Billets qui ont 'fondation Joyce' comme monument.

Zurich

La première journée du colloque commence à neuf heures et demie. C'est le jour de la fête nationale suisse, tout est fermé; j'ai conseillé à H. d'emmener A. au zoo et sur le lac, je m'inquiète un peu de leur journée, j'espère qu'ils ne vont pas trop se disputer.

Mon anglais est une catastrophe. Les mots m'échappent, je veux dire des choses trop compliquées, j'accentue mal, je ne fais pas la différence entre les i "i" et les i "aï", ce qui change complètement l'aspect d'un mot. Ce n'est que bien plus tard dans la journée que je prendrai conscience que je suis la seule dans la salle à n'être ni de langue anglaise, ni professeur de littérature anglaise. La prochaine fois que je prends ce genre de risque, je prends des leçons intensives de conversation trois mois avant.


Fritz Senn présente l'atelier. Le récit de la journée est ici.



A l'heure du déjeuner, dans la cuisine, la conversation a roulé très naturellement sur le petit-fils, Stephen, grand empoisonneur de la vie des Joyciens, Fritz Senn suggérant que les jeunes femmes présentes le courtisent et l'épousent (ce qui suppose qu'il devienne d'abord veuf) afin d'en hériter: ainsi les droits nous seraient acquis (la grande question reste celle de l'accès aux manuscrits: la loi est beaucoup moins claire qu'en ce qui concerne les ?uvres imprimées).
«Stephen Joyce vit au mode génitif».
«Il a dit un jour à (? Gabler) qu'il était inutile d'espérer sa mort, car sa femme "was a well-trained bitch".»


***



Je quitte les participants le soir pour ne plus les revoir, avec un sentiment mêlé: tandis que je ne me sens pas déplacée dans les colloques ou à Cerisy, ici j'ai beaucoup trop de complexes pour me sentir à l'aise. Mon anglais est vraiment trop hésitant, et j'ai trop conscience (j'ai trop le souvenir de mes professeurs) de mes fautes que je ne sais pas identifier. J'ai l'impression de parler petit nègre, ce qui n'aurait pas grande importance dans un congrès d'affaires, mais me paraît absolument déplacé dans un colloque littéraire, comme si je me promenais en guenilles lors d'une soirée de gala.
Dommage. Je sais qu'ici j'ai rencontré des gens avec qui j'aurais pu rêver, m'échapper dans des anneaux parallèles de réalité insoupçonnée des mortels (à quoi bon la science-fiction? Prenez n'importe quels passionnés et vous obtiendrez mieux).

Retour à l'hôtel. H. et A. sont là, plutôt fatigués par leur journée au zoo, H. prétendant qu'on y voit plus d'humains que d'animaux. Je réussis à les faire ressortir, je veux aller à l'endroit où se rencontrent la Sihl et la Limmat, place où venait rêver Joyce (et ''Finnegans Wake'', si plein de fleuves et de rivières). Le parc qu'il faut traverser pour y parvenir est magnifique, arbres séculaires, les bateaux mouches sont très plats, platissimes, afin de passer sous les ponts bas sur la Limmat. Le soir tombe, H. me regarde désespéré en découvrant que je ne l'ai traîné là que pour des raisons joyciennes.



Nous repartons. Nous avons décidé d'aller voir le feu d'artifice de la fête nationale sur le lac. Nous avons la longueur de la presqu'île à parcourir (en toute rigueur ce n'est pas une presqu'île, mais puisque c'est le terme utilisé à Lyon?), mes compagnons sont fatigués, nous parcourons la Münstergasse, aucun restaurant ne nous convient, tout est terriblement bruyant, c'est la fête.

Nous finirons par choisir, un peu à la tête des personnes en terrasse, un restaurant espagnol, la Bodega espanola, qui nous enchantera, tant par la jovialité du serveur que par la qualité de la cuisine. A. nous quitte, part en éclaireur, attirée par des feux d'artifice amateurs.

Il fait nuit. Nous avançons jusqu'au pont sur la Limmat à l'endroit où elle rejoint le lac. Il y a beaucoup de monde, mais moins qu'on ne nous l'avait annoncé. Nous attendons, contemplant les yatchs emplis de touristes, cherchant à déduire de leurs mouvements le lieu d'où va être tiré le feu d'artifice. Rien ne se passe, ils s'approchent, repartent. Nous interrogeons nos voisins, nos voisins nous interrogent, des informations contradictoires circulent, il paraît que cette année il n'y aura pas de feu d'artifice officiel, nous refusons d'y croire tout en sachant au fond de nous que c'est la seule explication valable à la faible densité de la foule, aussi mal renseignée que nous.

De guerre lasse, passé minuit, nous rentrons en tramway, épuisés.

Bad Säckingen, Zürich, une soirée chez les Joyciens

Nous sommes partis avec retard, j'allais dire bien entendu, nous sommes incapables de partir tôt. J'avais rendez-vous à 18 heures à Zürich, à l'institut Joyce. Nous décidâmes de nous rendre directement à Zürich sans repasser par Bâle (ce qui avait été envisagé si nous étions partis plus tôt) et de ne pas prendre l'autoroute. Nous avons donc suivi et traversé le Rhin plusieurs fois, le Rhin fidèle compagnon au long de ce voyage (nous ne le savions pas encore, mais j'écris avec retard, je reprends la série des billets suisses à partir du 30 août).
J'ai beaucoup de mal à me faire à l'idée d'un fleuve qui coule vers le nord. Pour moi c'est contre nature; un fleuve coule vers l'ouest ou le sud.

Nous traversons la frontière avec un peu d'appréhension, je mets au point la tenue du parfait touriste qui passe la douane: une carte routière sur les genoux du passager avant, qui a ordre de l'étudier avec attention (à quel moment nous demandera-t-on si nous avons acheté quelque chose, et je répondrai: «des livres et des cartes postales»?).

Il est midi passé, nous roulons en Allemagne, je suis un peu perdue dans les limitations de vitesse donc je me cale derrière les voitures autochtones. 80 km/h apparemment. Une certaine tension règne, je crois que nous commençons à avoir faim. Dans l'axe de la route se dressent deux tours, deux clochers à bulbe dans le lointain, je décide de les rejoindre.

Et c'est ainsi qu'à cause de deux bulbes, nous avons découvert par hasard Bad Säckingen, son église au nom merveilleux (Saint Fridolin!) et son pont couvert, le plus long pont en bois couvert d'Europe.
Il fait beau, traversée du pont, dans un sens (retour en Suisse!), dans l'autre… Repas en terrasse, commande un peu à l'aveugle. Je mange un croque hawaïen, que je croyais une invention de ma tante (jambon, fromage et… tranche d'ananas). Je prends une bière locale, ce qui me confirme que je ne les aime pas. (Il me faudra plusieurs jours avant de penser à prendre du vin blanc, tout simplement).

Zürich, hôtel. Nous sommes fatigués, je suis stressée, rencontrer des Joyciens en ayant un niveau d'anglais aussi faible que le mien est vraiment impressionnant (je parle très mal: beaucoup de fautes avec un accent épouvantable (ou plutôt des accents: je dis tout de travers).

Six heures, j'ai rendez-vous à sept heures, je pars, anxieuse et le cœur en fête, comme si on m'avait un beau cadeau de Noël, un présent inespéré en m'acceptant avec tant de gentillesse et de simplicité à ce colloque de Joyciens chevronnés. La crème.
Je suis en avance mais la fondation est fermée, je m'installe sur une place proche et je lis (Joyce par Jean Paris), les cloches se déchainent, c'est dimanche, ça dure. Ce n'est que plus tard que je découvrirai que j'aurais pu entrer, que la porte s'ouvrait d'elle-même devant les arrivants.
Buffet, je me présente à mes voisins, nous nous serrons sur les tables de travail, je suis embarrassée car j'ai l'impression de prendre la place de certains qui sont debout.

Nous discutons, je baragouine, Joyce et Nabokov, «tu aimes les écrivains anglais difficiles, si je comprends bien», mais pour moi le plus difficile c'est Henry James, ne pas se souvenir des noms, ou ne pas associer les noms et les visages est vraiment un handicap, j'explique à mon voisin qui s'inquiète de FB que mes enfants jouent plutôt à WoW (mais comment ça se prononce? ouho?) De guerre lasse je prends une feuille, j'écris, World of Warcraft, shaman, healer... J'ai oublié le mot qui signifie "multiples joueurs en ligne".
Le nom de Daniel Ferrer est un sésame.

Fritz Senn me pose quelques questions, je ne sais si c'est par intérêt ou par politesse (quelle importance? Mais je suis incapable de ne pas me poser la question.) En apprenant que mon hôtel est près de "l'église italienne" (comprendre Liebfrauenkirche), il me dit: «Ah oui, Joyce a assisté à la messe du Vendredi Saint dans cette église», et je pense à Gv et HLG se promenant l'un sous la conduite de l'autre à Vienne ou à Prague (impossible de retrouver le billet).

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