisanal de l'époque, poterie, couture, tricot, menuiserie (et j'ai la surprise de lire sur un panneau explicatif: «vous pensez peut-être que l'artisanat et les activités manuelles sont des hobbies, mais à l'époques, il s'agissait d'activités vitales pour la survie». Se pourrait-il réellement que les visiteurs américains aient une vision purement industrielle des productions humaines? Je n'arrive pas à y croire, ils ont forcément eu une grand-mère ou un arrière grand-oncle qui travaillait de ses mains).

Le film nous explique que tous les guides/acteurs présents dans le village indien sont de véritables indiens. Nous sommes invités à poser toutes les questions que nous voulons aux personnes que nous rencontrerons (mais nous sommes prévenus que les pionniers exposent les idées de l'époque, qu'il ne faudra pas être choqué par exemple par leur refus de la tolérance religieuse: de sont des Puritains (et que cet avertissement soit nécessaire me fait sourire)).
Nous sommes très loin des "animations" à la française genre Provins, où ce qui est favorisé est le spectacle et l'agitation, le bruit et le mouvement. Ici il s'agit de reconstitution et de démarche didactique, ce que O. résume d'un mot: «c'est comme un jeu de rôle en trois D».
C'est très naturel, très efficace en matière d'apprentissage, non intrusif (puisqu'il n'y a que des réponses à des questions); le seul problème en ce qui me concerne c'est que je suis aussitôt dans le "méta": quelle est la formation des acteurs, quels sont les présupposés d'une telle méthode, etc.

Village des indiens: un Iroquois (aaahhahh, la coiffure n'est pas leurs cheveux, mais une coiffe sans doute en crin de cheval coloré, très souple, maintenue je ne sais comment) nous explique la structure de la tente, très impressionnante («c'est construit comme un navire de guerre, c'est très solide. Il y a quelques années une tempête a détruit quatre ou cinq maisons de pionniers, il a fallu faire un appel aux donateurs, mais dans le village indien nous n'avons eu aucun dégât»). Il nous raconte que les systèmes indiens repose sur le matriarcat, que les personnes âgées venaient vivre avec leurs enfants dans une seule grande hutte où il faisait si chaud que les enfants sortaient nus jouer dans la neige pour se refroidir.
Lui vit encore en tribu, pas aux Etats-Unis où c'est désormais interdit en hiver, mais au Canada, qui protège mieux les modes de vie traditionnelles.

Village des pionniers, tellement moins intégré à la nature, entouré de palissades, aussitôt défensif. Le contraste est saisissant, tout ici à l'air maladroit, mal adapté. C'est drôle de se dire que c'est ce mode de vie qui a prévalu, alors qu'il semble bien moins rationnel et confortable. (Les pionniers n'ont-ils jamais été tentés de vivre comme les indiens? Mais ils venaient avec leur foi, pour ne pas dire leur fanatisme.) Il est difficile de faire le lien mental entre cela et Manhattan. Quatre siècles.

Le site de ce village est magnifique, en pente douce avec la mer au pied. Quelques maisons, les meubles et les animaux sont venus avec les hommes, sur le Mayflower. Dans un premier temps, le cordonnier et le maréchal-ferrant ne faisaient qu'entretenir et remplacer ce qui s'usait. (Dans les ateliers un menuisier et une couturière continuent à fabriquer à la main ce qui est utilisé par les acteurs dans le village.) Il fait très chaud, mais dans les maisons obscures, un feu brûle dans les cheminées. Une femme nous explique qu'elle a chaud parce qu'il fait chaud, mais pas à cause de sa jupe en laine, qui la protège au contraire de la chaleur du feu. (J'ai mes doutes.) Le tablier en lin n'est là que pour protéger la jupe, car il se lave plus facilement. (Elle se moque drôlement de la robe d'été d'une fillette, genre de t-shirt un peu long, en disant qu'elle se demande si elle a subi un naufrage pour se promener ainsi en guenilles, mais qu'elle ne veut pas la juger, car elle ne la connaît pas).

Repas au "centre", menu indien traditionnel à base de courgettes et maïs. C'est bon. Premiers achats de tee-shirts du voyage. Il en existe un qui montre trois ou quatre indiens armés avec la légende suivante: «Milice anti-terroriste depuis 1492». Cela me plaît beaucoup, je trouve cela insolent et bien vu, mais porter cela en tant qu'étrangère me dérangerait, j'aurais l'impression de faire la leçon à mes hôtes. Tant pis.

Puis visite d'une réplique du Mayflower à Plymouth même. C'est minuscule, on dirait une boîte à chaussures. Plus de cent pionniers là-dessus, auxquels il faut ajouter les hommes d'équipage (une trentaine de personnes), les meubles, les animaux… Une idée de l'enfer, il devait vraiment falloir de bonnes raisons pour décider de quitter l'Europe ainsi.
Nous discutons avec un homme plus âgé sur le pont: le navire est en état de naviguer, mais cela coûte extrêmement cher en assurance. De plus il faut loger l'équipage à l'hôtel le soir, il n'y a pas (plus) le droit de dormir sur le navire. A Plimouth même, l'ancrage est gratuit car l'association assure en échange la surveillance du port.

Pierre (rocher) des pionniers gravée de 1620 à quelques pas du port. Un panneau explique l'histoire de cette pierre, c'est-à-dire qu'il explique une mise en scène historique conçue plus de cent ans après.

Nous avons fini vers quatre heures, et comme nous avons un peu de temps, nous allons baguenauder dans un centre commercial: O. ne supporte plus ses cheveux, il lui faut une coupe. Que ce soit à cause de mon accent ou de son désamour des coupes militaires, la jeune coiffeuse ne lui fait pas la coupe en brosse attendue mais le massacre allègrement (pas grave, ça repoussera), des achats pour H (son short ne tient plus), des sandales pour eux deux, un chapeau de paille pour Déborah, un chapeau blanc pour O., le tout en solde, au quart du prix qu'on le trouverait en France.

Le soir, repas dans un steakhouse, le Longhorn de Pembroke. Portions trop importantes hélas, O. ne termine pas son gâteau au chocolat, qui consiste en DEUX portions d'un gâteau qui ressemble à une forêt noire sans les cerises (il faut dire qu'il a fini les assiettes de sa sœur et de Déborah: s'il avait su, il se serait économisé).





Fin du repas mystérieuse: une voiture de police sur le parking (le gyrophare clignote dans la nuit, éclairant de rouge et de bleu les vitres du restaurant), une femme inquiète fait des va-et-vient de la caisse aux toilettes, un homme armé d'une serpilière se dirige vers les toilettes, chargé également d'une pancarte à poser sur le sol «attention glissant sol mouillé».
Deuxième voiture de police, puis ambulance (le tout silencieux: pas de remue-ménage dans le restaurant, pas d'exclamation, pas de sirène). Nous échaffaudons des hypothèses, je penche pour une overdose (vomissures et évanouissement), les enfants sont plus gores ou plus tragiques, ils en tiennent pour l'égorgement ou le suicide et du sang partout.
Mais nous ne voyons aucun corps sortir. Y a-t-il une porte de service?





Nous avions comme plan de refaire ce qui nous avait si bien réussi hier: demander au serveur un conseil pour la nuit. Mais nous sommes dans un centre commercial sur une route passante et non plus aux abords d'une petite ville où tout le monde se connaît; les renseignements sont inexistants. Il est tard, ou plutôt il fait nuit (il n'est pas si tard que ça), le premier hôtel est plein, nous avons peur que les prix explosent si nous nous rapprochons de Boston, nous prenons la dernière suite dans un Confort Inn à Rockland, assez cher lui aussi.
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