Billets qui ont 'Corinthe' comme ville.

Départ — et surtout arrivée

A la suite d'un bug sur internet (le bus indiqué était celui du dimanche), nous avons finalement pris la voiture pour aller à Roissy (enfin, une partie d'entre nous, puisqu'à six et les bagages, deux ont dû prendre le RER).

Formalités d'enregistrement assez longues (et bruyantes. Dieu que nous sommes bruyants, j'ai honte), suffisamment longues pour que H. prenne le temps d'aller chercher du tulle gras pour O. (j'espère désespérément que O. va guérir magiquement et va pouvoir se baigner cette semaine). H. revient abasourdi, le tulle gras, ce produit magique que je considère comme l'un des basiques d'une pharmacie, est passé à 55 euros sans ordonnance… (mais que se passe-t-il dans l'industrie pharmaceutique?)

Puis enchaînement rapide (toujours cette impression que le temps se vaporise dans les aéroports) jusqu'à l'embarquement (la femme qui me demande si je comprends ce que veut dire «aléatoire» dans «contrôle aléatoire des sacs». J'aurais dû dire non). J'ai choisi Aegean Airlines parce qu'elle m'avait plu l'année dernière (les bonbons, les hôtesses); je découvre que je ne suis pas la seule à l'avoir remarqué puisque la compagnie est notée "meilleure compagnie régionale 2013".

Nous admirons le profil grec des hôtesses et écoutons les paroles du garçonnet de cinq ans derrière nous qui commence toutes ses phrases par un perçant "Papa, papa, est-ce que…". J'en déduis qu'il ne doit voir son père que pendant les vacances mais H. me dit: «Il est mort de trouille. — Tu crois?». Peu avant l'atterrissage le petit garçon annonce: «J'ai réfléchi, je n'aime pas l'avion. Papa, papa, il ne faudra pas le reprendre pour rentrer à la maison».

L'Adriatique, Athènes, je ne sais plus ce que j'ai fait pendant le vol, commencé L'Idiot sans doute (non, pas par Markowicz, dans ma vieille édition de poche).
Nous récupérons un minibus Mercedes chez Budget (le moins cher, du simple au double) et partons vers Corinthe sous l'orage. Les motards en chemisette et sans casque attendent sous les ponts que l'averse se calme. Nous découvrons avec stupeur la conduite grecque — la bande d'arrêt d'urgence sert à tout, de voie lente pour les camions dans les côtes, de voie d'accélération pour les bretelles d'accès, de voie supplémentaire pour vous inviter à les doubler… Pas de sotte compétition, les gens roulent plutôt lentement et invitent les plus rapides à doubler en se déportant sur le côté. Je tombe aussitôt amoureuse de la conduite grecque, si pragmatique et si éloignée de l'agressivité française ou italienne.

Arrivée à l'hôtel, j'ai la surprise de découvrir que la personne de l'accueil se souvient que je connais "le père Maurice". Elle se fait expliquer la composition de la famille (l'aîné et sa copine, le frère et la sœur) et nous propose sur la terrasse un appartement pour nous et les plus jeunes, une chambre à part pour le couple. La vue est magnifique.

Premier dîner. J'ai l'impression d'être dans ces Agatha Christie où Miss Marple passe ses vacances dans les îles grâce à son neveu. Un peu de gêne en croisant les gens, sommes-nous censés les voir et les saluer (en quelle langue?) ou faire glisser notre regard comme s'ils étaient transparents pour ne pas paraître inquisiteur? Quelle est la bonne distance?

Je peux désormais répondre à Hélène: oui, cela fait plaisir à H. d'être en Grèce.

Corinthe

Ciel très couvert ce matin. Après quatre jours de chaleur et de ciel bleu, je comprends le désarroi de mes coreligionnaires il y a une semaine: je veux du soleil!

Ce matin, notre groupe est de service: mettre les couverts à disposition, sortir le beurre et la confiture, etc.
Il y a un problème de plomberie (tuyau bouché à cause de trop de débris), il n'est pas possible de faire la vaisselle dans la cuisine.
Décision de crise une fois de plus (c'est merveilleux, cette façon sans heurt de gérer l'imprévu en continu pour un groupe de cinquante et un emploi du temps à respecter): assiettes en carton, gobelets, deux grands bacs remplis au tuyau d'arrosage sur une table, et allons-y pour une vaisselle de campagne. Grâce au soleil d'hier, l'eau est quasi tiède.

Nous partons à Corinthe sur les traces de Paul. Dans le bus nous avons une présentation de Paul et de Corinthe, la "New York" de l'époque, le carrefour de toute la Méditerranée, de l'Orient et l'Occident. C'est très intéressant mais j'aurais aimé un peu de silence, je commence à souffrir du manque de temps personnel: impossible de lire ou d'écrire tranquille plus d'un quart d'heure, dans la journée je passe mon temps à prendre des notes, le soir je m'endors sur mon livre ou sur le clavier.
Je copie-colle une partie de mes notes

Marc nous présente Paul à partir de la présentation que Paul fait de lui-même en Philippiens 3.
Paul vient de Tarse, capitale de la Cilicie. C'est un pharisien (fils de pharisiens, ajoute Luc dans les Actes): groupe extrêmement attaché à la loi avec lequel Jésus discutera souvent. Mouvement laïc (hors des prêtres) attendant un renouveau spirituel; de la tribu de Benjamin (ce qui explique le prénom rare de Saül : Paul a une gde conscience de sa généalogie. Très peu de juifs s'appellent Saül à l'époque de Jésus, car ce premier roi a mal fini.)

Un théologien américain a dit que la gde question, l'unique question que pose Paul à ses contemporains c'est : «What time is it?», changement de période, changement des temps.

Paul appartient au 1% des hommes les plus instruits de l'Empire. Connaissance littéraire et philosophique, réseau de famille dans tt bassin méditerranéen. Luc nous dit qu'il est citoyen romain. Statut extrêmement rare dans l'empire.
Comment cela est-il possible? Hypothèse: à Corinthe, Paul réside chez Aquilla et Priscille, marchands de tentes et déjà chrétiens (ce n'est pas Paul qui les convertit). Paul avait le même métier qu'eux, or un métier s'apprend en famille. Donc hypothèse : la famille de Paul (marchands juifs de Tarse) a peut-être rendu service aux armées grecques (en les fournissant en tentes et en acceptant des délais de paiement) et l'Empire en retour leur aurait accordé la nationalité romaine.

Les lettres de Paul sont les documents les plus anciens du Nouveau Testament que nous possédions. Sa première lettre date de 49-51 (1Thessalonissiens). Paul ne se déplace que dans les grandes villes de l'Empire (Ephèse, etc).
Pourquoi le voyage à Corinthe est-il capital? Parce qu'il permet la datation des voyages de Paul. Paul y est jugé par Gallion qui était là mi-51, mi-52 => cela permet de dater toute la chronologie de Paul.
Gallion était beau-frère de Sénèque (il existe une fausse correspondance Sénèque/Paul très réaliste. Malgré tout il est possible que Paul ait été en contact avec Sénèque à Rome).


Corinthe.
Ville très florissante dans l'Antiquité à cause de ses ports.
Conquise. Révolte en -150 contre les Romains qui l'ont complètement ravagée. Elle est restée vide pendant cent ans. Puis les Romains l'ont reconstruite et transformé en colonie latine pour les soldats quittant le service (dons de terre, cf Le Domaine des dieux. Ville romaine, les inscriptions retrouvées sont en latin, pas en grec.
Un port, Cenchrées, mettait en relation la Syrie, l'Egypte et toute l'Asie; un autre, Léchée, vers l'Occident.
5e port le plus important de l'empire. Donc races et origines très mélangées d'où la difficulté pour Paul de conserver la cohésion des Corinthiens.
Jeux isthmiques. Ciment pour l'identité.
Montagne en cuvette qui recueille l'eau: permet d'accueillir des garnisons importantes.

Importance pour Paul d'aller à Corinthe: pour Paul, les ports étaient importants car en évangélisant les juifs des ports, il faisait de ceux-ci des évangélistes quand ils se déplaçaient. Ce n'était pas un hasard, c'était une méthode.

Incise de Catherine. Nous sommes passés devant Eleusis. Les mystères d'Eleusis sont très mal connus. Culte à Demeter et Coré, dans lesquels les femmes avaient sans doute bcp d'importance. Cela peut peut-être expliquer pourquoi Paul dit aux femmes de se taire dans les assemblées: il fallait se distinguer des mystères d'Eleusis qui pouvaient en apparence ressembler au christianisme (grande intériorisation, peut-être ou sans doute).

Pour donner une idée de l'atmosphère du port : «il n'est pas permis à tt le monde d'aborder à Corinthe» (proverbe latin = vie de patachon.), ou "corithinsein", se prostituer.

Leonardo Vezzani nous explique le contexte des lettres aux Corinthiens. Nous possédons deux lettres. Les exégètes les plus prudents parlent de quatre, mais il y en a eu peut-être davantage.

Première lettre aux Corinthiens: nous savons qu'il y en a eu au moins une avant. Les pb de mœurs sont tjrs présents dans les lettres aux Corinthiens. La première lettre disparue était écrite contre les impudicités et a soulevé plus de pb qu'elle n'en a résolus.
=> donc qq'un a demandé à Paul de réintervenir.
1Cor: les mœurs, les rapports entre la virginité et le mariage, la communauté, la question de la viande aux idoles. Reflets d'une vie très compliquée à Corinthe.

A la suite de quoi Paul est contredit en assemblée. Il écrit alors une troisième lettre dite "la lettre des larmes" pour expliquer qu'il est blessé.
La troisième lettre serait la deuxième partie de la deuxième que nous avons. 2Cor 11-13 serait cette lettre des larmes.

On lui donne raison et le fauteur de trouble est expulsé de l'assemblée.
Paul écrit alors une quatrième lettre (le début de la 2Cor) il remercie et demande de l'argent pour les pauvres de Jérusalem. Paul cherche à montrer que les communautés païennes convertis au christianisme sont liées aux communautés.

Il fallait également combattre les "super-apôtres" qui demandaient une conversation au judaïsme avant de se convertir au christianisme.

Comme première approche de Paul, Leonardo recommandera plus tard, en petit comité, le livre un peu romancé (mais citant ses sources) de Dobraczynski L'épée de Dieu. (Ce nom me rappelait quelque chose: c'était celui de l'auteur du roman sur Jérémie).

A Corinthe, nous montons à la stèle qui présente l'hymne à l'amour de Paul en quatre langues (grec ancien, anglais, russe ou vieux slavon (je ne sais pas), français). Personnellement c'est un texte que je supporte mal car il n'apporte aucune solution: «Si je n'ai pas l'amour, je ne suis rien». OK, je veux bien, mais alors, si on n'a pas l'amour, qu'est-ce qu'on fait?

J'en profite pour acheter des cartes postales (enfin: ça ne laisse plus beaucoup de temps pour les écrire) et une paire de chaussons pointure 46 (avec des pompons).

Puis site du vieux Corinthe. Endroit précis où s'est tenu Paul face à Gallion. C'est tout de même un sentiment étrange, le Nouveau Testament qui prend corps géographiquement.

Quelques explications en marchant, je rapporte un passage:
Les juifs disposaient d'un statut particulier qui les dispensaient du culte à l'empereur => cela couvrit les chrétiens tant que les chrétiens ne furent qu'une sorte particulière de juifs. Cela devint difficile à partir de 73 et de la révolte des juifs.

Ici, Maurice fait une parenthèse inattendue et émouvante (pas qu'au sens affectif, mais: mouvant, remuant, la raison): il prend la parole et évoquant le statut juridique des autochtones dans l'Empire romain, il fait un parallèle avec l'absence de statut (ou de statut clair ou de statut efficace) des populations réfugiées en Europe. Il évoque le sort des déplacés, ces derniers ayant un statut très fragile (ou pas de statut, je ne sais plus) auprès de l'ONU. Un déplacé est chassé de son village et de sa terre, mais dans son propre pays. Ce n'est pas un réfugié. Il cherche généralement à se rapprocher des camps de réfugiés, pour survivre.
Maurice a travaillé au Rwanda dans le cadre des JRS (service jésuite aux réfugiés) et milite pour qu'un déplacé trois ans durant change de statut et prenne celui d'otage, ce qui est souvent la réalité des guerres locales.

Nous reprenons le bus pour aller pique-niquer dans le jardin d'un hôtel qui nous accueille gratuitement et met sa pelouse et sa piscine à notre disposition. Nous débarquons dans un coin de paradis. Pique-nique, baignade, intervention sur Actes 17 (le discours de Paul à Athènes: décomposition des outils rhétoriques. Ce discours servi de modèle à tous les échanges à venir entre théologiens et païens dans les siècles à venir) puis sur les Upanishad (cent huit viennent d'être traduites en français, le livre est énorme).

Pour la première fois je ne prends pas de notes, je crois que je commence à saturer.

Messe sur la pelouse, les prêtres dos à la mer. C'est magnifique. Nous intriguons un peu quelques touristes qui s'approchent puis repartent. Je suis un peu gênée d'être ainsi dans l'exhibition, je songe aux prières des musulmans qui font couler tant d'encre (mais enfin, nous sommes dans un coin reculé proche de la petite chapelle dans l'enceinte de l'hôtel, les orthodoxes ont souvent cela sur leur terrain. Il paraît que cela aurait une raison fiscale.)

Plus tôt, un Grec aux allures de Picasso grandi de vingt centimètres a longuement conversé avec Maurice au milieu de la pelouse. Je pensais qu'il s'agissait du propriétaire qui nous accueille (je dois avouer que je n'en reviens pas. Je n'imagine pas un hôtelier en France accueillir qui que ce soit gratuitement pendant la haute saison sur un site aussi beau). Mais pas du tout, c'est un médecin (client?) ayant repéré que nous étions français et venu dire à Maurice que «les Grecs étaient gentils». «Mais je le sais!» a répondu Maurice.
Cet épisode me fait de la peine, les Grecs se sentent-ils tellement rejetés?

Homélie de Marc, jour de Sainte Marie-Madeleine. De mémoire, quelques phrases marquantes:
La foi est toujours une question de corps, ma grand-père, ma mère, mon curé, mon chef scout…
Le point commun de Marie-Madeleine et de Paul: ils pourraient être ce treizième apôtre dont on parle toujours sans savoir qui il est. C'est un peu comme les tribus d'Israël, le compte n'est jamais juste: onze, douze, treize, quatorze…
La remarque de Celse contre les Chrétiens: «"cette religion fondée sur les racontars d'une femme hystérique" : oui, et nous en sommes fiers». (Je note cette phrase à cause de sa folie objective. Cette folie, je l'aime.)

Nous rentrons. Je suis fatiguée, j'aurais besoin d'être un peu tranquille, de pouvoir lire, écrire, perdre du temps.

Le soir, concert de Jean-Pierre Arbon. Il nous présente sa première chanson en nous expliquant qu'elle a obtenu le prix des Jeux floraux, mais que lorsqu'il a été invité à aller le recevoir, l'organisateur lui a demandé d'en chanter une autre, parce que, a-t-il fini par avouer après moult circonvolutions, il y avait "péter" dans la chanson primée. (Le titre : "être et avoir été". Evidemment, une fois sur Google, j'ai fouillé. Le blog de l'homme vaut le détour.)

PS : le futur futur futur roi d'Angleterre est né (il devrait régner vers 2060, je ne le verrai sans doute pas. Le temps presse.)
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