Billets qui ont 'bibliothèque' comme mot-clé.

Courges antiques

Dernier cours de grec. Cette année, j'ai beaucoup peiné. A plusieurs reprises j'avais si peu préparé mes textes que j'ai songé à abandonner. Mais si on n'y va pas une fois, le pli est vite pris de ne plus y aller du tout, il faut donc se forcer, ne pas céder, à la paresse, à la fatigue, à la honte ou la lâcheté.

Nombres 11,5: sikuas traduit par concombres.

«En fait, on ne sait pas exactement ce que c'est. Une courge, un concombre. C'est quelque chose qui a grandi à la lumière: ça évoque les Manichéens. Vous savez que les Manichéens ne mangeaient que des légumes poussant au soleil: en absorbant des particules lumineuses, ils espéraient s'unir davantage à la lumière. Quand on rencontre des courges dans St Augustin, les Manichéens ne sont pas loin. Vous savez qu'Augustin a été manichéen, ça laisse des traces. C'est comme un végétarien qui arrête d'être végétarien: il lui reste des réflexes.»

«Irénée aussi a parlé de courges, pour se moquer des gnostiques, en recomposant un monde avec des super-melons et des supers-concombres.»

Où va se nicher l'érudition. Pour ma part je songe aux courges de Cerisy sur les poutres de la bibliothèque.

Départ pour Chartres

Journée concentrée sur les urgences d'avant-hier, puis départ pour Chartres.

Toast en terrasse à l'amitié.

La bibliothèque des amis est toujours un réconfort, source de curiosité confiante.



Au cours du dîner j'apprends qu'avant de se lancer dans Saint-Simon (ou en parallèle), il est utile de lire Saint-Simon ou le système de la Cour d'Emmanuel Le Roy Ladurie.

Retour en bibliothèque

J'ai ramené ma carte de bibliothèque de Paris pour renouveler mon inscription annuelle. La dernière datait de septembre 2017: l'année où j'ai commencé à ramer pour des compétitions, l'année où il n'était plus possible de trouver les ouvrages de la bibliographie de théologie en bibliothèque grand public. Puis il y a eu le déménagement à Nanterre, puis le Covid, puis les bureaux à Vincennes.

La bibliothécaire teste le code-barre, entre le numéro manuellement:
— Elle n'est plus active, il faut la refaire. Elle ne correspond même pas au modèle précédent, mais à celui d'avant.
De quand date cette carte? Je ne sais plus. A l'époque il fallait fournir un justificatif de domicile (l'inscription est possible où qu'on habite, c'était simplement une vérification). Aujourd'hui il suffit d'une carte d'identité, l'adresse est déclarative.
La bibliothécaire me tend une nouvelle carte, toute rouge. La précédente était bleue.

Je commence à monter l'escalier, me ravise, revient:
— Vous avez détruit la carte?
— Oui.
— Dommage, je l'aurais bien photographiée.

Je m'installe dans le coin des mangas (parce qu'il y a un fauteuil). Je commence l'introduction à L'histoire des 3 Adolf d'Osamu Tezuka. Je m'endors.
En sortant, bien que m'étant promis de ne pas emprunter de livre, je prends Les fenêtres d'Hanna Krall.
— C'est vous qui enregistrez les emprunts?
— Vous avez l'automate, là (geste de la main)
Je suis vraiment has been.


Fontainebleau à 17h46. H. me prend, me dépose à l'aviron. Lui va au ping-pong («Tennis de table!»)
Belle sortie en quatre. A la nage. Retour un poil trop rapide, je sais que je ne vais pas assez vite au goût du deux qui a fait des progrès techniques considérables. A notre grand surprise elle se tait. Elle est si désagréable que plus personne ne veut ramer avec elle: il est possible qu'elle ait fini par s'en apercevoir.
Au retour, un nombre impressionnant de péniches: six, huit? Je me demande comment autant de péniches ont pu passer les écluses de Fontaine-le-Port en un temps aussi court. Beaucoup semblent vides (très hautes sur l'eau), est-ce une conséquence du 1er mai? De la guerre en Ukraine? Ou cela n'a-t-il aucun rapport?

Repas au club, en intérieur car il fait encore froid, encore nuit. Nous sommes peu nombreux, huit. Il y a un stage en cours à Bellecin.

Le Mémorial de Sainte-Hélène

Ligne 1, 19h05. le cours a commencé depuis cinq minutes. Je suis très en retard, trop en retard même pour rendre les livres à la bibliothèque (impact terroriste: les boîtes à livres sont fermées, impossible de rendre un livre en dehors des heures d'ouverture).

Rien dans les mains, rien dans les poches

Jour de grève. Comme je me suis levée trop tard, je n'ai plus de train avant quarante minutes à Yerres, donc je décide d'aller à Villeneuve-St-Georges attraper le train vingt minutes plus tard.
Le temps de dégivrer la voiture, je démarre (prudemment puisque je suis pressée) de façon à me retrouver dans un embouteillage qui fait que je sais que je raterai le train quoi qu'il arrive.
Quand j'arrive finalement sur le parking et me gare, je me rends compte que j'ai oublié mon sac: pas de livre, pas d'argent, pas de passNavigo, pas de téléphone pour prévenir que je vais être horriblement en retard. Si en retard que je décide de ne pas retourner les chercher.
On se sent un peu à poil avec juste ses clés de voiture.

Je suis donc allée à la bibliothèque de l'entreprise le midi, ce qui m'a permis de me faire offrir fortuitement un "Garnier jaune" relié, le Diderot philosophique (il faisait partie de livres non répertoriés et la bibliothécaire m'a dit de le garder). J'ai lu Supplément au voyage de Bougainville dans le train bondé le soir (c'est un texte que O. doit étudier) ce qui m'a amenée à relire Supplément au voyage de Cook dont je n'avais aucune idée quand je l'avais lu en terminale que c'était un décalque de Diderot. C'est beaucoup plus drôle, mais il est vrai que Giraudoux avait moins à prouver.

Question

— Alors, ce devoir de math ?
Mes garçons : — Ça n'a pas marché très fort, mais toute la classe s'est plantée, alors…
Ma fille : — Je me suis plantée, je suis nulle, je n'y arriverai jamais. Larmes, désespoir, drame.

Question en forme de sondage : peut-on remplacer "mes" et "ma" par "les" et "la" ?





Et sinon, rendu un livre abîmé à la bibliothèque (je pense qu'il s'est pris du café sur la tête).
— Il était déjà comme ça quand vous l'avez pris? Je ne vois pas de note sur son état.
— Oui, il était comme ça.
— Parce qu'on demande aux gens de nous rembourser les livres abîmés.
— Ecoutez, ce n'est pas moi qui ai fait ça, mais je veux bien le payer pour la collectivité. Mais dans ce cas, je le remporte avec moi!
— Ah non, on le garde, on n'a pas le droit de vendre les livres.

(Et à son avis, quelle est la différence avec le livre qu'on garde chez soi en le déclarant perdu?)

Deux jours

-mardi : repris mes habitudes d'été en prenant une carte au club de sport de Yerres. Mais cette année je n'ai pas l'intention de faire de muscu, juste d'aller me faire cuire à l'étouffé le soir au sauna (j'aime beaucoup cela). Le club d'aviron de Neuilly est fermé l'été, je vais essayer d'aller à Melun.
Passé beaucoup de temps sur le site du centre Sèvres à rêver sur ce que je pourrais suivre en plus discrètement (17-19h, ça ne se verrait pas, non?)

- mercredi : vu Fraternellement: y a-t-il une "esthétique hispanique", j'ai l'impression de toujours retrouver cette tension extrême entre des personnages prêts à s'entretuer (Mes chers voisins) ou tout au moins à profiter des faibles (Les vieux chats). Bref, un film intéressant, dont on découvre sans surprise au générique de fin qu'il s'agissait à l'origine d'une pièce de théâtre.
J'ai trouvé le Memento de grammaire allemande de Jean-Nicolas Wagner à la BNF. 40 euros pour un pdf, ça me paraît beaucoup. Pourrais-je le consulter sur place, réaliser ce vieux rêve d'obtenir enfin un accès à la BNF? (Chaque fois jusqu'ici j'ai été refoulée vers d'autres bibliothèques; c'est ainsi que j'avais obtenu une carte de la bilbiothèque historique de Paris à une époque où il fallait justifier de ses recherches pour pouvoir y entrer (aujourd'hui c'est plus facile, ils ont dû s'apercevoir qu'il n'y a pas de horde déferlante prête à investir la-dite bibliothèque: l'heure est à la séduction plutôt qu'à la répulsion)).


Note pour les amis IRL : studio loué à Lisieux.

Bois-le-Roi dernière

Qui ici connaît les R.A.B., et surtout les dernières R.A.B.?
Dernières Rubriques-à-brac, c'est par là que j'ai commencé à lire les Rubriques-à-brac, par la fin (le tome 5, je crois), et chaque fois que je dis adieu à quelque chose, je pense «Dernières R.A.B».

Dernier après-midi à la bibliothèque de Bois-le-Roi. Je l'aurai vraiment beaucoup aimée. Small is beautiful. L'année prochaine, si tout va bien, A. sera à Lisieux.

J'ai été bien inspiré de la prendre en photo, car la moitié gauche du vantail a disparu, le trottoir a été goudronné noir brillant sur un mètre cinquante de large, et bientôt une rampe d'accès sera construite au niveau du perron pour permettre aux poussettes de passer.

Chandeleur

Après-midi tranquille. Je fais du grec, il n'y a personne (ou presque) dans la bibliothèque (les salles du premier étage).



Le soir, crêpes.

Bibliothèque de Bois-le-Roi

Plutôt qu'aller faire les courses, je vais à la bibliothèque. Tout est minuscule à Bois-le-Roi et paraît immobilisé dans le temps. La bibliothèque est au premier étage d'une de ces maisons classiques, tuiles, murs gris, encadrement des fenêtres en briques rouges. Un grand panneau en bois à la peinture verte écaillée annonce "Bibliothèque municipale".
Le rez-de-chaussée est consacré la semaine à l'accueil des très jeunes enfants. Je m'attends à de vieilles collections poussiéreuses qui permettent de retrouver des auteurs oubliés (genre Vialar), mais non; l'intérieur semble beaucoup plus grand que l'extérieur, ce n'est pas moderne dans un sens agressif, mais pratique, utilitaire, lumineux. Les livres destinés aux enfants occupent un bon tiers de la place, les livres démodés datent des années 80 (Sulitzer: qui se souvient de Sulitzer?); dans la dernière pièce (il y en a trois) tout au fond je déniche le rayon littérature, française et étrangère. Yourcenar est reléguée ici, les auteurs anglais et américain sont séparés (c'est assez rare), Mario Rigori Stern est présent mais pas Primo Lévi (peut-être classé ailleurs, en histoire ou roman ou biographie?), il y a les deux tomes d'Isabelle Eberhardt. Pourquoi Gertrude Bell n'a-t-elle pas connu la même fortune?

J'ai commencé le dernier Cormier, mais je ne peux l'emprunter, je n'ai ni chèque ni justificatif de domicile (il faut dire qu'à l'origine, je pensais travailler le grec et la philosophie médiévale).
Je dois attendre 17h30, la bibliothèque ferme à 17 heures, je termine au café.

Notes

Que raconter? Je ne vais tout de même pas raconter les péripéties du bureau. (L'autre jour, un adhérent de 80 ans m'a raconté comment il avait perdu un œil à huit ans, à cause d'une épine de rose. «Et j'ai fait rentrer ma fille au Gan en 1970, vous vous rendez compte? A l'époque, il suffisait d'aller voir le directeur du personnel, ça s'appelait comme ça à l'époque, et de lui dire: «j'ai ma fille qui voudrait travailler…» Ce monsieur est féru d'internet, il a commencé la micro dans les années 80 (etc, etc: confident ne fait pas partie de nos attributions officielles, mais j'aime bien, même si c'est souvent un peu triste.))

Le plaisir ici, c'est la bibliothèque au-dessus de la cantine: déjeuner tard, puis rester dans la bibliothèque jusqu'à ce qu'elle ferme (14h30).
Aujourd'hui j'ai bien cru que j'allais y être enfermée.
J'étais passée voir s'il n'y aurait pas quelques Vernant ou Dumont sur les présocratiques (c'est étonnant ce qu'on trouve dans les fonds des bibliothèques d'entreprises, car ils sont très peu "désherbés", on y trouve des trésors), je me suis retrouvée à feuilleter (rayon histoire) Le Monde de pierre, ce qui m'a entraînée au rayon littérature à la recherche de Primo Levi (la dernière fois que j'avais cherché, je n'en avais pas vu, et cela me paraissait difficile à croire).
Et j'ai donc trouvé Lilith que j'ai commencé à lire debout (je ne peux rien emprunter avant d'avoir rendu les Tolkien) — et j'ai donc failli me faire enfermer.

Et maintenant Lilith m'accompagne. J'aime beaucoup Primo Levi, pour tous ses autres livre que Si c'est un homme (de celui-là, je ne cite régulièrement à mon fils que l'importance de se raser quand on veut garder prise sur sa vie).

Décrire le monde

Hier, attendant un livre, je musais dans le sous-sol de la bibliothèque de Sciences-Po: tous les grands classiques de la philosophie politique et de l'économie, en accès direct, consultables sur place, quatre ou cinq rangées d'étagères remplies de livres tranches contre tranches (étagères perpendiculaires au mur, livres sur deux épaisseurs). Un moment j'ai été tenté d'évaluer combien de jours représenterait leur lecture intégrale, mais le vertige m'a pris, frustration et fatigue confondues, j'ai préféré abandonner.

Ricardo ou Pareto? Je voulais lire l'un des deux, mais je ne sais plus lequel (plutôt Pareto, je pense, car en regardant leurs biographies, il me semble avoir lu Ricardo il y a bien longtemps, en même temps qu'Adam Schmidt). J'aime cette écriture. C'est si simple au début. Cela ressemble à la physique: c'est si simple au début. On a l'impression qu'on va tout comprendre. Arrivé à Schumpeter et Samuelson, le découragement gagne (mais avec la théorie des jeux appliquée à l'économie, qui modélise l'illogisme du comportement humain à partir d'enquêtes et d'études statistiques, l'intérêt renaît (la "rationalité" économique est vraiment une hypothèse aberrante, je ne comprends pas qu'elle ait pu être utilisée si longtemps en étant si manifestement inadaptée)).

Je m'égare. «Ce que je voulais dire, c'est que» je suis tombée en arrêt devant la production de Raymond Aron. Combien de mètres d'étagère, deux, trois? Même en comptant les volumes en double, c'est énorme. J'ai ouvert les tomes reprenant les articles parus dans le Figaro. Papier bible, trois tomes, "huit cent cinquante six articles", me dit Amazon.
J'ai pensé à François Mauriac. Où sont passés les "plumes" de la presse? Y en a-t-il encore, que je ne saurais reconnaître? Les seules chroniques à la fois sérieuses et personnelles seraient-elles toutes désormais des billets de blogs? Mais peut-on comparer cela au prestige, au savoir, à la connaissance d'un agrégé de philosophie trempé par la guerre ou d'un prix Nobel de littérature? (Je sais, les titres ne sont pas un vaccin contre la bêtise. Mais tout de même…)

Défaut rédhibitoire

En 1992 ma sœur a vécu trois mois chez nous pendant qu'elle cherchait un appartement. Ce fut le moment où nous fûmes le plus proches, où elle parla le plus — de façon incompréhensible pour moi cela n'eut pas de lendemain.
Un jour elle estomaqua mon beau-père en lui faisant le portrait de l'homme idéal — principalement en listant ses "défauts rédhibitoires". Je n'ai pas assisté à la conversation donc à mon grand regret je ne connais pas cette liste. A l'époque elle sortait d'une longue relation amoureuse (cinq ans, six ans ? On avait même parlé mariage) suivie d'une plus courte (dix-huit mois?).
Peut-être aurait-elle dû se préoccupper davantage de l'impression d'ensemble plutôt que d'additionner les défauts et les qualités (essentiellement physiques) de ses partenaires: il faut croire qu'une personne est un tout non décomposable, car elle a décidément peu de chance dans sa vie amoureuse.

Hier, j'ai profité qu'une vieille amie dont la nouvelle demeure m'avait désemparée il y a quelques semaines m'affirme alors que je n'avais rien demandé: « Je lis beaucoup » pour poser la question qui me brûlait les lèvres: «Mais tu as des livres? Où sont-ils, je n'en ai vu aucun…? »
Réponse: « Oh, je les emprunte; les miens je les ai tous donnés quand nous avons déménagé. C.1 ne voulait pas de bibliothèque. »

Après toutes ces années, j'ai enfin trouvé mon défaut rédhibitoire : un homme qui ne voudrait pas de bibliothèque. (Le plus drôle, c'est que C. est très fier de son Audi, achetée il y a deux ou trois ans 2. Lol. Finalement finalement…)


Note
1 : note de la rédaction: C. travaille en aménagement d'intérieur et ameublement.
2 : allusion destinée uniquement aux lecteurs du dernier journal camusien.

Cucurbitacées

Pourquoi des courges peintes sur le plafond de la bibliothèque du château de Cerisy?

Des intervenants suédois ont émis l'hypothèse que la courge était le seul légume présent sur le fumier de Job, ce qui correspondrait bien à l'austérité protestante des bâtisseurs.

Péchés ici et là grâce à des contacts FB et twitter.

Je ne sais plus quoi écrire. J'ai changé d'ordinateur (pour un plus beau, plus grand, plus puissant), et je n'arrive plus à rapatrier mes photos de téléphone, ça me déprime et je ne sais plus quoi écrire.

Une descente de lit en peau de femme (j'ai mis un moment à comprendre) ;
des ponts ;
des maisons pour rêver (pas bien compris ce qu'était tumblr, il faudrait en ouvrir un pour essayer. Une sorte de twitpix en mieux?) ;
un peu de sexe ;
les égoûts de Moscou ;
et une bonne explication de twitter, courte et en français.

Un des bonheurs possibles de l'homme

Sur vehesse, j'ai mis en ligne une citation de Borgès. J'ai noté quelques mots dans les notes invisibles du blog. Aujourd'hui 18 avril 2020, je les copie ici.

Il y a longtemps que je sais qu'il n'y a pas de colère ou de chagrin qui ne cède dans une librairie : au bout d'un moment j'oublie tout, et même les livres. Le temps et l'espace sont rangés sur les étagères, il suffit de passer les yeux sur les dos des livres, le contenu de chacun se déploie quelques fractions de secondes, un contenu purement imaginé, bien entendu, et c'est comme un exercie de rêves, de dos en dos. De temps en temps on tend la main et on en ouvre un, pour dissiper le rêve et reprendre contact avec le texte, la réalité. Ce n'est jamais ce qu'on pensait mais ça n'a aucune importance puisqu'on savait qu'on rêvait.
C'est sans doute pour cela qu'il est si difficile de choisir un livre. Il faut en trouver un qui fasse d'avantage envie que le rêve.

La réforme des universités

Il y a une semaine déjà, je découvrai cet appel, lancé par l'université Paris VIII, contre la loi dite "pour l'autonomie des universités". J'oscillai entre l'agacement et le rire: d'une part un ministre de Sarkozy déclarerait-il "le ciel est bleu", l'université de Paris VIII s'exclamerait en coeur "Parfois il est gris, d'autres fois il est noir" (et ce ne serait pas faux, bien sûr, néanmoins, pourrait-on considérer pour autant que le ciel n'est pas bleu? (sachant qu'en fait il est incolore, mais passons)); d'autre part il faut un certain souffle pour se déclarer publiquement contre "l'excellence": des professeurs et des chercheurs ne doivent-ils pas naturellement viser l'excellence, le meilleur en eux?

Je ne pense pas que le financement privé soit la meilleure solution. Cependant, nous pouvons constater la faillite du système actuel: locaux vétustes (en 2002, les toilettes à la turque du Mirail à Toulouse, sans eau chaude ni savon ni sèche-main, m'ont rappelées celles de mon école primaire à Agadir en 1974), parfois dangereux, administration parfois incompétente et surtout sans volonté (histoire de l'étudiante visible/invisible qui avait un O et non un 0 dans son identifiant informatisé (ce n'est qu'un exemple, bien entendu: histoire de cette amie attendant sa bourse tandis qu'elle préparait son agrégation, ne prenant plus le bus, se lavant au gant de toilette pour économiser l'eau chaude, etc. (c'est Zola, je sais, Skot: 1995)), professeurs recrutés par cooptation (je suis pour la cooptation: il est normal de souhaiter travailler avec ceux dont on sait qu'ils ont les mêmes valeurs et les mêmes aspirations que vous, c'est même un gage de qualité — à condition de ne pas être médiocre soi-même!) alors que des concours sont ouverts pour pourvoir les postes vacants et que des candidats naïfs, ne connaissant pas ces subtils rouages français, passent des semaines à peaufiner leur candidature et leur dossier...

Bref, le financement privé ne sera pas un remède universel: d'abord il sera probablement insuffisant, d'autre part la provenance et l'utilisation des fonds devront être contrôlés. Mais cette loi propose un changement, et au point où on en est, cela ne peut qu'être bénéfique: dans cinq ou dix ans, il sera nécessaire d'évaluer les résultats de cette politique et y apporter des réformes, de fond ou à la marge en fonction de ses résultats. En d'autres termes, je suis pour un pragmatisme raisonné.
Sur ce site, on rit et se gausse de l'appel lancé par Sciences-Po, qui sans attendre part déjà à la recherche de fonds. Il est paradoxal que les auteurs de ce billet ne se rendent pas compte qu'ils sont en train de faire la promotion de ce qu'ils dénoncent: on peut penser ce qu'on veut de Richard Descoing, mais sa méthode offensive et très marketing a donné de bons résultats: Sciences-Po est une maison connue et reconnue, donc sa méthode est valable, du seul point de vue qui devrait intéresser les étudiants: trouver un emploi (et construire une carrière) à leur goût correspondant à leurs compétences et leur permettant de vivre.

Les sphères plus littéraires et celles des sciences sociales seront-elles sacrifiées par des financements privés? Je ne le pense pas; cependant, il est probable qu'elles devront rétrécir en volume: moins d'étudiants, moins de professeurs, davantage d'exigence sur leur niveau (je suppose, cela n'engage que moi. (Mais peut-on réellement regretter qu'il y ait moins d'étudiants en psychologie?)) Je rappelle pour mémoire que Marc Fumaroli enseigne aux Etats-Unis depuis que le Collège de France a considéré qu'il avait atteint la limite d'âge pour un professeur, que les grands proustiens sont au Japon et que Claude Simon a d'abord été reconnu aux Etats-Unis (pour parler du peu que je connais, mais je suis sûre que l'on pourrait trouver d'autres exemples dans d'autres domaines des arts, de la littérature et des sciences humaines): le grand capital n'a pas fait disparaître toute aspiration à la culture.


Enfin, pour le plaisir, bien qu'il s'agisse de faits un peu anciens, je mets en ligne le récit de Pierre Hadot à propos des nominations au CNRS. Vous pourrez m'objecter que cela a sans doute changé depuis, rien n'est moins sûr d'après ce dont j'ai été témoin à deux reprise dans un autre domaine. Vous noterez que dès 1968-69, Pierre Hadot citait l'étranger en exemple.

J'ai appartenu au CNRS pendant quatorze ans à peu près. Etant donné la précarité de la situation des chercheurs à cette époque-là, qui était la période encore presque héroïque du CNRS, je m'étais inscrit dans un syndicat, la CFDT, pour être si possible défendu en cas de licenciement. Et comme d'ailleurs les effectifs de la CFDT n'étaient pas très grands à cette époque, j'ai même été obligé d'assumer certaines fonc­tions syndicales, dans le secteur des sciences humaines, alors que Mademoiselle Yon, biologiste, s'occupait des sciences exactes. Il s'agissait par exemple, quand les chercheurs ont eu le droit d'avoir des délégués dans les commissions, de choisir des représentants de la CFDT qui pourraient y siéger. J'ai moi-même été élu dans la commission de philosophie à titre syndical. Cela m'a permis de participer au fonctionne­ment du CNRS et de voir comment cela se passait. A mon humble avis, à cette époque, la manière dont les chercheurs étaient recrutés était assez défectueuse. C'était le principe do ut des [«je donne pour que tu donnes Â»] qui régnait.
Exemple caractéristique : pendant une séance à laquelle j'ai participé, le président de la commission, qui avait quelques semaines auparavant choisi les rapporteurs qui devaient lire en séance leurs appréciations sur le dossier de tel ou tel candidat, avait donné le dossier de son poulain à Monsieur X, et avait pris, lui, pour en faire le rapport, le dossier du poulain de Monsieur X. Mais j'ai su après coup qu'il avait préparé deux rapports : un rapport favorable, dans le cas où Monsieur X remplirait le contrat, un autre défavo­rable, dans le cas où Monsieur X ne le remplirait pas. Il s'est trouvé que Monsieur X a rempli son contrat. Le candidat du président a donc été admis, et, par suite, le poulain de Monsieur X. Aux yeux de ce président, peu importait la valeur réelle du candidat de Monsieur X. Il était seulement un moyen de récompense ou de vengeance.
Par ailleurs, le syndicat CFDT n'était pas très puissant au CNRS, du moins à cette époque, si bien que pour être admis comme chercheur, il fallait être soutenu par le syndicat national des chercheurs scientifiques, lié à la FEN. Lorsque, devenu directeur d'études à l'EFHE, après 1964, j'ai voulu présenter un candidat, qui était quelqu'un de tout à fait remarquable, et qui a fait ses preuves depuis, je n'ai pas réussi à le faire admettre. Pendant trois années de suite, j'ai présenté le même candidat, sans résultat. Après quoi je lui ai dit faites-vous présenter par l'autre syndicat; allez voir Untel. Il a été pris immédiatement, l'année d'après. Donc le recrutement ne se faisait pas selon la valeur des candidats, mais selon la politique syndicale.
On nous avait demandé, en 1968 ou 1969, des conseils pour la réforme du CNRS. Dans une lettre au directeur des Sciences humaines de l'époque, j'ai écrit qu'il serait bon de choisir un système analogue à celui qui existe à l'étranger, soit en Allemagne, soit en Suisse, et je crois aussi au Canada, où, qu'il s'agisse du recrutement d'un chercheur ou de la constitution d'un laboratoire de recherches, ou d'une subvention pour un livre, on demande un rapport à des spécialistes extérieurs à la Commission et qui même, très souvent, sont étrangers au pays.
Cette prépondérance de certaines personnalités universi­taires ou syndicales a nui, je pense, dans certains secteurs, au développement harmonieux du CNRS, au moins dans le domaine des Sciences humaines. Quand j'étais dans la Commission de philosophie, j'avais coutume de dire : dans la nature, c'est la fonction qui crée l'organe, mais au CNRS, c'est l'organe qui crée la fonction. Je voulais dire par là que, si le puissant professeur ou le puissant syndicaliste Untel avait envie d'avoir un laboratoire subventionné, il lui suffisait de présenter un vague projet de recherche, qui était tout de suite jugé indispensable, sans que la Commission se demande sérieusement si ce projet était vraiment urgent et utile, dans le cadre général de la discipline. J'avais d'ailleurs fait rire un jour une Commission de réforme du CNRS, en parlant, dans une métaphore terriblement incohérente, des « requins qui se taillent la part du lion Â». J'avais l'excuse d'être furieux.

J.C. : Vous n'êtes sans doute pas plus tendre à l'égard du fonctionnement des bibliothèques universitaires ?
Je laisse de côté le problème bien connu de la Bibliothèque nationale de France, pour m'en tenir aux bibliothèques universitaires. Quand on a été dans les autres pays, et qu'on a vu des bibliothèques au Canada, en Angleterre, en Allemagne, en Suisse (je n'ai pas été aux Etats-Unis), on constate que les étudiants ont un accès aux documents beaucoup plus facile et plus abondant qu'en France. Au Canada, j'ai vu des bibliothèques où il y a des petits bureaux, dans lesquels les étudiants peuvent travailler et utiliser des ordinateurs. En Grande-Bretagne et au Canada, les étudiants ont accès aux rayons des bibliothèques. En Allemagne, il y avait un accès aux rayons à la biblio­thèque de Francfort; à Berlin, dans une immense salle, les étudiants avaient sous la main pratiquement toute la littérature utile, tous les livres de base, les collections de textes, les collections historiques. Dans la salle de lecture de la bibliothèque de la Sorbonne, il y a quelques dictionnaires, et puis — et c'est un progrès énorme —, la Collection des Universités de France (les textes bilingues du fonds grec et latin), mais finalement, c'est très insuffisant.
Le plus préoccupant est que les étudiants, qui ont beau­coup de mal à trouver une place, ont toutes les peines du monde à obtenir les livres qui sont ou à la reliure, ou empruntés ou volés. Il y a plusieurs années, pendant un hiver, la moitié de la salle de lecture de la bibliothèque de la Sorbonne a été plongée pour partie dans l'obscurité; cela a duré plusieurs mois sans que la moindre réparation soit faite : ou bien les étudiants venaient avec des lampes de poche, ou bien ils ne venaient pas. À l'époque, j'avais fait une protestation auprès de l'administrateur de la bibliothèque, ce qui n'a servi à rien. Peut-être faute de crédit ! Mais n'était-ce pas un cas où des crédits auraient dû être débloqués d'ur­gence ? Il faudrait parler aussi de la grande misère des biblio­thèques de province. J'avais une fois critiqué devant Marrou la qualité d'une thèse de doctorat. Il m'a répondu : « Oh, que voulez-vous, il travaille en province. Â»

Pierre Hadot, La philosophie comme manière de vivre, Albin Michel - 2001, p.81 à 85

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