Par Alice,
jeudi 21 avril 2022 à 18:49 :: 2022
Rendez-vous ce matin pour le suivi de l'expérimentation.
Apparemment le Janssens augmente les risques cardio-vasculaires dans les semaines qui suivent l'injection. En conséquence j'ai une liasse de documents à signer pour prouver que j'en ai été informée (sachant que j'ai été vaccinée il y a un an, ça m'est indifférent (quoi qu'il en soit, cela m'aurait été indifférent, sinon je n'aurais pas accepté de participer à une étude)). «Cela signifie sans doute que ce vaccin va être abandonné» me dit ma doctoresse préférée.
Nous papotons. La conversation tombe sur le débat d'hier:
— Je l'ai regardé par intermittence. Il y a une phrase que j'ai beaucoup aimée: Marine Le Pen en train de dire qu'elle réintègrerait les quinze mille infirmières. D'abord elles ne sont pas quinze mille. Ensuite beaucoup sont déjà revenues. Beaucoup ont touché leur salaire, elles ont trouvé des médecins pour des certificats de complaisance et se sont mises en maladie. Et puis surtout j'adore quand elle a dit qu'elle leur verserait le rappel de leur salaire pendant leur absence: et nous alors? je me suis dit que j'avais vraiment été con de venir bosser toutes ces semaines!
Je lui raconte ce qui a circulé sur Twitter quand les antivax ont été virés de l'hôpital, les photos de banderolles «Bon débarras» ou «Enfin!»: est-ce que c'était vrai?
— Dans le principe oui. Cela générait beaucoup de tension. Les personnes non-vaccinées étaient sur la défensive et donc agressives. C'était pénible.
Elle me raconte que la règle a été de ne pas réintégrer les non-vaccinés dans leur service d'origine: trop de tensions.
— On avait un infirmier dans les étages qui avait demandé à passer en ambulatoire. Ça arrive souvent: dans les étages on fait des gardes jour/nuit, en ambulatoire on revient sur des horaires normaux. Le poste s'était libéré, tout était prévu. Il y a une non-vaccinée qui est revenue, c'est elle qui l'a eu.
Elle soupire.
Je parle des profs, de ce milieu dans lequel j'ai grandi, de la façon dont dans un établissement chacun sait très bien qui tire au flanc, qui n'est jamais malade, qui "consomme" ses jours d'enfant malade sans égard pour les élèves à qui ça supprime des heures de cours, etc. Mais si on leur parle de rémunération au mérite… (sachant que "mérite" n'est pas le bon mot.)
— En même temps, je comprends qu'ils aient peur de dépendre d'un chef d'établissement. Mais ce n'est pas pire que le fonctionnement actuel où ils dépendent d'une hypothétique visite d'inspection, où ils sont jugés sur une heure de cours tous les trois ou quatre ans.
Puis prise de sang avec l'infirmière.
Elle trouve la veine mais le sang ne coule pas. Elle bouge un peu l'aiguille, ne comprend pas. Je ne sens absolument rien, c'en est pertubant: comme si l'aiguille était plantée dans un bras en mousse. Je suggère que l'aiguille à un défaut. «Mais non, ça n'arrive jamais.»
Elle finit par changer d'aiguille. Là encore nous papotons. Elle a entre vingt et trente ans. Nous en venons au report de voix, elle est très surprise d'apprendre que des électeurs de Mélenchon sont susceptibles de voter Le Pen.
Puisque désormais j'enregistre énormément de copies d'écran dans mon téléphone afin de conserver un maximum de documents sous la main, je lui montre le schéma de gauche dont les pourcentages sont obsolètes (je n'ai plus la date et la source de cette image) mais le principe exact.
25 avril : mise à jour. Le schéma de droite représente le report réel.
Rappel : il est possible d'ouvrir la photo dans un onglet à part en faisant un clic droit dessus. Cela permet de l'agrandir.
Par Alice,
mercredi 27 janvier 2021 à 23:30 :: 2021
Les films québecquois qui parviennent jusqu'en France sont bons.
Ou me plaisent, ce qui n'est pas la même chose mais est appréciable cependant.
Je suis en train de regarder
Les invasions barbares.
«On n'arrive pas à comprendre le passé, comment tu veux prévoir l'avenir?»
«Vous savez, ici, tout le monde était catholique, comme en Irlande ou en Espagne. Et puis, à un moment très précis, en 1966, en quelques mois les églises se sont vidées. Personne n'a jamais pu expliquer ce qui s'était passé.»
«Je ne veux pas d'un être sensible à la queue molle. Moi je veux qu'on me saute fermement.»
Le spectacle de l'hôpital québecquois en 2003, c'est quelque chose. Il faut passer la frontière américaine pour avoir un scanner. Les couloirs de l'hôpital ressemblent à ceux de la Russie ou de la Chine pendant le Covid. Il faut payer des pots-de-vin aux syndicats pour faire repeindre une pièce dans un couloir de chambres vides.
Je me demande ce qu'il en est aujourd'hui.
Le malade est entouré de ses amis. Ils reviennent sur leurs engagements politiques:
— On a tout été, c'est invraissemblable. Séparatistes, indépendantistes, souverainistes, souverainistes-associationistes…
— Au début on avait commencé par être existentialistes.
— On avait lu Sartre, Camus.
— Après ça on a lu Frantz Fanon et on est devenu anti-colonialistes.
— Après ça on a lu Marcuse et on est devenu marxistes…
— marxistes-léninistes...
— troskistes...
— maoïstes...
— Après ça ben on a lu Soljenitsyne et on a changé d'idée on est devenu structuralistes...
— situationistes...
— féministes...
— déconstructionistes.
Et pour terminer
Godard et Sollers sont cités.
Notons sans surprise, mais ici c'est étalé avec tant d'évidence que l'on essaie de l'oublier, qu'avoir de l'argent permet de trouver des solutions à tout (sauf à la mort, mais bon).
Par Alice,
dimanche 30 juin 2019 à 22:04 :: 2019
Lorsque je rentre du marché, H. est en train de m’attendre: «je crois que j’ai une nouvelle crise. Je reconnais bien la douleur».
Colliques néphrétiques.
Difficile d’évaluer la douleur quand c’est un autre qui la ressent, donc difficile d’évaluer la gravité de la situation.
Est-ce que j’annule la visite à mes parents, est-ce qu’il vient avec moi? Les trépidations de la voiture pourrait aider à faire descendre le caillou, mais je ne me vois pas conduire avec H. hurlant de douleur à mes côtés (la douleur des autres me fait paniquer. L’impuissance me fait paniquer.) Je ne tiens pas non plus à partir seule et à le laisser à la maison dans cet état.
Urgences ou pas urgences? Ce qui plaide contre, c’est qu’ils ne feront pas grand chose un dimanche — à part donner des anti-douleurs — ce qui plaide pour, c’est le risque d’infection, surtout par une telle chaleur (déshydratation par peur de boire par peur d’avoir mal).
En fin d’après-midi H. craque: j’appelle mes parents pour décommander ma venue et nous partons aux urgences.
Dimanche soir. Pas trop de monde. La clim est si froide que les gens s’en éloignent au maximum. Nous rentrons avec une ordonnance pour un scanner le lendemain.
Par Alice,
jeudi 25 avril 2019 à 23:26 :: 2019
A propos de qui RC disait-il qu'il était facile de tenir un journal quant on rencontrait tout Paris?
En tout cas, il est certain que c'est plus compliqué quand on reste assis toute la journée dans une chambre.
Ecrit cinq mille signes en six heures (sur cent mille à fournir) en écoutant les Nocturnes de Chopin. Cinq pour cent. C'est un début. (C'est peu, certes, mais avec toutes les notes de bas de page, le respect des normes typographiques, etc.)
Trié la pile des t-shirts et des pyjamas. Rempli un sac de vêtements à donner en y ajoutant quelques robes.
Passé sur l'ordinateur pro pour vérifier s'il n'y avait pas d'urgence depuis dix jours (il y en avait une que j'ai traitée tôt ce matin). Je me suis reconnectée à 18 heures pour mettre à jour la base de données de ce que je pouvais: comme elle ferme à 19 heures, j'était sûre de ne pas me laisser entraîner (mesure d'auto-contrôle).
Lu deux Langelots que je venais de recevoir. Les trois derniers (ici Langelot et le commando perdu) ont l'air de faire référence au GIGN et à l'agitation en Nouvelle-Calédonie. Ils sont nettement plus militaire et moins espionnage. Ce soir j'en ai commandé quatre: s'ils sont conformes aux photos des annonces (il existe plusieurs couvertures pour certains et je recherche les plus anciennes illustrations), j'aurai bouclé ma collection.
La plaie saigne dans le pansement imperméable (un grand pansement ovale de dix centimètres sur dix-sept environ, avec des bords découpés en fleur, sans doute pour coller sur des formes arrondies (Mepilex Border Flex)). Un point de suture a sauté dès le premier jour et malgré les strips, la plaie saigne. Est-ce que je me fais ça le jour ou la nuit? En marchant ou dans le lit quand le pied n'est pas tenu? Est-ce que j'ai le droit d'appuyer le pied à plat contre le matelas quand je suis allongée, est-ce que le poids du tibia est déjà trop pour la plaie qu'il écrase et rouvre? Je n'ai personne à qui poser la question. Flemme de googler, de devoir séparer le bon grain de l'ivraie parmi les réponses.
Par Alice,
mardi 19 décembre 2017 à 21:52 :: 2017
Vers midi, H. au téléphone, enflammé : « Non mais tu te rends compte, leur système informatique… Incroyable ! »
Et de me raconter en s'échauffant les deux systèmes informatiques qui ne communiquent pas entre les urgences et l'hôpital "ordinaire", l'obligation de tout ressaisir entre les deux services, le logiciel qui a compté trois injections d'antibiotique alors qu'il n'en a reçu qu'une (« l'infirmière a l'habitude, elle a tout revérifié avec moi »), les données de l'examen biologique dissimulé six écrans plus loin, l'ergonomie de l'application sans lien avec les besoins réels du métier (« elle m'a dit que 80% des gens qui viennent ici arrivent à cause de problèmes d'hypertension : ça devrait être la chose la plus facile à saisir, apparaissant immédiatement sur l'écran, immanquable : eh bien non, les champs à saisir sont cachés je ne sais trop où… »), etc.
Pendant qu'il fait ainsi l'audit du système informatique et des process il pense moins à la douleur et je préfère cela, mais j'ai le cœur serré quand il prononce son jugement final : « je vois se mettre en place ce que j'ai vu dans les [lieux où il vend ses logiciels] : un circuit parallèle d'informations pour contourner l'informatique. Et le garant de ce circuit parallèle, c'est le patient lui-même, ce qui implique qu'il soit en état de répondre, qu'il ne soit ni bête, ni trop âgé, ni trop malade.»
H. est opéré dans l'après-midi : pose d'une sonde entre la vessie et le rein pour éviter l'engorgement de celui-ci.
Je suis dans sa chambre quand il remonte du bloc vers sept heures du soir. Un instant guilleret, il déchante vite. Le chirurgien passe, hésite à le laisser sortir : qu'en pensons-nous ? J'interviens : « Vous avez des protocoles ? Suivons-les.»
H. reste à l'hôpital pour la nuit. Cela me rassure.
Par Alice,
lundi 28 août 2017 à 21:11 :: 2017
Je reprends comme je l'ai déjà fait plusieurs fois
une suite de tweets "à dérouler", comme on dit.
Bien sûr, entre autres causes : on commence par les abrutis qui ont déclaré que la santé devait être un secteur "rentable", rentabilité
parfaitement artificialisée par les tarifs de l'AM (assurance maladie) complètement déconnectés des coûts réels, de la course au cost-killing à tout crin
qui va en face de cette rentabilité illusoire. Comme dit un copain patron de clinique "si tu veux faire un truc rentable, t'ouvres un club de
strip-tease ou une pizzeria, pas un établissement de soins"
A quel moment c'est tolérable que des actionnaires se fassent du beurre sur la
santé de nos concitoyens?
On continue avec le dogme du "il y a trop de fonctionnaires" qui nous pousse à externaliser au maximum sur des
fonctions qui seraient "pas notre coeur de métier", en exploitant encore plus les personnes qui réalisent les prestations pendant que des
actionnaires se font encore plus de fric sur leur dos (coucou Onet Nettoyage, bande d'esclavagistes!) tout en cassant complètement la notion
de travail en équipe. Je vous épargne tous les fournisseurs et prestataires fumistes qui se foutent complètement de la qualité des
prestations qu'ils délivrent, et donc du service au patient qu'ils fournissent, du moment qu'ils se font encore plus de pognon sur le dos du
contribuable, du patient et du cotisant.
Tiens les cotisations sociales on en parle? Il est où le pognon qui finance la sécu à force de
baisser les charges sociales parce que les "salariés coûtent trop cher" pendant que les actionnaires défiscalisent dans tous les paradis
possibles et imaginables? Oui, la santé publique a un coût, et il n'y a pas que ceux qui tondent la laine sur le dos des autres qui ont le
droit d'être soignés dans les meilleures conditions possibles!
Quant à vos propos sur "l'hôpital est en situation monopolistique", vous
n'avez pas honte de raconter des conneries pareilles? Vous aussi vous avez pris le nouveau Levothyrox? Bien sûr qu'on est sur un foutu
secteur concurrentiel, partout : on est en concurrence avec le secteur privé, et même entre hôpitaux depuis que l'ARS surveille l'évolution
des parts de marché entre établissements. C'est exactement pour cette raison qu'on ne fait RIEN pour limiter l'afflux dans les services
d'urgence, parce que le but de cette course à l'échalote toxique, c'est de faire toujours plus de chiffre que le voisin. On est en
concurrence sur nos services supports, parce qu'on doit défendre jusqu'à la légitimité de nos cuisines et blanchisseries hospitalières
en faisant toujours moins cher que le concurrent d'à côté. Et après on s'étonne que les patients mangent mal...
On est en concurrence sur le
marché des professionnels de santé, d'abord sur les médecins : merci au crétin qui a décidé, en vertu de la loi du marché, qu'en limitant
l'offre de soins on limiterait la dépense de soins, et donc qu'il fallait bloquer les numerus clausus, on est ds une belle merde maintenant
On est aussi en concurrence sur d'autres secteur pros comme les kinés ou les orthophonistes, on est en concurrence de partout
D'ailleurs nos décideurs le savent bien, puisque ce sont les premiers à aller se faire soigner dans le privé à l'Hôpital Américain
Le seul truc sur lequel on a le monopole c'est justement sur tout ce qui n'est pas rentable et susceptible de rapporter du fric à court
terme. PARCE QUE C'EST CA LE SERVICE PUBLIC
Par Alice,
mercredi 11 décembre 2013 à 22:02 :: 2013
Coup de fil de C. (majeur) qui a emmené son frère O. à l'hôpital pour sa visite de contrôle:
— Tu as un fax? Parce que sans procuration, ils ne me laissent pas le ramener, il reste à l'hôpital.
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Agenda : Soirée adaptation cinématographique avec les anciens Sc-Po. Je présente La Trève pour le plaisir de revoir Le voyage de Primo Levi.
Je continue mon observation de moi-même en situation sociale. Dire ou ne pas dire ce qu'on pense, et comment le dire.
Je ne suis pas sûre d'avoir été très douée ce soir.
Par Alice,
mercredi 6 juin 2012 à 21:31 :: 2012
(Juste pour mémoire, car je n'ai pas grand chose à dire en cette journée consacrée à la lecture de Houellebecq): trois séances de rééducation par semaine pendant trois semaines.
De la rééducation pour un doigt ? (l'annulaire gauche, je le rappelle).
Et où vais-je caser cela?
Par Alice,
mardi 8 mai 2012 à 19:41 :: 2012
Lundi. Rendez-vous à 9h45 pour une visite de contrôle de mon doigt.
— Vous avez la radio?
— Euh non, je n'y ai pas pensé. (Mais de toute façon, on veut voir l'état du doigt maintenant, pas il y a deux semaines.)
— Alors on ne peut rien faire. Vous avez une voiture? (Non je n'en ai pas. H. m'a amenée. Mais de toute façon c'est stupide, je n'irai pas chercher cette radio.)
— Non. Et je ne vais pas chercher cette radio en RER.
— Alors vous pouvez repartir.
Je ne réagis pas beaucoup. Je ne dis rien, je dois commencer à m'en aller mentalement, mais je n'ai pas encore bougé. Je vais partir sans rien dire, sans prendre un autre rendez-vous, sans plaider, elle le sent, je crois. Elle reprend:
— Allez au service de radiologie pour qu'ils vous réimpriment un compte rendu. Droite, droite. (Ai-je pensé "Salope"? Je ne crois pas. J'aurais dû.)
Droite, droite. Trois secrétaires, une ligne de confidentialité, elles sont rapides et efficaces, ça se passe plutôt bien.
— Je viens chercher une copie du compte rendu pour mon doigt. Ça date du 23.
Mon nom, ma carte vitale…
— Mais il y a deux radios… Le pied aussi?
— Oui ça c'est le soir. Le doigt c'est le matin.
— Vous n'avez pas récupéré le pied. Et vous ne l'avez pas réglée. Je vais vous la faire régler.
Carte vitale, carte bleue, je récupère la radio de mon pied, le compte rendu de la radio de mon doigt. Je retourne au guichet de la "chirurgie des membres supérieurs".
— Très bien. Installez-vous, on va vous appeler.
Il est dix heures vingt.
Je lis Vigiles.
Plus tard (un peu plus tard), un homme en blouse blanche vient me chercher (il avait déjà passé la tête plusieurs fois dans la salle d'attente pour demander: «Des points de suture à enlever? Des pansements à refaire?») et m'installe dans un petit bureau. Il y a une grande peinture de voiture de course des années 20 au mur. J'étudie les posters, l'inflammation du canal carpien, c'est très intéressant, en anglais.
Je reprends mon livre.
Plus tard je passe la tête par la porte: m'a-t-on oubliée? (Non, ce n'est pas de l'impatience. je n'ai pas raconté ici que dans la soirée du lundi 23, les urgences m'ont oubliée: j'ai passé une radio du pied, puis ils ont littéralement oublié de m'appeler pour la suite. Je ne disais rien, persuadée qu'il ne fallait pas déranger des gens en train de traiter la souffrance humaine, qu'il y avait des cas plus grave que le mien… Quand nous nous sommes renseignés à minuit, il est apparu que j'avais été oubliée…)
Au moment où je passe la tête, une jeune doctoresse arrive, pimpante et chaleureuse (non, l'homme en blanc était l'infirmier, pas le médecin)).
— J'ai cru qu'on m'avait oubliée.
— Non, je suis juste en retard.
Je lui tends le compte rendu.
— Vous avez fait une radio aujourd'hui?
— Non.
— Il nous faut une radio.
Elle se lève, je la suis, elle va voir la secrétaire: «Il me faut une radio»; la secrétaire : «Allez passer une radio, puis revenez». (Toujours pas pensé «connasse», juste «C'est bien ce qu'il me semblait, aussi.» J'ai été élevée dans le respect du corps médical, des gens qui se dévouent pour les autres…)
Droite, droite, les secrétaires, je viens faire une radio de la main, allez attendre au fond, on va vous appeler.
Je lis Vigiles.
Peu à peu les sièges se vident, chacun passe. Je reste seule. De nouveau, m'a-t-on oubliée? Comment se fait-il qu'il n'y ait personne d'arrivée après moi?
Non, mon tour vient.
Le technicien radiologue est en blouse verte. Il est asiatique, barbe pointue, et je ne serais pas surprise qu'il eut une natte (il n'en avait sans doute pas).
— J'enlève mon attelle? (Je sais qu'on va me la changer, de toute façon. Je n'attends que ça, d'ailleurs: un pansement propre.)
Il prend une voix doucereuse, comme s'il parlait à un enfant de cinq ans qui comprend mal. Ma parole, il se moque de moi:
— Non, les scientifiques ont réfléchi, l'aluminium est un métal, mais ils ont mis au point un métal qui laisse passer les rayons, c'est formidable, non?
Je me fige. Pourquoi ai-je parlé? Je suis muette, immobile, je ne réagis pas. Suis-je condamnée aux cons en ce moment? Karma? Conjonction astrale? Ou ils sont tous comme ça et d'habitude je leur échappe, miraculeusement?
— Ça n'a pas l'air de vous faire plaisir.
Visage immobile. Main immobile. Je ne réagis pas. Je place ma main en suivant ses ordres.
— Voilà . Retournez devant les secrétaires pour attendre le compte rendu.
— Merci.
Je retourne en salle d'attente.
J'attends.
Je lis Vigiles.
Radio, compte rendu, carte vitale, carte bleue. Il est midi moins le quart. Je regarde le compte rendu, sur lequel il est très exactement écrit: «radio de contrôle».
Je retourne au premier guichet. La secrétaire a changé. La moutarde commence à me monter au nez. Je tends ma radio:
— A quoi cela sert-il de donner rendez-vous à 9h45 si c'est pour n'avoir toujours vu personne à midi? J'ai prévu de travailler cet après-midi, j'ai des rendez-vous à la Défense.
— Je sais Madame, il nous fallait une radio. Vous serez la personne suivante.
Je lis Vigiles, mais c'est effectivement très vite mon tour.
La doctoresse regarde la radio, commente:
— Ils n'ont pas enlevé l'attelle?
— Non. Je l'ai proposé au technicien mais il a refusé. Il m'a donné des explications sur l'aluminium comme si j'avais cinq ans.
— Ils ne prennent aucune initiative.
Peut-être que ma remarque l'a amenée à penser que j'étais humaine, qu'on pouvait me parler. Elle m'explique ce qu'on ne m'avait pas expliqué, il s'agit moins d'une fracture que d'une entorse, une entorse si brutale que le tendon a arraché un morceau d'os. Elle a beaucoup de charisme et un beau sourire.
Elle enlève l'attelle. Le sparadrah colle, c'est difficile.
— Je peux le faire si vous voulez.
— Pourquoi, vous n'avez pas confiance?
La réponse m'atterre. A quoi est-elle confrontée au quotidien, pour me répondre ainsi alors que je propose de l'aide?
— Non, c'était juste pour aider.
Le doigt est très raide, j'arrive à peine à le plier. Très enflé, aussi.
— On va faire un pansement en se servant du majeur comme attelle. On va libérer l'articulation pour que vous puissiez plier le doigt.
— C'est amusant, quand on m'a mis l'attelle, on m'a expliqué qu'il fallait tendre le doigt pour qu'il ne reste pas plié, et maintenant c'est l'inverse, je n'arrive plus à le plier.
— Ne vous inquiétez pas, ça va revenir. Il est beaucoup plus facile de rendre souple un doigt gardé droit que de remettre droit un doigt gardé plié…
— Oh mais je vous crois. C'est très intéressant, quand on pense au temps qu'il a dû falloir pour mettre au point la méthode… (Je songe à ceux qui ont gardé des doigts pliés, et ceux qui ont gardé des doigts droits, avant qu'on ait compris le bon timing… Elle sourit, elle a l'air contente que ça m'intéresse.)
— Je vous prescris de l'élastoplaste 3 cm. (Suivent des instructions). Vous gardez le doigt attaché un mois, nuit et jour. Et quand vous reviendrez, faites une radio sans pansement.
Elle m'accompagne au secrétariat. Rendez-vous le 6 juin à 9h45.
Je paie. Carte vitale, carte bleue.
— Et la radio?
— Il vous faut une radio?
— Oui.
— Eh bien, allez prendre rendez-vous pour la radio.
Droite, droite. Rendez-vous à 8h45 le 6.
Je sors. Je prendrai le RER de 13h à Boussy-Saint-Antoine, un peu déprimée par le fait qu'il n'y ait qu'à partir du moment où j'ai parlé sèchement à la secrétaire que j'ai obtenu un peu de considération.
Je hais les gens qui ont besoin d'être maltraités pour devenir polis et efficaces.
Par Alice,
lundi 23 avril 2012 à 22:08 :: 2012
Matinée aux urgences. C. m'accompagne, il conduit.
— C'est bon, tu peux me laisser, tu ne vas pas attendre toute la matinée, je rentrerai en RER.
— Maman, arrête. Il faudrait que tu acceptes qu'on s'occupe de toi.
Les larmes montent. Je sais qu'il ne faut surtout pas attendre cela.
Après-midi à La Défense. J'avais un rendez-vous, il s'avèrera que j'aurais pu m'abstenir de venir.
Je suis absente depuis mercredi dernier. K. m'accueille avec embarras :
— Il y a du nouveau.
— Quoi? Grave?
— Non… Lisez vos mails.
Elle m'explique en quelques mots. Mon patron a attendu que je sois partie, et le mercredi a envoyé des ordres auxquels je m'opposais depuis des mois. Mon projet est mort. Cet après-midi il est venu prendre de mes nouvelles. J'étais en train de regarder le site UGC. Il m'a serré la main.
— Ça va?
— Oui.
— Qu'est-ce que vous vous êtes fait?
— Je suis tombée.
Ce qu'il vient de faire, c'est d'entériner qu'il ne veut pas que je travaille. Je me battais pour travailler, pour faire avancer le projet alors qu'il insistait pour le partager entre trois autres personnes sur lesquelles il n'a pas autorité hiérarchique et débordées de travail par ailleurs. Il a donc envoyé son mail. Je ne sais pas trop ce que je vais faire. Poser des journées de vacances les jours de réunion jusqu'au mois de juillet. Chercher un autre job? Ce qu'il faut savoir, c'est que mon patron ne nous suivra pas lors de la vente de l'entreprise. En effet, en tant qu'appartenant à la direction générale, il est salarié non de la filiale, mais de la maison-mère. Comme il a soixante ans, il ne sera sans doute pas racheté par les repreneurs mais repartira dans la-dite maison-mère, d'où son comportement: il multiplie les signes d'allégeance vers cette maison, tandis que je me battais pour sortir le projet du formalisme imposé par elle, et pour demander aux opérationnels des actes utiles pour la filiale quel que soit le futur.
Je ne me sens même pas réellement en colère, plutôt en deuil. J'aurai essayé. Mais ai-je réellement fait de mon mieux? Sans doute pas, je ne me suis pas assez expliquée, pas assez patiemment. Je m'en veux un peu, vaguement, même si je me dis que les intérêts de mon chef, qui cherche juste à se protéger pour les mois à venir divergent trop des intérêts de la boîte. Je ne sais pas ce que je vais faire. Bloguer, lire. J'ai dit à K. qu'elle pouvait ramener ses documents au bureau et travailler à son mémoire de fin d'études.
Cela a-t-il un rapport? Alors que j'avais marché normalement jusque là , une violente douleur dans le pied droit me fait boîter en rentrant chez moi. Je décide (exceptionnellement, pour tenter d'être raisonnable, à l'encontre de toute la tradition héritée de ma grand-mère paternelle) de retourner aux urgences. Nous en sortons à minuit, ils ont oublié de regarder ma radio, ils m'ont oubliée, cela fait trois heures que nous aurions dû être sortis, et de toute façon je n'ai rien, une toute petite entorse de rien du tout, j'ai honte d'avoir créé tout ce remue-ménage pour si peu, pour rien ("accepter qu'on s'occupe de moi": tu parles, c'est inutile, ça ne marche pas, la preuve: il n'y a rien, pas de problème. Je ne vais tout de même pas m'en plaindre, non?).
Par Alice,
mercredi 14 novembre 2007 à 16:57 :: Sur la toile
Grâce à ce site dont je ne chanterai jamais assez les louanges (un travail indépendant et d'une telle qualité, poursuivi aussi longtemps : comment est-ce possible?), je découvre que la question «Peut-on éthiquement limiter l'offre de soins à un malade nécessitant des traitements coûteux pour des raisons budgétaires ?» (ainsi que l'Angleterre avait envisagé un temps de le faire: plus de dialyse au-delà d'un certain âge, pas de traitement du cancer du poumon si vous étiez fumeur, etc) a été très officiellement posée en France, et que le Comité consultatif national d'éthique y a très sérieusement répondu.
Je vous laisse savourer le résumé de Gérard Bieth:
[La] question [a été] posée en 2004 par l'ex-directrice générale de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris au Comité consultatif national d'éthique. Ce dernier a rendu un avis très prudent après trois ans de réflexion.
Le CCNE émet un certain nombre de recommandations, notamment :
- de réintégrer la dimension éthique et humaine dans les dépenses de santé, afin de permettre à l'hôpital de remplir de manière équilibrée l'ensemble de ses missions, et pas uniquement les plus techniques ou les plus spectaculaires.
- d'adapter les échelles d'évaluation des activités en vue de traiter de manière appropriée les différentes missions de l'hôpital.
- de se réinterroger sur la mission primaire essentielle de l'hôpital qui a dérivé vers un service public, industriel et commercial débouchant sur un primat absolu donné à la rentabilité économique.
- d'ouvrir l'hôpital à une dimension réunissant le "sanitaire" et le "social" (dépendance, adolescence, précarité etc.), en promouvant autour de la personne une meilleure coopération de l'hôpital avec des structures extérieures (soins de longue durée, HAD, ...)
- de s'assurer du maintien du lien social pour éviter que la personne ne sombre dans l'exclusion une fois le diagnostic fait et le traitement entrepris.
- ou encore de rendre aux arbitrages leur dimension politique, sans les déléguer aux seuls responsables hospitaliers.
En conclusion, le CCNE estime que "la garantie d'un accès juste aux soins de qualité n'est pas en contradiction avec une rigueur économique. L'adaptation permanente de l'offre de soins aux besoins démographiques, aux modifications épidémiologiques, aux progrès technologiques justifient plus que dans n'importe quelle activité humaine des choix clairs, courageux, explicites aux yeux des citoyens, et en même temps susceptibles d'être sans cesse remis en question en gardant comme objectif central le service rendu aux plus vulnérables".
L'Avis n° 101 - Santé, éthique et argent : les enjeux éthiques de la contrainte budgétaire sur les dépenses de santé en milieu hospitalier est disponible ici.
(Si je comprends bien, la réponse est non, malgré tout.)