Tractage au marché de Montereau «Ville Basse». A priori pas un terrain favorable. Quand nous arrivons, l'équipe Le Pen qui tractait est sur le point de monter dans un énorme bus «Marine» qui va les emmener à quelques centaines de mètres à la foire. Je songe aux bus de Boris Johnson.
Place au blé. Je repère une mercerie, il faudra que je revienne.
Un marchand de vêtements d'une soixantaine d'années, bientôt à la retraite: «Marine, elle est amoureuse de Macron. Regardez, elle ne peut pas s'empêcher de parler de lui. Toutes les trois minutes, elle dit son nom. Moi je vous dis, ce n'est pas innocent, elle est amoureuse.»
Je ris d'incrédulité, de joie devant la fantaisie de la proposition: sacrés Français, toujours surprenants. Mais aussitôt, comme devant toute assertion que je commence à étudier: «et si c'était vrai?»
Un homme au visage buriné, veste militaire, moustache à la Cavanna. Un stick marqué «Eucalyptus» dépasse largement de sa poche de poitrine:
— Qu'est-ce que c'est?
— De l'encens. (
Bon évidemment, il n'allait pas me répondre «Du shit». Mais c'est peut-être vraiment de l'encens.)
Je lui tends un tract. Il ressemble à un post-soixante-huitard mais l'expérience m'a appris qu'en politique, encore plus qu'ailleurs, il ne faut pas se fier aux apparences. Il le prend:
— Oui je vais voter Macron. Moi je m'en fiche, ma vie est derrière moi, s'il y a des bombes je me mettrai dans ma cave et j'attendrai. Mais pour les autres…
Une quarantenaire BCBG traverse l'espace en marchant vite. Je la rattrappe et lui tend un tract:
— Oh moi je vais voter pour faire barrage.
— C'est bien.
— Barrage à Macron, bien sûr!
Je ris, je me suis fait avoir: — J'espère que vous parlez russe!
N'empêche, comment administre-t-on une ville à 47% pour Mélenchon, 21% pour Le Pen et 16% pour Macron? Sans doute qu'avec la moitié de la population non inscrite et un tiers à la moitié d'abstention, c'est la population qui ne s'exprime pas qui maintient la possibilité de vivre ensemble.
Nous nous faisons apostropher par un jeune gars au profil Gilet Jaune: «Macron est un suppôt de Satan!» Il marmonne, on entend «… satanique…»
Il a l'air très remonté.
De loin, j'entends une algarade devant la boulangerie, un type a traité Macron de juif pédé, un homme lui a interdit de parler ainsi devant son fils.
Dans l'ensemble c'est bon enfant, souriant ou indifférent. Au moment de ranger notre matériel dans la voiture, un homme et sa petite fille passent sur le trottoir. Il accepte un tract avec empressement, ce qui fait que je lui demande: «vous voulez une affiche?»
Il repart avec une affiche «la jeunesse avec Macron».
Je photographie le mur d'un café.
Quelques jours plus tard j'interroge Toufik en prenant mon café. Je lui montre la photo.
— Ah mais c'est chez le Chinois! Il a racheté le café et il a gardé la publicité. Mais c'est vieux ça, c'est très vieux, ça a au moins dix ans.
(
Dix ans, très vieux ? (précision: Toufik a deux ans de moins que moi)).
Je ne comprends pas le slogan: veut-il dire que le brie de Montereau est si bon que Napoléon serait resté sur place sans aller à Fontainebleau, ou qu'il est si bon que Napoléon se serait battu jusqu'au bout sans jamais se rendre?
Les deux, me répond Toufik. «C'est Jégo, quand il était maire de Montereau. Il a voulu relancer le brie de Montereau, mais finalement, ça n'a pas marché. Ça a fait pschitt.»