La fin
Par Alice, jeudi 3 février 2022 à 21:40 :: 2022
Nous signons la vente de la maison mercredi prochain. Objectif de la journée: la vider totalement, car dans la grande tradition de la famille, nous nous sommes arrêtés à cinq pour cent de la fin. Nous avons tout déménagé, tout vidé, sauf un placard, deux meubles, la cabane,…
Le camion (douze mètres cube) a été réservé trois jours avant à Intermarché à cinq cent mètres de chez nous. Le récupérer nous prend une demi-heure car les logiciels informatiques ont été changés le week-end précédent et ça beugue: impossible de faire passer la carte bancaire pour le dépôt de garantie, impossible d'imprimer le contrat, la responsable souhaite annuler la réservation, H. supplie, nous n'avons que cette journée, la maison est vendue, nous avons posé une journée de congé… La directrice du magasin est appelée, H. obtient gain de cause.
Nous avons trois quarts d'heure de retard sur notre programme.
La maison. Je suis catastrophée par l'état des rosiers. Depuis combien de temps ne suis-je pas venue ici? Sans doute il y a un an, en février, je me rappelle de crêpes. Je ne suis pas venue en juin pour couper les roses fanées, je pensais que le jardinier passait. Il est peut-être passé, je ne me souviens plus des dates, mais quoi qu'il en soit, il s'est occupé d'autres choses que des roses.
(Et tout le temps de notre présence je volerai des minutes pour aller couper des gourmands et des cynorrhodons. Il faudra que je vienne plus tôt le jour de la vente pour les nettoyer vraiment. Ah quoi bon me dit H., ils vont les couper (le futur propriétaire a l'intention de remplacer le grillage par un mur, des plaques d'acier). Mais je me sens responsable de tout ce qui est vivant, surtout que c'est moi qui ai planté ces rosiers.)
Nous vidons la cabane. Beaucoup de fils électriques, de clous, de bidons, de pots de peinture. Un animal inconnu a fait un tas de coques vides dans un coin de la cabane. Les toiles d'araignées pendent sombres, remplies d'une sorte de sciure. J'espère que les propriétaires ne sont pas de purs citadins, sinon cela risque de les effrayer, voire paniquer. Je vire les toiles, sauvent quelques araignées (en les déposant sous les étagères. Je ne les mets plus dehors depuis que j'ai appris que cela les tuait: elles ont pris l'habitude d'être à l'intérieur).
Nous laissons la table de jardin qui nous vient de nos amis bostoniens, les étagères, des chaises, le tuyau d'arrosage, une pelle, un outil pour tailler le rosier grimpant.
Je remets des graines de tournesol dans l'abri des oiseaux, je fais le tour du jardin, le cœur serré: l'if coupé dont je ne fais pas le deuil, le sapin de noël qui faisait un mètre vingt à notre arrivée, qui en fait douze, est en train de mourir, le rosier blanc disparu, le rosier jaune qui a tant perdu de sa superbe (mais quel âge a-t-il? trente ans?), le forsythia massacré… Le laurier et le romarin vont très bien.
J'aurai le regret de ne pas avoir su m'occuper de ce jardin. C'était hors de mes forces, beaucoup trop de travail. J'ai une colère rentrée, que H. ni les enfants ne m'aient jamais proposé de l'aide. Il fallait que je demande (les garçons si efficaces pour planter les rosiers… mais avant leurs quinze et vingt ans, qu'est ce que j'ai galéré. Et les feuilles à ramasser… et l'engueulade quand j'ai pris un jardinier… et les voyages à la déchetterie sans un coup de main pour mettre les pots dans la voiture ou le chêne abattu. Mais cette année-là j'étais allée seule en Grèce et H. m'en voulait… c'est fou tout ce que j'ai sur le cœur dont je n'arrive pas à me débarrasser. Fasse que l'écrire me permette d'oublier.)
Nous chargeons les meubles qui restent, une table, six chaises, qui viennent de ma grand-mère et un buffet très lourd. Au milieu du salon vide je suis désemparée. Une envie de pleurer monte. Frustration et surmenage. C'est ce qu'il me reste de ces vingt ans. Tant d'efforts pour rien, et en même temps, pas assez d'efforts (faut-il supposer, puisque pour rien: s'il y en avait eus assez, cela aurait sans doute abouti à quelque chose, non?) J'aime nos fenêtres et le puits de lumière qui donne sur le rosier. Vont-ils s'occuper du rosier?
Nous déposons les meubles à la maison, puis déchetterie d'Ecuelles. Nous vidons le camion. Un couple est en train de jeter ce qui ressemble à une maison de famille, vélos et poussette d'enfants inclus. La grand-mère serait-elle morte? Des ballots entiers, des sacs poubelles, y passent. Il faut avoir le cœur bien accroché.
H. va rendre le camion. Nous aurons été la dernière location de la semaine, trop de problèmes informatiques, toutes les suivantes ont été annulées.
Le soir nous mangeons des nouilles asiatiques instantanées et je repasse un maillot pour le ping-pong du lendemain.
Le camion (douze mètres cube) a été réservé trois jours avant à Intermarché à cinq cent mètres de chez nous. Le récupérer nous prend une demi-heure car les logiciels informatiques ont été changés le week-end précédent et ça beugue: impossible de faire passer la carte bancaire pour le dépôt de garantie, impossible d'imprimer le contrat, la responsable souhaite annuler la réservation, H. supplie, nous n'avons que cette journée, la maison est vendue, nous avons posé une journée de congé… La directrice du magasin est appelée, H. obtient gain de cause.
Nous avons trois quarts d'heure de retard sur notre programme.
La maison. Je suis catastrophée par l'état des rosiers. Depuis combien de temps ne suis-je pas venue ici? Sans doute il y a un an, en février, je me rappelle de crêpes. Je ne suis pas venue en juin pour couper les roses fanées, je pensais que le jardinier passait. Il est peut-être passé, je ne me souviens plus des dates, mais quoi qu'il en soit, il s'est occupé d'autres choses que des roses.
(Et tout le temps de notre présence je volerai des minutes pour aller couper des gourmands et des cynorrhodons. Il faudra que je vienne plus tôt le jour de la vente pour les nettoyer vraiment. Ah quoi bon me dit H., ils vont les couper (le futur propriétaire a l'intention de remplacer le grillage par un mur, des plaques d'acier). Mais je me sens responsable de tout ce qui est vivant, surtout que c'est moi qui ai planté ces rosiers.)
Nous vidons la cabane. Beaucoup de fils électriques, de clous, de bidons, de pots de peinture. Un animal inconnu a fait un tas de coques vides dans un coin de la cabane. Les toiles d'araignées pendent sombres, remplies d'une sorte de sciure. J'espère que les propriétaires ne sont pas de purs citadins, sinon cela risque de les effrayer, voire paniquer. Je vire les toiles, sauvent quelques araignées (en les déposant sous les étagères. Je ne les mets plus dehors depuis que j'ai appris que cela les tuait: elles ont pris l'habitude d'être à l'intérieur).
Nous laissons la table de jardin qui nous vient de nos amis bostoniens, les étagères, des chaises, le tuyau d'arrosage, une pelle, un outil pour tailler le rosier grimpant.
Je remets des graines de tournesol dans l'abri des oiseaux, je fais le tour du jardin, le cœur serré: l'if coupé dont je ne fais pas le deuil, le sapin de noël qui faisait un mètre vingt à notre arrivée, qui en fait douze, est en train de mourir, le rosier blanc disparu, le rosier jaune qui a tant perdu de sa superbe (mais quel âge a-t-il? trente ans?), le forsythia massacré… Le laurier et le romarin vont très bien.
J'aurai le regret de ne pas avoir su m'occuper de ce jardin. C'était hors de mes forces, beaucoup trop de travail. J'ai une colère rentrée, que H. ni les enfants ne m'aient jamais proposé de l'aide. Il fallait que je demande (les garçons si efficaces pour planter les rosiers… mais avant leurs quinze et vingt ans, qu'est ce que j'ai galéré. Et les feuilles à ramasser… et l'engueulade quand j'ai pris un jardinier… et les voyages à la déchetterie sans un coup de main pour mettre les pots dans la voiture ou le chêne abattu. Mais cette année-là j'étais allée seule en Grèce et H. m'en voulait… c'est fou tout ce que j'ai sur le cœur dont je n'arrive pas à me débarrasser. Fasse que l'écrire me permette d'oublier.)
Nous chargeons les meubles qui restent, une table, six chaises, qui viennent de ma grand-mère et un buffet très lourd. Au milieu du salon vide je suis désemparée. Une envie de pleurer monte. Frustration et surmenage. C'est ce qu'il me reste de ces vingt ans. Tant d'efforts pour rien, et en même temps, pas assez d'efforts (faut-il supposer, puisque pour rien: s'il y en avait eus assez, cela aurait sans doute abouti à quelque chose, non?) J'aime nos fenêtres et le puits de lumière qui donne sur le rosier. Vont-ils s'occuper du rosier?
Nous déposons les meubles à la maison, puis déchetterie d'Ecuelles. Nous vidons le camion. Un couple est en train de jeter ce qui ressemble à une maison de famille, vélos et poussette d'enfants inclus. La grand-mère serait-elle morte? Des ballots entiers, des sacs poubelles, y passent. Il faut avoir le cœur bien accroché.
H. va rendre le camion. Nous aurons été la dernière location de la semaine, trop de problèmes informatiques, toutes les suivantes ont été annulées.
Le soir nous mangeons des nouilles asiatiques instantanées et je repasse un maillot pour le ping-pong du lendemain.