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Les gens qu’on aime : #22 quelqu’un qu’on a aimé mais qui ne nous aimait pas en retour

Puisque je lis Matoo, j'ai découvert le défi du Dr CaSo: «quelqu'un qui…»

Aujourd'hui, quelqu'un qu'on a aimé mais qui ne nous aimait pas en retour.
Là, c'est facile: Rémi. On a commencé en s'engueulant, on a terminé en s'engueulant — et au milieu on s'engueulait, mais amicalement.

La première fois c'était lors de l'AG de la SLRC en avril 2003. Il nous a tenu un discours, un plaidoyer, il venait de se disputer avec RC et il venait s'expliquer. Je lui ai dit que pour parler autant il était soit avocat soit vendeur de voitures.
(Il était avocat, je l'ai su plus tard. Lol.)
J'ai demandé à ma voisine: «Mais pourquoi est-il si énervé?»; elle m'a répondu comme une évidence: «Mais il n'est pas énervé».

On s'est beaucoup engueulé sur le forum de la SLRC. Il m'a vexée en se moquant de moi alors que je commençais juste à écrire sur la SLRC et à commenter l'œuvre en n'étant pas bien sûre de moi (après tout je n'avais jamais fait ça).
Il m'a fait parvenir un exemplaire de La campagne de France non expurgé après que j'eus exprimé sur le forum le regret de ne pas posséder ce volume. A ma grande surprise il m'a invitée à un vernissage de Marcheschi (mars 2004? en recevant l'invitation j'ai cru qu'il s'était trompé de personne). J'ai découvert qu'il était très drôle, qu'il avait une façon touchante de douter de lui-même tout en pouvant être extrêmement catégorique. J'adorais discuter avec lui, il avait l'esprit vif et ironique, j'apprenais beaucoup, on s'amusait comme des fous (tout au moins moi. Lui je ne sais pas).

On se disputait des nuits entières sur le forum à propos de fiscalité (ça emmerdait sans doute tout le monde), il m'a beaucoup appris sur la façon d'argumenter: au début je répondais à tout, je reprenais ses arguments, je répondais à chacun, avec bonne foi, en nuançant, en pesant le pour et le contre. L'honnêteté intellectuelle, quoi.
Puis j'ai analysé sa façon de répondre et j'ai fait comme lui: avancer à la machette dans le discours de l'autre en ne répondant qu'à ce qui me convenait, en me moquant, en tournant en ridicule. C'était sanglant.
Je pense que de l'extérieur personne ne pouvait comprendre qu'on s'entendait bien et que c'était un jeu intellectuel. Dans un sens ça m'a desservie dans les joutes amicales (sur FB par exemple) car je ne crois plus qu'à l'attaque enragée et personne n'a le cuir de Rémi pour encaisser cela, mais dans un autre sens ça me sert bien face à des adversaires. Je ne fais pas de quartiers et c'est plutôt amusant.

Un jour il m'a fait plaisir en me disant à propos de RC: «Vous êtes sa seule lectrice».

Tout cela s'est mal terminé. Il n'a jamais tenu qu'à RC. Il s'est servi de moi pour se réconcilier avec lui (je le savais, mais quand même…). Il a approuvé le soutien de RC à Marine Le Pen en mai 2012 en le justifiant par la fusillade de Mohamed Merah et la montée de l'antisémitisme. Je ne comprenais pas (je ne comprends toujours pas) comment quelqu'un d'aussi intelligent pouvait avoir aussi peu d'instinct moral (ce n'est pas rare, pourtant, mais en général, je ne croise pas ce genre de personnes, donc ça m'étonne toujours).
Comme je tenais à lui, j'ai décidé de faire avec. On parlait d'autre chose.
Puis, en bon avocat obsédé par la procédure, il a voulu que je censure quelque chose que j'avais écrit sur la SLRC, au prétexte que cela pouvait nuire à RC dans une procédure judiciaire en cours. J'ai refusé.

Alors il a attendu la prochaine AG de la SLRC à laquelle je n'assistais pas (quatre mois plus tard, en janvier 2013). Il en a profité pour faire censurer le commentaire qui ne lui convenait pas. Il n'a pas eu l'élégance de me prévenir de cette soi-disant décision de l'AG (j'ai été prévenue par un mail automatique), il m'a menti en disant qu'il y avait eu vote à l'unanimité alors qu'il n'y avait pas eu de vote (je pense d'ailleurs que lors de l'AG personne ne savait de quoi il parlait, mais entre ceux qui l'aiment et ceux à qui il fait peur, personne ne s'oppose à lui).
L'impolitesse et la brutalité du procédé m'ont fait sortir de mes gonds. Je l'ai pourri et on ne s'est plus parlé. Fin de l'histoire.

avril 2006 - juin 2009

Parfois des malentendus se dénouent, et malgré le soulagement qu'on en éprouve, il remonte une insurmontable tristesse à être enfin justifiée, à ne pas l'avoir été si longtemps.

Sans importance

— Vous prenez cela trop au tragique !
— Vous vous êtes trop investie.
— Je ne pensais pas que vous étiez aussi affectée.

Suite à mon départ du forum de la SLRC, les réactions de quelques lecteurs me surprennent et me font rire. Comment les gens peuvent-ils être aussi illogiques? Ne viendra-t-il à l'idée de personne que si je suis aussi affectée, c'est justement parce que je me suis investie? Et que si je suis en colère contre eux, c'est parce que je comptais sur eux ?

Ecrire sur un forum, écrire sur un blog, ce n'est sans doute pas très important quand par ailleurs on a l'occasion d'écrire sur, ou de parler de, ou d'étudier, ce qui vous tient réellement à cœur. Mais lorsque c'est le seul lieu où vous pouvez formaliser votre pensée, lorsque c'est la contrainte que vous vous êtes donnée pour ne pas vivre comme un légume et finir comme Ruth Fischer ou Desesperate housewives, c'est important.

C'est peut-être pathétique, mais c'est comme ça.

Un de perdu

J'avais un ami multilingue qui se targuait de littérature.

Quand je lui disais que je lisais Borges, il me répondait :
— Et que lisez-vous?
— Histoire de l'infamie.
(Moue de mon ami)
— Ce n'est pas le meilleur, vous savez. Vous le lisez en espagnol?
— Non, je ne sais pas l'espagnol.
— C'est dommage, c'est bien meilleur en espagnol.

Le même :
— Ah, vous lisez le journal de Klemperer! C'est très bien Klemperer, je l'ai lu il y a vingt ans, c'est vraiment très bien.
— Vous lisez l'allemand? (NB: il n'est traduit en français que depuis dix ans environ).
— Non, je l'ai lu en anglais quand j'habitais New-York.
Mais lorsque je lui propose de lui prêter le dernier Harry Potter en anglais, il refuse, au prétexte que son anglais est trop rouillé. (Je précise qu'il le lit dès sa parution en français.)

Le même, après que j'ai lu Pale Fire en français, parce que j'avais fait au plus rapide:
— Il faut connaître le russe pour apprécier les jeux de mots russes que Nabokov traduit littéralement en anglais, c'est un grand plaisir. Mon amie américaine qui ne connaît pas le russe ne les voit pas, d'ailleurs.

Il paraît qu'il lit l'hébreu, aussi.
Je ne l'ai jamais vu lire autre chose que du français.
Il se targue toujours de littérature, mais ce n'est plus mon ami.



Pour la fonction bloc-note de ce blog, je recopie ici des lignes que j'avais déjà mises ailleurs, parce que je les aime profondément.

Il s'agit de deux postfaces écrites par Nabokov, la première pour sa Lolita anglaise (1955), la deuxième pour sa Lolita russe (1967), qu'il a traduite lui-même.

dernière phrase de la postface de Nabokov à Lolita :
«My private tragedy, which cannot, and indeed should not, be anybody's concern, is that I had to abandon my natural idiom, my untrammeled, rich, and infinitely docile Russian tongue for a secon-rate brand of English, devoid of any of those apparatuses ?the baffling mirror, the black velvet backdrop, the implied associations and traditions? which the narrative illusionist, frac-tails flying, can magically use to transcend the heritage in his own way.»
Nabokov dans la postface de sa Lolita russe :
«I am only troubled now by the jangling of my rusty Russian strings. The history of this translation is a history of disillusion. Alas, that "marvellous Russian" which, I always thought, constantly awaited me somewhere, blooming like true spring behind hermetically sealed gates to which I kept the key for so many years ? that Russian turns out to be non-existent. And behind the gates there is nothing, except charred stumps and a hopeless automn vista, the key in my hand is more like a lock-pick.»

Traduction de Irwin Weil dans TriQuaterly n°17, winter 1970, p.282

Je ne sais exprimer le sentiment de regret et de nostalgie qui naît de la confrontation de ces deux textes: avoir passé sa vie à la poursuite d'une chimère, pour découvrir qu'il s'agissait d'une chimère.

Lire, écrire, bloguer, etc

Tlön ayant signalé une critique de Rannoch Moor par Michel Crépu dans la Revue des deux mondes, j'ai récupéré l'article et l'ai transmis à Franck. (Il apparaît d'ailleurs que Crépu doit être un lecteur régulier, car il aurait déjà fait une allusion à La Dictature de la petite bourgeoisie il y a un an. A suivre.)

Je remarque dans cet article une phrase que je commenterais volontiers : «C'est curieux, je ne supporte absolument pas les rappels historiques, sous sa plume en tout cas.»
Quoi de plus naturel que de commenter cette phrase sur le site de la SLRC ? Quoi de plus artificiel que de la commenter ici, à grands renforts de liens ? La tentation est grande de fermer ces pages à peine entrouvertes, de prendre mes cliques, mes claques, et de retourner dans mon milieu naturel. Quatre ans d'habitudes, de soins, de chemins si souvent empruntés, ça ne s'oublie pas si facilement, et les pas, les doigts, la pensée, ne comprennent pas bien ce qu'ils font ici à taper du wiki dans une fenêtre dotclear...
Sauf que ce n'est pas mon milieu naturel, sauf que je n'y suis pas souhaitée, sauf que je n'ai rien à y faire. C'est une étrange sensation, à laquelle il faut que je me fasse. (Mon oncle lors de son divorce se plaignait à ma grand-mère:
— Mais maman, je l'aime encore.
— Pas elle, il faut t'y faire.)


Ces quatre ans à écrire sur le forum de la SLRC se soldent donc par un échec. Il faut me résoudre à l'idée que j'étais devenue (à moins de l'avoir été depuis le début, ce qui est tout à fait possible) insupportable: trop magistrale, trop sérieuse, trop seule. Se résoudre à cela n'est pas trop difficile, car je le savais depuis longtemps.
Ce n'est pas difficile aussi parce qu'il y a longtemps que je sais que je n'y trouverai pas ce que je cherche: un répons ou du répondant, un dialogue. Las!

Ce qui est difficile, c'est de peser la mesure de déloyauté (sans oser utiliser le mot de trahison) envers le site de la SLRC. Pour qu'il y ait trahison, il faudrait qu'il y ait eu engagement préalable, convention. Il n'y a jamais rien eu, et j'ai sans doute plus donné que reçu (Hmm. Non, bien sûr. J'ai reçu une dédicace. J'ai reçu le nom de ce blog. Oui, c'est sans doute cela le nœud de l'affaire, l'origine de ce sentiment de trahison que je porte en moi.)


J'aimais sur le forum être dans un lieu ouvert, ouvert à tous. J'espérais, j'ai espéré jusqu'au bout, que vienne quelqu'un qui m'enchanterait, que j'aurais eu plaisir à lire, qui m'aurait appris quelque chose sur la lecture et sur la littérature, quelque chose de précis, de simple, d'évident, que je puisse comprendre.
Je n'en reviens pas, finalement, d'avoir pu croire et espérer si longtemps («Quand je fais des erreurs, elles sont généralement très longues», le personnage d'Isabelle Huppert dans Amateur).
Il n'est venu personne, il ne viendra personne.
Pas grave. Maintenant que je l'ai compris et accepté, je vais m'y prendre autrement. J'essaierai d'assister aux cours de Compagnon à la rentrée. Je vais lire Thibaudet.


Et me voilà avec un blog. Ça m'intimide, heureusement que je suis têtue et en rogne.

Typologie des blogs. Depuis que j'en lis, j'ai eu le temps d'y réfléchir. Trois types principaux se dégagent:
- les exhibitionnistes, qui se dévoilent parce qu'ils aiment se montrer;
- les professoraux, qui font des exposés magistraux sur des sujets qu'ils aiment (parfois qu'ils n'aiment pas, mais ne compliquons pas) et qui souhaitent faire partager leur passion;
- les amicaux, qui souhaitent partager leurs histoires, leur solitude, leurs éclats de rire, ceux qui attendent un peu de chaleur humaine et de communion.

Bien entendu, un blog(ueur) est rarement un type "pur". Le plus souvent il mêle les trois, avec une ou deux fortes dominantes. Les blogs poétiques, artistiques, sont plutôt exhibitionnistes, ce qui confirmerait que faire de l'art, c'est bel et bien mettre ses tripes sur la table (la réciproque n'est pas vraie, un blog peut être exhibitionniste sans être artistique). Les blogs critiques font partie de la seconde famille.

Je n'ai pas de préférence pour un type particulier. Tout dépend du ton, de la manière, des affinités électives.

Bon. Je vais aller regarder le début de la saison 3 de 24 heures chrono. Il paraît qu'elle est nulle.

Le mariage de mon oncle

Mon oncle a donc épousé celle qui est désormais ma tante — après dix ans de vie commune. C'est difficile de la considérer comme ma tante, j'aimais tant la première femme de mon oncle, elle me manque.

Je n'avais pas anticipé ce mariage, je n'avais pas prévu de toilette, je me suis habillée comme une cruche. Ça m'ennuie, je suis immobilisée ainsi sur les photos pour l'éternité.

Mon oncle connaît tout le monde ici: bien qu'il soit divorcé, le prêtre a acepté de bénir leur union.
Nous avons fait de belles photos de famille, j'aurai une belle photo de mon oncle et de mon père.

J'ai fumé devant la salle des fêtes, en me dissimulant. Mon plus jeune cousin l'a remarqué et m'a dit «Alors, on se cache pour fumer?», ce qui était quand même ridicule à trente-neuf ans. C'est lui aussi qui m'a interrogé sur RC et mes interventions sur la SLRC. J'étais très embarrassée, très embarrassée d'une part parce que j'ai du mal à être lue, d'autre part parce que RC est réactionnaire. C'est dur de reconnaître que je soutiens un réactionnaire. J'ai bafouillé, je n'ai pas défendu ma cause ou la sienne. Dommage.
Je ne l'ai pas défendue parce que je n'avais pas envie de passer pour réactionnaire, mais pas envie non plus d'être sur la défensive, comme si je devais m'excuser de mes goûts.

Cela a joué quand j'ai arrêté la SLRC et commencé à bloguer. Bien sûr il y a eu l'insupportable François Matton. Mais il y a eu aussi mon cousin. Je n'avais plus vraiment envie de rester sur la SLRC et de porter son étiquette.
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