Billets qui ont 'écrire' comme mot-clé.

Ecrire pour sa vieillesse

[…] mais ce sera sans doute pour son amusement qu'il sèmera dans les jardins de l'écriture et qu'il écrira, si jamais il écrit. Amassant ainsi un trésor de souvenirs pour lui-même, quand la vieillesse oublieuse sera venue, et pour tous ceux qui marcheront sur ses traces, il prendra plaisir à voir pousser les plantes délicates de ses jardins, et, tandis que les autres recheront d'autres divertissements et d'adonneront à des banquets et autres passe-temps du même genre, lui, répudiant ces plaisirs, passera sans doute sa vie dans l'amusement dont je viens de parler.

Platon, Phèdre, traduction d'Emile Chambry, p.168 (Garnier-Flammarion 1964)

Je ne suis pas sûre de comprendre: cela veut-il dire que dans trente ans je passerai mon temps à relire ce blog (mazette!), ou que j'y écrirai plus longuement?

Mélancolie et incompréhension

C'est bizarre, cette façon de s'enthousiasmer pour les correspondances sans jamais écrire une lettre soi-même. On me répond "baisse de niveau", je pense "manque de courage". Le niveau monte quand on pratique. Pas si différent de la peinture ou de la musique.

S'il faut que les correspondances soient ce qu'il y a de meilleur chez les auteurs ou les aristocrates (c'est en tout cas ce qui nécessite le moins d'efforts chez le lecteur), il ne restera rien des dernières années du XXe siècle : tout aura disparu dans les mails.

Finalement, si tout le monde (ou presque) tient un journal ou un blog, c'est qu'il n'y a plus personne à qui écrire.

Férié

De ces journées sans événement marquant autre que des événements familiaux, qui n'ont pas tout à fait leur place ici. (Parfois j'aimerais tenir un blog destiné à la famille, ces cartes postales que je n'envoie plus vraiment mais que j'ai tant envoyées, nouvelles courtes et distribuées entre tous (toutes: que des femmes, que des femmes (élevée dans la haine des hommes, dirait Mlle Julie)), en sachant bien que la rumeur aurait vite fait de redonner à chacune les morceaux du puzzle envoyés à d'autres. Se pourrait-il que mon goût de la mosaïque et du commentaire de blog vienne de là, de cette habitude d'écrire un peu à chacun en supposant que tous liront tous?)

Je lis un livre d'un kilo six depuis le mois d'août. Je le promène, de métros en musées. J'ai une tendinite, je ne peux plus tendre le bras gauche. On m'a octroyé le droit de retourner au lit (plutôt que de réorganiser la cuisine) pour le finir une bonne fois, quatre-vingt pages, l'affaire d'une petite heure («Ça va, il y a du blanc», commente le plus jeune, étudiant la mise en page de ce livre interminable — lui qui ne lit que des mangas).
Mais je ne l'ai pas terminé.
Je me suis endormie.

Les non-anniversaires des non-événements

Parfois je rêve de tenir le blog le plus banal possible, à base de listes de courses, de menus, de nombres de machines à laver qui ont tourné, qu'il a fallu étendre, d'heures de repassage.
Je me souviens du jour où l'on a annoncé avec ravissement à la radio qu'on avait retrouvé les carnets d'un homme qui dans les années trente avait tenu scrupuleusement jour après jour le compte de ses dépenses: les historiens et les économistes étaient enchantés de détenir un tel témoignage sur le prix de la baguette et la note de la blanchisseuse; le journaliste avait lu quelques pages des carnets, c'était mortellement ennuyeux. Un même effroi me saisit quand Braudel évoque les livres de compte vénitiens ou allemands permettant de reconstituer les échanges entre les marchands: les conclusions m'intéressent, mais qu'il m'ennuierait de travailler sur de telles pièces.

Je suis fascinée par l'obstination qu'il faut pour noter les gestes quotidiens, banals, infiniment répétés, qui tissent le plus clair de nos journées. Cette obstination est sans doute l'autre nom de la bêtise dénoncée par Flaubert; maintenue suffisamment longtemps avec suffisamment de précision, elle acquiert une incontestable grandeur.

Epuiser la contrainte, seule façon de la dépasser.

Dimanche

Plus personne n'écrit, solitude. Je ne sais même plus ce que j'ai fait hier. Je me souviens avoir fumé en lisant une très mince plaquette de Bonnefoy sur Celan.
Ce matin, déchiré une toile d'araignée en allant chercher la bêche, dérangé une autre araignée, bien différente, pendue à la bêche, une boule blanche d'œufs sous le ventre, utilisé la bêche pour déplacer une charogne d'oiseau grouillante avant l'arrivée d'amis. (Se souvenir de jeter les carcasses d'oiseau sans attendre).
Joué au whist, selon des règles qui me paraissent très fantaisistes. Beaucoup ri.
Mal à la tête.
Un peu déprimée par moi-même: voilà plus de dix jours que je me promets de terminer un travail. Je ne l'ai toujours pas commencé. Je ne sais pas comment commencer. Je sais que je ne le saurai qu'en commençant.
Procrastination.
Je vais finir par me mettre dans une situation impossible.
Feuilleté Whitman ce matin. (Je suis seule dans la cuisine, je prends un livre, le feuillette, le repose. De livre en livre au fur à mesure du désœuvrement. Des dizaines de livres feuilletés de jour en jour, de désirs éclos inassouvis. Je repose les livres sur les étagères, ils se fondent dans la masse. Il me reste des lambeaux de phrases.)

Je souffre de ne plus lire "en tranches épaisses". Je sais que c'est la seule façon d'entrer dans le rythme des phrases. Toutes les lectures en tranches minces ne s'attachent qu'au sens, et encore, au sens lié à des raisonnements courts. Il faut que je réussisse à lire en tranche épaisse, sans m'endormir.

Allons dormir, justement.

Du blog comme instrument d'auto-discipline

Parfois il me vient comme une paresse d'écrire.

Ce n'est pas le célèbre "à quoi bon?", parce que, que nous l'avouions ou non, nous connaissons tous la réponse à cette question: on écrit que pour soi, pour le plaisir ou le besoin d'écrire. Toutes les autres raisons, de l'exhibitionnisme au désir de partage ou de diffusion des connaissances en passant par la prétention, sont secondaires. À "à quoi bon?", la réponse est "moi" (en d'autres termes, "parce que je le vaux bien"). Il me semble d'ailleurs que beaucoup de blogueurs arrêtent de bloguer ou ralentissent nettement quand ils ont tissés suffisamment de liens dans la vraie vie, quand leur recherche (inconsciente, sans doute, car qui aurait pu prédire il y a deux ou trois ans que les blogs seraient un moyen si efficace de rencontrer des gens et de se faire des amis (je me souviens de cette presse catastrophiste et ignorante parlant d'une génération qui ne vivrait que dans un monde virtuel "c'était terrible, qu'allait devenir la société?")) de contacts a été satisfaite: ils ont moins besoin d'écrire, ils ont trouvé autre chose qui les satisfait davantage que l'écriture.

Ce n'est pas non plus le manque de sujets. Souvent il est vrai il me manque le type de sujets que j'aime tant chez les autres blogueurs, l'anecdote cocasse: un peu de mise en scène, un peu d'habillage, et hop, un billet court (parfois long, ce n'est pas un critère, mais j'envie de savoir faire court), drôle, bien enlevé. C'est ce que préfère chez les autres, c'est ce que je ne sais pas faire. Ma vie manque d'anecdotes cocasses isolées, elles ne sont souvent cocasses que suite à trois pages d'explications maladroites.
Laissons tomber.

Il reste deux types de sujets: les introspections (mais je crains d'écrire comme la blogueuse X.) ou les revues de livres (mais je crains que Y. ne se moque de moi (in petto, mais quand même)).
Ce ne sont pas de véritables raisons pour ne pas écrire. Dès qu'on se met à écrire publiquement, on sait qu'on est ridicule, forcément ridicule, aux yeux d'un certain nombre de lecteurs (heureusement inconnus pour la plupart. C'est plus dur de savoir que c'est aux yeux de lecteurs qu'on connaît, encore plus aux yeux de lecteurs qu'on estime).
Mais finalement ce n'est pas si grave. D'une certaine façon, on s'en fiche un peu malgré tout. Plaire n'est pas un bon critère d'action, notre époque semble même s'attacher à prouver que c'est un très mauvais critère (déplaire systématiquement aussi, d'ailleurs, comme ne le comprennent pas certains). (Alors quoi? "Rester soi-même"? Non, continuer à se chercher, continuer à élaborer les critères de son action: que veux-je faire? que voulais-je écrire? (pour un éloge du tâtonnement)).

Non, il me vient une véritable paresse d'écrire: aligner un mot après l'autre, écrire le mot suivant si évident que j'ai envie de ne plus écrire qu'un mot sur trois ou quatre, de sauter les étapes intermédiaires entre le début et la fin du paragraphe, tant il me semble que la fin se déduit du début et qu'il est inutile de dérouler les étapes de la pensée. Mais sans cheminement, la pensée devient obscure, il faut tout écrire entre deux points, tracer la courbe. Je me sens paresseuse.
Et pendant que j'écris, je ne fais pas autre chose, je ne lis pas, je ne regarde pas ou ne re-regarde pas la saison 1 de Oz, mais pendant que je re-regarde la saison 1 de Oz je n'écris pas; or il n'y a qu'écrire qui oblige à penser, à obtenir un certain affûtage du raisonnement. C'est un détour nécessaire qui oblige à poser devant soi les mots, les idées, les images, à trier, à ordonner, à jeter. C'est le moment où l'on ne peut plus tricher avec l'informe, l'à-peu-près.
Est-ce si important d'affûter sa pensée?
Pour moi, oui.
Il reste que le blog n'est sans doute pas le meilleur lieu pour cela, ou même le lieu pour cela. Son intérêt, c'est qu'en étant public, il devient une sorte d'obligation morale: si je n'écris pas, il sera public que je n'écris pas.
Et si j'écris sans publier?
J'ai essayé: je ne m'y tiens pas.

Rédiger une adresse

Beaucoup d'internautes de passages arrivent ici en posant la question "comment rédiger une adresse?" (alors que je ne réponds qu'à la question «Comment rédiger une carte postale?»).
La réponse matérielle à cette question se trouve ici.

Une réponse plus complète et plus "française" se trouve dans Parlez mieux, écrivez mieux, ce livre désuet datant de 1974 édité par Reader's Digest.

L'adresse

Monsieur, Madame, Mademoiselle sont de jolis mots: ils méritent d'être écrits en entier devant le nom de votre correspondant; bannissez donc les abréviations pour ces trois mots, réservez-les plutôt aux avenues (av.), boulevard (bd) et autres squares (sq.): elle sont alors tolérables.
Faites précéder le nom du destinataires de l'initiale de son prénom ou du prénom entier. Si vous écrivez à un couple, c'est l'initiale du prénom (ou le prénom) du mari qu'il faudra écrire après Monsieur et Madame (jamais Madame et Monsieur [...])
Le prénom entier devra figurer s'il y a une Geneviève et une Gabrielle, un Georges et un Gaston, dans la même famille et à la même adresse; cela pour éviter toute confusion.
Si vous destinez la lettre à toute la famille, vous pouvez écrire sur l'enveloppe:
Monsieur et Madame R. B...
et leurs enfants

Si votre correspondant porte un titre, celui-ci doit en principe figurer sur l'enveloppe; mais peut-être ne souhaite-t-il pas le voir mentionné, pour des raisons diverse; renseignez-vous discrètement. Les titres de noblesse, le titre de docteur, les grades militaires précèdent toujours le nom. On écrira donc:
Madame la Comtesse de N...
Monsieur le Baron et Madame la Baronne de P...
Monsieur le Docteur H...
Madame le Docteur F
Monsieur le Colonel et Madame V...
Plus familèrement, on pourra écrire:
Comtesse de N...
Baron et Baronne de P...
Docteur F...
Le Docteur et Madame H...
Colonel V...
Le Colonel et Madame V...

Notez que, pour les militaires à la retraite, on ne mentionne le grade que pour les officiers supérieurs (commandant, lieutenant-colonel, colonel dans les armées de terre et de l'air, capitaine de corvette, de frégate ou de vaisseaux dans l'armée de mer) et les officiers généraux (général dans les armées de terre et de l'air, contre-amiral, vice-amiral, amiral dans l'armée de mer).
Les autres titres ou les professions qui équivalent à un titre sont placés au-dessous du nom:
Monsieur P. S...
Avocat à la Cour

Monsieur X...
Secrétaire perpétuel de l'Académie française

Docteur C...
Médecin-chef de l'hôpital de Nevers

Monsieur A. P...
Président du comité de lutte contre l'alcoolisme
Ce dernier exemple est à la limite de l'acceptable, car il est bien long; de même, si votre correspondant possède plusieurs titres, n'en mentionnez qu'un: le plus important.

Ecrivez le nom et l'adresse sur l'enveloppe aussi lisiblement que possible, non seulement pour faciliter le travail des P.T.T., mais aussi par courtoisie envers le destinataire. Si votre écriture est peu lisible, utilisez des capitales d'imprimerie.
[suivent les recommandations des P.T.T., données en lien au début de ce billet].
Si vous écrivez à l'étranger, le nom du pays doit être rédigé en français, sous le nom de la ville, du district, du comté, etc.
Mrs C. W. JOHNSON
80 St. Stephen's Road
NORWICH NOR 90 09 S
GRANDE-BRETAGNE

Si vous écrivez poste restante, sachez que votre correspondant doit avoir au moins dix-huit ans, qu'il lui faudra présenter une pièce d'identité et payer une légère surtaxe.

Si vous n'êtes pas sûr que votre correspondant se trouve à l'adresse indiquée (déménagement, vacances, déplacement prolongé, etc.), portez la mention«Prière de faire suivre», soulignée deux fois, en haut et à gauche de l'enveloppe.

Adresse de l'expéditeur

Sauf pour vos lettres mondaines, il est très recommandé de mentionner votre propre adresse, ainsi que votre nom, au dos de l'enveloppe, discrètement et lisiblement. Cette précaution évitera à votre lettrede tomber au rebut, si l'adresse de votre correspondant est incomplète, mal libellée ou inexacte. Au surplus, le destinataire saura, avant même d'ouvrir son courrier, qui lui écrit.

Votre correspondant habite chez un tiers

Il se peut que l'adresse à laquelle vous expédiez votre lettre ne soit pas l'adresse personnelle de votre correspondant. Vous la libellerez alors ainsi:
Monsieur C.V....
aux vons soins de Monsieur G...
7, rue Thiers
45000 ORLÉANS
La formule «aux bons soins de», la plus correcte, peut cependant être remplacée par «chez» ou par c/o, abrégé de l'anglais care of.

Les cartes postales, ter

Il y a un an, pratiquement jour pour jour, je donnais quelques conseils personnels pour rédiger une carte postale.
A ma grande surprise, ce billet qui n'était pour moi qu'un billet de vacances, quelque chose qu'on écrit vite durant les heures de l'été (un billet carte postale, en quelque sorte) connaît un grand succès: "Ecrire une carte postale" et ses variations représentent 40% des questions pour arriver ici en juillet et en août.

C'est donc avec plaisir que j'ai découvert tout un dossier consacré à la carte postale dans Alternatives économiques n°260 de juillet-août 2007. Je vous livre des extraits du chapitre "La fonction sociale de la carte postale", qui cite Jacques Derrida qui en 1980 analysa le rôle de la carte postale dans La carte postale de Socrate à Freud et au-delà.

Car peu importe la banalité du propos, les sujets abordés presque toujours les mêmes (le temps qu'il fait, les activités des enfants, la beauté du site). L'envoi d'une carte est d'abord un rappel — certes ritualisé – de son attachement affectif, le témoignage d'une pensée pour l'autre dans un contexte hors du quotidien. L'expression de cette pensée, alors que les repères habituels sont faussés, renforce le lien social. Et la carte postale devient un outil plus important qu'il n'y paraît de gestion de son réseau relationnel: familial, amical et, éventuellement, professionnel.
La volonté d'établir ou de rétablir un échange fonde d'ailleurs le caractère du message écrit sur la carte: vivant, spontané. Les phrases courtes, souvent elliptiques, créent une illusion de conversation: l'expéditeur formule des questions, anticipe des réponses du destinataire par des «j'espère que», «je suis sûr que», etc. Autre caractéristique empruntée à l'oralité, l'emploi du présent: la carte postale l'utilise pour accentuer la dynamique de l'échange («je me baigne tous les jours..., demain je suis à Madrid et je rentre te retrouver à Paris»).
[...]
La carte postale une fois reçue, pourquoi hésite-t-on à s'en débarrasser? Elle passe du fond du sac à la bibliothèque du salon ou sur la porte du réfrigérateur. Et, finalement, on l'oublie au fond d'un tiroir ou on la range dans une boîte à chaussures. Rarement, on déchire ce petit bout de carton sitôt reçu et regardé. Car ce signe d'attention que les autres nous portent nous valorise. Le sentiment d'être digne de reconnaissance ou d'affection se renforce. Mais la carte postale valorise aussi l'expéditeur. D'ailleurs, il n'y relate que des événements heureux, ne tient que des propos optimistes. La carte postale est la preuve de sa capacité à s'extraire de ses repères quotidiens, à pratiquer des sports inhabituels (on marque d'une croix le sommet escaladé), à voyager loin et dans d'autres cultures. Ce «voilà ce que je fais d'extraordinaire» doit susciter l'envie du destinataire.
Ainsi, la carte postale, mode de correspondance minimaliste, serait donc moins anodine qu'il n'y paraît. Concluons avec la phrase du philosophe Jacques Derrida: ''«Ce que je préfère dans la carte postale, c'est qu'on ne sait pas ce qui est devant et ce qui est derrière, ici ou là, près ou loin, Platon ou Socrate, recto ou verso. Ni ce qui importe le plus, l'image ou le texte, et dans le texte, le message ou la légende, ou l'adresse...»
Alternatives économiques n°260, juillet-août 2007, p.68-69


Cette vision de la carte postale comme esbrouffe n'est pas très encourageante, c'est à avoir honte d'en envoyer... heureusement que je ne fais pas grand chose d'extraordinaire de mes vacances.
La carte postale remplace pour moi un coup de téléphone, un SMS, un mail (mais évidemment, en 1980, Derrida n'aurait pu écrire cela). Elle arrive vite, vingt-quatre heures le plus souvent, et même douze heures de Paris à Paris, si l'on a repréré les bonnes postes et les horaires. Elle me sert de textos post-it, de pense-bête, de marque-pages. Elle oblige à l'étranger à apprendre le mot "timbre". Et tandis que je ne connais aucun numéro de téléphone (qui a fait l'expérience suivante: ne pas pouvoir appeler d'un fixe parce que son portable étant hors batterie, il n'avait plus accès à son répertoire?), je connais pratiquement toutes les adresses par cœur (Truc et astuce : par expérience, je sais qu'il vaut mieux une adresse incomplète qu'une indication fausse sur l'enveloppe). Je pourrais en envoyer des quantités, à la façon des "spammeurs" sous Twitter, je me retiens: c'est louche tout de même, quelqu'un qui envoie trop de cartes postales. Alors je trie sur le volet les personnes à qui cela ne devrait pas paraître trop bizarre, cette manie de l'écrit, ou qui n'en sont plus à une excentricité près de ma part.
(Ah, et j'allais oublier l'embarras d'écrire à un blogueur marié: inquiétude, puis-je vraiment écrire, ne vais-je pas embarrasser un ami? Et n'est-ce pas impoli de ne s'adresser qu'à la moitié d'un couple? (et je songe au froid «C'est qui?» de H. devant tout expéditeur inconnu, à sa tête qui signifie «Tu fais ce que tu veux mais j'ai le droit d'en penser ce que je veux» (ce qui est tout à fait exact, d'ailleurs)).

Conseil de rédaction

Il y a quelques jours j'ai été émue par cette requête Google: "comment écrire une belle lettre d'amitié". Depuis, les requêtes de ce type ("écrire cartes de vacances", "quoi écrire sur une carte") se multiplient.

Je vais donc ajouter un conseil personnel aux conseils de Parlez mieux, écrivez mieux:

Si vous ne savez quoi écrire, choisissez un détail, une anecdote, survenus dans les les six ou douze dernières heures. Evitez absolument de vouloir résumer au dos d'une carte postale les six derniers mois à un ami à qui vous ne donnez jamais de nouvelles : aucun événement survenu dans les six derniers mois ne vous paraîtra assez important pour être raconté six mois après, et vous aurez l'impression de n'avoir rien à dire.
En revanche, le pastis du midi précédent fera un très bon sujet, une fois que vous aurez précisé où, quand, avec qui, en faisant quoi, vous l'avez bu.
Le curieux de ce conseil, c'est que de fil en aiguille vous vous retrouverez rapidement à en avoir trop à raconter, dans l'obligation d'écrire sur toute la carte postale, d'en commencer une deuxième, de courir acheter des enveloppes au Monoprix du coin...

(L'écriture entraîne l'écriture, ici vous aurez droit à une citation de Paul Valéry quand je serai rentrée chez moi, promis.)


ajout le 16 août 2007 (tout vient à point à qui sait attendre.)
Ricardou parle du «simple entrain d'un porte-plume»:

J'entre dans un bureau où quelque affaire m'appelle. Il faut écrire, et l'on me donne une plume, de l'encre, du papier qui se conviennent à merveille. J'écris avec facilité je ne sais quoi d'insignifiant. Mon écriture me plaît. Elle me laisse une envie d'ECRIRE. Je sors. Je vais. J'emporte une excitation à écrire qui se cherche quelque chose à écrire.

Paul Valéry, Tel Quel II, Littérature, cité page 65 de Pour une théorie du Nouveau roman, de Jean Ricardou


A voir

La photo du jour.

Copieuse

Ce matin, en commençant le numéro de L'Arc1 consacré à Herman Melville, je sélectionnais déjà mentalement les passages à recopier ici.
Puis je me dis que c'était tout de même un peu exagéré, de tant recopier, c'était un peu trop facile, de remplir un blog avec des extraits.
Puis je me rappelai que c'était pour moi l'intérêt principal d'internet : y mettre en ligne tout ce qui m'intéressait, pour l'avoir partout sous la main, et indexé, en plus (évidemment, cela n'aurait nul besoin d'être public, mais ne compliquons pas).
Puis je me dis que j'avais toujours copié, et que je ne voyais pas pourquoi, sous prétexte qu'il s'agissait d'un blog, je devrais arrêter.
Et je m'aperçus que c'était vrai : je recopie des livres depuis très longtemps.

Lorsque j'avais sept ans ou huit ans, nous passions les deux mois de grandes vacances chez nos grands-parents, paternel et maternel, alternativement. Il fallait nous occuper, et j'avais déniché la machine à écrire qui avait servi aux études de BEP sténo-dactylo de ma tante dans les années 60. C'était une Underwood monumentale, sans doute des années 30 ou 402 sur laquelle je me mis à taper. Ma tante, perfectionniste, me dégotta une méthode et je me mis à apprendre à taper à la machine (dfg jkl, et variations, des pages entières, je m'en souviens encore). J'adorais le bruit de cette machine, et son odeur. J'écrivais de petits contes et mon grand-père réussit à me vexer et à me flatter d'un même mouvement en m'accusant de les copier.
Non, pas encore.

Quand j'eus neuf ans, mon grand-père nous offrit à Noël une petite machine portable Olivetti. Je ne réussis jamais à inventer le moindre texte sur cette machine : c'était l'Underwood ou rien. Mais quelques années plus tard (onze, douze ans (je date exactement mes souvenirs car je sais où ils se sont déroulés)), j'empruntais un livre à une amie, La cachette au fond des bois, d'Olivier Séchan (je m'en souviens bien, car je me demande encore s'il s'agit du frère de Renaud). Ce livre me plaisait, il était introuvable, je n'avais qu'une solution : le recopier.
Je commençai donc à recopier ce livre de bibliothèque rose à la machine à écrire (je ne comprends pas bien pourquoi je lisais des bibliothèques roses à onze ans, mais bon. Je lis bien encore des bibliothèques vertes…). J'ai dû en taper la moité, je pense. Il m'a fallu dix ans pour éclaircir ce mystère : pourquoi les fins de lignes dans le livre étaient-elles alignées tandis que celles que je tapais à la machine, même si je ramenais le chariot au moment adéquat, ne l'étaient jamais?

Il faut croire que l'expérience ne m'avait pas convaincue car l'autre livre que j'ai recopié, je l'ai recopié à la main : La Bague d'argent, lui aussi épuisé. Celui-là avait été emprunté à une voisine de ma grand-mère paternelle. (Il y avait très peu de livres chez mes grands-parents, on empruntait pour moi aux voisines les livres de leurs garçons de vingt-cinq ans : j'ai lu un peu plus de livres de scouts des années 50 qu'il n'est habituel pour une petite fille). Je me souviens de peu de choses, une amitié, le maghreb colonial, le désert, une fin dont le coup de théâtre était prévisible dès la page 50 quand on était une habituée du Bossu et du Capitaine Fracasse… Il y avait dans les premières pages de ce livre le dilemme de la torture : résister à la torture, certes, mais avait-on le droit de ne pas parler lorsque c'était un ami qui était torturé ?
J'ai vérifié ce soir, ce livre est disponible chez quelques libraires.
Je l'ai recopié dans un carnet à petits carreaux, sans sauter de ligne (je suis en train de me dire que je devais quand même beaucoup m'ennuyer).

J'ai peu à peu abandonné ces solutions extrêmes pour me mettre à la copie extensive des extraits que j'aimais dans les livres que je lisais. J'ai des pages entières de Kundera, Hemingway, Thomas Mann ou Karen Blixen, copiées minusculement dans un carnet à tranche violette... Je m'en sers encore, je l'ouvre, j'ai l'impression de retrouver de vieux amis.

Maintenant j'ai à disposition un scanner de compétition. Ce n'est certes pas le même charme, mais ce n'est pas aussi automatisé qu'on pourrait l'imaginer. La reconnaissance de caractères nécessite une relecture et des corrections minutieuses : l'important dans la copie, c'est le temps et l'attention incorporés.
Ce qui est magique, c'est de pouvoir retrouver un mot parmi des centaines de pages. Cela n'en finit pas de me ravir.


Notes
1 : J'ai appris ce soir en passant chez mon libraire que les éditions Inculte rééditaient certains numéros de L'Arc.

2 : Je l'ai demandée à ma grand-mère pour mes trente ans. Elle est sous mon bureau. J'attends de trouver une solution pour la faire réparer.
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