Quelques réflexions mal assurées sur le musée du quai Branly
Par Alice, vendredi 23 juin 2006 à 07:18 :: 2006
J'ai eu l'occasion de visiter mardi le musée des Arts premiers, comme il ne s'appelle finalement pas. Il faudrait évoquer trois sujets : le bâtiment en lui-même, les réflexions nées du principe même de ce musée, et tout de même les objets présentés.
Je ne vais pas parler du bâtiment. Il est réellement immense, les collections sont présentées sur fond noir dans une salle elle-même peinte en noir (surtout en noir) ce qui multiplie les effets de miroir sur les vitrines, c'est à la fois beau et très artificiel, très emphatique. J'ai été un peu gênée, j'ai eu l'impression, à peine, qu'on en avait fait un peu trop.
Je n'ai suivi aucun des débats qui ont entouré la création de ce musée. J'ai commencé la visite par les collections d'Amérique : sacs à frange des indiens d'Amérique du Nord, coiffes à plumes, tissages, puis remontée vers le Nord (ce musée est un musée géographique et non historique) et objets inuits. Etant restée sur l'idée que le musée s'appelait "musée des Arts premiers", j'ai presque tout de suite été obsédée par la question : tout cela a-t-il sa place dans un musée d'art ? Est-ce qu'un tapis de selle ou un sac à franges doit vraiment figurer ici ? N'est-ce pas un peu condescendant ? Et cette question n'est-elle pas elle-même condescendante et un peu snob ? etc… (pas à l'aise, non, pas très à l'aise)
Tout cela nous entrainerait assez vite vers une définition de l'art. J'ai donc le choix entre me dérober ou écrire une définition de l'art en une demi-heure sur ce blog…
Si je tente une définition non pas théorique et philosophique, mais purement pragmatique en observant ce que nous mettons dans nos musées d'art quand il s'agit de notre civilisation, j'avancerai que les objets d'art ne sont jamais réellement utiles. Ils appartiennent à la sphère du gratuit, de la décoration, de l'hommage. Une partie d'entre eux ont été élaborés comme prière ou soutien à la prière, ils sont un signe vers la transcendance. Ils sont finalement le geste humain inutile par excellence, celui qui ne concourt pas à la survie de l'espèce, ils sont le signe que nous sommes capables de nous préoccuper d'autre chose que de notre survie matérielle.
Les peignes richement ornés, les coffres en bois sculptés, les hennins brodés sont présentés dans une perspective historique ou technique (musée du Moyen-Age, musée du costume,…), objets utilitaires décorés et non objets d'art. (Il faudrait ici faire une incursion dans certaines avenues de l'art contemporain, à commencer par certaine pissotière ou canettes de coca-cola... mais on est ici dans le second ou n<ième degré, où ce qu'on sait par ailleurs et ce qu'on tente de reconstituer des intentions de l'artiste compte autant si ce n'est plus que ce qu'on voit ou entend).
Dans cette optique, je crois que j'enlèverais de ce musée une partie des objets présentés. J'enlèverais les armes, les cuillères, le sac de couchage en peau de phoque (très ingénieux: l'intérieur du phoque est vidé par une ouverture peu large, la peau est tannée, on obtient ainsi une enveloppe de phoque vide dans laquelle on peut se réfugier à condition de ne pas être trop grand. Mais qu'est-ce que cela a à faire ici?), les boucles d'oreilles, les plats, les jupes plissées, les tuniques (très belles, sans aucun doute). Je garderais les masque, les statues, certaines pièces tissées, celles dont la taille montre qu'elles ne sont plus destinées à être véritablement utiles.
Peut-être que je suis excessivement puriste et que tout ce que je viens de dire est très bête. C'est fort possible. J'ai pensé par le passé tant de choses que je trouve aujourd'hui parfaitement stupides… On verra bien, si j'évolue, j'aurai une trace de ma position en 2006…
La plupart des objets que je sélectionne ainsi (masques, coiffes funéraires, statues, totems) sont des objets d'une grande force. Certains sont beaux ou très beaux, d'autres sont hideux, mais tous dégagent une formidable impression de puissance. Nous sommes définitivement du côté de la magie et de la fascination, nous ne sommes jamais loin de l'envoûtement.
Je pensais en les regardant que c'étaient véritablement des objets initiateurs de mythes; je pensais en les regardant que je ne pouvais pas les regarder, que je ne savais pas les regarder, a prima: je promenais avec moi mes préjugés et mes lectures, tout un imaginaire issu principalement de Jules Verne, des Mahuzier et de BD, Tintin, Les passagers du vent, Jonathan, Corto Maltese…
Et tout cela me fait frémir. Je repense à Nuruddin Farah, à la finesse et à l'humour de cet homme, à sa façon de nous connaître, nous, hommes blancs, à sa façon de dire qu'il est chez lui partout en Afrique (sous-entendu: et pas ailleurs). Je serais curieuse de nous voir à travers ses yeux. Je serais curieuse de savoir ce qu'il pense de ce musée. Est-ce que ça le ferait rire, est-ce que ça le mettrait en colère, est-ce que ça le laisserait indifférent?
Je repense à la correction que GC a apporté à mon texte sur Nuruddin Farah : Makerere university, la plus grande université ougandaise… totalement inconnue de moi. Je ne pense l'Afrique que par clichés, à travers des lectures enfantines ou post-adolescentes ou des textes datant des années vingt ou des photos de guerre ou de famine…
Le grand reproche que je ferais à ce musée, finalement, c'est de ne pas nous permettre de nous situer dans le temps. S'il s'agit bien d'un musée d'art, il est intemporel et ça n'a pas d'importance, un bel objet, un objet puissant, le reste, c'est pour un objet d'art une définition donc une tautologie.
Mais si ce musée revendique une dimension "civilisation", alors il doit impérativement nous donner des repères temporels. Dans le cas contraire, j'ai bien peur qu'il contribue à perpétuer un certain nombre de clichés, et que l'université de Makerere continue longtemps d'être ignorée au profit des masques de guerre ou des statues de la fertilité.
Je ne vais pas parler du bâtiment. Il est réellement immense, les collections sont présentées sur fond noir dans une salle elle-même peinte en noir (surtout en noir) ce qui multiplie les effets de miroir sur les vitrines, c'est à la fois beau et très artificiel, très emphatique. J'ai été un peu gênée, j'ai eu l'impression, à peine, qu'on en avait fait un peu trop.
Je n'ai suivi aucun des débats qui ont entouré la création de ce musée. J'ai commencé la visite par les collections d'Amérique : sacs à frange des indiens d'Amérique du Nord, coiffes à plumes, tissages, puis remontée vers le Nord (ce musée est un musée géographique et non historique) et objets inuits. Etant restée sur l'idée que le musée s'appelait "musée des Arts premiers", j'ai presque tout de suite été obsédée par la question : tout cela a-t-il sa place dans un musée d'art ? Est-ce qu'un tapis de selle ou un sac à franges doit vraiment figurer ici ? N'est-ce pas un peu condescendant ? Et cette question n'est-elle pas elle-même condescendante et un peu snob ? etc… (pas à l'aise, non, pas très à l'aise)
Tout cela nous entrainerait assez vite vers une définition de l'art. J'ai donc le choix entre me dérober ou écrire une définition de l'art en une demi-heure sur ce blog…
Si je tente une définition non pas théorique et philosophique, mais purement pragmatique en observant ce que nous mettons dans nos musées d'art quand il s'agit de notre civilisation, j'avancerai que les objets d'art ne sont jamais réellement utiles. Ils appartiennent à la sphère du gratuit, de la décoration, de l'hommage. Une partie d'entre eux ont été élaborés comme prière ou soutien à la prière, ils sont un signe vers la transcendance. Ils sont finalement le geste humain inutile par excellence, celui qui ne concourt pas à la survie de l'espèce, ils sont le signe que nous sommes capables de nous préoccuper d'autre chose que de notre survie matérielle.
Les peignes richement ornés, les coffres en bois sculptés, les hennins brodés sont présentés dans une perspective historique ou technique (musée du Moyen-Age, musée du costume,…), objets utilitaires décorés et non objets d'art. (Il faudrait ici faire une incursion dans certaines avenues de l'art contemporain, à commencer par certaine pissotière ou canettes de coca-cola... mais on est ici dans le second ou n<ième degré, où ce qu'on sait par ailleurs et ce qu'on tente de reconstituer des intentions de l'artiste compte autant si ce n'est plus que ce qu'on voit ou entend).
Dans cette optique, je crois que j'enlèverais de ce musée une partie des objets présentés. J'enlèverais les armes, les cuillères, le sac de couchage en peau de phoque (très ingénieux: l'intérieur du phoque est vidé par une ouverture peu large, la peau est tannée, on obtient ainsi une enveloppe de phoque vide dans laquelle on peut se réfugier à condition de ne pas être trop grand. Mais qu'est-ce que cela a à faire ici?), les boucles d'oreilles, les plats, les jupes plissées, les tuniques (très belles, sans aucun doute). Je garderais les masque, les statues, certaines pièces tissées, celles dont la taille montre qu'elles ne sont plus destinées à être véritablement utiles.
Peut-être que je suis excessivement puriste et que tout ce que je viens de dire est très bête. C'est fort possible. J'ai pensé par le passé tant de choses que je trouve aujourd'hui parfaitement stupides… On verra bien, si j'évolue, j'aurai une trace de ma position en 2006…
La plupart des objets que je sélectionne ainsi (masques, coiffes funéraires, statues, totems) sont des objets d'une grande force. Certains sont beaux ou très beaux, d'autres sont hideux, mais tous dégagent une formidable impression de puissance. Nous sommes définitivement du côté de la magie et de la fascination, nous ne sommes jamais loin de l'envoûtement.
Je pensais en les regardant que c'étaient véritablement des objets initiateurs de mythes; je pensais en les regardant que je ne pouvais pas les regarder, que je ne savais pas les regarder, a prima: je promenais avec moi mes préjugés et mes lectures, tout un imaginaire issu principalement de Jules Verne, des Mahuzier et de BD, Tintin, Les passagers du vent, Jonathan, Corto Maltese…
Et tout cela me fait frémir. Je repense à Nuruddin Farah, à la finesse et à l'humour de cet homme, à sa façon de nous connaître, nous, hommes blancs, à sa façon de dire qu'il est chez lui partout en Afrique (sous-entendu: et pas ailleurs). Je serais curieuse de nous voir à travers ses yeux. Je serais curieuse de savoir ce qu'il pense de ce musée. Est-ce que ça le ferait rire, est-ce que ça le mettrait en colère, est-ce que ça le laisserait indifférent?
Je repense à la correction que GC a apporté à mon texte sur Nuruddin Farah : Makerere university, la plus grande université ougandaise… totalement inconnue de moi. Je ne pense l'Afrique que par clichés, à travers des lectures enfantines ou post-adolescentes ou des textes datant des années vingt ou des photos de guerre ou de famine…
Le grand reproche que je ferais à ce musée, finalement, c'est de ne pas nous permettre de nous situer dans le temps. S'il s'agit bien d'un musée d'art, il est intemporel et ça n'a pas d'importance, un bel objet, un objet puissant, le reste, c'est pour un objet d'art une définition donc une tautologie.
Mais si ce musée revendique une dimension "civilisation", alors il doit impérativement nous donner des repères temporels. Dans le cas contraire, j'ai bien peur qu'il contribue à perpétuer un certain nombre de clichés, et que l'université de Makerere continue longtemps d'être ignorée au profit des masques de guerre ou des statues de la fertilité.