Billets qui ont 'théâtre du Nord-Ouest' comme autre lieu.

Mademoiselle Julie, de Strindberg, au théâtre du Nord-Ouest

Je l'ai déjà écrit, le charme du théâtre du Nord-Ouest, ce sont ses salles toutes noires, l'absence de décor, la proximité des acteurs. Mademoiselle Julie se joue dans la petite salle, l'espace de la scène est donc bordé de sièges sur trois côtés.

La pièce commence lentement, sur un constat: «Mademoiselle Julie est complètement folle!»
Repas du domestique servi par sa promise, exposition de la situation, apparaît Mademoiselle Julie, scène de séduction (de drague) effrontée, malaise du domestique qui souhaite protéger sa maîtresse de la déchéance, sociale et humaine, qu'il sait fatale, sans pour autant désobéir aux ordres qui se font humiliants et impudiques...
Puis la chair reprend ses droits et tout bascule.

Pièce à voir absolument, magnifiquement jouée par Audrey Sourdive, Jean Tom et Nathalie Lucas.
On en sort passablement secoué par la violence du texte et de la situation: pas d'issue, pas d'issue, pour celui ou celle qui ne saura pas tenir sa place, que ce soit une place attribuée par la nature ou par la société.

Pour une critique plus élaborée, voir ce blog consacré au théâtre.

Les classiques sont increvables

Lorsqu'une pièce s'intitule Tout Shakespeare en une soirée et qu'elle dure une heure, moi, naïvement, je m'attends à un condensé humoristique des pièces de Shakespeare — peut-être pas de toutes mais au moins des plus célèbres — reprenant leurs lignes de force et les personnages principaux. J'espère une espèce d'article Wikipedia sur scène, quelque chose de drôle et de vivant qui joue comme un aide-mémoire.

Nous nous sommes retrouvés devant un tilleul (très beau, d'ailleurs, un magnifique poster scolaire) et deux acteurs auxquels je m'empresse de préciser qu'il n'y a rien à reprocher.
Je retiens "les classiques sont increvables"; le pape baise la terre d'Autriche; l'archevêque de Vienne s'entend très bien avec le pape, après les répétitions ils boivent ensemble un demi-coca frappé (ayant décidé d'envoyer l'autre moitié aux assoiffés d'Ethiopie). Vienne n'est pas une bonne idée pour un Allemand, surtout le Burgtheather. "Nous avons sous-estimé la culture et la haine viennoises".

Je retiendrai de cette heure pendant laquelle j'ai failli m'endormir (ce qui est très gênant dans une salle si petite) que décidément je n'aime pas le théâtre absurde, l'absurde ne me fait rire que "dans la vraie vie".
Ici j'ai attendu Godot, et je me suis beaucoup ennuyée.


Tout Shakespeare en une soirée de Thomas Bernhard au Théâtre du Nord-Est.

Les Joyeuses Commères de Windsor

Mercredi 15 août, soirée.

Songe d'une nuit d'été nous ayant convaincu, nous retournons au théâtre du Nord-Ouest, cette fois dans la petite salle. Enfin, je suppose: en réalité il n'y a pas beaucoup de différence, les sièges sont plus mous, plus avachis, on dirait de vieux canapés, ils entourent la scène sur trois côtés.
La grande faiblesse de cette représentation sera la chaleur et une persistante odeur de sueur. En effet, il est sans doute très difficile d'aérer cette salle, et l'air stagnant restitue les remugles de la représentation de l'après-midi.

La pièce est plaisante, les acteurs convaincants, il s'agit d'une farce traditionnelle sur le thème du joueur joué. La troupe est plus âgée, ce qui convient bien aux personnages. Je suis inquiète les dix premières minutes, c'est très brouillon, je me dis que cette fois je ne vais rien comprendre (ma grande angoisse dès qu'il ne s'agit pas de livre, où l'on peut toujours remonter de quelques pages quand on n'a pas fait attention à un détail ou qu'on l'a oublié).
Et puis non, comme souvent il suffisait d'attendre que l'intrigue se mette en place.
Une fois encore le décor est minimal, une table, un banc, des verres, apportés et emportés par les acteurs. Entre les tableaux, un ou deux acteurs défilent avec une banderole pour indiquer le lieu de la scène à venir (en effet, les lieux changent continuellement), ils pourraient s'éviter cette peine, cela n'a pas grande importance, mais c'est amusant ces banderolles, "auberge de la jarretière" ou "maison de Gué" ou "jardin de Gué", etc. J'aime beaucoup cette abscence de décor, les décors qui veulent "signifier" m'effraient.

La pièce est amusante mais moins surprenante que Songe d'une nuit d'été.
Je note au passage que Shakespeare semble avoir une prédilection pour les pièces jouées dans les pièces, la mise en abyme de la représentation: je connais peu de pièces et je peux déjà citer trois cas, Hamlet, Songe d'une nuit d'été, et maintenant Les Joyeuses Commères de Windsor, sous une forme un peu différente. Ici, il ne s'agit pas d'une pièce de théâtre dans la pièce de théâtre, mais d'une représentation à huis clos, à l'usage d'un seul, Falstaff, caché derrière un pilier. C'est un moment intéressant car les actrices dédoublent alors leur jeu, de façon remarquable, pour jouer le fait qu'elles jouent.
Jouer en effaçant la marque du jeu (à notre usage) et chercher l'illusion de la réalité, jouer en accentuant les marques du jeu (à l'attention de Falstaff mais bien sûr à la nôtre, puisqu'il s'agit que nous comprenions le double jeu) et montrer l'illusion du théâtre, ce double registre paraît une préoccupation de Shakespeare (conclué-je imprudemment après avoir vu cinq ou six pièces shakespeariennes dans ma vie).

Songe d'une nuit d'été

Lundi soir.

Cette pièce m'intriguait à cause du réseau d'allusions dont elle paraît le centre : Les Celtiques (Corto Maltese), Sourires d'une nuit d'été d'Ingmar Bergman, Comédie érotique d'une nuit d'été de Woody Allen, Le cercle des poètes disparus, etc.

Je connaissais Obéron, Puck, j'avais vu la tête d'âne.
Je ne m'attendais pas à rire autant et à sortir la tête aussi légère.

Comment écrire sans rien dévoiler?

Commençons par des renseignements généraux : le théâtre du Nord-Ouest présente l'intégrale de Shakespeare (34 pièces) jusqu'en mars 2008. Il a inventé la carte UGC du théâtre: pour 90 euros, on peut assister à autant de représentations qu'on le souhaite. Le programme est ici.
Il propose également d'acheter une pierre du théâtre, pour garantir l'indépendance de la troupe. Malheureusement la part est chère, mille euros. L'initiative de la souscription est soutenue par l'association Miroir du Monde, qui semble tout à fait sérieuse.

Nous entrons dans la salle par la scène. La salle est entièrement noire, le sol semble d'ardoise (je l'ai touché en partant, c'est une sorte de linoléum ressemblant aux sols des activités pour enfants), la scène descend lentement en marches basses d'environ un mètre cinquante de large. Il est sans doute possible d'y mettre quelques accessoires, mais visiblement elle n'est pas prévue pour cela. Les acteurs joueront sans décor, et je m'amuserai à composer un décor mental, celui des théâtres itinérants du Capitaine Fracasse.
Bonne nouvelle, contrairement à la plupart des salles parisiennes, il y a de la place pour les jambes.

La pièce commence. Les acteurs sont inégaux, jeunes, leur voix mettra un peu de temps à se chauffer. Ensuite, ce sera du pur plaisir, entre le texte, le jeu des acteurs, la mise en scène, vive, loufoque, qui représente avec un rare bonheur la lubricité, la folie, le désespoir, l'amour, et se moque gentiment des simplets et sans aucun doute des spectateurs: comment comprendre autrement que Shakespeare prévoit d'expliquer que le lion sur scène n'est pas un vrai lion (et autres fadaises, je ne veux pas en dire trop pour ceux qui ne connaîtraient pas), et qu'il aille jusqu'à expliquer trois fois la même chose, une fois en prévoyant un prologue (prologue au prologue), ensuite en faisant jouer le prologue (sorte de résumé de l'intrigue remplacé aujourd'hui par la feuille A4 fournie à l'entrée de la salle), puis la pièce racontée par le prologue...

Les enchâssements et les jeux de miroir sont multiples, la traduction est vive et enjouée (bien meilleure pour la scène que celle donnée par mon édition Bouquins), les acteurs totalement imprégnés de leur texte et des mouvements de scène.
Puck/Robin surtout est magnifique, à la fois comme homme et comme acteur, il a sans nul doute une formation de danseur, et son jeu comme son corps sont remarquables. Il vaut le déplacement à lui seul. Mais des rôles plus effacés sont également très bien tenus, et je vous recommande Thisbée, sans compter le mur...

Il s'agit vraiment d'une pièce pour rien, au prétexte ténu, sans leçon ou moralité, absolument invraissemblable et s'en moquant, une vraie réjouissance. Incidemment, elle donne l'explication du déréglement des saisons en Europe et des inondations que connaît l'Angleterre: Obéron et Titania se disputent, seule leur réconciliation rendra sa régularité à la ronde des saisons:

Pures inventions que crée la jalousie.
Jamais depuis le temps du solstice d'été
Je ne t'ai rencontré par bois, vaux ou collines,
Par sources empierrées, ruisseaux bordés de joncs,
Ou rivages marins, qui déroulent leurs plages
Pour nos rondes rythmées par la chanson des vents,
Que tu n'aies dérangé nos jeux par tes querelles.
Alors les vents, lassés de leurs vains chants de flûte,
Comme pour se venger ont sucé dans la mer
Des brouillards contagieux qui, tombant sur le sol,
Ont réveillé l'orgueil des plus minces rivières
De sorte qu'elles ont débordé de leur lit.
Aussi le bœuf a-t-il en vain tiré son joug
Le laboureur sué our rien, et le blé vert
A pourri sans que son enfance ait eu de barbe.
Dans les prés inondés l'enclos demeure vide,
Les troupeaux décimés engraissent les corbeaux,
La boue vient envahir le terrain de marelle;
Les sentiers du dédale entre les herbes hautes
N'étant plus parcourus deviennent indistincts.
Les mortels sont privés des plaisirs de l'hiver.
Plus d'hymnes, de chansons qui sanctifient la nuit.
Aussi la Lune, qui préside à tous les flux,
Pâle de rage, rend humide l'atmosphère,
De sorte que partout le rhumatisme abonde
Et ce climat brouillé dérange les saisons.
Les frimas à tête blanche se répandent
Jusque dans le sein frais des roses cramoisies.
A son front dégarni et glacé, le vieux Hiems
Reçoit, pour se moquer, l'odorant chapelet
Des beaux boutons de l'été. Et l'été, le printemps,
Et l'automne fécond et le hargneux hiver
Echangent leur livrée, et le monde ébahi
A leurs effets dès lors ne peut les reconnaître;
Or tout l'engendrement de ces maux est produit
Par nos dissentiments à nous, par nos querelles.
Nous sommes leurs parents, c'est nous leur origine.

Titania dans la scène 1 de l'acte II. Traduction Jean Malapate dans les Œuvres complètes de la collection Bouquins, tome "Comédies I" p.683
voir le texte original


Parce que je ne la trouve pas sur le net, et pour remercier les acteurs de cette excellente soirée, je copie ici la distribution:
Traduction : Jean-Michel Déprats
Mise en scène : Nicolas Luquin
Assistantes : Maïlis Dupont et Chloé Bernadoux
Création lumière : Valentin Fraisse et Florent Enjalbert
Costumes : Tatiana Hasan
Scénographie : John Bercq
Musique : Andréa Parias et Julien Gauthier
Création maquillage et masque : Adeline Kœger

Thésée / Obéron : Alexandre Texier
Hyppolyta / Titania : Stéphanie Crame
Puck / Philostrate : Julien Alluguette
Egée : Marc Esterez
Lysandre : Aurélien Bédéneau
Démétrius : Nicolas Luquin
Hermia : Nastassia auf des Mauer
Héléna : Alice Dumont / N. Van Tongelen (je ne sais laquelle nous avons vue: une petite blonde au nez retroussé jouant très bien la colère et l'exaspération)
Fleur des pois : Tatiana Hassan / Annabelle Boussaud
Toile d'araignée : Florence Pasquier
Phalène : Sandie Bassard
Graine de moutarde : Béatrice Guiraud
Nick Bottom : Nicolas Siouffi
Francis Flute : Jean-Loïc François / Mickaël Viaud
Peter Quince : Vincent Bramoullé
Tom Snout : Alexandre Morand / Sébastien Coënt
Snug : Christopher Garcia-Alvarez
Robin Starveling : Claude Dos Santos
Le chien : Chanel

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