Quand les changements informatiques courent après les changements réglementaires
Par Alice, mercredi 4 mai 2016 à 22:12 :: 2016
J'assiste en ce moment au crash progressif mais régulier du système de santé français. Par système, je n'entends pas "principes", mais "informatique". Nous sommes en pleine régression, terme qui en informatique implique qu'après une mise à jour, les programmes fonctionnent moins bien qu'avant.
Un exemple: la mise en place du décret qui plafonne le remboursement autorisé sur les lunettes en fonction de la correction1.
Avant ce décret, la sécurité sociale vous remboursait entre six et dix euros, transmettait l'information de votre dépense à votre contrat de santé — si vous en aviez un (une "mutuelle", par abus de langage) — et vous étiez remboursé d'un complément selon le barème de votre contrat. Tout cela était automatique2 et prenait une dizaine de jours, ce qui permettait en payant par carte bleue d'être remboursé avant même d'être débité.
Depuis ce décret, les informations télétransmises par la sécurité sociale ne permettent plus de savoir dans quel cas de figure vous êtes (verres simples, complexes, très complexes). Il faut donc attendre le remboursement de la sécurité sociale sur votre compte en banque, puis envoyer facture et ordonnance à sa "mutuelle" (il est important d'attendre: si le gestionnaire de prestations reçoit vos justifs avant d'avoir reçu la notification de remboursement de la sécurité sociale, il risque de vous les renvoyer en vous disant que vos soins ne sont pas remboursés par la sécurité sociale et que donc il ne peut pas vous rembourser… De l'importance de ne pas "stresser le système": ne pas aller plus vite que la musique, attendre que chaque étape ait abouti.)
Cela signifie que l'on revient à un traitement manuel et non plus informatique. Or les entreprises qui gèrent les prestations n'ont pas le personnel suffisant pour gérer cet afflux de papiers, elles sont dimensionnées en comptant sur un fonctionnement normal de l'informatique. Nous assistons donc à une dégradation des durées de remboursement, à du mécontentement, à des cas parfois difficiles en cas de pensions de retraite minimales…
(Tout cela va rentrer dans l'ordre, bien sûr. Cela va prendre deux ou trois ans, le temps que les flux informatiques partant de la sécurité sociale soient mis à jour selon les nouvelles normes de façon à transmettre les données nécessaires.)
Tout ceci n'était qu'un préambule.
«Aujourd'hui […] s'est produit un miracle». L'Urssaf m'a téléphoné spontanément pour m'aider.
Evidemment, il doit lui manquer des milliers d'euros, ça motive. Je m'explique:
En tant que mutuelle, nous payons énormément de taxes, je veux dire des taxes nombreuses et variées (les assurances sont de gros collecteurs d'impôts, enfin, de "contributions indirectes", comme on dit à l'ENA (la différence, ce sont les poches destinatrices: l'Etat pour les impôts, divers organismes pour les contributions)). La taxe de solidarité additionnelle (TSA) est destinée à financer la CMU-C :
En temps normal, c'est ma colaboratrice qui s'occupe des taxes. Elle n'avait toujours pas réussi à créer un compte en ligne avant que je parte une semaine en Espagne (8 avril). Elle partait ensuite en vacances pour trois semaines et à mon retour j'ai trouvé un mot sur mon bureau me disant que le compte n'était toujours pas créé.
Je n'avais pas envie de m'en occuper. J'ai complété la liasse fiscale et le dossier annuel à remettre à l'ACPR (date limite le 30 avril) sans m'occuper de la TSA, en me disant que nous pleurerions pour qu'on nous remette l'éventuelle pénalité si nous étions en retard par ma faute.
Mardi, j'ai ouvert le courrier en retard pour trouver une lettre de l'Urssaf disant qu'il y avait un report de date: nous avions jusqu'au 2 mai midi pour la déclaration: trop tard, nous étions le 3. Donc j'ai mis cette tâche de côté pour m'occuper des enveloppes T pour l'assemblée générale (et répondre au téléphone!)
Aujourd'hui (mercredi), l'Urssaf m'a appelée. Je résume ce que j'ai déduit de cet appel : personne n'avait réussi à se créer un compte et cette employée de l'Urssaf était en train de contacter une par une toutes les assurances de santé pour récupérer la taxe (pour vous donner une idée des enjeux: nous payons 72.000 euros de taxe trimestrielle pour 4,5 millions d'euros de chiffre d'affaires HT annuels, c'est-à -dire une très petite mutuelle (7500 personnes ouvrant droits)).
La suite est surtout destinée aux informaticiens. Je n'en suis pas une mais je sais que ce qui a été fait indique un gros bord** au niveau de la base de données: ce n'est pas le siret habituel de la mutuelle qui a été utilisé mais un siret particulier créé pour ce besoin précis, le compte utilisateur associé (ie le nom de ma collègue) n'est pas le compte utilisateur habituel, il a été doublonné en "CompteUtilisateur TSA" (ce qui signifie que la base a doublé de volume); bref, tout indique le développement informatique mené à la-va-vite n'importe comment (ce qui implique que nous allons en subir les conséquences pendant des années car l'informatique n'oublie rien et ne pardonne pas: si c'est fait de traviole, les effets pervers s'accumulent).
La dame de l'Urssaf a créé le compte à ma place et m'a donné un mot de passe provisoire à changer à la première connexion. La date limite de déclaration a été repoussée au 12 mai.
J'ai découvert à cette occasion qu'avec les derniers changements bancaires, je pouvais faire des virements de 72.000 euros vers l'extérieur sans les faire valider par personne.
Note
1 : Il est possible de ne pas appliquer ce plafonnement, c'est-à -dire ne pas être "contrat de santé responsable": dans ce cas les taxes s'élèvent à 13% au lieu de 7% (j'arrondis).
2 : Sauf pour certaines mutuelles qui tenaient absolument à avoir la facture: dans ce cas nous étions déjà dans le cas que je décris ci-après.
Un exemple: la mise en place du décret qui plafonne le remboursement autorisé sur les lunettes en fonction de la correction1.
Avant ce décret, la sécurité sociale vous remboursait entre six et dix euros, transmettait l'information de votre dépense à votre contrat de santé — si vous en aviez un (une "mutuelle", par abus de langage) — et vous étiez remboursé d'un complément selon le barème de votre contrat. Tout cela était automatique2 et prenait une dizaine de jours, ce qui permettait en payant par carte bleue d'être remboursé avant même d'être débité.
Depuis ce décret, les informations télétransmises par la sécurité sociale ne permettent plus de savoir dans quel cas de figure vous êtes (verres simples, complexes, très complexes). Il faut donc attendre le remboursement de la sécurité sociale sur votre compte en banque, puis envoyer facture et ordonnance à sa "mutuelle" (il est important d'attendre: si le gestionnaire de prestations reçoit vos justifs avant d'avoir reçu la notification de remboursement de la sécurité sociale, il risque de vous les renvoyer en vous disant que vos soins ne sont pas remboursés par la sécurité sociale et que donc il ne peut pas vous rembourser… De l'importance de ne pas "stresser le système": ne pas aller plus vite que la musique, attendre que chaque étape ait abouti.)
Cela signifie que l'on revient à un traitement manuel et non plus informatique. Or les entreprises qui gèrent les prestations n'ont pas le personnel suffisant pour gérer cet afflux de papiers, elles sont dimensionnées en comptant sur un fonctionnement normal de l'informatique. Nous assistons donc à une dégradation des durées de remboursement, à du mécontentement, à des cas parfois difficiles en cas de pensions de retraite minimales…
(Tout cela va rentrer dans l'ordre, bien sûr. Cela va prendre deux ou trois ans, le temps que les flux informatiques partant de la sécurité sociale soient mis à jour selon les nouvelles normes de façon à transmettre les données nécessaires.)
Tout ceci n'était qu'un préambule.
«Aujourd'hui […] s'est produit un miracle». L'Urssaf m'a téléphoné spontanément pour m'aider.
Evidemment, il doit lui manquer des milliers d'euros, ça motive. Je m'explique:
En tant que mutuelle, nous payons énormément de taxes, je veux dire des taxes nombreuses et variées (les assurances sont de gros collecteurs d'impôts, enfin, de "contributions indirectes", comme on dit à l'ENA (la différence, ce sont les poches destinatrices: l'Etat pour les impôts, divers organismes pour les contributions)). La taxe de solidarité additionnelle (TSA) est destinée à financer la CMU-C :
A ce titre, vous acquittez la taxe de solidarité additionnelle (TSA). La taxe doit être versée au plus tard le dernier jour du premier mois de chaque trimestre civil via un formulaire spécifique.En début d'année, nous avons été prévenus que cette taxe trimestrielle assise sur le chiffre d'affaires serait à déclarer en ligne (et à payer par virement, ce que nous faisions déjà ).
Une déclaration récapitulative annuelle doit être transmise avant le 30 juin de chaque année.
Ces documents doivent être transmis à l’Urssaf Ile-de-France avec copie au Fonds CMU.
En temps normal, c'est ma colaboratrice qui s'occupe des taxes. Elle n'avait toujours pas réussi à créer un compte en ligne avant que je parte une semaine en Espagne (8 avril). Elle partait ensuite en vacances pour trois semaines et à mon retour j'ai trouvé un mot sur mon bureau me disant que le compte n'était toujours pas créé.
Je n'avais pas envie de m'en occuper. J'ai complété la liasse fiscale et le dossier annuel à remettre à l'ACPR (date limite le 30 avril) sans m'occuper de la TSA, en me disant que nous pleurerions pour qu'on nous remette l'éventuelle pénalité si nous étions en retard par ma faute.
Mardi, j'ai ouvert le courrier en retard pour trouver une lettre de l'Urssaf disant qu'il y avait un report de date: nous avions jusqu'au 2 mai midi pour la déclaration: trop tard, nous étions le 3. Donc j'ai mis cette tâche de côté pour m'occuper des enveloppes T pour l'assemblée générale (et répondre au téléphone!)
Aujourd'hui (mercredi), l'Urssaf m'a appelée. Je résume ce que j'ai déduit de cet appel : personne n'avait réussi à se créer un compte et cette employée de l'Urssaf était en train de contacter une par une toutes les assurances de santé pour récupérer la taxe (pour vous donner une idée des enjeux: nous payons 72.000 euros de taxe trimestrielle pour 4,5 millions d'euros de chiffre d'affaires HT annuels, c'est-à -dire une très petite mutuelle (7500 personnes ouvrant droits)).
La suite est surtout destinée aux informaticiens. Je n'en suis pas une mais je sais que ce qui a été fait indique un gros bord** au niveau de la base de données: ce n'est pas le siret habituel de la mutuelle qui a été utilisé mais un siret particulier créé pour ce besoin précis, le compte utilisateur associé (ie le nom de ma collègue) n'est pas le compte utilisateur habituel, il a été doublonné en "CompteUtilisateur TSA" (ce qui signifie que la base a doublé de volume); bref, tout indique le développement informatique mené à la-va-vite n'importe comment (ce qui implique que nous allons en subir les conséquences pendant des années car l'informatique n'oublie rien et ne pardonne pas: si c'est fait de traviole, les effets pervers s'accumulent).
La dame de l'Urssaf a créé le compte à ma place et m'a donné un mot de passe provisoire à changer à la première connexion. La date limite de déclaration a été repoussée au 12 mai.
J'ai découvert à cette occasion qu'avec les derniers changements bancaires, je pouvais faire des virements de 72.000 euros vers l'extérieur sans les faire valider par personne.
Note
1 : Il est possible de ne pas appliquer ce plafonnement, c'est-à -dire ne pas être "contrat de santé responsable": dans ce cas les taxes s'élèvent à 13% au lieu de 7% (j'arrondis).
2 : Sauf pour certaines mutuelles qui tenaient absolument à avoir la facture: dans ce cas nous étions déjà dans le cas que je décris ci-après.