Billets qui ont 'Riga' comme ville.

Riga I

J'ai dormi d'un seul trait, je suis en trains de rêver de ma prof de grec (je suis accusée d'avoir séché des cours) quand je me réveille. H. dort encore, il m'expliquera qu'il s'est endormi très tard, le pub d'à côté ayant fermé vers deux heures du matin. Vu la chaleur lourde, impossible de fermer les fenêtres.

Petit déjeuner (avec toujours ce choix international qui ne permet pas de savoir ce que mange un autochtone au petit déjeuner), je découvre une merveilleuse petite patisserie, un feuilleté léger avec très peu de confiture au fond et des noix grillés concassées dessus.
Pause dans la cour de l'hôtel. Je plaide pour que nous demandions une chambre côté cour et que nous restions ici deux jours pour reposer notre dos de la voiture — et parce que cela paraît bête de ne pas en profiter maintenant que nous sommes là. Nous étendons la carte des pays baltes, je liste à grands traits notre nombre de jours disponibles, nous remontons le temps à partir de Châlons: passer à Berlin, Sans-souci pas le temps une autre fois, la tannière du loup en Pologne, Vilnius, Nida, la chêne de Tamme-Lauri.

— Tu veux vraiment passer à Nida?
— Oui, je veux voir la maison de Thomas Mann. Et puis ça nous fait un but.
— On aurait dû le faire en montant, ça fait un sacré détour.
— C'est l'inconvénient de ne pas préparer son voyage. Tant pis, au pire on dormira une nuit sur la presqu'île.
— A quelques kilomètres des Russes? Tu es folle, pas question.
— Euh… tu es sérieux?
— Oui. Tu as vu ce qui s'est passé avec la Pologne il y a quelques mois?

Je n'argumente pas, on verra bien. Nous réservons deux nuits de plus, déplaçons nos bagages et sortons trouver un parking à la voiture: Europark à deux rues d'ici, pas de barrière, pas de ticket, on gare la voiture, on charge l'appli, on enregistre sa plaque et sa carte bleue, et voilà.
— La confiance règne.
— Si on veut. Si tu ne viens pas chercher ta voiture, ils te débitent et c'est tout.

Est-ce le Covid ou le fait d'être européen (union-européen) depuis trente ans seulement? Les paiements électroniques sont très développés, nous sommes loin des galères en Italie en 2011 ou en Autriche en 2017, où nous étions régulièrement obligés de partir à la recherche d'un distributeur de billets car seul le cash était accepté. Ici les distributeurs donnent des coupures de dix euros, il est clair qu'au-dessus, personne ne s'attend à un paiement en liquide.

Nous nous dirigeons vers le centre. Eglise orthodoxe, tout est écrit en cyrillique, statue de Barclay de Tolli, le promoteur de la terre brûlée. Nous coupons à travers un parc magnifiquement fleuri pour aller visiter le musée consacré à KriÅ¡jānis Barons, le père des Dainas, que Vaira Vīķe-Freiberga, future présidente lettonne, a fait connaître en exil au Canada, puis dans le monde entier.
Hélas c'est exceptionnellement fermé, jusqu'au 23 croyons-nous comprendre, peut-être une histoire de gaz, il y a des travaux de l'autre côté de la rue. Tout cela n'est que supposition car rien n'est en anglais; apparemment les touristes ne sont pas censés s'intéresser à cela.

Traversée du jardin, passage devant l'opéra, place de la liberté, déjeuner à un angle, sur ce que je comprends être l'ancienne poste. La jeune serveuse a le visage fermée jusqu'au moment où elle comprend que nous sommes français: «j'apprends le français» murmure-t-elle en rosissant. Une fois de plus je me dis qu'il faut absolumment que j'emmène un stock de cartes postales de Paris et Moret quand nous nous déplaçons à l'étranger.
Très bon repas, simple et bien fait. Il y a toujours de l'attente, tout est préparé au fur à mesure.

Mon second souhait était le musée d'art nouveau rue Albert mais apparemment il était trop loin vu l'heure: H. a préféré le musée de l'occupation soviétique. Le parvis est occupé par une exposition d'oeuvres consacrées à la famine des années 32 et 33 provoquée en Ukraine par Staline. J'en ai photographié deux, qui datent de 1986 et 2007, soit bien avant la ou les guerres.

Yevhen Lunyov, Staline and the bones of ukraine, 1986 Valeriy Viter, Ukraine 1932, 2007


En résumé, la Lettonie a été indépendante pour la première fois en 1918. Lors du pacte germano-soviétique en 1939, elle a été attribuée aux Soviétiques. Le 14 juin 1941, juste avant l'invasion allemande, les Soviétiques déportent trente à quarante milles Lettons (sauvant paradoxalement les juifs). Occupation allemande, puis retour des Soviétiques en 1945.
Le musée raconte la résistance et la façon dont elle est brisée: par la déportation des Lettons (on déporte les paysans qui nourrissent les résistants dans les forêts) et l'importation de population "russe" (je mets des guillemets car je suppose qu'il s'agit de diverses ethnies de l'empire soviétique — hypothèse à vérifier), ce qui fait qu'au moment de la proclamation de l'indépendance (mai 1990), la moitié de la population est russophone — aujourd'hui «citoyens de seconde zone" à ce que je comprends.

J'ai photographié la chaîne de Vilnius à Tallinn le 23 août 1989. Riga était au centre.

23 août 1989, chaîne humaine aux pays baltes - musée de l'occupation soviétique, Riga


Tout est traduit en anglais dans le musée, mais beaucoup d'interrogations demeurent: qui sont ces familles photographiées? Sont-ce des notables, des familles politiquement connues, ou simplement les photos dont on disposer? Le plus terrible, ce sont ces petits garçons de dix ans dont la mort (à vingt-deux ou vingt-trois ans) intervient invariablement en 1941 tandis que les filles survivent jusqu'en 1980 ou 1990.
Description de l'occupation, description de la résistance, description de la déportation, description de la vie au goulag, témoignagnes filmés des Lettons rentrés de déportation. Cartes postales des enfants envoyés à leur famille, aux dessins réalistes.

Ici il y a des drapeaux ukrainiens partout.

Nous rentrons, pensifs. Le soir nous allons dîner dans une cafétéria de quartier à deux pas de l'hôtel, en face d'un théâtre. Je ne sais pas trop ce que j'ai mangé, un genre de cordon bleu à la tomate, mais pas gras. La soupe, un bortsch chambré, était excellente.

Lituanie, Lettonie

Petit déjeuner somptueux — le plus beau que j'ai jamais vu, reprenant les goûts anglais, américains, suisses, français, grecs, sans compter ceux que je n'ai pas reconnus.

Départ.
Nous n'avons pas l'habitude du monde. Nous voyageons peu, le plus souvent à des dates décalées sur des routes départementales. Les autoroutes de France sont-elles aussi chargées? C'est le week-end, y a-t-il des pendulations hebdomadaires en Pologne? Il y a beaucoup de monde et les Polonais ont une conduite à la française, agressive et dangereuse. Ils ont tous l'air terriblement pressés, conduisent beaucoup trop près, ne stabilisent pas la vitesse sur une des voies. Impossible de conduire au régulateur, la vitesse change tout le temps. On rencontre le même problème qu'en France: deux ou trois voies avec des vitesses beaucoup trop proches, difficile de dépasser. Se rabattre et laisser passer les plus rapides est une des clés d'une conduite aisée sur autoroute. Ici, même se caler à cent dix ou cent vingt est impossible.

A partir de Varsovie (j'ai traversé la Vistule! Ô nom magique des grands fleuves — j'ai dans la tête Cendrars et le Transsibérien) il devient évident que certains partent en week-end ou en vacances, sans doute vers Gdańsk (Dantzig, le couloir de Dantzig entre deux-guerres (et le risque que tout cela recommence avec Kaliningrad) ou Gdańsk et Solidarność la crainte et l'espoir à la maison, crainte maintenant je le comprends plus forte des adultes qui se souvenaient de Budapest et Prague — voyage dans la mémoire autant que dans le paysage) et la Baltique. Longtemps je suis une Jeep avec un magnifique canoë style pirogue indienne «comme dans les films» sur le toit.

Les voitures ont changé, davantage de SUV, davantage de Mercedes en Pologne qu'en Allemagne, ai-je l'impression, quelques voitures françaises. En quittant Lodz nous avons indiqué Tallinn sur Waze : mille cent cinquante kilomètres, douze heures de route. Nous avons l'impression que ça bugue, les kilomètres ne descendent pas, l'heure avance… Nous remplaçons cette destination ambitieuse par quelque chose de plus encourageant: Kaunas, qui nous permet d'être sûrs de prendre la bonne route. Bifurcation vers Łomża, «on va quitter l'autoroute, on va être plus tranquille, ça va davantage nous ressembler, on sera bien».
Et donc route plus étroite avec autant de monde, ralentissements. «Je crois que c'est dans ce coin que mes parents viennent voir les bisons» (vérification faite, c'est plus à l'est, à la frontière de la Biélorussie). Nous traversons quelques villages et Łomża. Sans connaître la langue, sans s'être renseigné sur rien, tout cela est incompréhensible: comment vivent les gens ici? Pourquoi s'être installés ici? Quel temps fait-il l'hiver? Où sont les écoles, les lycées? D'un autre côté, tout est très familier: les mêmes fleurs des champs, les mêmes arbres, le même style des immeubles de bureau.

Et soudain, après un rond-point compliqué, une autoroute vers le nord. Elle est toute neuve, n'existe pas vers le sud, n'est pas connue du GPS de la voiture. Nous sommes seuls. Nous roulons vers le nord. «Ça permettra à la Russie de nous envahir plus vite. Ou l'inverse».
A midi, arrêt vers ce qui est peut-être la dernière station-service avant la frontière. Pins de soutien à l'Ukraine (je regrette de ne pas en avoir acheté un) et magazine gratuit avec une jolie militaire en couverture. A l'intérieur, article, «la spectaculaire rénovation de l'armée polonaise» (oui, je lis le polonais quand les mots ont 80% de lettres en commun). H. me raconte que la Pologne a remis au goût du jour les défilés militaires et a récemment exposé les armes achetées à la Corée du sud.
Ce n'est pas pour rien que je voulais voir les pays baltes: combien de temps cela va-t-il tenir?

Passage de la frontière. Désolation. L'autoroute s'arrête, la route devient une départementale défoncée, quelques grands bâtiments blancs en train de lentement retourner à la poussière autour de parkings où s'éparpillent des semi-remorques. La queue des camions est cette fois-ci dans le sens Lituanie-Pologne, ouf. La route est très mauvaise, la file des voitures ininterrompue et les travaux commencent. Les Lituaniens sont en train de construire une autoroute. Le bizarre est qu'elle ne paraît pas avancer au fur à mesure, mais être en cours partout à la fois, terre damée, murs anti-bruit montés, engins de chantiers monstrueux et abandonnés (parce que c'est samedi?). Peut-être que toutes les autoroutes sont construites ainsi, et non comme l'avancée des rails sur la prairie dans les westerns? Après tout je n'en sais rien. Des kilomètres et des kilomètres de travaux. Une file, cinquante à l'heure, «mais regarde, la prochaine fois qu'on viendra, si on revient, cela n'aura plus rien à voir. C'est un moment à ne pas manquer».

Travaux, routes départementales, nous n'avançons pas, «je ne comprends pas, selon mes calculs, il manque cent kilomètres». Nous analysons le trajet et soudain j'ai une idée: n'aurions-nous pas changé de créneau horaire? Aux horloges nous sommes une heure plus tard, ce qui renforce notre impression de ne pas avancer. Nous sommes passés en Lettonie (espace Schengen, passage marqué par un panneau et le changement de l'enrobé routier), nous n'irons pas beaucoup plus loin ce soir. Direction Riga; avec difficulté je trouve une chambre, tout paraît plein.
Malgré tous ces désagréments, on est bien. L'air est doux, le paysage tranquille; il rappelle la Sologne, pins et bouleaux. Comme nous ne sommes plus ni sur autoroute, ni sur un chantier, nous voyons des maisons, croisons des villages. Le paysage redevient humain.

Arrivée à Riga dans le soleil déclinant, la Daugava magnifique. Rues larges, immeubles hauts, très décorés (Art nouveau, disent les guides). C'et charmant, même si nous sommes trop fatigués pour vraiment apprécier.
Chambre dans un hôtel tranquille, sans doute un immeuble rénové, au plafond haut. C'est joli, fonctionnel, pratique, avec un je-ne-sais-quoi de grandeur passée dans la décoration soignée. Comme je le pressentais, pas de clim, il faudra choisir cette nuit entre la chaleur et le bruit, laisser ou pas les fenêtres ouvertes (ce fut souvent le cas en 2017 dans notre tour d'Europe).
La cour intérieure laisse voir les façades d'autres immeubles, terriblement dégradées.

Nous sortons pour aller dîner dans un pub tchèque dans notre rue repéré par H. Des roses au sol attirent mon regard, je regarde: c'est un monument aux victimes du KGB.

monument aux vicitmes du KGB - Riga


«Dans cet immeuble, durant l'occupation soviétique, l'agence de sécurité d'Etat (KGB) emprisonna, tortura, tua et humilia moralement ces victimes.»
La progression dans les verbes laisse à penser.

Repas léger de poisson. H. propose de rester ici, je vais réfléchir. Retour. Je sombre dans le sommeil.
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