Billets qui ont 'Jacqueline' comme nom propre.

J'attendais depuis si longtemps

— Bonjour Alice, tu as amené ton maillot de bain?
Automatiquement, quelle que soit la question saugrenue, mon cerveau examine le problème et les réponses possibles: non, mais j'ai de quoi me changer intégralement.
— Non, pourquoi?
— Franck t'attend pour sortir en pair-oar, tu es en retard.

Ça alors. J'avais complètement oublié. Pour tout dire je n'y croyais pas vraiment, d'une part qu'il sorte en pair-oar, et d'autre part avec moi: je m'attends toujours à ce qu'un mec (les filles et les mecs, oui, ni hommes ni femmes, ni garçons ni filles, le vocabulaire s'est moulé dans ce monde, a pris une certaine forme) annonce qu'il voudrait essayer — cela me paraît si normal, de vouloir essayer, de sauter sur l'occasion quand quelqu'un le propose, propose cette chose si rare: monter en pair-oar avec quelqu'un qui n'en a jamais fait — et comme c'est un mec, Franck, qui le propose, cela me paraît, me paraîtrait, normal de laisser la place: les forces sont plus équilibrées, et dans un pair-oar (une pelle par rameur), ça compte.

Eh bien non, Franck n'a pas oublié, et personne d'autre que moi ne s'est proposé, youpi.
Sortie en pair-oar, dix kilomètres, nous ne nous sommes pas retournés (baqués), nous avons même eu de bons moments.
Bon évidemment, nous n'avons jamais ramé en pleine coulisse, ce sera pour une prochaine fois. La pointe ne m'est tout de même pas très naturelle.
(Pas de photo, c'était si risqué que je n'ai pas pris mon appareil.)

Depuis combien de temps attendais-je cela? Trente-trois, trente-quatre ans? Quand j'ai commencé à ramer en troisième, il y avait au club deux autres minimes qui avaient commencé avant moi. René m'a mise en double avec Jacqueline, et Nathalie faisait du skiff.
Nous préparions les championnats de France. Cela représente des heures passées ensemble sur un bateau, environ douze heures par semaine, sans compter les compétitions le dimanche.
La saison terminée, à la rentrée suivante, René a revu les bateaux: il m'a mise en skiff et a mis Jacqueline et Nathalie en pair-oar. Je l'ai vécu comme une trahison et comme la preuve de ma désespérante nullité (je n'avais pas réussi à rattrapper leur niveau): sinon, pourquoi n'était-ce pas moi qui étais en pair-oar avec Jacqueline? J'ai été jalouse.

Trente-quatre ans plus tard, je suis enfin sortie en pair-oar.
Il ne me reste plus qu'à faire des progrès.



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Agenda
Quand j'arrive à la maison à midi et demie, tout le monde est encore au lit.
— Si tu ne voulais pas aller au marché, il fallait m'envoyer un sms!
— Je n'avais pas envie d'envoyer un sms.
— Hmm. Il est plus facile de trouver quelque chose à Melun à midi qu'à Villecresnes à une heure au mois d'août.
Je ressors et vais acheter des sushis dans le seul magasin encore ouvert à cette heure-là (soixante sushis pour six, une demi-heure d'attente que je tue en regardant une émission sur les personnes exerçant des métiers rares pour leur sexe).

Le soir, C et A retournent à Blois. Nous allons voir Mustang, très beau visuellement et poignant.

Dix ans

Dix ans que Jacqueline est morte. Je ne pense pas à elle à chaque fois que je rame. Non, mettons une fois sur deux. Je me dis : «il faudrait que je ressorte en double avec elle, est-ce que j'ai fait des progrès? Que va-t-elle en penser? (Et j'espère secrètement qu'elle sera contente) Ah non, ce n'est pas possible, elle est morte.» D'autre fois je refais l'histoire, j'imagine que je suis restée à l'aviron durant tout le lycée… Christine a l'air d'avoir arrêté, mais j'ai vu une photo de Nathalie avec une médaille autour du cou… Mais les relations avec Nathalie étaient trop compliquées pour que je reprenne contact. Tant d'années après j'en suis encore intimidée. Elle n'avait pas peur des garçons, elle, (et pourtant elle n'était pas jolie, tendance laide), elle sortait avec Castor (elle était sortie avec, ça n'avait pas duré très longtemps. Ou bien si?), tous chantaient en chœur ce soir je serai la plus belle pour aller danser, je les regardais, la chanson me réjouissait, je ne la connaissais pas et je ne chantais pas et je donnais l'impression de désapprouver leur exubérance moi qui profitais intensément impassiblement de leur gaieté, elle ramait en compétition en skiff (est-ce qu'elle a eu une médaille en skiff, récemment?) mais l'année où nous sommes allées au championnat de France, Thierry et elle ont été recalés aux éliminatoires tandis que Jacqueline et moi accédions aux demi-finales à la surprise de tous (et je m'étais sentie coupable de retarder le retour à la maison d'une journée pour courir cette course dans laquelle nous n'avions pas grandes chances).

La gare de Vigneux

J'ai un souvenir de la gare de Vigneux, celui de ma dernière cuite (en date), ma deuxième, donc, la première datant de 1989 — je venais de trouver du travail, c'était un soir de chili con carne et de tequila rapido, août ou septembre 1989 à Talence.

Décembre 2004, sans doute le 6, la saint Nicolas. J'avais dîné avec R., peut-être à la Coupole ou à l'une des brasseries proches. Nous avions bu une bouteille, il pleurait un ami qui s'était suicidé en septembre, et moi une amie morte en novembre.
Je me souviens avoir refusé un dessert mais demandé une autre bouteille de vin.
Et je me souviens l'avoir bue pratiquement seule et très vite, trop vite, le temps qu'il mange son dessert.

Sans doute m'a-t-il raccompagnée en taxi à la gare de Lyon, je ne m'en souviens pas mais c'était le genre de choses qu'il faisait.

J'étais ivre morte. Bizarrement je ne me souviens de rien et j'ai des souvenirs très précis par flash. Je sais que je suis tombée de tout mon long, parce que je me souviens du ciment froid contre ma joue, mais cette image, je ne l'ai reconstituée que le lendemain en tâtant des zones douloureuses — pommette, genou,… — et la sensation du ciment froid sur ma joue.

Je suis montée dans le train, je me suis endormie, mon téléphone a sonné, H. s'inquiétait, il était aux alentours de minuit. Je l'ai rassuré, j'arrivais (à l'époque nous n'avions qu'une seule voiture, il devait venir me chercher à la gare). Je me suis rendormie, réveillée quand le train s'arrêtait — à Vigneux.
Je m'étais trompée de train.

Je suis descendue du train, j'ai appelé H., très ennuyée. Et je l'ai attendu. J'avais un grand manteau bleu ciel, tricoté main, j'étais assise sur les marches, je pleurais comme un veau: «elle est moooorrrte». Il faisait très froid, un jeune grand noir tout désemparé tentait de me consoler: «faut pas pleurer, Madame». «—Qu'est-ce que tu fais là? Tu ne rentres pas chez toi? —Je dors dans la rue, Madame, mais faut pas pleurer». Et je le regardais sans rien dire, il ajoutait encore à ma désolation, avec sa gentillesse et la perspective qu'il passe la nuit dehors par ce froid.

H. est arrivé, nous sommes partis, à un feu rouge j'ai ouvert la portière et j'ai vomi la bouteille de vin.
Nous sommes rentrés, H. ne me fit pas un seul reproche et n'en reparla jamais.

Il fait beau

Ramé en tee-shirt. En double.

— Tu occupais quelle place dans ton double quand tu faisais de la compèt ?
— Le deux, pourquoi ?
— Et en quatre ?
— Le trois.
— Bref, la place du bourrin, quoi !


En 1985, quand je suis revenue une ou deux fois au club ramer pendant mes vacances (après quatre ans d'interruption, mais la prépa me vidait si bien de mes forces qu'il me fallait un dérivatif), Jacqueline m'a dit en riant : «Tu as fait des progrès, ton coup d'aviron est plus féminin.»

Je n'ai jamais su ce qu'elle voulait dire.

Aviron

L'aviron est une histoire de famille. La légende veut que mon père en ait fait étudiant, à Orléans, sur le Loiret. Il est obligatoire de savoir nager, ce n'était pas son cas, ses amis ne l'ont pas cru et ont signé la déclaration à sa place. (C'était pour faire du huit, cela ne portait guère à conséquence (avant qu'un huit se retourne…)) La légende veut également que l'équipage de La Source gagna les championnat de France — l'année qui suivit le départ de mon père. Avec lui ramait mon parrain, ce détail a son importance dans un autre embranchement de mon histoire familiale.
Il y a quelque part une photo, de ces kodaks des années 60-70 qui sont devenus orange. Si je retombe dessus, je la vole.

La première fois que j'arrivai au club d'aviron de Blois (large étendue de cailloux blancs devant le hangar) tout était désert. J'avais treize ans. Je fus accueillie, si l'on peut dire, par un garçon qui me parut bien grand (c'était un junior : dix-sept ans, dix-huit?). Il parut interloqué par cette drôle d'idée :
— De l'aviron? Tu es sûre? Ce n'est pas plutôt du kayack que tu veux faire?
Non, non, j'avais décidé que je voulais faire de l'aviron.
Ce garçon s'appelait Castor, j'ai cherché hier son prénom, Michel, Christophe, Olivier? Non, Philippe. Castor, c'était Philippe, et Pollux je ne sais plus. Je me demande même si je l'ai jamais su. (Mais je me souviens du nom de famille de Pollux, et pas de celui de Castor. Bizarre mémoire.) Les deux étaient inséparables comme de juste, issus de familles de garçons, quatre garçons une fille, et tous ramaient.
Vais-je écrire une histoire du club de l'aviron blésois en 1980? Ma partenaire d'aviron était Jacqueline, et lorsque j'ai ouvert un blog (mai 2006), j'ai été tentée par ce récit, à la mémoire de Jacqueline, morte en novembre 2004. Il m'avait semblé alors que je n'avais rien à dire, ou pas grand chose.
Je n'ai rien à dire, rien d'autre que des éclats de mémoire, la transparence de l'air au-dessus de la Loire, les couchers de soleils mauve et or, la galère, les régates, les contrepétries, les chansons, les ampoules, et sans doute les gens, le lieu, les plus précieux de mon enfance… (Et la grande surprise, l'immense surprise, sera d'apprendre des années plus tard, fin août 1995 pour être précise, que ce club avait joué le même rôle pour nombre d'entre nous, tous ces autres rameurs dont j'étais bien loin de me douter que le club représentait pour eux la même chose que pour moi: un espace de liberté et de consolation (mais il faudra parler de René. Plus tard, plus tard.))

J'ai essayé à plusieurs reprises de ramer ailleurs qu'à Blois : en 1987, avec l'école, dans le club où je suis maintenant, en 1991 et 92 à Joinville, dans le club d'Anatole (encore une autre histoire). Je n'y ai jamais réussi : en 1987 j'étais vexée de ramer en yolette (bateau de débutant), en 1992 j'ai vite été épuisée (je ramais le samedi matin, je dormais le samedi après-midi : tête de H…).
Le bassin de Blois n'existe plus. L'été était installé un barage de faible hauteur, un à deux mètres. Cela suffisait à établir une retenue d'eau pour les planches à voile, les kayacks et pour nous: sans ce barrage, l'eau était beaucoup trop basse, nous risquions de casser les bateaux sur un banc de sable.
Mais désormais ce genre de barrage est interdit (protection des saumons). Je ne sais pas où vont ramer les Blésois, je ne sais pas ce qu'est devenu le club. J'ai entendu dire qu'il allait ramer à Saint Laurent (la centrale nucléaire). Je ne sais pas si c'est vrai.

C'est la première fois que j'arrive à ramer ailleurs, que je suis heureuse de ramer ailleurs, que les regrets ne m'empêchent plus de ramer.

Nostalgie

Samedi, classé des papiers avec Out of Africa en fond sonore. Il y a longtemps que je n'ai plus besoin de le regarder, j'en connais les images par cœur. Pourquoi ce film-là ce soir, et ce besoin d'avoir le cœur fendu juste ce soir, en triant des bulletins de notes, des factures et des articles de journaux ?
L'Afrique aura vraiment tout pris à Blixen, c'est une vaincue qui rentre en Europe.
Il me reste cependant un doute sur la véracité de cette biographie. Il faudra que je reprenne dans Vies politiques de Arendt les références du livre écrit par le frère de la baronne (est-ce bien cela ? il me semble que c'est son frère).

Est-ce pour cela que le lendemain, c'est le DVD que papa m'a donné il y a déjà trois ou quatre ans que j'ai regardé, en remplissant je ne sais quels documents administratifs ? Mon père a copié les films super8 familiaux, les films de l'enfance, c'est très flou, cela ne montre à peu près rien à quelqu'un qui ne connaît ni les lieux ni les personnes. Mon père a surtout fait d'excellents choix de fonds sonores, Sydney Bechet s'adaptant si bien aux images que les images semblent suivre la musique par instants.
Je ne savais pas que certains moments, bien plus récents (1981) avaient été filmés.
Pour les plus anciens, 1971 ou 72, les films viennent confirmer l'exactitude confondante de ma mémoire.
Il ne reste rien, ni la maison d'Inezgane (occupée par des militaires), ni la ferme de ma grand-mère (vendue à un maréchal-ferrant), ni ma coéquipière de galère…

Deux paires de mitaines

Il y a vingt ans, je tricotais une paire de mitaines bleu turquoise pour mon amie Jacqueline. Je peux dater ce moment parce que je me revoie dans la chambre d'hôtel à Strasbourg où j'ai passé trois mois en formation, envoyée là par mon entreprise (les vingt ans de la chute du mur du Berlin, mes vingt ans de salariat... mais mon point de repère (pour le salariat) est plutôt la proclamation de la république hongroise en octobre 1989... Tien Anmen avait été réprimé en juin, je n'en reviens pas de ces journalistes/analystes politiques qui viennent nous expliquer que la chute du mur était prévisible... nous songions à Tien Anmen. Je regardais la télé dans des chambres d'hôtel, en octobre ce n'était pas encore Strasbourg mais Périgueux...)

Il y a cinq ans, aujourd'hui ou le 16 ou le 17, je ne sais plus, j'apprenais la mort de Jacqueline.
J'avais tricoté une autre paire de mitaines, rouge, pour F., quelques temps auparavant. F., dont je n'ai plus de nouvelles.

Pierre Louÿs en tirerait la conclusion qu'il est dangereux de tricoter des mitaines pour ses amies.
Heureusement, je n'en ai jamais plus tricoté.

Chansons à chanter fort et faux.

J'ai été surprise de l'émotion causée par la mort de Bashung dans la blogosphère et sur FB. Je ne savais pas qu'il était tant aimé.

Vers 13 ou 14 ans, quand nous partions en car, que ce soit pour aller visiter des caves à champignons ou participer à des compétitions sportives, nous choisissions des chansons devant répondre à un impératif simple: pouvoir être chantées fort et un peu faux, de préférence avec des paroles stupides.
J'avais l'intention d'en trouver dix, mais finalement, trois c'est suffisant.






J'aime beaucoup les paroles:

Hier un homme est venu vers moi d'une démarche un peu traînante
Il m'a dit : "T'as t'nu combien d'jours ?" J'ai répondu : "Bientôt trente"
J'me souviens qu'il espérait tenir jusqu'à quarante.
Quand j'ai d'mandé son message il m'a dit d'un air tranquille
"les politiciens finiront tous un jour au fond d'un asile"
j'ai compris que j'pourrais bientôt regagner la ville.





Là encore, les paroles valent le détour:

Moi je tricot' des napp'rons
Avec le rest' des nouill's grimpé sur le balcon
Eh oh eh ah
Elle est si jolie
Avec ses souliers vernis
Ses taches de rousseur
Sur son joli postérieur






Bon, évidemment:

Alors à quoi ça sert la frite si t'as pas les moules
Ça sert à quoi l'cochonnet si t'as pas les boules.

Anniversaire

Il y a deux ans, j'assistais à l'enterrement de Jacqueline.
C'était une amie d'enfance, lorsque nous avions treize ans, elle était ma coéquipière en double scull. C'est sans doute la personne qui m'a le mieux connue dans tout ce que peut avoir d'effroyable ma hargne et ma mauvaise humeur. Je me souviens de son sourire, de ses phrases, de son égalité d'humeur, d'un extraordinaire coup de soleil après une régate dans le golfe du Morbihan, de ses cigarettes, de ses yeux lointains, de la voix de Jérôme au téléphone "elle m'a quitté", de son fils mal élevé, de son frère incontrôlable, de son amour pour Juan Rulfo et Pedro Paramo, bien avant qu'il ne soit réédité (c'est ainsi que je le connais). Elle était tailleur de pierres.

J'ai appris sa mort un matin, juste avant de partir travailler. Le téléphone a sonné, H. a décroché, parlé, raccroché. Il est venu me voir :
— Jacqueline est morte.
Je l'ai regardé sans comprendre :
— Impossible, je suis en train de lui écrire.

Je me suis souvent demandée ce que j'avais voulu dire. Rien d'autre que "je suis en train de lui écrire", je suppose. J'avais commencé une carte pour son anniversaire, le 17 septembre. Deux mois plus tard elle n'était toujours pas terminée.
Est-ce que je crois réellement que si j'avais envoyé cette carte, cela aurait changé quelque chose? (rupture d'anévrisme, imparable).

J'ai été bouleversée. J'avais l'impression d'avoir perdu mon double, une sorte de preuve ou d'épreuve de moi-même. Je n'avais personne à qui en parler, les personnes les plus proches étant celles qu'il faut le plus protéger de nos accès de désespoir (les moins proches étant indifférentes, il ne reste donc personne (l'un des avantages des blogs, comme de l'auto-stop : pouvoir écrire sans que ce soit ni important, ni indifférent)).

J'ai fait deux choses : j'ai acheté les séries disponibles de Six feet under dont j'avais entendues parler sur les blogs de Matoo et de Ron, et j'ai littéralement tagué le blog de Gvgvsse.

Je savais que H. n'approuverait pas que je regarde Six feet under. Je n'ai jamais su s'il craignait réellement que je devienne folle ou si ce n'était pour lui qu'une façon de parler. Il est vrai que je le crains parfois moi-même, mais je suppose que cela arrive à tout le monde (ou bien non? Comment savoir?) J'ai donc regardé tous les épisodes (deux ou trois séries disponibles, à l'époque) en cachette, quand il n'était pas là. Cela me berçait. La première série surtout s'attache beaucoup à l'accueil des personnes qui viennent de perdre un être cher. Je me suis noyée dans les épisodes, je les ai regardés des nuits entières. Ce téléfilm est magique, à un ou deux personnages près, je m'identifie à tous : comment un scénariste a-t-il réussi cela? Quelle connaissance de l'âme humaine cela demande-t-il? Je reste sidérée par cet exploit.

A Noël (2004), j'ai découvert le blog de Gv. Il (le blog) avait alors deux ans et demi. Pour des raisons inexplicables, tant sa forme que la part donnée à la nostalgie (il n'avait pas encore son métier d'agent secret, je crois, ou c'était juste le début (je ne vais pas vérifier)), au regret, à une certaine tristesse et à la bataille menée pour ne pas y céder, aux objets (le parquet, la salle de bain rose, le parapluie orange, les pattes de moustique, les docksides...), aux flambées d'allégresse, à la façon de parler de la mort, de la quête de l'amour, de la musique, une façon intime, "de l'intérieur", chaude, rassurante, je me suis profondément attachée à ce blog. Il n'y avait pas de "mouchard" (cette liste dans la marge qui dénonce les derniers commentaires), alors j'ai écrit tranquillement et intensivement. J'avais totalement oublié, ou négligé, qu'un blog est aussi un blogueur.
Plus tard j'ai eu honte.
J'ai encore honte.
Heureusement Gv n'a jamais paru trop m'en vouloir.

Et puis la douleur de la perte s'est estompée. Il ne reste que la sensation qu'une porte s'est fermée, que certains souvenirs sont désormais obsolètes, sans raison d'être. Il reste la sensation aiguë de l'irréversible et de l'urgence : faire ce qui nous passe par la tête même si ce n'est pas totalement raisonnable, même si cela "ne se fait pas", tant que c'est beau, bon ou joyeux : après tout quelle importance, nous sommes mortels.
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