J'ai perdu l'habitude d'écriture. Je n'ai plus la patience, le courage, d'aligner tous les mots, dans l'ordre, pour établir un sens. Tentation d'abandonner la syntaxe, de projeter quelques mots comme une poignée de dés (« une bille est un dé à un nombre de faces infinies » citation tirée des conversations dominicales cuisinières, cuisinales, dans la cuisine). Et cette obligation d'être cryptique par discrétion… Je ne sais pas être cryptique, je n'en ai pas envie, je n'arrive pas à croire que tout cela puisse avoir tant d'importance qu'il faille le cacher.

Ce matin j'avais rendez-vous dans les nouveaux bâtiments où je devrais déménager (où je déménagerai) en avril prochain. Station Nanterre Préfecture, au plus loin de l'arche, côté place Nelson Mandela. C'est tout ce qui m'intéresse : combien de temps pour revenir jusqu'à la Seine ?

La réunion a été étrange. C'était une réunion destinée à préparer une formation le premier décembre, nous six étant les formateurs. Six formateurs pour quinze formés (d'après nos décomptes, en pointant les absents prévisibles), c'est une erreur. Deux ou trois d'entre nous auraient dus se récuser ou être récusés. Mais cela n'a pas été évoqué, car animer cette formation est en réalité une épreuve du feu à laquelle la direction souhaite soumettre ses cadres afin de forcer leur implication ; du moins est-ce ainsi que je le ressens en suivant Petit traité de manipulation des honnêtes gens. J'observe la nouvelle direction orchestrer une transformation des structures et des mentalités et je tente d'identifier les méthodes utilisées, j'interprète ce que vois au filtre de ce que je connais de la psychologie du management. Ainsi la volonté de transformer la façon de penser et réagir passe par la mise en place d'un déracinement et une désorientation spatiale (changement d'immeuble, passage en open space, disparition des archives, dématérialisation). Par ailleurs, l'implication du management passe par l'obligation pour lui d'animer des demi-journées consacrées à expliquer la démarche de transformation de l'entreprise. Cela me fait sourire car cela ressemble tout à fait à ce qu'a mis en œuvre l'Eglise en France en formant les parents pour qu'ils prennent en charge le catéchisme de leurs enfants. Mais enfin, cela ne fait sourire que moi.

J'observe mes collègues animateurs. Que connaît-on des gens? Rien. Qui est œnologue, qui est passionné par la pêche à la mouche ou parle couramment l'italien? Rien de cela ne nous sera dit. C'est pourtant cela qui m'intéresserait. Quel rapport avec la formation à animer? La confiance réciproque, la capacité à faire de l'humour, à utiliser des références communes.
Mais là rien. Du plat, du cosmétique. Tant pis.