Billets qui ont 'Mâcon' comme ville.

Mâcon - huit de filles

Départ à huit heures pour Mâcon. Les autres ne le savent pas, mais ce sera mes deux derniers jours d'aviron, mes dernières courses. Huit de filles aujourd'hui, huit mixte demain. J'espère vaguement une médaille en huit de filles, mais nous sommes à la limite supérieure de la tranche d'âge, ce qui veut dire que nous allons concourir contre des filles qui auront dix ans de moins que nous.

Il fait très beau. L'ambiance est désagréable, nous sommes six filles et deux stars qui visiblement n'ont pas envie de ramer avec nous. Elles restent ensemble, parlent ensemble, ne nous adressent pas la parole. Elles ont même trouvé le moyen de s'habiller différemment, en portant leur collant par dessus leur combinaison d'aviron, tout en nous accusant d'être vieux jeu et ne pas nous habiller comme les jeunes. Mais les jeunes que nous croisons portent leur collant sous leur combinaison. Fleur et Sybille font un double avec six filles de façon à atteindre un huit. Ce n'est pas un équipage de huit.
S. est très déçue, elle rêvait de la même chose que moi, en plus romantique encore, avec discours de motivation à l'américaine de la part de notre entraîneur.
Nous n'aurons rien de tout ça. J'essaie de la réconforter, de maintenir de l'humour ou de l'ironie.

Montage des bateaux, pique-nique chacun pour soi, transport des bateaux et mise à l'eau de façon périlleuse car la Saône est basse, le ponton est trente centimètre au-dessus de l'eau.



Nous terminons septième. Sybille repart aussitôt chez ses parents au Creusot.
Une partie des rameurs a loué des chambres à l'hôtel, cinq autres ont loué suivant un gîte, ce qui scinde les rameurs selon d'autres lignes encore. Nous dînons à l'hôtel entre rameurs présents.

Médaille de bronze

Course à onze heures. Cœur serré, ne rien oublier, la sono, le compte-coups. Ceux qui sourient, ceux qui se taisent, la tension. JP a refait la course toute la nuit à base de savant calcul, mathématiquement, en prenant en compte les performances des uns et des autres, nous devrions monter sur le podium. Derniers conseils de Pascal, le sens du courant, le vent, les bouées, la négociation du virage… J'ai entendu tant de recommandations depuis quinze jours, le fil de l'eau, la séparation du courant en fonction du vent; j'essaie de comprendre les principes sans retenir le verbatim car je sais que rien ne se présentera comme prévu, une rafale, un concurrent dans le chemin,…

Départ. Cette fois-ci je vois le parcours, il est beaucoup plus lisible qu'hier où je l'ai remonté en reculant. Assez vite un bateau nous double (départ lancé toutes les quinze secondes), moins vite nous en doublons un autre, c'est bon pour le moral. Je gueule pas trop fort, la sono marche bien, il ne faut pas que je les assourdisse. Il faut alterner les conseils de puissance et de décontraction, c'est assez étrange.

L'île, (les cigognes), le bassin plus calme abrité du vent, le pont, de nouveau le vent, au loin plusieurs coques abordent le virage, j'ai le cœur serré, c'est la plus mauvaise configuration, plusieurs concurrents dans ce fichu virage, que faut-il faire, prendre au large et perdre des secondes, épuiser l'équipage épuisé, prendre plus court et prendre le risque d'accrocher les bouées, ou pire, un autre bateau?
La sécurité avant tout, nous disait-on à Bruges.
«Ramez cinq coup rien dans l'eau».

Ils ne voient pas donc ne comprennent pas, obéissent. Tout se joue dans leur confiance, il ne faut pas qu'ils se désunissent, que chacun se mette à regarder, ils doivent rester concentrés, réagir vite, ensemble, comme un outil bien réglé. Nous nous sommes peu entraînés ensemble, pas sûr qu'ils me fassent si confiance que ça. Heureusement que je m'entends bien avec la nage; notre passé vaguement semblable en compétition, notre façon austère d'envisager les entraînements.

J'abandonne l'idée de comprendre ce que font les deux autres bateaux devant, accrochage ou pas, j'amorce le virage, les deux autres tournent finalement, je donne des ordre, quart de coulisse, j'entends B qui proteste «non, à fond», lui le remplaçant qu'il se taise, on va se prendre le bord, j'insiste, encore quart, «ramez tribord à fond», je vois les autres bateaux s'éloigner, ils étaient plus proches tout à l'heure, j'ai envie de pleurer, est-ce que je viens de nous faire perdre? Je relance le bateau, «concentration!», on appuie dix coups, on remonte une autre coque, je vois celle qui nous a doublés loin devant, je suis exactement ses traces, le fil du courant, les bouées, elle a sans doute choisi le meilleur parcours, premiers bâtiments sur la berge, deux mille mètres, huit minutes, vont-ils tenir?

C'est une course contre la montre, remonter des bateaux ne suffit pas, il faut faire le meilleur temps, mille mètres, je les fustige, je commence à les engueuler, hier le quatre est arrivé quatrième, JP en était malade, «allez on va chercher ce podium, on la veut notre médaille, on y va!». Lumière du matin, le boulevard de la Saône ouvert devant moi, le clocher de l'église de St-Laurent, c'est magnifique, «poussez, on y va, c'est pour nous!» Ma voix commence à se briser, la cadence augmente, ils tiennent, cinq cent mètres, deux cents… Tout sur le désir.

Ligne, encore trois coups avant de s'arrêter, de peur de s'arrêter trop tôt. Je ne sais absolument pas ce que nous avons fait. Troisième ou quatrième? Nous avons remonté deux bateaux, certes, mais le deuxième ne devait pas faire partie de notre catégorie. Alors?
Chacun s'interroge. Nous remontons vers le ponton.
Sybille attrape une pelle: «vous savez la nouvelle? Vous êtes troisième!»

Ouf! J'ai envie de pleurer. Pendant des heures j'aurai envie de pleurer. Le contrecoup de la trouille, du stress, du désir.
Je suis vraiment contente.



Huit mixte +55 ans

Ergo

Cette histoire de Mâcon me turlupine.
En janvier, selon le rituel des bonnes résolutions ou peut-être pour les Culs gelés, j’avais visité une salle de sport à Vincennes, mais elle n’avait pas l’équipement que je souhaitais. J’avais abandonné.

J’ai décidé de réessayer dans une autre salle.
J’arrive au comptoir. Je ne sais pas par quoi commencer.
L’hôtesse, compréhensive: — Vous ne savez pas ce que vous voulez?
— Si, au contraire. (Je prends une inspiration.) Est-ce que vous avez des rameurs?
— Oui, au fond de la salle.
— Je peux les voir ?
Elle débloque le portillon.

Murs noirs, sols noirs, pas de musique, souffle des machines. Ergo hydrauliques, flambant neufs. Ce n’est pas du tout ce que je cherche, un ergonomètre utilisé dans les clubs d’aviron.
Je reviens.
— Ça va ?
— Non, ils sont presque trop beaux, ce n’est pas ce que je cherche.
— Vous cherchez quoi?
— Un rameur de marque Concept.
— Il y en a d’autres à l’étage. Vous voulez aller voir?

Elle redébloque le portillon. Je monte à l’étage, en manteau rouge et bottes parmi les corps transpirants, casque sur les oreilles. Quelques regards me suivent, mais si peu. Chacun est dans son monde, à la poursuite de son but.

Il y en a deux, dressés contre le mur, que ce soit parce que la place manque ou parce qu’ils sont rarement utilisés. J’en mets un à plat, teste la chaîne, les piles. Ils ont l’air en meilleur état que ceux de Yerres.
Je redescends et je signe. Pas d’abonnement, je pars en avril. Contrat fixe pour un mois.

Même emploi du temps

Presque la même journée, avec un temps plus couvert.

Double avec Françoise. Sylvie m’a amené une veste-anorak qui lui vient de son entreprise: veste contre le froid des salles de test pour les moteurs. Elle ne s’en sert plus, elle me la donne pour ma fonction de barreuse.
Cela me fait fait énormément plaisir. J’aime beaucoup cette veste (j’avais déjà porté celle de JM, trois fois trop grande), très chaude, à l’odeur particulière du kérosène (se shooter au kérosène ou au gazole des tracteurs, à la graisse des machines agricoles).

D’autre part elle me remonte le moral quand je partage à mi-mots mes doutes sur notre participation à Mâcon.
— Ça nous permettra au moins de faire une reconnaissance du parcours pour la course en huit du dimanche.
C’est vrai. Je n’y avais pas pensé. J’en suis rassérénée.

De nouveau sieste, de nouveau décapotable, Champagne, Féricy, Fontaine-le-Port. Je discute longuement à Féricy avec un amoureux de MX-5. Je repars avec son 06 pour le tenir au courant de nos actions militante. J’en suis toute étonnée.
Le soir on me redit de ne pas faire cela seule: « J’espère que tu n’étais pas seule. Ça va devenir de plus en plus dangereux ».
Je ne réponds rien. Le problème de ne pas faire les choses seule, c’est qu’il faut s’organiser, ne pas décider de partir sur un coup de tête en se réveillant de la sieste.

Beau temps

Temps magnifique ce matin, gelée blanche sur le ponton.

Seine au lever du soleil l'hiver à Samois


Belle sortie en huit, même si Pascal ne nous suit pas : il y a eu un problème de bateau-moteur, il a dû rentrer au club pour laisser le sien à la personne qui encadre les scolaires.

J’apprends avec perplexité que finalement les deux quatre mixtes envisagés pour les Championnats de France sont maintenus: il s’agit de l’équipage du huit coupé en deux. Mais comme Nathalie ne veut pas ramer en couple, la place m’est proposée (je soupçonne Nathalie de se désister volontairement car elle ne peut concevoir que j’aille à Mâcon uniquement pour barrer).
— Mais on ne s’est jamais entraîné ensemble!
— C’est pas grave, on fera au mieux.
Je les regarde sans comprendre. Je pense au CNF, aux entraînements forcenés, au niveau des filles qui montaient en masters. Nous allons nous ridiculiser. Cela n’a pas l’air de les effleurer. Se pourraient-ils qu’ils aient raison et que j’ai tort?

J’avais l’intention de monter jusqu’à Champeaux l’après-midi. Je l’ai fait, mais tardivement, m’étant profondément endormie après le déjeuner.

Vernou-la-Celle cherche un médecin et l’a écrit en grosses lettres sur une banderoles devant l’église, forêts, routes où l’on se croise avec difficulté, un air de Sologne qui me réjouit. Je colle à Echouboulains, le cœur palpitant puisque nous sommes prévenus qu’il ne faut pas faire cela seul, que c’est dangereux (ce que je crois et cependant peine à croire: nous sommes en France, non d’un petit bonhomme. Remontent de vieux souvenirs d’informations à la radio (Europe 1), de bagarres entre colleurs d’affiche, les premières images d’Adieu poulet).

La nuit tombe. La forêt laisse progressivement place à la Brie, coucher de soleil sur les labours, et c’est la Beauce qui remonte de mon enfance.

Coucher de soleil sur la plaine au sortir d’Echouboulais


Chaque village a sa belle demeure, sa ferme fortifiée ou son château. Je comprends pourquoi la circo vote à droite, je repense à cet ancien collègue qui m’expliquait pourquoi il y avait tant de particules chez les agents d’assurance: «après la guerre, M. le comte devenait agent d’assurance; il allait voir les paysans autour de chez lui qui tous souscrivaient quand M. le comte le demandait». L’histoire passe lentement. Terres agricoles et peur des partageux, villes industrielles et haine des patrons. Sociologie à l’emporte-pièce pas entièrement dénuée de fondement.

Il fait nuit désormais. Château de Bombon. Je cherche des panneaux à l’école, la mairie, l’église. Je ne trouve qu’une boîte à livres contenant La valise en carton de Linda de Suza et La France en automobile d’Edith Wharton. J’emporte ce dernier livre en pensant à Aline qui m’en avait parlé pendant que nous visitions Maintenon.

Champeaux. Trop tard pour l’abbatiale. France Inter dévide la vie de Philippe Seguin, son refus de Maastricht au moment où Mitterrand se sert de sa maladie pour emporter le oui. 1992. Je me souviens de discussions sur la terrasse, ma mère anti-européenne. Était-ce à cette occasion, ou plus tard en 2006, qu’un ami m’avait dit: «si les Etats-Unis sont contre, c’est que cela ne peut pas être mauvais pour nous». Je ne m’étais pas rendu compte à l’époque à quel point c’était bien évidemment lié à 1989 et la chute du mur. Je vais avoir une heure de retard sur ce que j’avais promis à H.
Je colle à Sivry-Courty, à Veneux en passant devant la place et je rentre.
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