Avec assurance
Par Alice, mardi 6 avril 2010 à 11:53 :: Revue de presse
A l'occasion de la sortie de son livre Le goût de vivre et cent autres propos, L'Argus de l'assurance interroge André Comte-Sponville.
Interview qui enfonce quelques portes ouvertes, certes, mais c'est le lieu de sa publication qui me fait sourire: un magazine professionnel dédié à l'assurance.
Et puis même l'évidence mérite d'être rappelée.
Interview qui enfonce quelques portes ouvertes, certes, mais c'est le lieu de sa publication qui me fait sourire: un magazine professionnel dédié à l'assurance.
Et puis même l'évidence mérite d'être rappelée.
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Descartes conseillait de «marcher avec assurance en cette vie». Pensez-vous qu'il faille en toutes circonstances «marcher avec UNE assurance en cette vie»?
Tout dépend de ce qu'on entend par là . Celui qui n'aurait aucune assurance, de nos jours et dans nos pays, c'est soit un miséreux qui n'a ni domicile ni voiture, et pas les moyens de se constituer un patrimoine, soit un irresponsable. Donc avoir une assurance, ou plusieurs, oui, bien sûr, il le faut ! En revanche, celui qui prétendrait s'assurer contre tous les risques serait une espèce de malade.
C'est un peu la dérive de notre époque. Vous savez que beaucoup d'entre nous sommes assurés (notamment via nos cartes de crédit) plusieurs fois contre les mêmes risques. Tant mieux pour les assureurs. Mais est-ce bien raisonnable ? Certains, partant en vacances, prennent une assurance météo : ils veulent se faire indemniser s'il ne fait pas beau! Mais quand on n'est même plus capable d'affronter un risque météorologique mineur (qu'il pleuve en août, ce n'est pas une catastrophe!), c'est un signe de faiblesse davantage que d'intelligence. Et puis rappelons que l'essentiel n'a pas de prix. Vous pouvez prendre une assurance sur la vie, ou sur celle de vos enfants? Ils toucheront de l'argent, ou vous. Très bien. Mais cela n'a jamais empêché personne de mourir, ni tenu lieu de consolation.
[…]
Etendu très largement, ce principe de précaution n'est-il pas un handicap?
Il risque de le devenir. D'autant plus que ce principe, dont tout le monde parle et qu'on ne formule presque jamais, est souvent pris à contresens. Plusieurs de nos concitoyens lui donnent le sens suivant: «Ne faisons rien qui présente un risque, nous ne sommes pas capables de calculer exactement ni certains de pouvoir surmonter.» Bref: «Dans le doute, abstiens-toi!» Le problème, c'est que, comme il y a toujours un doute (le risque zéro n'existe pas), on s'abstiendra toujours !1
C'est ainsi que ce principe de précaution devient un principe d'inhibition, qui risque de bloquer la recherche, de brider les énergies, de faire prendre du retard à notre pays. La bonne formulation de ce principe est à l'opposé: «N'attendons pas qu'un risque soit certain ni calculé exactement pour entreprendre de le réduire et de le surmonter. Bref: «Dans le doute, agis!» Principe non d'inhibition, mais d'action. La seconde formulation est, bien sûr, la plus juste. En pratique, je crains que la première ne l'emporte très souvent!
Propos recueillis par Anne Lavaud, in ''L'Argus de l'assurance'' du 2 avril 2010
Note
1 : Remarque perso: pour les sociétés d'assurance, le problème se pose en termes légèrement différents. La jurisprudence tend à leur demander de payer pour des risques qui n'en étaient pas (officiellement) au moment du paiement de la prime des contrats à l'époque. (exemple : l'amiante). L'idée non avouée mais qui a tout de même donné naissance à une expression, les ''[deep pockets| http://en.wikipedia.org/wiki/Deep_pocket]'' (les poches profondes), est de faire payer les indemnités par ceux qui en ont les moyens, dans le cas présent les assureurs. Mais il ne faut pas se leurrer : les assurances répercutent ces charges inattendues dans leurs primes afin de maintenir leur équilibre financier. Cela revient donc à faire payer les clients d'aujourd'hui pour les clients d'hier. Pourquoi pas, c'est un principe de solidarité. Ce qui me gêne, c'est que cela ne soit pas expliqué. C'est du prélèvement caché, moins sujet à discussion que l'élévation des cotisations de Sécurité sociale (par exemple: ce serait une solution parmi d'autres) pour indemniser les victimes de l'amiante. Quand on dégoûte les assureurs à force de jugements rétroactifs de ce type, en leur faisant payer la réparation de dommages dont ils ne pensaient pas qu'ils rentraient dans la définition des contrats à l'origine, ils finissent par refuser d'assurer: exemple, les gynécologues-obstétriciens. On entre alors dans des cycles légiférants étranges dans lesquel toutes les cotes sont mal taillées.$$