Un fil de laine
Par Alice, mardi 9 août 2022 à 21:31 :: 2022
Quand je m'étais inscrite, Juliette m'avait prévenue: «il faut prévoir la journée entière parce qu'on a besoin d'être là pour manipuler les planeurs. C'est un sport collectif. On arrive à dix heures, il y a le briefing. Il faut amener un casse-croûte, on pique-nique ensemble puis on vole.»
Arrivée à dix heures, donc. Il y a du vent, la prairie est desséchée, je suis la première, j'attends. (Un anneau de manche à air égale cinq nœuds, 1,852 km; il faut compter avant la cassure (astuce: pour multiplier par cinq, multiplier par 10 puis diviser par deux)).
Des jeunes arrivent peu à peu, deux ou trois, entre seize et vingt ans peut-être. Le moins que l'on puisse dire est que je fais tache, une femme, âgée, débutante, qui pourrait être leur mère.
Ils disent bonjour et se taisent. Même entre eux ils se taisent. Difficile de savoir s'ils se connaissent.
Hangar.
Sortir les planeurs avec précaution, quinze à dix-huit mètres d'envergure, les piliers sont entourés de coussins. Le planeur a une roue avant. On lui en ajoute une au ras de la queue grâce à une roulette nommée B.O.1.
On équipe chaque planeur d'un parachute et d'une batterie (pour la radio). Les verrières se manient avec grande précaution, une seule méthode est possible. Parce que je suis nouvelle et parce qu'il n'y a rien à faire en attendant le briefing, Etienne me montre la visite de pré-vol, qui consiste à vérifier tous les profils du planeur (pas de bosse, de trous, de fissures), les instruments de mesure (que du physique marchant par pression, pas d'électronique), les commandes, l'absence de boulons qui se baladeraient dans les aérofreins.
Plus tard je me rendrai compte que cette visite ce fait plutôt en bout de piste, avant le décollage.
Vérification des golfettes. Carburant, huile. Remorquage de quelques planeurs en bout de piste.
Briefing. Différentes cartes, vents, températures. Je n'y comprends pas grand chose, à part qu'il y a du vent. Certains présents veulent partir en «campagne» vers Pont-sur-Yonne. J'apprendrai que cela s'oppose au «local», rester à proximité de son terrain de décollage / d'apprentissage. Partir en campagne, c'est prendre le risque d'un atterrissage «aux vaches», c'est-à -dire forcé, sur un terrain imprévu, parce qu'on n'a pas trouvé suffisamment de courants ascendants pour se maintenir dans les airs. Evidemment, il y a deux types d'atterrissages imprévus, celui sur un terrain d'aviation, à Pont par exemple, avec l'espoir de pouvoir être de nouveau remorqué et largué, ou dans un champ, auquel cas quelqu'un doit venir vous chercher avec une remorque pour ramener le planeur.
Déjeuner sur des tables sous les pins. Chaleur idéale. Peu causants. Loin de mes souvenirs de sandwichs jambon-beurre / chips / tomate. On est plutôt sur la boîte de salade composée, ce qui me paraît admirable pourde si jeunes gens. L'arrière des bâtiments est aménagé en terrain de camping, avec douche et vaste cuisine. L'instructeur-pilote dort en caravane. Il est embauché pour l'été.
Vers une heure et demie les premiers planeurs sont largués. Premier élève. Je passe en second.
Enfilage du parachute («Pour larguer la verrière, c'est ici. Après on se détache, et comme il n'y a rien pour s'éjecter, il faut se mettre accroupi sur le siège puis pousser fort comme au fond de la piscine.» (J'imagine la manœuvre dans un planeur en torche, aile cassée.) «Ça vous est déjà arrivé? —Moi non. En vingt-cinq ans, je connais deux personnes à qui s'est arrivé. Statistiquement, ça arrive surtout à des Allemands de 65 ans dans les Basses-Alpes.»2), présentation des différents instruments, mise en place d'un dossier parce que je suis petite, réglage des palonniers pour mes jambes courtes.
— Tu pèses combien?
— Soixante.
— Plus sept de parachute, et moi à l'arrière trente. Ça ira. Quand tu monteras seule il faudra prévoir des gueuzes. (Je suis surprise, je pensais qu'il fallait être le plus léger possible. D'un autre côté, en voyant les champions du monde, je m'étais dit que c'était faux.)
Je n'aime pas beaucoup la partie derrière l'avion remorqueur. Le vent nous secoue. Bruit fort, l'amarre est larguée, je ne l'ai pas vu, je regardais ailleurs. L'instructeur recherche des courants ascensionnels, on monte dans les pompes en virage continu, le planeur penché sur l'aile. Je n'aime pas être penchée, j'ai un peu le mal de mer (la prochaine fois penser à manger plus tôt), l'odeur de ma crème solaire me rend malade (la prochaine fois ne pas mettre de crème solaire), mes oreilles se bouchent et se débouchent plusieurs fois. Mais dans l'ensemble ça va. C'est beaucoup moins flippant que le parachutisme. Etre devant dégage tout l'horizon, c'est grisant, surtout que la verrière permet de voir également au-dessus de soi.
Cours sur les commandes, le manche à balai est intuitif, les palonniers sont durs et je n'ose pas appuyer dessus. Le vol se fait entièrement sur des repères visuels, il n'y a pas d'électronique (ou uniquement pour le dispositif anti-collision). Première leçon, voler droit, ne pas intervenir n'est pas une option car le planeur dérive aussitôt, l'air est invisiblement parcouru de courants, c'est mystérieux, «on a calculé qu'un pilote doit intervenir toutes les trois secondes».
Je prends les commandes, pas assez de palonnier, j'oscille (roulis), je ne suis pas satisfaite, mais tant pis. On rentre.
Atterrissage sans encombre, un peu inquiète mais tout se passe bien, dieu que nous roulons vite en arrivant à terre (la verrière est au ras du sol, imaginez un pare-brise qui permette de voir le sol défiler).
Sortir de l'avion (j'ai mis la main n'importe où sur la verrière, horreur et damnation), dégager la piste, enlever le parachute, arrimer le planeur à la golfette, tenir l'aile (une seule), le ramener en début de piste.
Pour ceux que ça intéresse, vidéos accueil et la ligne droite.
Ce qui m'a le plus amusée et enchantée, c'est le fil de laine: un fil collé sur la verrière qui donne l'orientation du vent relatif quand le planeur est en vol. Un fil à plomb inversé, en somme. Quelle simplicité, quelle évidence.
Fil de laine au sol (dans les air, il est plaqué contre la verrière et indique l'inclinaison du planeur).
Je suis épuisée. je m'endors sur la prairie en attendant le retour des derniers planeurs. Remorquer, nettoyer, rentrer dans le hangar.
Retour à la maison.
Notes
1: Je n'ai pas demandé ce que cela signifiait. Après quelques recherches, pas sûre qu'ils auraient su répondre: «Bourget-Opéra», selon la ligne de tramway Bourget-Opéra.
Il existe une anecdote plus précise:
Arrivée à dix heures, donc. Il y a du vent, la prairie est desséchée, je suis la première, j'attends. (Un anneau de manche à air égale cinq nœuds, 1,852 km; il faut compter avant la cassure (astuce: pour multiplier par cinq, multiplier par 10 puis diviser par deux)).
Des jeunes arrivent peu à peu, deux ou trois, entre seize et vingt ans peut-être. Le moins que l'on puisse dire est que je fais tache, une femme, âgée, débutante, qui pourrait être leur mère.
Ils disent bonjour et se taisent. Même entre eux ils se taisent. Difficile de savoir s'ils se connaissent.
Hangar.
Sortir les planeurs avec précaution, quinze à dix-huit mètres d'envergure, les piliers sont entourés de coussins. Le planeur a une roue avant. On lui en ajoute une au ras de la queue grâce à une roulette nommée B.O.1.
On équipe chaque planeur d'un parachute et d'une batterie (pour la radio). Les verrières se manient avec grande précaution, une seule méthode est possible. Parce que je suis nouvelle et parce qu'il n'y a rien à faire en attendant le briefing, Etienne me montre la visite de pré-vol, qui consiste à vérifier tous les profils du planeur (pas de bosse, de trous, de fissures), les instruments de mesure (que du physique marchant par pression, pas d'électronique), les commandes, l'absence de boulons qui se baladeraient dans les aérofreins.
Plus tard je me rendrai compte que cette visite ce fait plutôt en bout de piste, avant le décollage.
Vérification des golfettes. Carburant, huile. Remorquage de quelques planeurs en bout de piste.
Briefing. Différentes cartes, vents, températures. Je n'y comprends pas grand chose, à part qu'il y a du vent. Certains présents veulent partir en «campagne» vers Pont-sur-Yonne. J'apprendrai que cela s'oppose au «local», rester à proximité de son terrain de décollage / d'apprentissage. Partir en campagne, c'est prendre le risque d'un atterrissage «aux vaches», c'est-à -dire forcé, sur un terrain imprévu, parce qu'on n'a pas trouvé suffisamment de courants ascendants pour se maintenir dans les airs. Evidemment, il y a deux types d'atterrissages imprévus, celui sur un terrain d'aviation, à Pont par exemple, avec l'espoir de pouvoir être de nouveau remorqué et largué, ou dans un champ, auquel cas quelqu'un doit venir vous chercher avec une remorque pour ramener le planeur.
Déjeuner sur des tables sous les pins. Chaleur idéale. Peu causants. Loin de mes souvenirs de sandwichs jambon-beurre / chips / tomate. On est plutôt sur la boîte de salade composée, ce qui me paraît admirable pourde si jeunes gens. L'arrière des bâtiments est aménagé en terrain de camping, avec douche et vaste cuisine. L'instructeur-pilote dort en caravane. Il est embauché pour l'été.
Vers une heure et demie les premiers planeurs sont largués. Premier élève. Je passe en second.
Enfilage du parachute («Pour larguer la verrière, c'est ici. Après on se détache, et comme il n'y a rien pour s'éjecter, il faut se mettre accroupi sur le siège puis pousser fort comme au fond de la piscine.» (J'imagine la manœuvre dans un planeur en torche, aile cassée.) «Ça vous est déjà arrivé? —Moi non. En vingt-cinq ans, je connais deux personnes à qui s'est arrivé. Statistiquement, ça arrive surtout à des Allemands de 65 ans dans les Basses-Alpes.»2), présentation des différents instruments, mise en place d'un dossier parce que je suis petite, réglage des palonniers pour mes jambes courtes.
— Tu pèses combien?
— Soixante.
— Plus sept de parachute, et moi à l'arrière trente. Ça ira. Quand tu monteras seule il faudra prévoir des gueuzes. (Je suis surprise, je pensais qu'il fallait être le plus léger possible. D'un autre côté, en voyant les champions du monde, je m'étais dit que c'était faux.)
Je n'aime pas beaucoup la partie derrière l'avion remorqueur. Le vent nous secoue. Bruit fort, l'amarre est larguée, je ne l'ai pas vu, je regardais ailleurs. L'instructeur recherche des courants ascensionnels, on monte dans les pompes en virage continu, le planeur penché sur l'aile. Je n'aime pas être penchée, j'ai un peu le mal de mer (la prochaine fois penser à manger plus tôt), l'odeur de ma crème solaire me rend malade (la prochaine fois ne pas mettre de crème solaire), mes oreilles se bouchent et se débouchent plusieurs fois. Mais dans l'ensemble ça va. C'est beaucoup moins flippant que le parachutisme. Etre devant dégage tout l'horizon, c'est grisant, surtout que la verrière permet de voir également au-dessus de soi.
Cours sur les commandes, le manche à balai est intuitif, les palonniers sont durs et je n'ose pas appuyer dessus. Le vol se fait entièrement sur des repères visuels, il n'y a pas d'électronique (ou uniquement pour le dispositif anti-collision). Première leçon, voler droit, ne pas intervenir n'est pas une option car le planeur dérive aussitôt, l'air est invisiblement parcouru de courants, c'est mystérieux, «on a calculé qu'un pilote doit intervenir toutes les trois secondes».
Je prends les commandes, pas assez de palonnier, j'oscille (roulis), je ne suis pas satisfaite, mais tant pis. On rentre.
Atterrissage sans encombre, un peu inquiète mais tout se passe bien, dieu que nous roulons vite en arrivant à terre (la verrière est au ras du sol, imaginez un pare-brise qui permette de voir le sol défiler).
Sortir de l'avion (j'ai mis la main n'importe où sur la verrière, horreur et damnation), dégager la piste, enlever le parachute, arrimer le planeur à la golfette, tenir l'aile (une seule), le ramener en début de piste.
Pour ceux que ça intéresse, vidéos accueil et la ligne droite.
Ce qui m'a le plus amusée et enchantée, c'est le fil de laine: un fil collé sur la verrière qui donne l'orientation du vent relatif quand le planeur est en vol. Un fil à plomb inversé, en somme. Quelle simplicité, quelle évidence.
Fil de laine au sol (dans les air, il est plaqué contre la verrière et indique l'inclinaison du planeur).
Je suis épuisée. je m'endors sur la prairie en attendant le retour des derniers planeurs. Remorquer, nettoyer, rentrer dans le hangar.
Retour à la maison.
Notes
1: Je n'ai pas demandé ce que cela signifiait. Après quelques recherches, pas sûre qu'ils auraient su répondre: «Bourget-Opéra», selon la ligne de tramway Bourget-Opéra.
Il existe une anecdote plus précise:
Un chef d'équipe du Bourget demandait à ses mécanos de rentrer un avion alors que la soirée s'avançait. L'un des mécaniciens s'exclama «Mais chef, je file, j'ai le BO qui va partir». Sur quoi le patron Didier Daurat, qui passait dans le hangar, l'aurait attrapé par la manche en lui désignant le chariot: «En fait de BO, prends donc celui-là !».2: Je suis perplexe: quelle est l'information importante dans ce profil, la nationalité, l'âge ou la géographie?