Premier
dîner "littéraire" depuis septembre: impossible durant le premier trimestre entre cours de grec et cours flottant.
Thème :les écrits des académiciens actuels. En précisant "actuels", Marie-Paule m'empêche de me défausser vers Yourcenar, par exemple. J'hésite entre Delay et Obaldia et je choisis Mgr Dagens, en me disant que personne ne présentera
Grégoire le grand (et bien sûr, me permettra de lire à propos d'un père de l'Eglise).
Bien sûr, je ne me fait pas grande illusion: un gros livre (pas si gros, cent à deux cents pages de notes en latin et de références à la fin, toujours ça de moins à lire) sur un sujet austère, la spiritualité chrétienne infusant l'Europe au moment des invasions barbares, personne, normalement, ne va m'emprunter un tel livre.
Mais j'essaie: il peut y avoir à ma table de vieux amoureux des humanités, du latin et du grec, qui seront heureux de se plonger dans leurs souvenirs. Il peut arriver que quelqu'un s'intéresse à l'histoire des mentalités (car sans la foi, cela revient à cela).
Mais pas ce soir.
Ce soir, j'ai découvert des acamédiciens dont je ne savais même pas qu'ils étaient écrivains: Dominique Bona?
Je suis frappée que tous les livres présentés à ma table étaient de l'ordre de la biographie ou de l'histoire, y compris de l'histoire très contemporaine:
Fou de toi (Paul Valéry),
Berthe Morisot,
Sauver Ispahan et
Globalia,
Trop bien élevé,
François le Petit (le genre de livre que je déteste profondément), et mon
Grégoire le grand.
Les livres (la littérature) intéressaient moins mes compagnons que les potins, une telle a ouvert le bal de la faculté de droit à Rennes avec Bredin dans les années 60, une autre ne s'intéresse qu'aux rapports entre la famille Manet et Valéry (une cousine épousée), la troisième rit beaucoup aux allusions de
François le Petit alors que je n'en comprends aucune et m'en moque éperdûment : tout cela sera oublié dans dix ou quinze ans, il faudra d'interminables notes de bas de page pour expliquer qui était qui…
Pour le reste, j'ai assisté éberluée à un condensé de café du commerce : l'association de l'école propose un voyage en Iran, et ces dames de commenter l'obligation de porter un foulard, des pantalons larges et des tuniques longues, et moi de penser Ã
Soumission (mal à propos, puisqu'il s'agit de l'Iran et non de la France), de me demander peu charitablement quelles pensées perverses pourraient inspirer ces dames et à quel point il faudrait être pervers pour qu'elles en inspirent (pour donner une idée, elles s'exclameront: «elle est morte très jeune, à cinquante-sept ans». Euh… pour moi, «très jeune», pour mourir, c'est avant trente-cinq ans, ensuite c'est jeune (avant quarante), puis dommage (avant soixante), puis envisageable mais regrettable (avant quatre-vingt ans), puis «c'est la vie»).
A été commenté également l'imminent remaniement ministériel, la réforme de l'orthographe, la grâce présidentielle de Mme Sauvage («La légitime défense en tirant dans le dos, ce n'était pas tenable. Je ne comprends pas pourquoi ils n'ont pas plaidé les circonstances atténuantes» — ce qui est exact.)
Je les aime bien, ils m'ahurissent: je contemple l'écart qui nous sépare et je me demande pourquoi je n'ai pas compris plus tôt que c'était inévitable et sans importance, que je ne leur ressemblerai jamais mais qu'en réalité je ne le souhaitais pas, je le détesterais; mais que cela n'empêchait pas de passer une curieuse et confortable soirée.