Billets qui ont 'lycée' comme autre lieu.

Noël bleu

Le pub Renault (enfin... L'atelier Renault) a choisi une décoration bleue pour Noël, en harmonie avec ma chère R8.





En terminale il y avait quatre redoublants. Laurent avait deux ans de retard (il avait eu un grave accident de moto dont le récit me fit donner du sang pendant des années), j'avais un an d'avance, il avait coutume de me dire qu'il aurait pu être mon père.
Notre amitié commença par une monumentale gaffe: un jour qu'en sortant de cours de physique il annonça qu'il était pressé car il devait aller se faire couper les cheveux, je répondis (jouant à celle qui connaissait la vie) que tant que sa mère ne trouvait pas ses cheveux trop longs, ça pouvait bien attendre.
— Ma mère est morte, me répondit-il très vite en me regardant à peine. Et il partit.
Je restai pétrifiée.

Au dernier rang, en cours d'histoire, il était à côté de moi et glissait des poils de barbe entre les pages de mon cahier en me disant que cela ressemblait à des poils de cul (Ils doivent y être encore si ma mère n'a pas jeté mon cahier). Il trouvait le prof trop gaulliste, lui dont le père était l'archétype de l'instituteur socialiste.

C'est lui qui m'a prêté le Coran et un certain nombre de livres sur les religions orientales. Ils appartenaient à sa mère.

J'avais pris l'habitude, dans l'état de dépression vague où je me trainais, d'aller marcher le long de la Loire le mercredi matin, entre huit et neuf heures (au lieu de travailler comme le pensaient mes parents). Il avait pris l'habitude de me récupérer sur le chemin du retour, m'effrayant la première fois qu'il s'arrêta pour me proposer de monter tant je pensais être tranquille et loin du monde (moment de stupeur avant de le reconnaître, sortie brutale du rêve).
Il possédait une R8 bleue, pas Gordini, au volant et au levier de vitesse en bois.
J'espérais secrètement récupérer cette voiture.
Mais quelques années plus tard, quand le croisant je m'enquis de sa voiture, j'appris que j'arrivais trop tard: elle était partie à la casse.

Désarroi

Durant mes années de lycées, en particulier en première et terminale, je n'allais pas très bien, voire franchement mal (mais comme personne ne paraissait s'en apercevoir (malgré mes 8/5 de tension), je n'ai compris que des années après que j'étais allée réellement mal). J'ai passé mon premier trimestre de terminale à choisir la fenêtre du troisième étage par laquelle me jeter, sans rien dire à personne puisque la rumeur voulait que quand on en parlait, on ne le faisait pas...

Il y avait dans la classe un redoublant, Emm. Rétif, très blond, aux yeux d'un bleu porcelaine (un iris étonnant, composé de mosaïque). Il était toujours gai. Le premier appel du premier cours de philo avait donné lieu à l'échange suivant:
— Rétif, Rétif... Tiens, j'ai un cousin qui s'appelle Rétif!
— Moi aussi.
Eclat de rire général.
On l'appelait Frite.

Un jour, je me souviens de la salle, de la lumière, j'associe ce moment je ne sais pourquoi à l'image de Danton de Wajda qui faisait beaucoup de bruit à ce moment-là, il m'a dit quelque chose, je ne sais plus quoi, je me souviens de tout sauf de cette phrase, et je me suis dit: «Ce n'est pas possible, je ne peux pas leur faire ça.»
Et j'ai continué à aller mal, mais j'ai abandonné mon projet.

L'élève qui s'est suicidé l'autre jour dans la classe de mon fils fait remonter tous ces souvenirs. Lui n'a pas croisé Frite et je suis bouleversée.


(Et quand j'écris ce genre de billet, je pense «Le roi Midas a des oreilles d'âne». Enterrer ici ce qu'on n'ose dire à personne, dans cette illusion que personne ne viendra y voir.)

Laurence

Hier soir m'attendait une lettre de ma mère contenant une carte postale et un faire-part de décès découpé dans le journal. Date de la messe, une fois de plus la date de la mort m'échappe : Laurence, 22 juin 1966 - mai 2009. Il me semble que maman m'avait parlé d'un cancer il y a quelques temps. Je n'avais pas fait très attention : un cancer, ça se "guérit" (enfin, ça s'ampute), non?
Laurence était avec moi en terminale C. C'était une élève moyenne. Elle voulait faire médecine. Notre professeur de physique, la redoutable mademoiselle Guilbert, ne manquait jamais une occasion de lui rappeler son opinion: «Médecine? mais vous n'y arriverez jamais, ce n'est pas pour vous».
Des années plus tard, Laurence m'a confié qu'elle avait failli envoyer à Guilbert une invitation à sa soutenance de thèse.

Entre-temps, elle s'était spécialisée dans la rééducation des handicaps neuro-psychiatriques. Je l'avais eu au téléphone peu après la naissance de mon premier enfant, et alors que je lui faisais part de certains choix concernant mon accouchement, elle avait eu cette phrase qui m'avait fait frissonner rétrospectivement: «J'oublie toujours qu'une naissance peut bien se passer et qu'un enfant peut être normal».
A l'époque, elle travaillait en réanimation néonatale.

La dernière fois que je l'ai vue, c'était par hasard, aux Galeries Lafayettes. Elle était habitée par son métier, elle m'avait parlé du courage des malades les plus atteints, des jérémiades de ceux qui n'avaient comparativement que des affections sans gravité.

Je pensais à elle de temps en temps. J'avais reçu un faire-part pour la naissance de son fils Quentin (1993), je me demandais si elle avait eu d'autres enfants tout en pensant que son métier était trop prenant pour cela.
Le faire-part de décès m'apprend que j'avais vu juste.

J'ai interrogé FB, trouvé son fils. J'ai imaginé le chagrin de ce garçon inconnu de quinze ans. J'ai contemplé sa photo et je me suis dit qu'internet donnait des réflexes bizarres.


Nous étions vingt-quatre en terminale.
Vingt-trois maintenant.
Et je sais qu'à chaque nouvelle mort je me poserai la même question: pourquoi? pourquoi lui? pourquoi elle?; et de le savoir me fatigue de moi-même.

Punk is not ded

À midi, au cinéma rue Pasquier.

J’ai enfin vu Persépolis. À lire les critiques ça et là sur différents blogs, je savais que c’était un bon film, je ne pensais pas le trouver si drôle et si émouvant. Je n’imaginais pas dire un jour de la musique d’Iron Maiden qu'elle constitue un fond sonore approprié à certaines images.

Commençons par le plus rébarbatif : à travers un récit familiale, c’est un cours d’histoire, très simple, l’histoire telle qu’on la vit et non telle qu’on la comprend des années plus tard, de loin, expliquant d’une phrase le rôle déstabilisateur de la Grande-Bretagne après la seconde guerre mondiale, et plus tard celui de la CIA, luttant à tous prix, y compris le sort des populations locales, contre l’influence communiste. Il montre l’oppression au jour le jour, quand l’acte le plus simple aussi bien que les convictions les plus affirmées peuvent conduire à la prison, à la torture et à la mort.

Le dessin est beau, plein d’inventions, sachant prendre des accents orientaux pour raconter l’avènement du père du shah, faussement naïf et simpliste quand il schématise la ligne des voitures ou des immeubles la nuit, tendre quand il souligne le flottement des foulards dans le vent, pudique mais explicite quand il montre ou suggère la mort, ironique dans ses détails. Dieu a de beaux yeux et une belle barbe mais il est dépassé par la situation (il paraît d’ailleurs un peu las lors de sa dernière apparition).

Les dialogues sont drôles, à l’image de ce qui a fait le renom de Marjane Satrapi, toute déclaration un peu solennelle ou utopique étant suivie d’un contrepoint réaliste qui fait rire, ou plus tard, Marjane grandissant, pleurer, par sa justesse et son décalage : la réalité n’est pas une idée, c’est la réalité.
La vacuité des adolescents nihilistes/anarchistes viennois est égratignée, sans appuyer, mais aussi l’inconscience de Marjane capable d’accuser un passant pour se débarrasser de la police. Le rôle des pays occidentaux est dénoncé en passant, sans insister, comme un fait, et non comme un sujet de débats ou de propagande.
C’est un film qui montre sans démontrer, un récit qui rend hommage à un pays et une grand-mère disparue. C’est avant tout une histoire familiale racontée de façon tonique, un témoignage qui vise le particulier, et l’accuser de ne pas être assez politique (je crois que certains l’ont fait), c’est sans doute le juger sur un critère non pertinent ici.


Et je me rappelle mon amie de lycée aînée de quatre filles, dont le père psychiatre avait fuit le régime iranien, qui me racontait comment sa mère, devant produire une photo d’identité où ses cheveux n’apparaîtraient pas et n’ayant rien d’autre sous la main, s’était fait photographier une bombe d’équitation sur la tête.

Manque de curiosité

Je suis peu curieuse, je crois que je ne l'ai jamais vraiment été. Lorsque j'étais petite, je pouvais attendre très longtemps avant d'ouvrir les cadeaux de Noël; mes parents louaient cette sagesse qui permettait d'attendre que ma sœur fût levée pour prendre les photos familiales. Cela ne me coûtait pas, je savais déjà que les cadeaux étaient plus beaux non déballés, ils permettaient de rêver, ils contenaient tout tant qu'ils n'était pas ouverts.

Je ne pose pas beaucoup de questions, ou du moins j'essaie, pas de questions personnelles ou trop personnelles, et plus je rencontre de gens, plus j'écoute d'histoires différentes, plus il me semble que le nombre de questions susceptibles d'être posées diminue, que tout finalement peut être l'occasion de gaffes.%%% Je suis très douée pour les gaffes, à ce niveau-là, c'est presque de l'instinct.


Je me souviens de deux occasions de curiosité: vers sept ans, j'ai repéré dans l'armoire de mes parents ce qui devaient être mes cadeaux d'anniversaire, et je les ai lus. Non seulement mes parents furent très peinés, mais en plus je m'aperçus que cela gâchait totalement la fête quelques jours plus tard: il n'y avait plus de surprise, plus de cadeau, plus rien.

La deuxième fois, je devais être au lycée et ma sœur au collège. J'ai lu son journal intime dans lequel elle écrivait qu'elle souhaitait ma mort, que je gâchais toujours tout, qu'elle espérait voler du poison en cours de chimie pour se débarrasser de moi. J'ai refermé son journal (je me souviens de la lumière tamisée, ce devait être le début de l'été) et je suis sortie doucement de sa chambre.

Vous pouvez laisser traîner n'importe quoi devant moi, je ne le lirai pas. Je ne fouillerai ni dans vos poches, ni dans vos sacs, je n'ouvrirai aucun calepin. Ce n'est pas de la discrétion, c'est de la prudence.

Digressions historico-politico-familiales

En sortant de La vie des autres, H. évoque un souvenir d'enfant du début des années 70: sa grand-mère yougoslave naturalisée française, devenant hystérique à la frontière, refusant d'entrer en Yougoslavie où ses enfants l'emmenaient en vacances revoir sa famille. Elle craignait qu'"ils" ne la laissent plus repartir.
J'évoque mes propres souvenirs, le kilo de café envoyé d'urgence en Pologne pour dépanner la famille qui avait emprunté du café à des voisins pour un mariage et n'arrivait pas à s'en procurer pour le rendre, un cousin éloigné de papa qui venait parfois à Vierzon avec sa fille voir ma grand-mère, mais jamais avec sa femme et son fils, qui restaient en Pologne pour garantir son retour. Ce cousin habitait près d'une église désaffectée, la nuit on venait le chercher pour être parrain lors de baptêmes célébrés en cachette. Il était parrain d'innombrables enfants.
Je me souviens de ma découverte du mot apatride («Ça veut dire quoi apatride?») à côté du nom de Martina Navratilova lors des matches de Roland-Garros et de l'horreur que ce mot avait fait naître, apatride, pire qu'exilé, sans aucun lieu pour se poser ou se reposer.
Je méprise les intellectuels occidentaux qui ont supporté le communisme. Je supporte mal un certain anti-américanisme. Quelles que soient les errances d'un président, les actions géopolitiques absurdes, violentes, hégémoniques, de soixante années de politique internationale américaine, on ne peut les comparer à ce qu'ont connu les pays du bloc soviétique, ne serait-ce que parce qu'on peut évoquer tranquillement cette politique brutale sans risquer sa vie (et je reste le souffle coupé devant un film comme Docteur Folamour, sorti en pleine guerre froide, un an après la mort de Kennedy). Les actuelles compromissions des pays occidentaux avec la Russie de Poutine ou la Chine me sont odieuses.

Je me souviens d'un devoir d'histoire en terminale, le professeur avait eu un geste désabusé au moment de la correction: «Personne n'a compris l'enjeu de ce texte, il s'agit d'évaluer la possibilité et les conditions de la réunification de l'Allemagne», je l'avais regardé comme s'il était fou: réunification? mais c'était totalement impossible, comment pouvait-on seulement y songer?
Je me souviens exactement de la première fois où j'ai entendu le mot pérestroïka, j'étais au lit à l'internat, j'écoutais la radio, le doute et la joie se mêlaient, fallait-il y croire, pouvait-on y croire, ne risquait-on pas d'être joué?
Je me souviens de la décision de la Hongrie en septembre 1989, j'étais en formation à Périgueux pour mon premier emploi, je regardais la télévision le soir seule dans ma chambre d'hôtel, le monde entier retenait son souffle. En juin, les étudiants chinois de la place Tian Anmen avaient été écrasés, qu'allait-il se passer?
Je ne comprends pas que Mikhaïl Gorbatchev ait totalement disparu de l'actualité, il est l'homme qui a le plus profondément changé le monde depuis 1945.

Tandis que passe la bande-annonce de Goodbye Bafana, C., 14 ans, demande: «C'est qui, Nelson Mandela?» Mon cœur manque un battement, est-il possible de ne pas savoir qui est Nelson Mandela? Je me souviens du regard de profond mépris de mon voisin en classe de seconde, lycéen sur-politisé comme il y en avait quelques-uns (entourés de quelques filles à longues jupes qui sentaient le patchouli), parce que je ne savais rien du boycott des oranges Outspan.

Parfois j'essaie d'imaginer ce qu'a pu être la décolonisation pour nos parents ou nos grands-parents, ou ce que c'était de vivre avant la seconde guerre mondiale. Le sentiment du monde est incommunicable, il ne peut qu'être imparfaitement reconstitué par recoupements successifs.

Primer

Si vous allez voir Primer (film culte, 7000$ de budget, blablabla), je vous serai reconnaissante de m'expliquer ce que vous aurez compris. Il paraît que toutes les réponses sont dans le film. Mais je n'ai même pas compris la question.
De plus, je ne vois pas l'intérêt d'un film composé uniquement de dialogues, pratiquement sans image.

(Cela m'a rappelé le film d'amateur tourné en première par un ami fan de Spielberg. C'était la grande époque de E.T.. Il avait recruté ses acteurs parmi nous et tourné un remake parodique des séries américaines de l'époque. C'était incompréhensible mais nous étions heureux.)


P.S.: Je viens de découvrir l'article de Wikipedia. Je vais l'étudier de près… A vous de voir si vous le lisez avant ou après… Mais euh… Je ne vous encourage pas à y aller…

Résister en poésie

Madame Squ*n*bol, ma professeur de français de première, était très maigre. Elle devait avoir une quarantaine d'années, était toujours entre deux dépressions causées par la trop grande désinvolture de ses élèves envers la littérature. Elle s'habillait de couleurs vives, de vêtements "chics", et ma mère ne manquait jamais, lorsque nous nous promenions en ville, de me faire remarquer lorsque nous passions devant certaine boutique : «C'est ici que s'habille Madame Squ*n*bol».

Son livre préféré était L'Oiseau bariolé, de Jerzy Kosinski, et j'ai pensé à elle lorsque j'ai appris le suicide de Kosinski un jour de mai, bien plus tard.

Je lui dois en particulier la découverte de Jules Laforgue.

Elle reste avant tout pour moi l'adolescente de quinze ans qui a eu l'idée, pour protester contre la nourriture infecte du réfectoire, de se lever au milieu d'un repas et de réciter Une charogne.
Elle a été renvoyée trois jours.
Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d'été si doux :
Au détour d'un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,

Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d'exhalaisons.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint ;

Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s'épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l'herbe
Vous crûtes vous évanouir.

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D'où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s'élançait en pétillant ;
On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,
Vivait en se multipliant.

Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l'eau courante et le vent,
Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van.

Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,
Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève
Seulement par le souvenir.

Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d'un oeil fâché,
Épiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu'elle avait lâché.

Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !

Oui ! telle vous serez, ô reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses.
Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés !

Charles Baudelaire

Les routiers sont sympas

Un commentaire chez Guillaume m'apprend la mort de Max Meynier.

Lorsque j'étais en terminale, je faisais mes devoirs à la dernière minute. J'avais pris l'habitude de travailler la nuit, 22 heures-2 heures, ou même de me coucher tôt pour me relever, 1heure-5 heures, pour redormir deux heures à l'aube. J'écoutais la radio, très bas. C'était un vieux poste qui ne recevait pas la FM et que la calculatrice HP parasitait.

Je n'ai jamais écouté Macha. J'ai beaucoup écouté Max Meynier. La nuit, les routes, les messages (les naissances, les anniversaires, les galères, les pannes).

Quelques années plus tôt, m'ennuyant beaucoup, j'avais entrepris de lire tous les livres de la bibliothèque du collège, en commençant en haut à gauche (non, je ne connaissais pas Sartre!) Le classement voulait que la première étagère fut consacrée à la collection Fantasia, de grands livres beiges dont les couvertures s'ornaient de lignes dorées formant des losanges, avec une étoile aux intersections des lignes.
J'ai dû lire une centaine des livres de cette collection, dont le souvenir est à la fois vif et brouillé (c'est-à-dire que je confonds tous les titres et toutes les histoires.) L'un d'entre eux racontait l'histoire d'un garçon qui faisait une fugue et voulait devenir routier. Voyage initiatique: à la fin du livre, les divers routiers l'avaient convaincu de devenir aviateur... Je crois que cela s'appelait Et pourtant l'aube se leva. Mais cela conviendrait tellement mieux à un livre sur la deuxième guerre mondiale que je me dis que je dois me tromper. Je pense souvent à cette phrase, à ce titre: Et pourtant l'aube se leva (Et il y eut une nuit, et il y eut un matin).

Plus tard, j'ai fait beaucoup de stop. Je traversais régulièrement la France, Paris-Bordeaux (pas dans l'autre sens, dans l'autre sens j'étais pressée, en retard bien sûr, donc je prenais le train). Ce sont les professionnels de la route qui s'arrêtent pour prendre les auto-stoppeurs, les VRP et les routiers; plus rarement des étudiants.
Je confirme : les routiers sont sympas. Les VRP, c'est plus divers, ils sont plus obsédés, plus matois, plus alambiqués. Les routiers sont sympas, simples, directs, vous proposent la botte au bout de cinq minutes et n'insistent pas. Je me souviens d'un Agenais jeune, aux boucles d'angelot, qui répétait justement «On n'est pas des anges».

J'aimais beaucoup le stop. Les gens qui prennent un stoppeur ont envie de parler. J'ai appris ainsi le circuit de la fabrication des chaises entre la France et l'Italie, la technique du séchage des prunes pour en faire des pruneaux, les caractéristiques du secteur des groupes électrogènes, les amours et les peines de certains, leurs problèmes concernant les enfants, des histoires de vengeance... Je me souviens d'un routier hollandais qui faisait la navette deux fois par semaine entre Amsterdam et Barcelone. Son camion était le plus beau, le plus neuf, le mieux équipé de ceux dans lesquels je suis montée. Il parlait un étrange sabir et m'a détaillé à peu près toute la législation du transport routier en France et toutes les façons de la contourner. Il m'a raconté qu'à une époque il faisait la navette entre la Hollande et l'Arabie Saoudite: dix-sept jours de camion. Il était très gentil, très tendre, je regrette encore de ne pas avoir fait une exception à ma stricte ligne de conduite et ne pas lui avoir dit oui.

Les parkings d'autoroute le week-end, avec les grands camions au repos comme des bêtes punies, me remplissent de nostalgie.

Bonsoir, Max.
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