Billets qui ont '2017-09-15' comme date.

Heidegger for ever

— Tous les grands philosophes ont été élèves de Heidegger : Jonas, Hannah Arendt, Günther Anders, le premier mari d'Hannah Arendt, qu'on a beaucoup traduit depuis dix ans, Gadamer, Marcuse sur un autre plan… En 1960 paraissent Vérité et méthode de Gadamer et Le Volontaire et l'involontaire de Ricœur : deux grand textes phénoménologiques dans des genres très différents.
J'ai l'impression de me retrouver à Cerisy il y a deux ans1.

Qu'est-ce qu'un homme. Lecture suivie de Expérience et Absolu (nous avons dû atteindre la page 15 du liminaire), lecture commentée, commentaires, promenade. J'aime beaucoup. Je pense à Löwith (encore un élève de Heidegger, un ami, même, puisqu'il me semble qu'il a été baby-sitter des enfants avant d'être totalement repoussé), je pense à Lucie Kaennel qui nous a résumé en deux mots l'antisémitisme du "petit Martin", comme dirait Jérôme de Gramont : un juif n'était pas un homme puisqu'il n'avait pas de Dasein.

Quel sujet pour mon mémoire l'année prochaine ? Qu'est-ce qu'un homme ? Ecce homo, Jésus était juif.
Faut-il théologiser par concept ? Le concept est-il la bonne façon d'approcher la foi ? Parler de Dieu, parler sur Dieu, ne concernerait pas la foi ? Jésus enseignait en paraboles et la Bible raconte des histoires. Ricœur, article "Mythe" dans l'Encyclopedie Universalis : le mythe nous dit-il quelque chose de la vérité que la science n'atteint pas ?


Note
1 : impression confortée par le fait que je découvre que notre professeur a soutenu sa thèse avec Jean Greisch.

Faute de genre

Dans la voiture j’écoute le dernier « coup de gueule » d’une journaliste sur France Musique : tollé aux Pays-Bas parce que le Concertgebow a illustré une campagne de pub par un appareil à souffler les feuilles soulevant la jupe d’une femme, découvrant ainsi un string (jeu de mots en anglais sur un titre de Bach : air on string, mélodie sur une corde ou souffle sur une ficelle (le string)).
Et je me dis qu’ils sont bêtes, ils ont oublié qu’il fallait maintenant décaler ce genre d’allusions : ils auraient fait cela avec un homme en kilt, tout le monde aurait ri.

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Agenda
Aviron. Clémentine me vouvoie et me dit «Merci Madame». Je ne lui demande pas de me tutoyer. Il sera toujours temps si elle devient une fidèle du club.

C’est la rentrée. Encore deux ans.
Les travaux de l’ICP sont terminés. La cour ne me plaît pas, elle est entièrement cimentée de blanc (mais non plate, ce qui permettra à la pluie de ruisseler), percée de minuscules lampes qui sont comme des étoiles venues du sol dans la nuit. J'aurais préféré des arbres, des fleurs, de la terre. Evidemment il aurait fallu des chemins, c'est sans doute moins adapté à la circulation de beaucoup de gens.
Les salles (toutes les salles, ou seulement celles du bâtiment S) sont pimpantes et le mobilier neuf. Il était temps : le précédent semblait rassemblé de bric et de broc, avec des tables trop hautes, trop étroites, des chaises très inconfortables (celles-ci ô merveille sont rembourrées : combien de temps pour que des élèves inconscients de leur chance ne les tailladent ?)

Cours sur Heidegger, ou plutôt la phénoménologie (mais pas celle d'Husserl, donc celle de Heidegger) à partir de Jean-Yves Lacoste. « Il ne faut pas confondre la théologie philosophique (Voltaire, théodicée de Leibniz), la philosophie de la religion (Kierkegaard, les Russes, etc) et la philosophie des religions (étude des religions existantes).»
Je me prends à regretter que notre cours de sociologie soit si loin. J'ai l'impression que nous nous inscrivons dans la ligne directe de Durkheim and co.

Samedi de pré-rentrée

Rendez-vous chez le médecin pour un certificat médical. « Quel sport ? … De l’aviron ? Ah c’est bien, ça me change.»
Plus tard :
— Vous devriez faire un test d’effort pour être tranquille trois ou quatre ans.
— Ah, ça va venir : il est probable que mon père m’offre un tour en Mirage, les avions supersoniques. Un test cardiaque est obligatoire.

Nous avons emmené Clara à son appartement, ou plutôt sa chambre : une pièce avec douche individuelle dans une maison de maître à Créteil. Six colocataires à cinq cents euros mensuels chacun (hors charge), ça rapporte davantage que de louer à une famille.
Elle revient avec nous et repart en vélo, avec le vélo de mes onze ans qui roule toujours parfaitement. Si réellement elle s'en sert (je n'en reviens pas qu'une "jeune" de vingt-sept ans accepte de rouler sur mon vieux clou taché de rouille donc j'attends de voir si son enthousiasme a hérité d'un vélo gratuit persiste) si réellement elle s'en sert je le ferais repeindre (et de repasser mentalement les couleurs possibles : blanc, mauve, rose, violet, orange ? Pas bleu ou noir, non, quelque chose qui ne donne pas envie de le voler.)

Le soir, O. m'accompagne à la cinémathèque voir L'Atalante. Il a été restauré grâce au travail de Bernard Eisenschitz, ce qui est l'occasion de penser à Marie et Jérémy (il faut que je leur envoie un mot. Que s'est-il passé avec Marie ? Elle a été choquée que je proteste devant la vague de suicides à France Telecom, que je proclame qu'il fallait arrêter de leur faire de la publicité, qu'il y avait d'autres façons de résister. Elle a coupé les ponts. Est-ce irréversible ?)
Restauration argentique, montage à partir de la comparaison de plusieurs versions, et notamment une version anglaise. O. est surpris et un poil narquois devant la ferveur des présentateurs et des spectateurs, qu'il comprendra d'autant moins après vision : quoi, ce film un peu crachotant, cette histoire simplissime, c'est cela qui les enthousiasme ?
— Mais tu te rends compte, juste après le muet… tu as vu la diversité des plans, l'endroit où il a fallu réussir à mettre la caméra ? le cadrage de la caissière et le jeu des vitres, la façon dont tout est expliqué dès le cortège de la noce, la jeune fille qui quitte son village, qui n'a jamais rien vu,…
Devant l'admiration de tous, il veut bien convenir qu'il doit y avoir quelque chose, même s'il ne saisit pas exactement quoi (mais moi non plus, moi non plus : comment saisir les difficultés d'un montage, de la durée exacte d'une scène pour que tout soit montré et rien de trop ? A quel moment devient-on poétique au-delà de réaliste, à partir de quand la réalité bascule-t-elle dans la poésie ? A moins que la réalité soit toujours poésie et que l'art consiste justement à saisir celle-ci, la rendre visible.)

Nicolas Seydoux, de Gaumont, nous a promis une dernière restauration, celle qui saura nous rendre un son audible : en effet, il est aujourd'hui par moment si criard qu'il en devient inaudible.

Une illumination

Je suis passée voir mes parents avant de partir un mois en vacances. J'y suis passée seule, les enfants étant éparpillés et H. ayant des obligations.

Discussion de fin de repas, mon père a gagné des billets pour un tour en montgolfière ; il me dit qu'il avait voulu offrir à ma mère un tour en Mirage mais qu'elle avait refusé («de toute façon la voisine (médecin) a dit qu'elle ne me ferait pas de certificat médical ! »)
— Ah mais moi ça m'intéresse, m'exclamé-je.
— Ah bon ? fait-il étonné.

Je raconte ma visite au stand de l'armée de l'air en juillet 84 après mon bac, leur proposition de me faire conduire des avions-cargo : « Des avions-cargos ? Pas question, je voulais être pilote de chasse. Aujourd'hui je regrette, je me dit qu'une fois dans la place, de fil en aiguille… Ça a tout de même beaucoup changé en trente ans.
— C'est vrai, intervient ma mère. Le chef de la patrouille de France est une femme1. »

Et soudain je me dis qu'il n'est pas trop tard : je peux encore apprendre à piloter.


Note
1 : rectificatif un tour sur Google plus tard : a été une femme, en 2009.
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