Billets qui ont 'France' comme autre lieu.

Epiphanie

Levée tôt ce matin. Tandis que je surfe sur FB, je tombe sur cet article : France is bacon. La France, c'est du bacon.
Eh bien voilà. Ce matin, c'est une possibilité comme une autre : la France, c'est du bacon.


article de Reddit: France is bacon

Quand j'étais petit, mon père m'a dit : «Knowledge is power 1, Francis Bacon». Je compris: «Knowledge is power, France is bacon.»
Pendant plus de dix ans je me suis interrogé sur le sens de cette deuxième phrase et sur le lien surréaliste existant entre les deux. Si je citais à quelqu'un «Knowledge is power, France is bacon», il hochait la tête d'un air entendu. Ou si quelqu'un prononçait «Knowledge is power» et que je complétais «France is Bacon», il ne me regardait pas comme si j'avais dit quelque chose de très étrange mais approuvait pensivement. Je demandais à un professeur ce que voulait dire «Knowledge is power, France is bacon» et j'eus droit à dix minutes de conférence sur la partie «Knowledge is power» mais rien sur «France is bacon». Quand j'encourageais une explication supplémentaire en interrogeant «France is bacon?», je reçus un simple «oui». A 12 ans, je n'avais pas l'assurance nécessaire pour insister davantage. Je finis par l'accepter comme quelque chose que je comprendrais jamais. Ce n'est que des années plus tard en le voyant écrit que la lumière se fit.

Réponse de Lard_Baron à une question sur Reddit en 2011: «Quel mot ou quelle phrase avez-vous compris totalement de travers quand vous étiez petit?»


Note
1 : La connaissance, c'est le pouvoir.

Paupérisation

Je commence En France de Florence Aubenas. Les premières lignes sont les suivantes:
Cela se passe pendant l'année de l'élection présidentielle, pas celle-là, la précédente, en 2007. On est à l'automne, au moment où, dans les fermes et les maisons de la Creuse, on remplit les cuves de fuel en prévision des grands froids. A Guéret, les agents de la Caisse d'allocations familiales (CAF) voient alors arriver des gens qui ne venaient jamais dans leurs bureaux: des retraités avec des pensions de quelques centaines d'euros à peine, mais qui vivaient silencieusement depuis toujours et se seraient étonnées d'être considérés comme pauvres. Cette année-là, ils poussent la porte de la CAF, gauches, effarés d'avoir à demander quelque allocation, se présentant tous par la même phrase: «Pour la première fois, je n'ai plus les moyens de faire rentrer le fuel.»

Florence Aubenas, En France, incipit, éditions de l'Olivier, 2014
Jeudi ou vendredi dernier j'ai eu une retraitée au téléphone en fin de journée. Elle se renseignait sur le montant de la cotisation: «Je me suis fait avoir quand ils m'ont proposé de partir en retraite. Je ne pensais pas que j'aurais si peu après 43 ans de travail. 43 ans! Je ne m'en sors pas, il faut que je retourne voir la RH pour voir si elle accepte de me reprendre.»

La fille aînée de l'Eglise

Il y a deux ou trois ans j'avais été un peu choquée d'apprendre que si le mercredi restait libre, c'était que ce jour était réservé au catéchisme, et qu'un préfet qui souhaitait utiliser le mercredi à l'école primaire devait en avertir l'évêque: comment, c'était cela la séparation de l'Eglise et de l'Etat? D'un autre côté, cette influence occulte de l'Eglise m'avait fait sourire: ah, j'avais été stupide de ne pas m'en douter.

Ce matin en écoutant la radio j'apprends simultanément qu'il y aura école le mercredi matin et que nous manquons d'aumôniers musulmans dans les prisons. Pas de doute, les temps changent.


(Qu'on ne se méprenne pas: je préfère des croyants d'une autre religion que des non-croyants, parce qu'il me semble avoir ainsi davantage de chances d'échapper à un monde entièrement tourné vers la consommation et l'étourdissement par les sens. (Et qu'on ne se méprenne pas bis: je sais aussi parfaitement que les amis les plus humanistes, les plus généreux, les plus réfléchis, que je côtoie sont aussi très souvent les plus délibérément athées1 et que ce que je viens d'écrire ne supporte pas l'examen de la réalité (ma réalité: celle qui m'entoure). Peut-être que cela veut simplement dire que nous, croyants, croyons mal, insuffisamment.)


Note
1 : Mais comme le dirait une professeur, un athée a des convictions, ce n'est pas un indifférent, un tiède, un sans-opinion, un gloubiboulga (sic) de convictions new-age. Même les vrais athées tendent à disparaître.

Féminisme

The birthplace of Simone de Beauvoir and Brigitte Bardot may look Scandinavian in employment statistics, but it remains Latin in attitude.
Le New York Times

La France peut ressembler aux pays scandinaves par ses statistiques d'emploi, elle reste latine dans son comportement.

Voilà qui me rappelle ces blogueurs prêts à la censure dans leurs commentaires ou à l'exclusion de leur blogroll de qui "parlera mal à une femme" ou "dénigrera le physique d'une femme", en ne s'engageant que mollement sur le fond: «Tout cela n'a pas tant d'importance».

Très certainement une importance qui ne porte pas sur les mêmes sujets et ne s'appuie pas sur les mêmes principes.

Je me surprends devant les bébés à avoir un mouvement de recul, «plus jamais ça», à ne penser qu'au travail et à l'emprisonnement que cela représente, et je reconnais dans ce mouvement ce que nous disaient les grands-mères et ma tante (à nous, les filles); et je pensais alors: «Elles disent cela parce qu'il n'y avait pas la machine à laver, les pauvres, aujourd'hui c'est beaucoup plus facile.»
Tous comptes faits maintenant que j'en suis sortie (grâce à Dieu on ne s'en rend pas trop compte tant qu'on est "dedans"), non.

Chroniques de l'incrédulité

Rappel: billet pour mémoire, archives en vrac. Le 24 février 2008 j'écrivais : «Bien. Je vais utiliser une forme à laquelle je pensais depuis quelques temps, le post baladeur: un seul post sur un thème, mis à la date du jour du dernier jour. Cela m'évitera d'ouvrir une rubrique "Sarkozy".<br /> J'ai entendu Sarkozy pour la première fois la semaine dernière (si si c'est possible), il a la voix, l'attitude et les mimiques assorties aux lunettes de soleil et à la gourmette, faut-il se réjouir de la cohérence du réel?<br /> Je note donc les dernières en date, pour mémoire, puisque ce blog a aussi (ou avant tout? non peut-être pas, finalement) une valeur d'archives.»<br /><br /><br /><br /> Il s'agit donc d'un billet qui s'allonge (malheureusement) au fil du temps.<br /><br /><br />

<b>15 février 2008 : Une indécence pour couvrir une imbécillité</b><br /> Je n'ai pas spécialement l'intention de me mettre à suivre les stupidités présidentielles. Cependant, la dernière en date ("adoptez un petit juif de la Shoah") me paraît si répugnante que je vais la noter ici, afin d'en conserver une trace. <br /> De même je note le soupçon qui m'est venu aussitôt venu à l'esprit : s'agirait-il de créer un agitation telle qu'elle couvre la bêtise du premier interview de Mme Bruni-Sarkozy? (J'avais bien dit que son plus grand charme était son silence.) <br /> Après tout, les mêmes sphères sémantico-historiques sont concernées.

<blockquote>Une phrase de la première interview que Carla Bruni-Sarkozy accorde depuis son mariage a suscité hier quelques remous. A propos du SMS que Nicolas Sarkozy aurait envoyé à son ex-femme, la première dame de France affirme, dans son entretien à « L'Express Â», que « Le Nouvel Observateur Â» (dont le site a publié l'information) « a fait son entrée dans la presse people. Si ce genre de site avait existé pendant la guerre, qu'en aurait-il été des dénonciations de juifs ? Â» Le directeur de la rédaction du « Nouvel Observateur Â», Michel Labro, a aussitôt estimé sur Rue89 que cette interprétation était « parfaitement hallucinante, assez incroyable et pathétique…, parfaitement imbécile Â». Soucieuse de calmer le jeu, Carla Bruni a indiqué hier être « extrêmement désolée Â» si elle a « pu blesser quelqu'un Â».

<br /><br /><i>Les Echos</i>, <a href="http://www.lesechos.fr/info/france/4687019.html">le 14 février 2008</a></blockquote>

<b>semaines précédentes</b><br /> L'affaire du stylo (<i>février 2008, Sarkozy empoche un stylo-plume lors d'un voyage officiel en Roumanie</i>), les déclarations sur les rapports de l'école et de la religion (<i>semblant reconnaître une prééminence de l'Eglise dans l'éducation</i>) (je n'en reviens toujours pas que les musulmans n'aient pas saisi l'occasion pour remettre le voile sur le tapis et exiger des écoles non-mixtes: quelle manque de réactivité), cette histoire de secte pas très claire… J'en oublie, c'est certain. <br /><br /> <b>semaine du 18/02/2008 : pression sur le président de la Cour de Cassation</b> - Intervention auprès du président de la Cour de Cassation pour lui demander de faire appliquer une loi dans un sens réprouvé par le Conseil Constitutionnel.<br /> - Nomination de Christine Ockrent à la tête de France Monde. (La presse européenne se moque de nous ou est choquée).<br /> - L'analyse d'un journaliste d'<i>El Pais</i> <a href="http://www.rue89.com/2008/02/21/courrier-international-et-sarkozy-lagardere-censure-aussi">traduite par <i>Courrier international</i></a> est menacée de censure par Lagardère (je copie/colle au cas où le lien ne serait pas pérenne):

Le groupe Lagardère a réussi à faire encore plus fort que Métrobus, la régie publicitaire de la RATP: dans des boutiques Relay de tout le pays, les employés ont dû plier le haut de l'affiche pour que ce titre sacrilège n'apparaisse pas: "Vu de Madrid, Sarkozy ce grand malade". Quand le ridicule se joint à la censure...
Cette inventivité s'explique simplement: Lagardère (propriétaire des Relay) a laissé la direction du magazine face à une alternative. Soit les affiches partaient à la poubelle, soit elles devaient être pliées. Courrier International, qui ne souhaitait pas gaspiller entièrement ses frais de promotion, a préféré plier. Ces affiches, de format vertical contrairement à celles censurées par Métrobus (lire ci-dessous), sont donc visibles à 600 exemplaires dans des Relay en France. Mais le haut est caché!
article de Rue 89

PS: penser à acheter Courrier international ce cette semaine.

6 mars 2008 : Quand les Allemands ont de l'humour.

J'hésite entre la honte et l'éclat de rire. Au cas où le lien se rompe, j'explique: il s'agit d'une vidéo dans laquelle Angela Merkel offre un stylo à Nicolas Sarkozy, l'un des accompagnateurs allemands précisant: "je crois que vous en faites collection".

26 mars 2008 : En revanche, les Anglais ne sont pas toujours des gentlemen.

Lors de la première visite officielle des Sarkozy en Angleterre, un tabloïd afficha une photo de Carla Bruni nue, datant de ses années de mannequin. (Cette visite fut par ailleurs un succès).
Perfide Albion!
(Je trouve cela tout à fait unfair.)

14 juillet 2008 : Une Légion d'honneur déshonnorante

Nicole Choubrac, vice-présidente chargée des affaires familiales au tribunal de grande instance de Nanterre, avait réglé la séparation du couple Nicolas-Cécila Sarkozy en octobre 2007.
Elle a été nommée chevalier de la Légion d'honneur lors de la promotion du 14-Juillet sur le contingent du ministère de la justice.
[source: Le Monde du 16 juillet 2008, p.8]

28 octobre 2009 : "Nicolas Sarkozy aurait mieux fait de nommer son fils à la Cour des Comptes"

Ce billet étant tombé dans l'oubli, j'avais renoncé à l'exhumer pour #jeansarkozypartout (c'est par ce tag que j'ai découvert l'affaire sur twitter, un soir à Cerisy, sans bien comprendre ce qui se passait).
Le rapport de la Cour des comptes et la douche à 245 572 euros m'aura fait changer d'avis.
- La présidence française de l'Union européenne a coûté 171 millions d'euros, soit à peu près le double de ce que dépensent en moyenne les autres pays lorsque c'est leur tour.
- Début octobre, Jean Sarkozy, 23 ans, en deuxième année de droit, était pressenti pour devenir président de l'Epad, provoquant un tollé chez les gens sérieux, le rire chez les gens pas sérieux (jusqu'en Chine...). Charles Bremner parle de République bananière.

juin 2010 : Ça devient inquiétant

Il s'agit de moins en moins des frasques plus ou moins privées d'un garçon mal élevé, mais bien d'une conception de la vie ahurissante et malhonnête qui entâche toute la sphère politique.
- Sarkozy se penche sur le football plutôt que sur les scandales qui touchent ses ministres, Madame Boutin et M. Woerth (par épouse interposée). Je note, toujours en cas de disparition des sources sur le net: «Les enregistrements pirates d'un maître d'hôtel indélicat révèlent les liens qui unissent Liliane Bettencourt (ou son entourage), Nicolas Sarkozy et le couple Woerth. Problème : l'héritière L'Oréal dispose aussi de comptes en Suisse...» Liliane Bettencourt a porté plainte. «Mais, alors que nos confrères de Mediapart sont assignés jeudi par la milliardaire et son conseiller, et sommés de retirer les conversations sous peine d'une astreinte de 10 000 euros "par heure de retard et par extrait", la question qui domine toutes les autres est simple : le public a-t-il intérêt à avoir connaissance de ces informations ? Et la réponse l'est tout autant : c'est oui. Les conditions de l'embauche de l'épouse du ministre du Budget au service de la milliardaire, la connaissance précise qu'avait Mme Woerth de l'évasion fiscale pratiquée par cette dernière, à l'heure où son mari multipliait les moulinets contre les comptes en Suisse, sont des sujets d'enquête d'intérêt public. Ne nous y trompons pas : contrairement aux termes hypocrites des deux assignations, ce n'est pas pour avoir violé la vie privée, que Mediapart est assigné. Meilleure preuve : comme c'est curieux, les plaignants n'assignent pas Le Point, qui a pourtant choisi, dans les mêmes conversations, des passages touchant bien davantage à la vie privée de la milliardaire et de son cher photographe, en prenant garde d'expurger tout ce qui pourrait éclabousser le couple Woerth.»
L'affaire vue de l'étranger, par La Tribune de Genève.
- (Passons sur les émoluments de Christine Boutin et les cigares de Christian Blanc).
- France Inter remercie Didier Porte, Stéphane Guillon et (ce n'est pas encore sûr à l'heure où j'écris), François Morel. Ce n'est pas que je les regretterai tant que ça (je n'écoute pas France Inter), mais est-ce vraiment normal?
- Une loi visant à réformer le champ des poursuites de la prise illégale d'intérêts des élus locaux.

La Grande Illusion

Le cinéma Racine présente cet été un festival des "films maudits". C'est ainsi que nous nous retrouvâmes hier soir devant La Grande Illusion, sans trop savoir ce que c'était, faisant confiance au nom de Renoir.

C'est un film terriblement émouvant, moins à cause de lui-même qu'à cause de tout ce que nous savons qui attendait la France et l'Allemagne deux ans plus tard. C'est le témoin d'une époque à jamais révolue, celle où l'on pouvait encore concevoir une guerre en gants blancs, celle où l'on pouvait imaginer des prisonniers danser le french-cancan et manger du foie gras.
En 1937 ce film devait permettre de croire à la paix, de se convaincre que toute paix valait mieux que la guerre, que les hommes comme la nature se ressemblaient partout et se moquaient bien des frontières (cf. l'une des répliques de la fin); en 2007 il permet de constater qu'on n'y croit plus, que la guerre semble une malédiction permanente, toujours à l'œuvre dans quelques points du globe, et qu'elle est animée par une haine viscérale qui empêche le respect de l'adversaire tel celui mis en scène par Jean Renoir: la grande illusion, c'est finalement celle-ci, avoir cru à une dignité de la guerre.
Si le film ne tombe pas dans le cliché sentimental, c'est que sous l'apparente simplicité du propos le dilemme représenté est tragique, au sens classique du terme: confrontation de deux absolus, "les hommes sont frères" et "le devoir est le devoir", avec l'éternelle hiérarchie selon les sexes: la femme peut choisir la fraternité contre le devoir, l'homme doit choisir le devoir contre la fraternité.

«Des enfants qui jouent aux soldats, des soldats qui jouent comme des enfants»: si le film est si drôle, si l'on rit si souvent, c'est que l'enfance, l'esprit de l'enfance, affleure chez les soldats. Si la guerre est un sujet sérieux, si l'on risque la mort, alors il est important de ne pas la prendre au sérieux, et je pensais au Caporal épinglé, à Exobiographie, à L'épopée du Normandie-Niémen, tous livres évoquant la deuxième guerre mondiale eux aussi dans cet esprit léger, ce refus d'être sérieux.

J'aime particulièrement dans ce film son art de l'ellipse, son exigence de ne jamais rien montrer qu'on ait deviné: dès que le spectateur a compris ce que devraient être les images suivantes, la séquence est terminée, l'image fond, on passe à la suite. Il n'y a pas d'image inutile.


Dans les petits plaisirs, Carette chantant «Si tu veux faire mon bonheur, Marguerite...».
(Une recherche m'a amenée sur cet étonnant blog.)

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