Billets qui ont '2024-05-24' comme date.

Une longue journée

Au petit déjeuner je me suicide au sucre et au gras: chocolat chaud et viennoiseries. Avec un peu de chance digérer occupera une partie de ma matinée. Robe et talons dès le matin car je n'ai pas envie de me changer plus tard.

Passage chez ma belle-mère, passage à l'église (rendez-vous à 10 heures) pour vérifier la diffusion de la play-list. L'église est belle, entourée d'un cimetière en surplomb de la rue. Il n'est plus utilisé (sauf par les familles qui y ont une concession) car les engins modernes ne peuvent y entrer.

préau de l'église de Sarry


Retour chez ma belle-mère. F, le frère de H., et sa famille viennent d'arriver. On ne les a pas vus depuis 2016, le petit dernier fait désormais un mètre quatre-vingt. Le petit-ami de la nièce d'H. est curieux et je lui présente la liste des cousins, du côté de mon beau-père et de ma belle-mère — même si peu devraient faire le déplacement.

Arrivée progressive de nos enfants, déjeuner d'un sandwich.

Nous partons vers 14 heures pour le funérarium. H. doit y accueillir ceux qui souhaitent se recueillir devant le corps; son frère y amènera leur mère dans une demi-heure. Elle doit être présente lors de la fermeture du cercueil (c'est légal: il faut deux proches à la fermeture du cercueil ou un proche et un policier).
Quelques tantes (sœurs) et cousines (nièces) nous attendent déjà. Cela fait chaud au cœur de voir ces visages amis unis dans un même chagrin. Nous échangeons des nouvelles, nous expliquons ce que nous savons du déroulement de la maladie — et ce que nous ne comprenons pas de la brutalité de son issue.

Fermeture du cercueil. C'est long.
Transport jusqu'à l'église. Accueil des présents, je revois des personnes que je n'ai pas vues depuis dix ou douze ans. Mes parents sont là également.
Eglise. Bénédiction. La chorale chante gentiment faux. Je ferme les yeux. Je ne m'habituerai jamais à ce qu'un cercueil soit si petit, étroit.

Cimetière. Le fauteuil roulant de ma belle-mère s'enfonce dans les graviers. Les agents funéraires ont dressé deux tonnelles. Tant mieux car il se met à pleuvoir. Il fait bleu tout autour et il pleut au-dessus du cimetière. Les agents restent stoïques sous la pluie. H., sa nièce, une cousine, lisent des textes qui parlent de voitures, de belotes, de blagues de carabin et de gentillesse. Cette pluie très localisée apparaît d'ailleurs comme une dernière plaisanterie.

Pétales de rose à jeter sur le cercueil. Je suis très étonnée par la profondeur de la tombe, deux hauteurs d'homme, le cercueil paraît très loin. Ainsi, c'est ainsi que cela se termine, enfermé dans une boîte loin sous terre? Je le sais, je le sais, je le savais, mais cela n'a pas de sens, mes yeux regardent, mon cerveau sait, et je ne comprends pas vraiment; aussi peu finalement qu'au moment d'accoucher il s'agit de comprendre que ce qui est expulsé est vivant et non pas un gigot, six livres de chair inanimée. Comment cela se fait-il?

Salle de réception. Litres de café. H. ne mentait pas quand il disait que sa famille buvait du café. Cafetière, thermos, cafetière, thermos… Je ne sais plus lequel des jeunes est surpris me voir manipuler avec autant de naturel la cafetière à douze tasses («vous avez lu le manuel ou vous avez fait ça comme ça?»): cela paraît avoir totalement disparu des pratiques. Je repère les personnes que je ne connais pas, je vais les voir, je m'enquiers de leur lien avec mon beau-père, je leur explique qui est qui, je parle un peu et je refais du café.

Dans le même temps je mange des cacahuètes, du saucisson sec et je bois une Affligem. Y. a amené un cake au citron et des crêpes. Le vin rouge n'a pas de succès, personne ne demande du thé.
Je discute un peu avec mes parents:
— Pour nous il y aura beaucoup moins de monde.
— Ça dépend, il suffit d'inviter ceux qui étaient présents aux cinquante ans (de leur mariage).
Mais il est vrai que notre famille est petite (un seul frère avec des enfants) et que l'inconvénient des amis, c'est qu'ils ont le même âge que vous.

Soulagement: les sept frères et sœurs sont venus (ce n'était pas certain) — et son beau-frère et sa belle-sœur — et les neveux et nièces qui le pouvaient. Ils ont covoituré, monté des trajets intelligents en fonction de leur âge et de leur santé.
A leur départ, je répartis ce qui reste: qui veut un saucisson? et une baguette? qui prend les bières?

A. raccompagne son frère et Ca à la gare puis elle revient manger avec nous chez belle-maman (sa grand-mère). J'ai mal aux pieds et je n'ai pas faim.

Dernière péripétie: O et Y, qui sont partis il y a une demi-heure, appellent: ils sont en panne, leur pot d'échappement vient de tomber.
F. et sa famille sont partis à l'hôtel; je laisse H. avec sa mère et pars avec A. au secours d'O et Y. «Facile, c'est en haut d'une côte en direction de Paris».

Nous roulons. C'est long. Le soleil se couche sur les collines. Toujours rien.

Nous finissons par les trouver, signalés par un triangle. Y. est totalement désolée de nous causer un tel souci en un tel moment. Nous ne parvenons pas à la convaincre que ce n'est que la poursuite d'une tradition familiale, celle qui amenait mon beau-père à secourir nos amis à cent kilomètres à la ronde quand nous avions vingt ans. Et elle s'inquiète pour la chatte de 19 ans si celle-ci doit attendre douze heures de plus.

En haut de la colline nous attendons le dépanneur. Des gens ralentissent pour proposer leur aide. Nous oscillons entre parler comme si de rien n'était ou tenter (en vain) de rassurer Y. L'air se refroidit, Y. accepte de rentrer dans la voiture un plaid sur les épaules.
Le dépanneur arrive, examine la voiture. Il est optimiste: avec un rafistolage de fortune, elle atteindra peut-être Paris. Il rattache le pot avec de la ficelle; O prend le volant. Nous le suivons dans la voiture de A. Nous babillons sur tous les sujets pour essayer de détourner l'attention de Y.
Garage de Vertus («les mots féminin en u prennent un e sauf bru, glu, tribu, vertu. J'adore le mot «bru», personne ne s'attend jamais à ce qu'on l'emploie»). Le garagiste remplace la ficelle par du fil de fer et O et Y repartent.

A. et moi rentrons dans la nuit. Nous discutons sérieusement d'affaires de famille.

Quand tard nous arrivons dans notre chambre, nous débouchons la demi-bouteille de champagne qui est dans le frigo.

To do list

Départ pour Sarry. H. est pris d'une frénésie organisationnelle. J'ai beau lui dire qu'il n'y a pas d'obligation de perfection, que c'est la mort de son père, que personne ne lui en voudra s'il y a des couacs, il persiste. Je suppose que c'est une façon de s'occuper l'esprit.

Je mets en ligne sa to do list établie hier.
  • Établir nombre de participants
  • Musique bénédiction avec maman violoncelle Bach + playlist
  • Test église samedi matin
  • Virement remboursement
  • Prévenir banques, Cpam et mutuelle
  • Courses after y compris vaisselle jetable et nappes en papier
  • Récupérer les clefs de la salle pour l'after vendredi matin et visiter + prévenir la famille
  • Comment faire du café en grande quantité ?
  • Bouilloire + thé
  • Quelques fruits frais. Bière et cidre.
  • Produits et matériel ménage
  • Réserver hôtel
  • Acheter un micro-ondes
  • Revoir le déroulé bénédiction avec Alice
  • Reset téléphone Papa
  • Reset ipad papa
  • Faire une Playlist Chopin de secours sur l'ipad
  • Qui allume les cierges : 1, 2 ou 4 personnes
  • Voir avec xxx pour rendre la clé de la salle after
  • Qui lit les 2 lectures ? Si nécessaire appeler X et Y à ce sujet
  • Brasserie samedi soir ?
  • Coiffeur maman (elle ne veut pas)
  • Habits maman
Après avoir salué ma belle-mère, nous commençons par aller chercher les clés de la salle prêtée pour la collation post-enterrement (coup de chance, la mairie est ouverte deux fois par semaine dont le vendredi matin).
Nous continuons par les courses, avec cette question cruciale: comment faire du café pour une cinquantaine de personnes? Comptant sur son bon sens scout j'en parle à O, en suggérant qu'il amène sa Nespresso, en plus de la nôtre et celle de F. Il rit: «il va falloir beaucoup de rallonges électriques».
Bref, nous avons acheté une cafetière électrique et une bouilloire (pour mon thé à moi car je ne peux pas survivre sans thé) — et un four à micro-ondes parce que s'il faut s'occuper de l'enterrement, il faut aussi organiser la vie quotidienne de sa mère qui va rester seule, qui marche très mal et ne peut pas conduire. (M. et Mme avaient toujours refusé un micro-ondes sous des prétextes divers qui s'apparentaient à un refus de la modernité).

Nous parcourons les rayons: nappes en papier, verres et assiettes en carton, petites cuillères en bois. Je découvre les arcs en ballons gonflables pour mariage, les sets de fête licorne. Balai, pelle, balayette et produits ménagers pour nettoyer la salle car le matériel n'est pas fourni; sucré et salé pour la collation post-enterrement, jus de fruits, cidre, bières; plats préparés compotes yaourts eau gazeuse pour la vie quotidienne — puisqu'il faut bien continuer à vivre.

Repas — à la poêle, nous monterons le micro-ondes plus tard.
Puis nous commençons à contacter les banques et les assurances. Mon beau-père a préparé des documents avec la liste de ses comptes et produits financiers ainsi que les identifiants et mots de passe nécessaires. A mon sens c'est trop tôt: nous n'avons pas d'acte de décès à fournir, il faudra refaire toutes les démarches la semaine prochaine.
Mais il n'est pas vraiment possible de dire non: ma belle-mère y tient et nous faisons notre possible pour adoucir ces moments.
Je ne penserai que vers cinq heures à téléphoner au notaire; trop tard pour avoir quelqu'un au bout du fil. Il faudra attendre lundi.

Nous allons installer ensuite la salle prêtée par Moncetz-Longevas. Elle est grande, lumineuse et très bien agencée. Nappes, chaises autour des tables, répartition du salé, sucré; première utilisation de la bouilloire, ébouillantement de la bouteille thermos (un litre sept, la plus grande que nous ayons trouvée), de la cafetière; mise au frigo des boissons.

Le soir, nous devons prendre notre chambre avant 21 heures. Week-end de la Pentecôte: il n'y avait plus de place dans notre hôtel habituel, nous sommes au «Mas champenois». C'est très laid (très rose, très kitsch, égypto-romain ou — pour les lecteurs de SAS — très Claude Dalle du pauvre), très confortable, et ô bonheur, il y a un jacuzzi. H. se met dans la baignoire, nous manipulons tous les robinets, manquons de tout inonder car nous ne savons plus exactement comment nous avons réussi à faire couler l'eau (parmi tous les robinets) et j'ouvre la bonde en catastrophe en attendant de trouver la solution.

Quand H. sort du bain, il se met à l'écriture du texte à la mémoire de son père qu'il lira demain au cimetière.
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