La pluie
Par Alice, mercredi 18 avril 2012 à 22:13 :: 2012
Je suis plutôt contente d'avoir un prétexte de pouvoir "faire" Paris comme si j'étais touriste, comme si je n'avais qu'à courir de musées en églises en jardins en ruelles en…
(En réalité ça ne se passe pas exactement comme cela: au bout d'un musée, tout le monde déclare forfait, alors qu'on pourrait encore aller au musée Picasso, visiter le jardin d'acclimatation, traverser le Père-Lachaise, jeter un œil à la Sainte-Chapelle, entrer dans deux ou trois librairies, et…)
— Maman, c'est quoi l'emploi du temps de demain?
Ils n'ont peur que d'une chose, c'est de mes idées et de mes envies. Leur rêve: tranquilles devant l'ordinateur. Pas pour rien que je n'ai pas prévu de passer toutes les vacances avec eux. Je sais que cela les ennuie plus qu'autre chose (Alors pourquoi le faire? Je ne sais pas, parce que je pense que je le dois, je suppose. Et puis on ne sait jamais. On ne sait jamais quoi? Je ne sais pas, imagine que ça leur plaise, qu'ils aient un coup de foudre? (Histoire d'une fille qui croyait aux épiphanies.)
Tant pis, j'irai seule — un jour.)
Arrivé à trois heures vingt devant les catacombes. Queue. Un gentil organisateur nous prévient aimablement qu'il y en a pour une heure d'attente et que le guichet ferme à seize heures.
— Bref, inutile d'attendre?
— Ça dépend. Si un groupe scolaire de cinquante sort, la file va avancer d'un coup. Attendez dix minutes, vous verrez bien.
Nous attendrons jusqu'à moins dix. Pluie. Elle devient battante, un homme nous prête gentiment un parapluie, le jean colle aux cuisses, le tissu des basketts est transpercé. A moins dix, j'évalue qu'il n'y aura plus de miracles. Nous rendons le parapluie et filons au musée de Cluny.
— Tu sais à quelle heure il ferme?
— Non, mais c'est pas grave, au pire il y a une librairie à côté. (J'avoue, pure provoc, pour m'amuser. Ça marche.)
— Ma-man ! (scandalisé-exaspéré-non dupe).
Le musée a bien changé depuis la dernière fois (quand? Je ne sais plus, huit ou dix ans). Il est plus moderne, plus au goût du jour je suppose, mais je regrette les statues en bois du rez-de-chaussée, certaine Vierge en bois d'origine d'Allemagne du nord ou de Flandres, un peu renfrognée ou maladroite, que j'aimais beaucoup.
Il y a toujours la même surprise à être plongée hors du monde tout en pouvant le contempler par les fenêtres. (Et le plaisir inverse surtout, du boulevard pouvoir regarder les fenêtres et imaginer ce qu'il y a derrière.)
Il ne pleut plus. Nous sommes secs.
Ecole de médecine, coupole de l'Académie dans l'enfilade de la rue Mazarine, rue de Seine. Au 6, en face du square grande photo de Gide photographiée pour F. Pic (à venir). Ponts des arts, j'égrène les toits, cadenas, cadenas, cadenas, cour carrée. — C'est quoi? — Saint-Germain-l'Auxerrois, vous voulez entrer? — Nous, on veut juste rentrer à la maison.
Nous rentrons.
Le soir même, je lis les lignes suivantes:
(En réalité ça ne se passe pas exactement comme cela: au bout d'un musée, tout le monde déclare forfait, alors qu'on pourrait encore aller au musée Picasso, visiter le jardin d'acclimatation, traverser le Père-Lachaise, jeter un œil à la Sainte-Chapelle, entrer dans deux ou trois librairies, et…)
— Maman, c'est quoi l'emploi du temps de demain?
Ils n'ont peur que d'une chose, c'est de mes idées et de mes envies. Leur rêve: tranquilles devant l'ordinateur. Pas pour rien que je n'ai pas prévu de passer toutes les vacances avec eux. Je sais que cela les ennuie plus qu'autre chose (Alors pourquoi le faire? Je ne sais pas, parce que je pense que je le dois, je suppose. Et puis on ne sait jamais. On ne sait jamais quoi? Je ne sais pas, imagine que ça leur plaise, qu'ils aient un coup de foudre? (Histoire d'une fille qui croyait aux épiphanies.)
Tant pis, j'irai seule — un jour.)
Arrivé à trois heures vingt devant les catacombes. Queue. Un gentil organisateur nous prévient aimablement qu'il y en a pour une heure d'attente et que le guichet ferme à seize heures.
— Bref, inutile d'attendre?
— Ça dépend. Si un groupe scolaire de cinquante sort, la file va avancer d'un coup. Attendez dix minutes, vous verrez bien.
Nous attendrons jusqu'à moins dix. Pluie. Elle devient battante, un homme nous prête gentiment un parapluie, le jean colle aux cuisses, le tissu des basketts est transpercé. A moins dix, j'évalue qu'il n'y aura plus de miracles. Nous rendons le parapluie et filons au musée de Cluny.
— Tu sais à quelle heure il ferme?
— Non, mais c'est pas grave, au pire il y a une librairie à côté. (J'avoue, pure provoc, pour m'amuser. Ça marche.)
— Ma-man ! (scandalisé-exaspéré-non dupe).
Le musée a bien changé depuis la dernière fois (quand? Je ne sais plus, huit ou dix ans). Il est plus moderne, plus au goût du jour je suppose, mais je regrette les statues en bois du rez-de-chaussée, certaine Vierge en bois d'origine d'Allemagne du nord ou de Flandres, un peu renfrognée ou maladroite, que j'aimais beaucoup.
Il y a toujours la même surprise à être plongée hors du monde tout en pouvant le contempler par les fenêtres. (Et le plaisir inverse surtout, du boulevard pouvoir regarder les fenêtres et imaginer ce qu'il y a derrière.)
Il ne pleut plus. Nous sommes secs.
Ecole de médecine, coupole de l'Académie dans l'enfilade de la rue Mazarine, rue de Seine. Au 6, en face du square grande photo de Gide photographiée pour F. Pic (à venir). Ponts des arts, j'égrène les toits, cadenas, cadenas, cadenas, cour carrée. — C'est quoi? — Saint-Germain-l'Auxerrois, vous voulez entrer? — Nous, on veut juste rentrer à la maison.
Nous rentrons.
Le soir même, je lis les lignes suivantes:
Tu souffrais de mal de cœur en voiture, c'est vrai, mais tu ne paraissais pas autrement impressionné, de toute façon, par la villa Carlotta. La semaine suivante, tu n'as même pas voulu mettre pied à terre, à Frascati, pour entrer dans le parc de la villa Aldobrandini. Est-ce que j'ai lu dans Stendhal qu'on pouvait deviner la façade, par temps clair, depuis le sommet des escaliers, à la Trinité-des-Monts? Mais il n'y a plus de temps clair. A Ravello, tu refusas de marcher jusqu'à la villa Cimbrone. Nous n'irions pas ensemble à Paestum. Dans l'Orne, un dimanche d'automne, je n'ai pas pu visiter le haras du Pin: tu voulais être à Paris pour dîner, ne pas trop rouler la nuit, rentrer pour rentrer, me semblait-il, alors qu'il ne s'agissait jamais pour moi que d'une fatalité navrante, à repousser toujours autant qu'il se pouvait.
Élégies pour quelques-uns, p.24