La phrase qui tue
Par Alice, lundi 18 avril 2022 à 22:06 :: 2022
Aujourd'hui porte à porte à Montereau. Il s'agit d'aller convaincre les électeurs qui ont voté Mélenchon au premier tour par désir d'avoir un candidat de gauche au second tour de se déplacer pour aller faire barrage au Front National (bon, le Rassemblement national: ça me paraîtra toujours un faux nom).
Il y a eu débat, ville basse ou ville haute? Ville basse l'a emporté, certains ont argumenté avec logique que d'une part à Surville beaucoup n'étaient pas français, et que les autres n'étaient pas inscrits (à la louche, sur vingt mille Monterelais seuls dix mille sont inscrits).
Cependant je ne peux m'empêcher d'être déçue et de ressentir cela comme une lâcheté: je sais que certains militants ont peur, redoutent le conflit, alors que moi j'aime bien ces populations mêlées, c'est en réalité mon élément naturel. D'autre part, ce sont eux qui ont le plus à perdre: il est important qu'on le leur explique.
Rendez-vous devant la gare, des Bellifontains viennent en renfort. Nous nous répartissons, commençons à sonner. Ça se passe normalement, avec les convaincus des deux bords, les indécis hostiles et les indécis bienveillants. Je suis avec Antoine et Jean-François, comment ne pas songer aux témoins de Jéhovah? Sentiment mêlé d'exposition au monde et de ridicule. Nous me découvrons un don, celui de me faire ouvrir la porte des halls d'entrée en appuyant au hasard sur une sonnette et en parlementant d'une ou deux phrases (cela renforce ma conviction que les gens ne sont pas si méfiants).
Immeuble bas HLM, premier étage, deux portes par palier. Je sonne à gauche, un jeune homme de ma taille m'ouvre:
— Bonjour, je m'appelle Alice, nous venons pour les élections présidentielles.
— Merci, mais la politique ne m'intéresse pas.
J'insiste, parce que c'est ma conviction devant le danger lepéniste:
— Mais la politique risque de s'intéresser à vous.
Ses yeux tournent légèrement vers le haut, ses genoux plient, il s'effondre lentement, il disparaît de la porte entrebâillée et sa tête fait un poc sonore sur le carrelage.
Est-ce un étudiant comédien? Ma phrase était pompeuse, est-il en train de se ficher de moi?
J'en suis persuadée, j'ai envie de rire. Cinq secondes passent, rien ne bouge.
Je pousse la porte. Il est étendu, immobile. Sa copine arrive du fond du couloir, accourt:
— Qu'est-ce qui se passe?
— Nous étions en train de parler des élections, il s'est effondré. Vous voulez qu'on appelle les pompiers?
— Non, non, ça va aller.
Le garçon se relève, se traîne jusqu'au canapé. Il s'allonge. La copine nous pousse, referme la porte. Nous nous retrouvons sur le palier, désemparés: que vient-il de se passer?
Il y a eu débat, ville basse ou ville haute? Ville basse l'a emporté, certains ont argumenté avec logique que d'une part à Surville beaucoup n'étaient pas français, et que les autres n'étaient pas inscrits (à la louche, sur vingt mille Monterelais seuls dix mille sont inscrits).
Cependant je ne peux m'empêcher d'être déçue et de ressentir cela comme une lâcheté: je sais que certains militants ont peur, redoutent le conflit, alors que moi j'aime bien ces populations mêlées, c'est en réalité mon élément naturel. D'autre part, ce sont eux qui ont le plus à perdre: il est important qu'on le leur explique.
Rendez-vous devant la gare, des Bellifontains viennent en renfort. Nous nous répartissons, commençons à sonner. Ça se passe normalement, avec les convaincus des deux bords, les indécis hostiles et les indécis bienveillants. Je suis avec Antoine et Jean-François, comment ne pas songer aux témoins de Jéhovah? Sentiment mêlé d'exposition au monde et de ridicule. Nous me découvrons un don, celui de me faire ouvrir la porte des halls d'entrée en appuyant au hasard sur une sonnette et en parlementant d'une ou deux phrases (cela renforce ma conviction que les gens ne sont pas si méfiants).
Immeuble bas HLM, premier étage, deux portes par palier. Je sonne à gauche, un jeune homme de ma taille m'ouvre:
— Bonjour, je m'appelle Alice, nous venons pour les élections présidentielles.
— Merci, mais la politique ne m'intéresse pas.
J'insiste, parce que c'est ma conviction devant le danger lepéniste:
— Mais la politique risque de s'intéresser à vous.
Ses yeux tournent légèrement vers le haut, ses genoux plient, il s'effondre lentement, il disparaît de la porte entrebâillée et sa tête fait un poc sonore sur le carrelage.
Est-ce un étudiant comédien? Ma phrase était pompeuse, est-il en train de se ficher de moi?
J'en suis persuadée, j'ai envie de rire. Cinq secondes passent, rien ne bouge.
Je pousse la porte. Il est étendu, immobile. Sa copine arrive du fond du couloir, accourt:
— Qu'est-ce qui se passe?
— Nous étions en train de parler des élections, il s'est effondré. Vous voulez qu'on appelle les pompiers?
— Non, non, ça va aller.
Le garçon se relève, se traîne jusqu'au canapé. Il s'allonge. La copine nous pousse, referme la porte. Nous nous retrouvons sur le palier, désemparés: que vient-il de se passer?