Billets qui ont 'Long Island' comme autre lieu.

Long Island

Une heure et demie de Tétris: vider la voiture de tous les sacs accumulés (le linge sale, les chaussures, les achats divers) et répartition entre les cinq valises et les cinq bagages à main. Les deux problèmes sont les objets fragiles et les objets lourds, principalement les livres. Nous mettons ceux-ci dans les bagages à main en escomptant qu'ils ne seront pas pesés.

Une journée sur Long Island, du sud au nord, d'abord vers Patchogue, puis au nord, Oster Bay, sur la Golden Coast, aux portes de New York.

Le sud est plus frais, plus venteux, agréable. Bateaux à moteur, ferry vers les longues bandes de plages qui soulignent Long Island. Très peu de monde, quelques traces de ce qui doit être une intense activité balnéaire en été. Mais c'est bientôt la rentrée, nous sommes seuls dans le restaurant sur le parking au bord de l'océan, nous déjeunons tranquillement de moules et crabes.
La serveuse est jolie, sportive, bronzée, avec des yeux verts cerclés de sombre. Elle répond «pas de problème» à chaque fois que nous disons «merci», ce qui me paraît peu académique. Chip m'a expliqué que le premier week-end de septembre était le Labor day, et que les cours ne reprenaient qu'après afin de permettre aux étudiants de se faire encore quelques pourboires durant ce week-end festif.

Oyster Bay au nord est une surprise, il fait très chaud et humide, exactement le temps de Manhattan: moi qui pensais que la chaleur était due au goudron et béton de la ville, je me trompais, c'est la latitude qui veut ça. Octobre, c'est en octobre que je voudrais revenir, pour voir ce qu'il en est de l'été indien.
Quelques pas sur le port, parc Theodore Roosevelt inauguré en 2004, nous n'aurons pas vu son mémorial à Washington mais la ville où il est mort. (Deux Roosevelt pour deux guerres, je l'avais oublié, ou n'y avais jamais fait attention.)
Puis arboretum de Planting Fields, très calme, aéré. Petits panneaux sur les arbres, des dizaines d'érables de variétés diverses, aux feuilles rouges comme le prunus, au tronc qui pèle comme le bouleau, au port tombant qui fait reconnaitre une variété utilisée pour les bonsaïs… Les chênes, les ormes, sont énormes, magnifiques. Allée s'ouvrant dans les fleurs à hauteur d'épaules, petite maison de conte de fée, gros manoir néo-gothique anglais, décor sortie d'un film ou d'un rêve.





Retraversée vers l'aéroport, repas à six heures (! mais c'est l'heure américaine, c'est notre huit ou neuf heures habituel qui est décalé) pour passer le temps, l'avion est à minuit moins cinq.
La voiture se rend très vite, trop vite, j'ai un pincement au cœur, trois milles miles ensemble.

Les contrôles sont beaucoup plus simples qu'à l'aller (je ne sais plus combien de fois nous avons dû montrer notre passeport à Roissy, cela devenait un gag). Les bagages à main sont pesés: erreur d'appréciation, nous sommes larges pour les valises, mais mon sac de livres fait sept kilos, celui de A. cinq (il y a aussi tous ceux qu'avait emmenés Déborah, une quinzaine de centimètres de livre de poche. J'ai un peu triché pour mon sac, dans la confusion (à cinq nous prenons de la place et du temps) j'ai enlevé le plus gros des Emily Dickinson, l'ai posé sur un sac de sport à mes pieds et l'ai recouvert de la jupe de ma robe longue pendant que nous faisions passer les bagages à main. Cela n'aurait sans doute pas fait une grosse différence. L'employée ne nous a pas fait payer de supplément.

De Philadelphie à Long Island

Comme chaque fois que nous n'avons rien de particulier de prévu, l'heure de réveil est naturelle: entre neuf et dix heures, et comme j'ai plutôt mal dormi (le thé? l'idée du boulot qui me travaille depuis plusieurs jours?), j'en fais autant plutôt que reprendre mon blog.

Petit déjeuner à deux pas, à recommander chaudement par opposition au Denny's sur le même parking. Nous prenons la route en direction de Trenton (il n'y a rien à Trenton, a dit Jack, mais ce lieu était cité par le film sur la guerre d'Indépence à Mont Vernon. Nous avons abandonné la 95, nous suivons à peu près le Delaware, plus ou moins (je me souviens du nom de Bristol). Les maisons sont opulentes.

Nous traversons le Delaware dans un sens pour atteindre Trenton.
Nous traversons le Delaware dans l'autre sens. Bouchon. Tout s'explique quand nous avançons: le pont est extrêmement étroit et la circulation est alternée. La chaussée est constituée d'une sorte de treillis, j'imagine les ponts militaires ainsi (c'en est peut-être un), je suppose que le treillage évite que l'eau stagne et le pont gèle.
Nous dépassons la voiture clignotante qui bloque la voie de gauche pour apercevoir un noir en train de peindre la rambarde au rouleau. Un autre lui fait la conversation (c'est très utile quand on travaille, ça donne du cœur à l'ouvrage), trois autres les regardent (en rang d'oignon) et deux se chargent de la circulation. Cool.

Rive droite du Delaware. Et comme nous l'avait dit Jack, c'est vraiment très joli, entre le fleuve, les maisons aux (très) vastes pelouses tondues et les sous-bois.



Nous retraversons (aller-retour) le Delaware à "Crossing Washington", pour le plaisir de la reconstitution historique («Allez, imaginez-vous en hiver en train de traverser de nuit sur des barques parmi les glaçons»), sur le même type de pont très étroit et comme je franchis la ligne jaune un quart de seconde devant la voiture qui arrive en face à trente mètres (nous roulons à quinze miles à l'heure pour ceux qui veulent faire des calculs), son conducteur me regarde d'un air furieux et affolé. Je crois que des voies si étroites les paniquent totalement.

Nous arrivons à New Hope et nous ne comprenons pas: au milieu de nulle part, cette ville (ce village) aligne les boutiques "hippies", longues robes et artisanat pour touristes. Nous traversons le Delaware pour voir Lambertville (beaucoup plus pincée, j'échaffaude l'hypothèse que les gens habitent ici et travaillent en face), retraversons pour reprendre notre route, nous trompons entre deux routes de campagne («Euh, vers le sud-ouest, c'est pas bon» (la voiture comporte une boussole sur le tableau de bord. C'est très pratique: «Et là, je vais à droite ou à gauche? — Plutôt au nord, je pense»), faisons un large détour parmi les champs de maïs genre La mort aux trousses, reprenons notre chemin.
Désormais nous croisons des hôtels et des pontons à kayacks, nous sommes arrivés dans une région destinée aux vacances et sport d'eau (la Pennsylvanie que nous avons vue: ski dans les Appalaches, kayack sur le Delaware. Aucune idée de ce qu'il y a entre les deux.)

Arrêt à Frenchtown (pas tout à fait par hasard), il est quatre heures, nous mangeons dans une pizzeria. Je suis frigorifiée par mon iced tea, je sors avant les autres, me promène un peu. Le soleil est déjà bas, il fait doux, un magasin s'appelle "Rive gauche", j'hésite à acheter un parapluie représentant la Tour Eiffel (mais les valises vont être suffisamment problématiques sans cela), "the Yellow Dog" vend des accessoires pour chiens, des cafés sont fermés, ça sent l'automne et la fin des vacances, il y a fête au village le deux septembre, avec concours de costumes pour animaux de compagnie.

Traversée définitive du Delaware. Plus de forêt. Champs, maisons, magasins, la circulation s'intensifie. Nous devons rendre la voiture demain à midi, nous décidons de dormir dans Long Island: même s'il y a des bouchons, il n'y aura pas de pont à traverser.
Sept heures moins dix. Bouchons ou quasi bouchons. Verrazano bridge. Magnifique vue sur Manhattan. Magnifique vue sur la mer.



Long Island.
Arrêt à Canarsie Pier. Les toilettes les plus sales du voyage, mais des pêcheurs le long des balustrades, des cerfs-volants contre le ciel et des avions qui semblent devoir les toucher. Carillon entêtant, sans doute une baraque à frites, de celui qui accompagne les meurtres dans les films d'Hitchcock.

Motel et MacDo, après quelques péripéties. Daredevil à la télé, avec toujours les pubs exaspérantes.

En route

Récupéré la voiture. Ces Américains n'ont peur de rien: "enjoy!", et ils se barrent, et je me retrouve à devoir sortir la voiture (une Chrysler 300) dans la cinquantième rue, avec un camion garé en face occupant la moitié de la rue et un van blanc à moitié engagé à ma droite dans le parking dont je veux sortir (ce qui fait que je dois le contourner pour prendre la rue en sens unique à droite).
Je n'ai jamais conduit d'automatique. La voiture m'indique que je dois appuyer sur le frein en passant sur "D", je mets un certain temps à le comprendre, j'avance, je bloque la rue, les taxis klaxonnent, la voiture hoquète (ce n'est que plus tard que je comprendrai qu'elle ne peut pas caler), un black un peu affolé m'aide un instant («— Are you all right? — No, I'm French, I never drive automatic!» (j'ai ouvert la vitre sans vraiment m'en rendre compte)) à prendre le virage entre le camion et le van blanc. De hoquets en klaxons (ils ont le klaxon facile, ces New Yorkais), j'arriverai à l'hôtel.

Direction Long Island, le but est la maison natale de Walt Whitman. Bouchon dans le quartier chinois, j'ai compris qu'il ne faut pas que je me serve de ma jambe gauche, sinon je débraye, c'est-à-dire que je freine avec le pied gauche en accélérant avec le pied droit, ce qui explique les hoquets de la voiture. Sinon, elle est extrêmement agréable, une impression de vaisseau spatial, elle flotte, elle est légère, elle tourne court, les rues sont larges, il y a de la place, ça change tout.
Nous passons sur Brooklyn Bridge, en travaux. Je comprends enfin pourquoi on parle d'un magnifique point de vue du milieu du pont: il y a une voie piétonne au centre, entre les voies pour voiture. Je n'ose imaginer la chaleur (il est 1 p.m., le soleil cogne sur bitume, le pare-brise est brûlant).
Brooklyn, le Queens, quartiers tranquilles, puis friches industrielles, casses de voitures, autoroute, cimetières, golf, hôpitaux; trop tard, nous n'y arriverons pas à temps (4 p.m.), nous continuons.

Le musée est encore ouvert, il ouvre une heure plus tard le samedi, miracle.
Nous visitons une maison minuscule guidés par un jeune homme enthousiaste. Je suis impressionnée par les catastrophes qu'a affrontées la maison: un ouragan ou une tempête (j'ai compris son nom, Anne, mais pas l'année (j'ai des problèmes avec les chiffres)) a noyé le rez de chaussée et le plancher n'est plus d'origine, à l'étage les vitres ont été cassées par une tornade, et une pièce attenante a brûlé.
La maison est minuscule et plaisante, avec une jolie pelouse close par une palissade en bois.

— Connaissez-vous l'expression mad as a heater hatter?
— Oui, c'est de Lewis Carroll, "le chapelier fou"*.
Le jeune homme est interloqué, il ne nous comprend pas, puis rit quand il a compris:
— En fait, la technique de fabrication des chapeaux utilisait du mercure, ce qui empoisonnait les chapeliers qui devenaient fous.
(Et je suis stupéfaite et enchantée de découvrir que Carroll n'avait pas inventé l'expression, mais l'avait utilisée au premier degré.)

Long Island, autoroute dans l'autre sens, nous prenons la direction Cape Cod, deux péages successifs, magnifique vue sur Manhattan au loin dans la brume à partir de Throgs Neck Bridge. De l'autre côté, Manhasset Bay est piquetée de voiliers, c'est magnifique.

Soirée une fois encore cinématographique, motel de Terminator ou de No Country for Old Man près de Milford sur la 95 (sortie Post Road North), burger dans un steakhouse avec une dizaine d'écrans passant cinq ou six chaînes (dont les JO et du baseball), des photos noir et blanc de baseball et football américain et du rock en fond sonore. Et le meilleur hamburger que j'ai jamais mangé.





Et comme je n'en suis plus à un cliché près, NCIS passe à la télé quand nous rentrons.


* en français dans la conversation.
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