Lundi soir.
Cette pièce m'intriguait à cause du réseau d'allusions dont elle paraît le centre : Les Celtiques (Corto Maltese), Sourires d'une nuit d'été d'Ingmar Bergman, Comédie érotique d'une nuit d'été de Woody Allen, Le cercle des poètes disparus, etc.
Je connaissais Obéron, Puck, j'avais vu la tête d'âne.
Je ne m'attendais pas à rire autant et à sortir la tête aussi légère.
Comment écrire sans rien dévoiler?
Commençons par des renseignements généraux : le théâtre du Nord-Ouest présente l'intégrale de Shakespeare (34 pièces) jusqu'en mars 2008. Il a inventé la carte UGC du théâtre: pour 90 euros, on peut assister à autant de représentations qu'on le souhaite. Le programme est ici.
Il propose également d'acheter une pierre du théâtre, pour garantir l'indépendance de la troupe. Malheureusement la part est chère, mille euros. L'initiative de la souscription est soutenue par l'association Miroir du Monde, qui semble tout à fait sérieuse.
Nous entrons dans la salle par la scène. La salle est entièrement noire, le sol semble d'ardoise (je l'ai touché en partant, c'est une sorte de linoléum ressemblant aux sols des activités pour enfants), la scène descend lentement en marches basses d'environ un mètre cinquante de large. Il est sans doute possible d'y mettre quelques accessoires, mais visiblement elle n'est pas prévue pour cela. Les acteurs joueront sans décor, et je m'amuserai à composer un décor mental, celui des théâtres itinérants du Capitaine Fracasse.
Bonne nouvelle, contrairement à la plupart des salles parisiennes, il y a de la place pour les jambes.
La pièce commence. Les acteurs sont inégaux, jeunes, leur voix mettra un peu de temps à se chauffer. Ensuite, ce sera du pur plaisir, entre le texte, le jeu des acteurs, la mise en scène, vive, loufoque, qui représente avec un rare bonheur la lubricité, la folie, le désespoir, l'amour, et se moque gentiment des simplets et sans aucun doute des spectateurs: comment comprendre autrement que Shakespeare prévoit d'expliquer que le lion sur scène n'est pas un vrai lion (et autres fadaises, je ne veux pas en dire trop pour ceux qui ne connaîtraient pas), et qu'il aille jusqu'à expliquer trois fois la même chose, une fois en prévoyant un prologue (prologue au prologue), ensuite en faisant jouer le prologue (sorte de résumé de l'intrigue remplacé aujourd'hui par la feuille A4 fournie à l'entrée de la salle), puis la pièce racontée par le prologue...
Les enchâssements et les jeux de miroir sont multiples, la traduction est vive et enjouée (bien meilleure pour la scène que celle donnée par mon édition Bouquins), les acteurs totalement imprégnés de leur texte et des mouvements de scène.
Puck/Robin surtout est magnifique, à la fois comme homme et comme acteur, il a sans nul doute une formation de danseur, et son jeu comme son corps sont remarquables. Il vaut le déplacement à lui seul. Mais des rôles plus effacés sont également très bien tenus, et je vous recommande Thisbée, sans compter le mur...
Il s'agit vraiment d'une pièce pour rien, au prétexte ténu, sans leçon ou moralité, absolument invraissemblable et s'en moquant, une vraie réjouissance. Incidemment, elle donne l'explication du déréglement des saisons en Europe et des inondations que connaît l'Angleterre: Obéron et Titania se disputent, seule leur réconciliation rendra sa régularité à la ronde des saisons:
Pures inventions que crée la jalousie.
Jamais depuis le temps du solstice d'été
Je ne t'ai rencontré par bois, vaux ou collines,
Par sources empierrées, ruisseaux bordés de joncs,
Ou rivages marins, qui déroulent leurs plages
Pour nos rondes rythmées par la chanson des vents,
Que tu n'aies dérangé nos jeux par tes querelles.
Alors les vents, lassés de leurs vains chants de flûte,
Comme pour se venger ont sucé dans la mer
Des brouillards contagieux qui, tombant sur le sol,
Ont réveillé l'orgueil des plus minces rivières
De sorte qu'elles ont débordé de leur lit.
Aussi le bœuf a-t-il en vain tiré son joug
Le laboureur sué our rien, et le blé vert
A pourri sans que son enfance ait eu de barbe.
Dans les prés inondés l'enclos demeure vide,
Les troupeaux décimés engraissent les corbeaux,
La boue vient envahir le terrain de marelle;
Les sentiers du dédale entre les herbes hautes
N'étant plus parcourus deviennent indistincts.
Les mortels sont privés des plaisirs de l'hiver.
Plus d'hymnes, de chansons qui sanctifient la nuit.
Aussi la Lune, qui préside à tous les flux,
Pâle de rage, rend humide l'atmosphère,
De sorte que partout le rhumatisme abonde
Et ce climat brouillé dérange les saisons.
Les frimas à tête blanche se répandent
Jusque dans le sein frais des roses cramoisies.
A son front dégarni et glacé, le vieux Hiems
Reçoit, pour se moquer, l'odorant chapelet
Des beaux boutons de l'été. Et l'été, le printemps,
Et l'automne fécond et le hargneux hiver
Echangent leur livrée, et le monde ébahi
A leurs effets dès lors ne peut les reconnaître;
Or tout l'engendrement de ces maux est produit
Par nos dissentiments à nous, par nos querelles.
Nous sommes leurs parents, c'est nous leur origine.
Titania dans la scène 1 de l'acte II. Traduction Jean Malapate dans les Œuvres complètes de la collection Bouquins, tome "Comédies I" p.683
voir le texte original
Parce que je ne la trouve pas sur le net, et pour remercier les acteurs de cette excellente soirée, je copie ici la distribution:
Traduction : Jean-Michel Déprats
Mise en scène : Nicolas Luquin
Assistantes : Maïlis Dupont et Chloé Bernadoux
Création lumière : Valentin Fraisse et Florent Enjalbert
Costumes : Tatiana Hasan
Scénographie : John Bercq
Musique : Andréa Parias et Julien Gauthier
Création maquillage et masque : Adeline Kœger
Thésée / Obéron : Alexandre Texier
Hyppolyta / Titania : Stéphanie Crame
Puck / Philostrate :Â Julien Alluguette
Egée : Marc Esterez
Lysandre : Aurélien Bédéneau
Démétrius : Nicolas Luquin
Hermia : Nastassia auf des Mauer
Héléna : Alice Dumont / N. Van Tongelen (je ne sais laquelle nous avons vue: une petite blonde au nez retroussé jouant très bien la colère et l'exaspération)
Fleur des pois : Tatiana Hassan / Annabelle Boussaud
Toile d'araignée : Florence Pasquier
Phalène : Sandie Bassard
Graine de moutarde : Béatrice Guiraud
Nick Bottom : Nicolas Siouffi
Francis Flute : Jean-Loïc François / Mickaël Viaud
Peter Quince : Vincent Bramoullé
Tom Snout : Alexandre Morand / Sébastien Coënt
Snug : Christopher Garcia-Alvarez
Robin Starveling : Claude Dos Santos
Le chien : Chanel